Créé le: 28.02.2014
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Errance

Fiction

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© 2014-2024 Thierry Villon

Il errait de chemins en chemins, il n'avait pas 30 ans, mais la vie l'avait déjà marqué...
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L’artiste errant

Il errait de chemin en chemin, il n’avait pas 30 ans, mais la vie l’avait déjà marqué : son visage émacié témoignait des privations, ses yeux hâves et enfoncés racontaient des histoires tristes, sa voix cassée devait avoir crié bien souvent contre l’injustice. Il ne savait plus depuis longtemps ce que c’était que d’avoir des vêtements secs sur lui, tant l’hiver avait détrempé son pauvre pantalon, son pull de laine grise, et surtout ses bottes de cuir noir. Pas la peine de lui demander s’il voulait manger, il prenait tout ce qu’on voulait bien lui donner, avalait tout d’un trait, au risque de s’étouffer. Mais peu lui importait : il fallait survivre, d’un bol de riz par ci, d’un quignon de pain par là, d’un peu de soupe qu’il lapait à même l’assiette, tel un animal. De dignité, il n’en avait plus trop, de la honte, il en éprouvait souvent, car sous ses extérieurs sales et négligés, se cachait une âme sensible d’artiste, un caractère de créateur, une sorte de compagnon des temps modernes. Mais qu’y faire ? lui offrir un peu de réconfort et le laisser repartir sur sa route, parfois lui dire un mot d’encouragement et le voir tourner les talons, toujours soucieux de ne s’attacher à personne. Peste soit de lui ! les paysans le traitaient de maraudeur, de vannier, de romanichel, de colporteur de mes deux, etc. Mais il passait son chemin, sourd à toutes ces paroles, ou presque. Car parfois, elles lui faisaient mal ces paroles. Elles lui creusaient comme un désespoir au fond, très au fond de lui, son âme en était atteinte. Certains mots injustes criés à la volée l’atteignaient très fort en pleine face et le laissaient sans force.

 

Oublier

Il fallait alors qu’il s’éloigne au plus vite, qu’il se trouve un coin de bois tranquille, des fourrés à l’écart des routes et qu’il puisse y rester un bon moment, le temps que la douleur s’atténue, car elle ne cessait jamais tout à fait, sauf lorsque exceptionnellement, il acceptait un verre d’alcool fort pour calmer son mal. Là, tout s’oubliait, dans la brûlure du liquide, dans l’ivresse saisissant toute sa tête, dans ses gestes devenus gauches, dans ses paroles soudain incontrôlables. Le passé s’enfuyait et le futur avec. Les choses présentes avaient un air plutôt sympathique, les gens aussi pour une fois. Mais il ne fallait pas abuser de ce satané feu liquide qui lui brûlait le gosier, car l’illusion, c’en était une, se dissipait aussi vite qu’elle était venue. Il lui fallait alors repartir dans son errance, toujours aussi mal en point, les jambes lourdes, le cerveau embrumé, l’envie de vomir, les choses qui tournent, la tête pas nette.

“Le chemin s’allonge devant lui, serpente très loin dans le vallon en-dessous, le soleil au loin dégueule son orange sur la lande herbeuse, les moutons n’en veulent pas de cette herbe orange, lui non plus, il se couche au bord de la route, à même la couleur, sans penser à la pluie qui ne tardera pas à tomber encore, comme pour mieux noyer son chagrin, sa douleur, son désespoir, celui d’avoir quitté son ordre, son couvent, comme un renégat, juste pour l’amour d’un soir, une fille à caresser, pour une seule fois dans sa vie de célibataire obligé…

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