1. Le problème du commis voyageur

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Texte conçu à la Fondation Engelberts le 27 août, lors d'un atelier d'écriture animé par Olivier Chapuis.
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Passer partout. Multigraphe dont la taille dépasse l’entendement. Dix puissance combien ? Logarithme démesuré. Logarithme du logarithme encore trop grand…

La curiosité tourmente l’humain. Ce désir insensé d’aller dans tous les sens… Explorer sans fin… Caresser les cheveux des comètes… Peindre les vagues géantes qui déferlent sur les châteaux en Espagne… Applaudir les cascades ignées qui rafraîchissent les cervelles des singes typographes… Traverser les forêts de glace où les huîtres boivent l’arc-en-ciel… Apprivoiser le Minotaure qui dévore les jours perdus…

Vie trop courte… Monde trop complexe…

Au paléolithique, les possibles étaient moins nombreux, les hommes plus bornés. Néandertal : asocial à gros cerveau. Sapiens : coopératif à cerveau plus petit. Au jeu de l’évolution, c’est le crétin grégaire qui a gagné…

Temps modernes. Encyclopédie à moteur et culture ventilée. Le bipède à prothèses est condamné à choisir, donc à exclure. Supplice de l’abondance. Tantale revu et corrigé. Tant de merveilles sous le nez, tant de géométries appétissantes, mais devoir se contenter d’un grain de poussière !

2. La salle d'attente

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Chaleur, humidité. Dans la salle d’attente, je me sens bien. Je n’ai rien à faire. Je suis seul avec mon devenir. Suis-je vraiment seul ? Il me semble que non. Que sais-je ? Si peu de choses… Autrui, qu’est-ce que ça peut bien être ?

J’entends du bruit. D’où vient-il ? Et ce tuyau, à quoi sert-il ? Je ne comprends pas cette architecture.

Depuis combien de temps suis-je ici ? Aucune idée. Et pour combien de temps ? Je l’ignore. D’ailleurs, c’est quoi le temps ? Et que veut dire au juste « combien » ? Tant de mystères…

Que se passe-t-il ? Je sens que je bouge. Pourtant, je n’ai pas envie de bouger. Quelque chose me fait bouger, mais quoi ?

J’ai l’impression qu’une fenêtre s’ouvre dans ma chambre. Je n’ai jamais vu, ni même pensé, qu’il y avait une fenêtre.

Une chose me serre la tête. Ce n’est pas agréable. Nom de bleu, qu’on me fiche la paix !

Ce qui m’arrive est horrible… On me fait sortir. Je ne veux pas ! Laissez-moi à l’intérieur, je vous en supplie !

Trop tard ! Je suis né.

3. L'origine du chant

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Surmaturé, je commence tout de suite mon apprentissage.

Première lettre de mon alphabet : le M. C’est la forme des jambes écartées de ma salle d’attente. Ça tombe à merveille, puisque cette dernière s’appelle Maman. J’ai la révélation du concept d’initiale. C’est un bon début, je crois.

La génétique m’a bien programmé. Je ne ressens pas le besoin de mener une enquête approfondie pour m’assurer que Maman me veut du bien. Un sourire m’éclaire illico. Maman ne va probablement pas me pourrir la vie aujourd’hui… elle est trop fatiguée pour cela.

Par contre, je soupçonne d’avoir de coupables pensées le primate figé devant ma pomme. Sa tête d’oeuf m’enseigne une seconde lettre : O comme obstétricien. Je devine que j’aurai du mal à prononcer ce mot quand je saurai parler…

Je sens que l’ob est victime d’une vocation contrariée. Il rêvait d’être boucher, mais il n’avait pas les qualités requises. Alors il est devenu déboucheur de viande.

Sur un ton ennuyé, il dit à Maman : « C’est un garçon ! » Je ne saisis pas le sens de cette phrase. Au risque de paraître égocentrique – ne m’emmerdez pas avec vos reproches, c’est ma fête aujourd’hui ! – je crois qu’il parle de moi…

Garçon, mollusque ou centaure, je n’ai pas de temps à perdre, mézigue ! Coincé entre un bras et un flotteur de Maman, qu’est-ce que je peux faire pour m’occuper l’esprit ?

En jouant avec les deux lettres de mon alphabet, je compose mon premier poème :

Ôm

Momo

Omoo

Le sens est limpide. Explication pour les ignares. « Ôm » est mon premier cri, le son qui accorde l’univers que je conduirai. « Momo » est le diminutif de Maurice. Or j’entends vivre en Chanteur et en Chevalier. Dans le dialecte des îles Marquises, « omoo » signifie « vagabond ». Y a-t-il plus beau destin que vagabonder ?

 

Merci Clotho ! Vas-y, Lachésis, déroule !

4. Pifométrie primitive

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On peut mourir en odeur de sainteté. Ce n’est pas très folichon… La sainteté, ça fouette la sueur de l’Illuminé, l’urine du Nazaréen, les pets du Prophète.

Naître en odeur de sang, voilà qui est plus jouissif.

Première leçon d’anatomie : un canal relie le nez à la bouche. L’odeur et le goût ont quelque chose à voir, ils s’entendent bien, ils se touchent.

Première leçon d’impuissance : le sang, saperlotte, ça sent quoi ? Puis-je répondre autrement que par comparaison ? Me faut-il enregistrer plein d’odeurs ? Suis-je limité à des propositions du genre « le sang fleure un peu comme ci, mais pas du tout comme ça » ? Existe-t-il des odeurs fondamentales qui, par de subtils mélanges, permettraient d’obtenir n’importe quelle odeur ?

Les gants de l’ob puent la contrainte. L’arôme du sang me donne envie d’ouvrir tous mes orifices ; l’odeur des gants me pousse à les fermer. Intéressant… Je ne peux que plus ou moins fermer les narines. Quant aux oreilles, bernique !

Je perçois une nouvelle senteur… Elle possède un je-ne-sais-quoi de sanguin… Elle arrive en même temps qu’une Beauté céleste qui dépasse tout ce que j’ai vu jusqu’à présent…

5. Le Prince

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Deux mois après…

 

Maman me donne le biberon. Ça lui aurait plu de me nourrir au sein, mais j’ai horreur du lait.

Géniale Maman ! La nuit de ma naissance, elle a compris ma répulsion olfactive pour le latex qui recouvrait les doigts de l’ob. Le lendemain, elle inventait un biberon 100 % bio, tout en matière animale.

« Romain, je t’entends réfléchir ! Tu gamberges trop ! Tu penses tout le temps… Tu devrais te reposer l’esprit… »

Mon esprit n’est pas fatigué… Je connais les dieux grecs, l’alphabet latin, les chiffres arabes, les runes scandinaves, les blagues juives, les supplices chinois… Des amuse-gueule ! C’est tout l’univers que je veux ingurgiter !

« Ne sois pas si pressé, mon chéri ! Tu ne risques rien. J’ai tué l’obstétricien. »

L’ob n’avait que du jus de navet dans les veines. Il fut paralysé de stupeur quand la Beauté vint saluer ma naissance.

« Cet imbécile perdit tous ses moyens. J’ai dû moi-même couper le cordon… »

Les ailes de la Beauté m’ont fait respirer l’éternel.

« Suce bien la tétine, il reste encore quelques gouttes dans le biberon ! »

J’ai surtout soif de soupe cosmique, d’un sirop qui concentrerait tous les fruits, d’un océan qui brasserait toutes les molécules, d’une solution qui réunirait tous les problèmes.

« Patience, Romain ! Tu auras le privilège de suivre chaque fil, d’examiner chaque noeud, d’explorer chaque motif et de comprendre à tous les niveaux. Tu n’as que deux mois… Donne-toi le temps de grandir, de laisser pousser en toi les forces qui te feront devenir ce que tu es ! Grâce à la morsure de la Beauté aux ailes de patagium, grâce aux gouttes de sang que je fais couler dans ta bouche, tu seras un vampire, mon fils ! »

Commentaires (1)

Laurence Poget
05.10.2022

J'adore! Vous me faites rire et pas que!

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