Créé le: 12.08.2016
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Hannibal lecteur

Nouvelle noire, Polar

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© 2016-2024 André Birse

Week-end de Pentecôte 2016. Je brasse des souvenirs de lecture, mets en étonnante et hasardeuse  perspective certaines dates et certains faits qui se rejoignent dans le chaos de l’actualité du crime si constamment fournie et galopante. Viennent  des lieux, des noms, des considérations,  des mots pour  défier ce qui fuit.
Reprendre la lecture

Cette expression récurrente de dépassement de la fiction par la réalité. Un assassin célèbre aux États-Unis, qui a tué notamment ses grands-parents, dit encore, longtemps après la commission de son acte, combien il a été surpris d’observer la rapidité avec laquelle un être vivant peut être transformé, d’un instant à l’autre, en cadavre un peu ridicule et chosifié. Pour lui, voilà tout. J’ai ce souvenir de lecture. Il y en a d’autres. Comme celui, plus récent, de Sirhan Sirhan qui a assassiné Robert Kennedy, le 5 juin 1968, et doit aujourd’hui encore, pour avoir une chance d’être libéré sur parole, se déterminer sur son geste criminel dont il ne se souvient pas. Dire ce qu’il en pense alors qu’il ne peut y penser, mais le réinventer pour redonner une chance à sa cause comme lui fatiguée, quarante-huit ans après. Il restera enfermé. Pas de liberté sur parole.

 

Nous sommes imbibés par l’idée du meurtre et de la mort comme des chiffons, des poupées en chiffon que sont devenus, dans sa perception, les grands-parents morts du tueur américain. Les histoires de morts assénées occupent nos vies, nos consciences et nos in- ou sub- conscients ( Il y a peut-être un infra aussi). Le comptoir de réalité nous distribue du réel dans toutes ses formes et ses forces en pourvoyeur de faits morbides et insoutenables. Faut-il allez chercher ces faits dans les séries télévisées, sur la scène et à l’écran, sur les boulevards des bords de mer, dans l’histoire vraie, celle qui semble être survenue, que l’on reconstitue imparfaitement, voire encore dans notre quotidien social ou médiatique dont la violence nous saisit au corps, nous laisse exercer sur elle une fatale attirance?

 

Le moment du meurtre, la chute de l’un, la fuite de l’autre, l’intrigue menant à la découverte, la scène de crime, la détresse ou l’efficience de l’auteur. Ce comptoir de réalité est tel qu’il m’est impossible d’en inventer encore, d’où la difficulté d’écrire un roman policier. Je veux interroger cette abondance de faits. La philosophie ne parvient pas à départager le réel et le vrai. Pas plus que la justice qui s’accroche à son rôle et se perd dans le dédale de ses certitudes et de ses lacunes. L’une est l’autre, philosophie et justice, s’octroient leurs parts de vérités et le pouvoir de les définir. L’auteur aujourd’hui dans sa prison préventive. Demain dans son asile pénitentiaire ou chimique. Puis ces faits criminels qui ne sont que potentiels et comme déjà survenus, abstraits mais par avance dévastateurs. Ils adviennent, surgissent, contraignent le hasard, apparaissent artificiellement, s’imposent à nous, endormis ou curieux, attentifs ou vengeurs, juge ou défenseur, correspondent à une histoire de vie, auteur, victime, tiers intercesseur, nous lecteur, Hannibal lecteur.

 

Hannibal voyeur aussi, dans la vie et aux cinémas actualisés ou numérisés. Là où tout se déroule et plus rien, presque plus rien ne s’offre à la compréhension, ne permet d’être saisi par elle. La toute humaine connaissance qui s’égare ou se magnifie en s’individualisant, se pervertit en s’étiolant.

 

Un député de l’Yonne, membre d’une commission d’enquête sur le terrorisme et la sécurité, a religieusement cherché ses mots après avoir approché Salah Abdeslam à Fleury-Mérogis, ” la bête humaine”, qu’il qualifie ainsi, pour dire sa répugnance, allant jusqu’à réprouver l’idée que celui-ci puisse avoir encore de l’appétit. Dans ”Le Point”, que je lis ce dimanche de Pentecôte 2016, il exprime sa haine, la retient, ne la retient pas, alourdit ses termes, met une lourde pierre dans sa fronde puis libère ses mots, les laisse s’ébrouer dans le parc animalier de la bienséance démocratique.

 

Il les veut tueurs. Élites tueurs. Il concède que “la bête ne doit pas crever” mais conclut: ” qu’il aille en enfer, là où la liberté n’est pas et où l’humanité n’est plus”. L’écriture n’enrobe ni ne circonscrit parfaitement l’assassinat. Elle le formalise en droit, l’anticipe en sciences humaines et part à la poursuite de ses faits et causes dans les romans policiers. Le corps du détenu condamnable est là. Le député l’a vu se masser la cheville blessée. Mais les effluves de sa volonté de fiel se sont échappés pour rejoindre d’autres corps vivants qui agiront.

 

On s’intéresse à cette volonté génératrice de cadavres pour la démasquer, la briser, faute de l’avoir empêchée. Agir, sur le meurtre qui se généralise comme sur une bactérie qui se répand. Mais l’agissante bactérie a pris la forme humaine. Elle est polie, discrète, enfouie dans le nombre, protégée par sa biologique normalité, se tait, ne parie pas sur les chances qui sont les siennes de tuer enfin un jour. Puis, elle sort, avance, entre, surprend, tue et redevient elle-même ou l’aura toujours été.

 

L’enquête policière est menée. Rien, jamais, ne sera dit, avec une suffisante vérité du monde disparu en la personne de la victime et du monde défait par la dépersonnalisation de l’auteur. Le député membre de la commission n’y est pas parvenu, malgré ses outrances langagières. Personne n’y parviendra. Le lecteur peut-être, par son silence, sa suspension dans la pensée et l’émotion s’en rapprochera.

 

Hannibal.

 

Parfois, je refuse. Un jeune homme passionné de cinéma me parlait de « Funny Games » de Michael Haneke qu’il m’encourageait avec insistance à visionner au plus vite. Un film autrichien très bien fait, clinique, selon une critique parue à l’époque dans “Libération” qui s’interrogeait sur les intentions de l’auteur, sorti en 1997 et refait ensuite dans une version spéciale pour le marché d’Amérique. Deux hommes, jeunes aussi, s’introduisent dans une maison pour y brutaliser, lentement et méthodiquement, toute une famille jusqu’à la torture, jusqu’à la mort. Ils entrent dans la demeure et créent un faux climat de confiance avec la mère et les enfants. La première phase de la morbidité de leurs jeux. Le mari s’est-il fait attendre ? Revient-il dans le jeu ? Je ne vérifierai pas. Le jeune homme me corrigera. Début d’une intrusion avant le massacre savamment dosé par le metteur en scène. La dégradation psychologique est décrite par un processus narratif et visuel . très important le visuel – qui nous fait vivre chaque instant de ce massacre: commencer à feux doux, de la confiance à la méfiance, de la méfiance à l’angoisse puis de l’angoisse à l’imploration, à la terreur, à la souffrance, l’évanouissement, l’anéantissement.

 

Le a privatif de vie.

 

Nos discussions avec le jeune homme étaient sympathiques et intéressantes. Elles ont porté sur le talent, le scénario, la précision de l’auteur du film et le laisser-aller des auteurs du crime, si subtilement réel, par la violence et l’effroi qui doit glacer et qui glace en effet, atrocement. Laisser-aller certes, s’agissant de création, de gestes insoutenables créés dans la fiction. La transition cependant, l’analogie avec le passage à l’acte hors cinéma, dans la vie, peut donner lieu à quelque problème d’embrayage. Le talent de ne pas agir, de se retenir, de préserver, sans mérite particulier.

 

Un président de Cour d’assises dit un jour à un sexagénaire qu’il jugeait pour meurtre – et dont il devait apprécier les conséquences en droit de l’absence d’antécédents – qu’il n’y « a pas de mérites particuliers à ne pas avoir tué durant les soixante première années de sa vie ». Ce doit être le même principe pour les soixante années à venir, la suite n’étant pas révélée avec une précision suffisante pour l’esprit humain, fût-ce un lundi de Pentecôte comme celui-ci.

 

La règle morale et de droit qui interdit de causer toute souffrance et de tuer, de s’en abstenir, n’est pas du tout respectée. Depuis la nuit des temps et ne le sera pas pour longtemps encore bien que l’on se dise parfois qu’elle devrait l’être enfin, par l’intelligence de la conscience, l’une nourrissant l’autre. Mais c’est une leurre, une utopie. La conscience et l’intelligence demeurent à jamais séparées et avides d’elles seules. Nous le savons bien ou mal et nous laissons venir à nous la fascination. Le cinéma persiste à s’y intéresser, et le public, et la police, les juges. Une sorte de tournus récurrent. Dans « Funny Games », drôles de jeux, la souffrance des victimes est épouvantable à considérer. A vrai dire nous n’avons pas la capacité de nous figurer ce type de moments, dans la contrainte sordide, de les ressentir, sans les vivre soi-même ; et notre ange gardien nous dit que l’on y échappera. Il l’aura dit aux victimes. Nous sommes étrangers aux actes que nous n’avons pas subis. Nous sommes étrangers aussi, mais dans une moindre mesure toutefois, aux actes que nous n’avons pas accomplis. Notre imagination et notre amour du cinéma ne réparent pas le vide entre l’horreur imagée et l’horreur subie. Les étrangers, les victimes, les auteurs. Il faut redonner – certains se battent pour cela – un sens au mot victime, non plus juridique ou social, mais existentiel. L’existence d’une victime qui n’existe plus. L’inexistence d’un auteur qui existe encore. Cette scène, avec cette canne de golf dans le film de Haneke.

 

Le jeu. Le visage apaisant et la politesse instrumentale. La rage soudainement. En le frappant avec la canne, il lui casse la jambe dont il sait qu’elle sera dans quelques instants la jambe cassée d’un macchabé. Le cri et l’horreur sont paraît-il très bien rendus. On parle de for intérieur en droit pénal. Celui de l’auteur. Ce qu’il veut et ce qu’il sait. La victime, on ne sait pas. Elle n’est plus là. C’est bien cette confrontation qui est en jeu dans la vie. Et le jeu, dans le film, de celui et/ou celle qui disparaît avec celui et/ou celle qui fait disparaître. Cette façon toute instinctive de s’ériger maître du néant de l’autre et de son effroi, de son avant-néant, juste avant. Je n’ai jamais vu le film et ne le verrai jamais, mais des images, des scènes, lu des critiques. Et le scénario m’a été plusieurs fois raconté avec délectation par ce jeune homme qui voulait entrer dans une école de cinéma. Très convaincant. Mais parfois, je refuse.

 

Il est vrai qu’il y a eu plusieurs meurtres à Genève ce printemps. Mon amour, tu me faisais des déclarations d’amour et ton regard joyeux a épuisé les promesses en moi. Maintenant, tu baignes dans ton sang. Et moi, en fuite ou à côté de toi. Tu rentres chez toi ce soir après le sport. Je t’attends et je te tue en te frappant la tête avec un gourdin. Je viens de chercher, te surprendre à la sortie de ton travail. Tu m’as confirmé froidement ta volonté de séparation et froidement, je tire sur toi. C’est comme ça. Plus, je ne peux pas. Moins non plus. Nous sommes morts et je n’aurai plus à y penser. C’est important tu sais la sexualité. On ne peut pas s’en défaire comme ça. En me quittant tu me nies sexuellement. Je n’ai pas trouvé d’autre réponse que la mort. Sur l’instant, sur la suite d’instants, je l’ai vécu comme ça. J’inflige. C’est ça. Je réagis et j’inflige.

 

Il paraît que l’on ne regrette pas. Mort ou vif, on ne regrette pas. Nous serons un fait divers. Des voitures de police, la stupeur des passants, du monde aux funérailles. Personne ne sait. Personne ne sait la force et la profondeur de ma solitude, ma faim, d’amour et de gloire, et mon refus de n’être rien, de ne pas vivre ce qu’à ma naissance, à ma naissance oui, je devais vivre dans le meilleur des mondes, avec toi. Alors, nous mourrons, plus vite que ça, maintenant. Un fait de police, je te dis. Comme dans cette maison de Rupperswil, en Suisse alémanique, canton d’Argovie, qui a brûlé, le jour du solstice, en décembre. Il y avait quatre cadavres dans les flammes. Une femme et trois jeunes, tous égorgés.

 

Celui qui s’est donné la mort – expression non choisie – ce printemps de pluie à côté de la femme qu’il venait de tuer, ne saura pas qu’à Rupperswil, ils ont arrêté l’assassin, ce jeudi de la Pentecôte. Ils ont mis les moyens. Personne ne voulait d’un nouveau crime de Seewen, devenu fameux et demeuré irrésolu. Il y a quarante ans, à une heure de voiture de Rupperswil, en allant vers Bâle par les petites routes, le 5 juin 1976, week-end de Pentecôte, huit ans jour pour jour après l’assassinat de Robert Kennedy, ancien Ministre de la Justice. Cinq personnes flinguées dans un petit chalet de campagne. Du repas bucolique à la raideur finale, en quelques instants, par les mérites d’un personnage qui, peut-être identifié, n’a jamais été attrapé. C’est un crime qui s’est congelé dans nos mémoires en Suisse. Des ombres parfois passent et réussissent leurs meurtres parfaits. Elles attendent la prescription qui les sauve et meurent inconnues et innocentes.

 

La plus jeune des victimes de Seewen approcherait de ses quatre-vingt-dix ans. Mais ses quatre-vingt-dix ans ne sont plus les siens depuis le jour de la Pentecôte 1976. J’étais jeune homme et je me faisais tout un cinéma.

 

A Rupperswil, qui est à deux heures de voiture de l’Autriche, durant cet hiver 2015, les autorités de police se sont engagées à retrouver l’auteur. Elles l’ont retrouvé. Il est passé aux aveux. Un homme de trente-trois ans qui, a refait « Funny Games », cliniquement, en égorgeant quatre personnes – comme le font les djihadistes dans leurs exhibitions mondialisées – inspiré probablement par ce que nous voyons depuis quelques années sur nos écrans domestiques, radars de toutes les formes de violence, nouvelles ou archaïques qui apparaissent ou réapparaissent autour du monde. Il sera jugé. Nous saurons. Enfin, nous saurons ce qui aura été dit durant l’instruction et le jugement. Il a suivi l’un des fils. S’est introduit dans la maison par un prétexte qui n’est pas encore connu du public, comme n’est pas connu du public le fait qui aura permis l’arrestation de cet assassin, car c’en est un. Le doute n’est pas permis. Au début de l’enquête, nous avions vu le visage de la mère de famille saisi par les caméras de la banque où elle a prélevé quelques heures avant sa mort le montant maximum autorisé. Son visage témoigne. Il est là, dans la presse. Les ténèbres sont en elle, ça se voit. La crainte de la mort des siens. En prélevant cet argent, rongée par une angoisse paralysante, elle espère encore sauver ses enfants, raisonner ou désintéresser le type qui est à la maison, en preneur d’otages et qui joue avec l’espoir et la crainte de la mort de ceux qu’il contraint, qu’il assassinera par plaisir. Motifs sexuels et financier nous a dit la procureure en conférence de presse. Sexuels et financiers ? Peu compatibles ou alors par une étrange absorption de l’un par l’autre.

 

Saisi dans une lumière artificielle, entre mort et sursis, le visage de cette femme, dans sa vie quotidienne, un simple prélèvement d’argent qui devient la scène, l’avant-dernière scène, de la fin de ses jours parmi et avec ses enfants, devrait la mener à la sanctification dont elle ne voulait probablement pas. Elle demandait, sans avoir à le dire, la vie sur terre, le temps qu’il faut pour être femme et mère. Pas seulement le devenir, l’être devenue, mais l’être tout à fait et l’avoir été. Revenue à la maison, elle a assisté au viol de son fils et à la mort de tous. Seul l’assassin connaît le tirage au sort dont il fut le maître et l’exécutant des tours de chacun pour mourir et pour assister ou non à la mort de l’autre. Son fils, sa mère, son frère, son amie. Un homme agissait, ne se retenait pas d’agir ainsi. Il a commis un acte sexuel sur le plus jeune des enfants avant de les égorger tous. La mère, ses deux fils, l’amie de l’aîné, dans sa vingtaine. Il s’est retrouvé seul devant le résultat de sa tuerie, a mis le feu et s’est enfui.

 

Le critique de “Libération” avait singulièrement apprécié de plan interminable de « Funny Games », dans la première version autrichienne, qui balaie toute la scène du crime et sa dévastation. En Argovie, à deux pas du pays de Haneke, le grand-père maternel s’est rendu dans la maison vers le soir mais n’a pu atteindre l’étage, incommodé par la fumée. L’incendie sera maîtrisé. Les cadavres retrouvés. Au soir du solstice d’hiver. Un homme a fait ça. Par dépense d’énergie, trop plein de fantasme, par idéal d’une certaine façon. Un homme s’est pleinement réalisé en commettant ces actes, au plus haut de ses cieux, de ses forces émotionnelles et spirituelles. Il a fait preuve, lit-on, d’une parfaite maîtrise. Son avocate a déclaré ne pas vouloir communiquer, sur quelque sujet que ce soit par respect pour les assassinés.

 

On ne sait pas s’il a vu la première ou la seconde version du film, ou aucune, ou les deux, comment il aura fait pour passer aussi sordidement de la fiction à la réalité imposée à ses victimes. Il est propriétaire de huskies qu’il a photographiés alors qu’ils effrayent, semblent fictivement effrayer, une vache rouge en plexiglass. On perçoit le plaisir du regard dans cette scène de domination visuelle. Il s’est retrouvé dans la rue, seul, après avoir ainsi pris son plaisir. Faut-il prier, faire silence, lire de la philosophie ou écrire des romans policiers? Le criminel s’abstraie par lui-même de toute culture, sinon par rappel factuel de son acte et de son sort. Les tués, les agressés, les innocents, les victimes de Rupperswil, dans ce silence de l’avant Noël, intègrent la vie dans l’esprit de ceux qui pensent à eux, refusent ce cinéma et le laisser-aller des auteurs. Auteur d’un crime. Auteur d’un film. Les plans de l’artiste. Fantasmés, cadrés, fixés.

 

A 8.56, jeudi dernier il postait encore un message sur les réseaux numériques, ceux-là même où l’on peut voir ses chiens et la vache rouge, deviner son plaisir morbide. Ils l’ont arrêté quelques instants plus tard. Dans un sac à dos étaient préparés des liens plastiques, pour les poignets, des cordelettes rouges et du ruban adhésif. Le matériel utile, qui attendait, qui attend. Il faut surprendre brusquement, ne pas laisser de chance, être habile et déterminé, profiter de la stupeur et de la peur, mettre en jeu l’affection entre les personnes attaquées. C’est civilisé une victime, ça croit que l’on peut ne pas tuer, ça espère tant que ça respire. On peut mettre ces empathies, ces compassions et ces réflexes vitaux à côté des cordelettes et des liens plastiques. Même matos. J’agirai encore. Je prendrai mon plaisir interdit et je mettrai le feu. On n’a qu’une vie après tout. Pourquoi perdrais-je la mienne à ne pas tuer ?

 

Que risque l’assassin de Rupperswil ? S’il est déclaré malade par les psychiatres qui l’examineront et que cette pathologie est en lien avec son crime, il luttera contre l’internement à vie sans que l’on puisse dire aujourd’hui si cet instrument, la réclusion sans retour, lui sera à jamais appliqué. On lui gardera son surnom métaphorique, « die Bestie », et une cellule incommode. Si aucune pathologie n’est retenue, il sera condamné à la perpétuité et pourra dans vingt ans, tenter de convaincre les juges qu’il ne présente plus de dangerosité. Il ne les convaincra pas. Il se souviendra de son acte contrairement à Shiran Shiran, mais ne pourra pas en donner une explication qui démontre qu’il a compris qu’il faut se retenir de tuer. Il pourrait s’inspirer du député de l’Yonne et développer à son propre endroit un langage de haine qui le laverait. Peu probable. La haine retournée contre soi ne guérit pas. Peut-être même est-ce par cela que tout a commencé. Il y a de quoi s’affoler et, chose curieuse, nous ne nous affolons pas. Nous prenons acte par l’émotion, le droit, le cinéma et l’écriture. Le silence aussi.

 

Et les victimes qu’il ne faut plus appeler ainsi ? La littérature policière n’en dit pas grand-chose. La bible nous donne une idée de la qualité des effluves bienveillants et le député de ce que serait l’enfer, sans pouvoir démontrer les vertus guérisseuses de l’outrance langagière. La justice dira oui ou non et jusqu’à quand. La vie, l’action, le silence et la grâce, de Pentecôte et des autres jours, qui prévient tout homme détenteur de mauvaises pensées, non nécessairement descendues des cieux, de ne pas se laisser aller, à tuer.

 

Pourtant, l’Esprit enseigne les langues aux disciples qui « virent comme des langues de feu qui se départaient, lequel feu se posa sur chacun d’eux »**. Ils « commencèrent à parler diverses langues selon que l’Esprit leur en faisait la grâce » **. Les apôtres sur lesquels l’esprit descend pour les habiter. C’est l’événement que nous fêtons le jour de la Pentecôte. Je l’avais oublié avec toutes ces dates de malheur. Il m’a paru nécessaire de le vérifier en voyant le jour de la Pentecôte prendre de l’importance dans ce polar, ce début de polar, ce refus de polar, ce polaroïde pour androïde non tueur. Quelqu’un qui comprendrait comment se répandent les effluves mauvais d’un assassin à l’autre.

 

**La Bible de Sébastien Castellion p. 2533 et 2534

 

Relecture (et corrigé et complété) ce 11 mars 2023

 

 

 

 

 

 

 

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Commentaires (1)

Pierre de lune
20.10.2016

Bonjour, Intéressant et touchant, votre "édito" engagé et profondément humaniste. Les faits "divers" atroces évoqués montrent bien que la réalité se passe hélas de fiction dans ces cas extrêmes où la folie règne en maître, sans garde fou. On peut alors considérer l'écriture et la culture comme l'un de ces remparts possibles, grâce à la distanciation et la capacité d'auto-analyse qu'elles incluent. Bonne continuation, au plaisir de découvrir vos autres textes,

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