Créé le: 24.07.2021
166 4 6
Epimaque

Correspondance, HumourLettre à mon ennemi 2021

a a a

© 2021-2024 Chantal Girard

Chapitre 1

1

"Ame ou sœur - Jumeau ou frère - De rien mais qui es-tu - Tu es mon plus grand mystère - Mon seul lien contigu - Tu m'enrubannes et m'embryonnes - Et tu me gardes à vue…" Ces paroles, extraites de la chanson "Tu es mon autre", auraient pu représenter le lien complice qui m'unissait à lui…
Reprendre la lecture

Epimaque,

 

Ne cherche pas, c’est bien à toi que je m’adresse.
Oui, toi ! Toi qui, depuis des décennies, ne cesse
D’empoisonner ma vie. Hier comme aujourd’hui,
Pareil à un toutou où que j’aille tu me suis !

 

Probablement ai-je dû, très tôt, te prendre en grippe

Puisqu’à mes basques il a fallu que tu t’agrippes.

Mes yeux à peine ouverts, déjà tu t’imposais !

Alors bien sûr à cette époque je l’ignorais

Mais très vite j’ai compris – avant que je l’exprime –
Qu’au regard de ta gloire je serais ta victime.

 

Bon sang ! Mais pourquoi moi ? Pourquoi as-tu voulu
Sur mon humble personne jeter ton dévolu ?
Tu aurais pu t’en prendre à n’importe qui d’autre !

 

Ce n’est pas faute d’avoir prié des patenôtres
Dans l’espoir – un peu niais, c’est vrai, je reconnais –
Que l’on exaucerait mon vœu le plus secret :
Me libérer de toi ! Surtout de ton emprise.
Ne plus devoir subir toutes ces balourdises
Formulées dans mon dos. Ces mots, ces quolibets…
Dont tu étais à l’origine et qui m’empoisonnaient.
Car à cause de toi j’ai connu des déboires
Que la plupart des gens aurait du mal à croire.
C’est du passé, il se conjugue à l’imparfait.
Mais au présent : tu vas payer pour tes forfaits !

 

Je vais te dire tes quatre vérités en face.
Non, mieux : te les écrire ! pour qu’il reste une trace.
Je me méfie, la colère pourrait t’envahir
Et tu m’empêcherais alors de m’affranchir.
Ce que je vais signer n’est pas de bon augure
Pour toi. Tu vas t’en rendre compte à la lecture…

 

Cependant, avant de démarrer ton procès,
Précisons que tout ce que je vais dire est vrai.

 

***

 

Tu as rendu ma vie quasi insupportable.
Que n’aurai-je donné pour t’envoyer au diable !
Mais le mal était fait, j’étais à ta merci.
Nous étions toi et moi à tout jamais unis,
Le jour, la nuit, pour le meilleur et pour le pire
A chaque instant, à chaque inspire, à chaque expire
Que je le veuille ou non, les dés étaient jetés,
Tu serais le boulet que je devrais traîner.

 

Comme compagnon de route tu tenais bien ta place !
Constamment sur mon dos quoi que je dise ou fasse.
Que de lazzis, de médisances, de camouflets
Ai-je dû supporter de ceux à qui j’aurais
Volontiers rabattu le caquet. Que d’offenses

Subies, de mépris qui brisèrent ma confiance…

 

Tu ne te souviens pas ? Les faits remontent à loin
Tu as dû oublier, mais le ciel m’est témoin.
A la maternelle déjà, puis à l’école,
J’étais celui dont on se gausse, dont on rigole.
Et pourtant de la classe c’était moi le meilleur,
Celui qui méritait les lauriers, les honneurs.
Mais comme tu étais là, occupant tout l’espace,
Mes heures de gloire ont toujours été très fugaces… !

 

Si tu savais comme je t’ai détesté. Haï !
Et combien de projets assassins j’ai nourri,
Ourdissant des intrigues où la fatale sentence
Te faisais disparaître de mon existence
Ad vitam aeternam ! Ah ! ce rêve je l’ai fait
Cent fois. Las ! au réveil, toujours, tu m’attendais
Pour passer avec moi une nouvelle journée.
J’étais piégé, pris dans une toile d’araignée.
Un peu comme si, recommençait chaque matin,
Le même scénario que la veille… sans le mot « fin ».
Au début on fulmine et puis on s’habitue
Comment faire autrement ? Il n’y a pas d’issue !

 

Mes parents auraient pu me nantir un peu mieux
Pour que je puisse aussi être pris au sérieux.
Mais comment t’égaler avec tes origines ?
Je suis petit, malingre, c’est bien ce qui me mine.
Mon physique me dessert, en tout je suis moyen,
Alors que toi tu tiens de ce grand athénien
Qui fit parler de lui grâce à son hélépole
Et de laquelle, à mes dépens, tu tires gloriole.
Pourtant tu n’es que signes couchés sur le papier…
« Vanité des vanités, tout est vanité » !

 

Mais parlons d’autre chose, puisqu’au fil des années
D’autres tourments, plus doux, envahirent mes pensées.
Adolescent je vivais mes premiers émois ;
Attiré par les filles – et mes sens aux abois –
Je t’oubliais un peu au profit d’une belle
Qui m’avait mis au cœur l’envie de bagatelle.
J’extrapolais, échafaudais des rêves fous,
L’imaginant déjà accrochée à mon cou
Tandis que je prenais dans mes mains son visage…
(Avant de me risquer à oser davantage !)
Mais lorsque je voulus l’approcher pour de vrai,
Cœur battant, bredouillant, quand je me présentais
Elle resta coite, recula d’un pas et, hautaine,
Me lança : « Tu te moques ! Ça me fait de la peine. »
Puis elle changea de ton et me tournant le dos
M’adressa une litanie de noms d’oiseaux.

 

Quelle mortification ! Il m’en venait des larmes.
Et qui d’autre que toi avait rompu le charme ?
L’adolescent d’alors avait mis plusieurs mois
A reprendre confiance et pour qu’il entrevoit
Son futur amoureux sous de meilleurs auspices.
C’était sans compter la force dévastatrice
Qu’autour de moi encore tu allais déployer
Et qui m’empêcherait simplement d’exister.

 

J’allais devoir boire le calice jusqu’à la lie
En dépensant des quantités folles d’énergie.

 

* * *

 

Ainsi, dès ma naissance et jusqu’à ce matin,
J’ai dû tout supporter, l’infâmie, les chagrins
Les rancœurs, les angoisses, la honte et le supplice
Sans que jamais personne ne me rende justice !
Ce temps est révolu, le point de non-retour
Pour moi est arrivé. Ecoute, je vais faire court :
Depuis combien d’années est-ce que l’on cohabite ?
Autant ?! Eh oui, autant. Et pourtant je te quitte !

 

Bien sûr tu n’y crois pas ! Cependant méfie-toi…
La vengeance est un plat qui se déguste froid.
Il y a si longtemps que tu gardes l’emprise
Sur ce qui est MA vie tandis que je m’enlise.
Mais j’ai trouvé comment, de toi, me délivrer
Et tes « mea culpa » n’y pourront rien changer.

 

Laisse-moi savourer, avant qu’il ne s’enclenche,
Ce moyen qui parachèvera ma revanche.
Je ris sous cape et me délecte de l’effet
Que produira sur toi mon funeste projet ;
Car cette fois c’est fini j’ai trouvé la parade
Et vais, sans plus attendre, te donner l’estocade !

 

Jamais plus je ne prononcerai, entends bien,
Ces huit lettres qui composent ton prénom – et le mien !
Sache que désormais je serai mon seul maître
Et pour que cela soit, il te faut disparaître.

 

Tu peux argumenter autant que tu voudras
Plaider, prier, d’avis je ne changerai pas.
Je sais, je te connais, mais c’est perdu d’avance
Nous n’avons désormais plus aucune connivence.
Pour que je plie, tu me diras « qu’ils sont rares ceux
Qui ont le privilège de t’avoir avec eux ! »
Tout net je te rétorquerai que je m’en moque !
D’autres t’ont porté, c’est vrai, mais à quelle époque ?
Aaah ! Dans la Grèce Antique… trois siècles avant JC !
Après, je doute qu’il ait été attribué
A quiconque, ce prénom, à part à moi. J’enrage !
Ou plutôt : j’enrageais, car j’ai repris courage.
C’est quelqu’un qui m’a dit… (Non ! pas Carla Bruni !)
Que si on le désire, on peut – à priori –
Changer de nom, changer de vie. La belle aubaine !

 

Alors voilà, tu vas devoir quitter la scène.
Nous ne sommes plus au temps où les vieilles palabraient
Sur les parvis et où personne ne s’offusquait
Du petit nom choisi au jour de son baptême,
Puisqu’il était courant – qu’on le hait ou qu’on l’aime –
Qu’il soit vite supplanté par divers sobriquets.
Ainsi connaissait-on des Quinet, des Riquet,
Des Kiki, des Zèzette, des Fifine et j’en passe.
Pour leurs porteurs de quoi, parfois, faire la grimace !
Surtout qu’on ignorait souvent les vrais prénoms
Qui se cachaient derrière ces risibles surnoms.
A moi, pas de doute ! c’est bien l’entier du patronyme
Qu’on a donné, et c’est lui qui me pousse au crime !

Car oui, je te supprime… en changeant de prénom !
Libre ! Enfin je le suis de tourner les talons !
Depuis le temps que je te porte, j’en ai ma claque !
Nul ne m’appellera plus jamais…

 

                                                                            Epimaque

 

 

Commentaires (4)

Thomas Poussard
12.08.2021

Une lettre en vers, voilà qui change. J'espère que le nouveau patronyme choisi est Alexandrin !

Naëlle Markham
31.07.2021

J'adore!! Dans mon travail, beaucoup de documents d'identité me passent entre les mains et je dois reconnaître que des fois j'ai une pensée pour les parents qui ont réussi à trouver, entre autres, Jupiter, Jeronimo, Petronella, Titus, Erasmus ou Théophile, et tous ces chanceux avaient entre trente et quarante ans. Dur, dur...

Frank Desco
28.07.2021

Pauvre Saint Epimaque, martyr sous les Romains, le voilà congédié par ces alexandrins. Bravo !

Marie Vallaury
27.07.2021

Bravo Chantal ! Je crois que ton défi est plus que réussi, je verrais bien ces alexandrins trôner parmi les lauréats.

Laisser un commentaire

Vous devez vous connecter pour laisser un commentaire