Créé le: 19.09.2022
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Duo de petites frappes

Nouvelle, Polar

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© 2022-2024 Thierry Villon

Chico et Julien s'embarquent dans une obscure affaire. Il y a de la vengeance dans l'air, qui finira comme il se doit. Exercice dans l'atelier des personnages 2021.
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« Chico a tout de l’ado en colère, ainsi qu’un journaliste lambda le présenterait : sourcils froncés, moue méprisante, cheveux en pétard, piercing à la lèvre et lobes déformés par des rondelles, vêtements de récup’, santiags pourries, voilà pour l’extérieur. Pour le reste, caractère vindicatif et plein d’orgueil, réagissant à la moindre parole, susceptible et arrogant, hait sans cause la société, l’autorité, l’école, n’écoute que les jeunes de son âge, à condition qu’ils partagent ses propres opinions, s’il peut arriver qu’il en ait une, en dehors de : quelle vie de merde ! Côté parents, il considère son père comme le pire des loosers et sa mère, ah! oui, ne vous avisez jamais de dire la moindre chose de sa mère ! A part ça, Chico a tout pour réussir, si seulement il pouvait arrêter de jouer à l’ado, à dix-sept ans il devrait avoir un peu mûri, quand même.
Son meilleur ami, Julien, le lui dit souvent : “Ce n’est pas parce que tu sais te faire craindre que tu seras toujours gagnant. Ce à quoi Chico répond invariablement :
“Toi, le Julien du sept-sept, tu n’es qu’un trouillard qui craint la castagne… et le prof a dit que tu étais un trop verti, tandis que moi, je suis un extra verti, saisis donc la différence. Je te vois bien, même caché derrière ta capuche, que tu baisses la tête, quand tu croises des grands dans la rue et, petite gâterie, tu salues poliment quand tu rentres en classe. Trêve de blablas, j’ai quelque chose de super à faire pour aujourd’hui…
– Encore un plan foireux qui va nous mettre la honte dans le quartier, répond Julien
– Non, pas du tout, tu connais le père de Gaïa, ma meuf. Figure toi qu’il vient de m’humilier devant mes parents. Je t’expliquerai dès qu’on aura réussi.
– Tout le monde connaît l’histoire, comme quoi il est venu chez tes vieux pour leur dire qu’il interdisait à sa fille de sortir avec un voyou du neuf-trois et que s’il te voyait roder autour de sa Gaïa chérie, il allait te passer une correction qui ferait date dans les annales. Et alors, qu’est-ce qu’il va faire, le caïd, sur ce coup-là ?
– Tout simplement, on s’introduit dans son garage, on lui pique sa nouvelle Alpha Grand Sport, pour lui faire faire un tour.
– Quand tu dis : “on s’introduit”, tu penses à qui ?
– A moi, bien sûr, et toi, si tu veux te balader dans la décapotable, tu fais le guet pendant que j’œuvre.
– C’est un peu ouf, tu ne trouves pas, tout ça pour une meuf dont tu n’as rien à faire, comme tu dis : même pas besoin de me baisser pour en ramasser…
– Là, il s’agit de ma famille, tu vois, il est venu chez moi…me menacer, ça se paie ça. Tu en es, ou tu fais ta baudruche dégonflée ?
– J’en suis, même si je persiste et je signe, c’est trop con et on va finir tous les deux en taule.
– Même pas peur. Allez, attends moi là, tu siffles trois fois, s’il y a du danger. »
Chico enfonce sa casquette, remonte sa capuche par-dessus, baisse la tête et file en courant vers le garage. Julien ne peut s’empêcher d’admirer le culot de son ami et son sens de la famille. A lui, il ne viendrait pas à l’idée de piquer une bagnole pour se venger d’un affront. Mais bon, c’est Chico et la balade dans un bolide grand sport, doit bien valoir le coup.
Dans la soirée, le père de Gaïa tempête dans le poste de police, hurle pour qu’on lui ramène sa voiture dans l’heure et surtout, pour qu’on fasse parler les bandes vidéo. Pas de chance, après avoir poireauté deux bonnes heures sur une banquette inconfortable, dans une salle d’attente mal ventilée, il apprend que la vidéo ne livre aucune image exploitable, on y voit bien deux personnes monter dans le véhicule, mais tout est flou. Le propriétaire repart furieux et appel un de ses amis journalistes, pour s’assurer que cette histoire fera la une du journal local du lendemain.
L’Alpha est retrouvée au petit matin, à cinquante kilomètres de là, réservoir vide, mais intacte. Les policiers ont beau chercher des empreintes, mais comme Chico et Julien ont pris soin de porter des gants, encore une fois c’est choux blanc.
Julien a tremblé comme jamais, il faut dire que Chico a roulé comme un cinglé et risqué l’accident à chaque kilomètre. Bon, ils s’en sont sortis indemnes et sont toujours en liberté. Ah! Oui, la liberté, ça vaut bien une petite choré… Et Julien part dans une version très approximative de West Side Story. Et de un et de deux : I like to be in America. Il termine à genoux aux pieds d’une Maria imaginaire.
A l’autre bout de l’objectif, le policier de garde ne peut s’empêcher de se marrer, tellement l’ado met de cœur à l’ouvrage. Il note soigneusement les coordonnées de la bande vidéo, parce qu’il sent confusément que la séquence de l’ado dansant pourrait bien aider à résoudre une affaire toute chaude. Il remonte au jour précédent, retrouve la séquence du vol de l’Alpha, au moment où celui qui devait guetter à l’extérieur du garage court pour embarquer dans la caisse. Le policier exulte devant ses écrans :
“Bingo, difficile de ne pas reconnaître l’individu, ce petit branleur du soixante dix-sept, déjà bien connu de nos services. Allez, j’envoie la cavalerie pour le cueillir à domicile. Sirènes et attention les projectiles !”

Épilogue : « Comment on est revenu à domicile ? Là, sûr que vous allez apprécier, monsieur l’inspecteur : nous avons tout d’abord dû emprunter une mobylette et quand le réservoir a été vide, nous avons heureusement pu trouver un vélo électrique, c’est bien plus écolo quand même, bien que nettement moins confortable que l’Alpha, mais bon, ça avance aussi. Voilà, voilà. »

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