Créé le: 24.02.2019
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Des étoiles en chemin

Voyage

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© 2019-2025 a Chantal Girard

Un vin de Navarre

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Nous marchions depuis quelques temps sur le chemin mythique de Saint-Jacques de Compostelle et arrivions, ce jour-là, en Espagne.

L’étape avait été difficile sur bien des points mais du pire sort parfois le meilleur!

 

Pour la très grande majorité des pèlerins qui marchent sur ce chemin les étapes les plus marquantes, côté français, sont Le Puy en Velay, Conques, Moissac et Saint-Jean-Pied-de-Port. Puis, la barrière des Pyrénées franchie, on avance désormais sur sol espagnol avec l’incontournable et mythique étape de Roncevaux. Il faut d’ailleurs plus exactement dire: Roncesvalles, puisque nous voilà en terre hispanique. Le lieu est célèbre grâce à “La Chanson de Roland” – mi histoire, mi légende – retraçant l’épopée du preux chevalier Roland qui, au col de Roncevaux, perdit la vie en l’an 778 lors de la bataille qu’il livra contre les Maures.

 

En arrivant devant la collégiale Santa Maria d’Orreaga, le pèlerin a accompli la moitié du chemin et, pour la plupart, cette étape est marquée d’une pierre blanche.

 

Pour nous, il n’en fut rien. Au contraire! Ce jour qui nous mena de l’autre côté des Pyrénées ne nous laissa pas un très bon souvenir. Au cours de tout notre périple ils sont rares les jours où nous pouvons dire cela, mais là, franchement, rien n’avait été comme nous l’espérions. Partis le matin sous une pluie battante, nous avions abordé le col de Roncevaux – en espagnol Puerto de Ibaneta – dans un brouillard si épais que nous ne voyions pas les moutons dans les pâturages que nous longions! Le froid était si glacial que nous avions pris refuge dans le sanctuaire marquant le col pour nous réchauffer. A l’abri dans la chapelle, claquant des dents, mon compagnon avait tiré de son sac un gros pull qui le protégerait un peu mieux du froid.

 

Un peu ragaillardis, habillés plus chaudement et quelque peu abrités sous nos pèlerines, nous étions repartis… dans un mauvais sens! Lui était sûr de la direction, moi pas; pour une fois j’avais raison. Cependant comme généralement l’orientation n’est pas mon fort, la direction choisie n’avait pas été celle que je préconisais… J’étais fâchée et faisais la tête quand, après une bonne demi-heure, derrière nous tel un écho dans la vallée, très loin en contrebas nous entendîmes des cloches sonner à toute volée. Intrigués, nous nous étions arrêtés pour demander à un berger quelle en était l’origine. Nous ne parlions pas espagnol mais son geste, dans la direction opposée de notre marche, et le mot Roncesvalles nous firent réaliser que nous nous éloignions de ce lieu… où nous étions sensés nous rendre! Après avoir fait demi-tour dans une ambiance froide, au propre comme au figuré, nous avions rebroussé chemin pour rejoindre le village par un raidillon glissant et abrupt qui serpentait dans un bois jusqu’à nous amener directement derrière la collégiale.

 

Gelés et trempés jusqu’aux os, dès que nous eûmes contourné l’église, notre première escale se fit dans le bistrot d’en face! Un café et un croissant plus tard, les cloches se remirent à carillonner tant et plus. C’était un dimanche et l’angélus répétait son appel aux fidèles pour la seconde messe, sans doute. En bons pèlerins, désormais réconciliés, nous répondîmes à cette invitation. Était-ce vraiment une bonne idée? Pas sûr. Bref, nous y étions, nous y restions!

Là, coincés entre un battant colossal du portail d’entrée et les marches intérieures, debout derrière un pilier, écrasés par des des dizaines de personnes au point de ne pas pouvoir faire un signe de croix, nous avons assistés à un office en allemand (oui, oui!) dont on ne voyait rien et dont, bien évidemment, on ne comprenait rien non plus!

 

Dans ce lieu, le moins que l’on pouvait attendre était que la messe soit dite en espagnol! D’accord, nous n’aurions pas mieux compris, mais les mots auraient chanté à nos oreilles et nous en aurions saisis les intentions. Mais rien de tout ça! Les touristes, déversés par cars entiers, venaient du Nord et c’est pour ces gens-là que l’on officiait. Les pèlerins eux, ce dimanche en tout cas, ne comptaient pas.

 

La messe terminée, nous avions tenté de nous frayer un chemin parmi les touristes qui, avec leurs petites chaussures de ville, choisissaient tous les endroits un peu à l’abri pour s’y tasser en grappe.

Et nous, pauvres pèlerins?

Nous? Et bien nous n’étions pas dignes de nous réfugier dans un endroit sec. Enfin! On ne mélange pas les marcheurs crottés avec les touristes endimanchés! Maldición!

 

Le seul endroit abrité pour nous les “vilains” était la salle d’accueil des pèlerins qui jouxtait la collégiale et où nous avons été accueillis comme des chiens dans un jeu de quilles. Le temps, exécrable, déteignait nettement sur l’humeur des religieux du lieu!

C’était la soupe à la grimace partout. Mais ne pouvant décemment pas repartir sous les torrents de pluie déversés par un ciel en colère, nous nous assîmes, chacun dans un coin – il n’y avait que deux places éloignées l’une de l’autre – sur les bancs de ce fameux “accueil”(!) Et pour prendre notre mal en patience, entre des randonneurs trempés, encombrants, bruyants et affamés, nous avons sorti de nos sacs quelques petites choses à grignoter. Mais l’appétit n’y était pas!

 

La pluie diminua un peu en début d’après-midi, nous quittâmes donc cette fameuse place réputée et convoitée par tous les marcheurs en route pour Compostelle, sans aucun regret! Nous reprîmes le chemin sans nous retourner et en secouant – non pas la poussière de nos sandales – mais la boue qui collait à nos godillots !

 

Roncevaux? Un souvenir un peu maussade avec un goût amer et l’impression d’avoir raté un rendez-vous…

 

Mais nous étions déjà dans la descente qui mène à Burguete. La route était en lisière d’un bois et la balade aurait pu être splendide sans cette pluie incessante. Les choses s’arrangèrent pourtant lorsque nous prîmes la route qui menait à Espinal, étape de notre journée. En moins d’une heure nous y étions et, cerise sur le gâteau, le soleil avait refait son apparition!

 

Notre chambre d’hôte se situait dans une belle demeure, au bout de la rue principale du village. Notre hôtesse nous accueillit très chaleureusement bien que nous ne parlions pas sa langue et qu’elle ne connaisse pas un seul mot de la nôtre! Qu’à cela ne tienne, avec un sourire et quelques gestes nous ne rencontrâmes guère de difficultés pour nous comprendre!

 

La chambre était à l’étage de cette ancienne maison rénovée. De l’extérieur il n’y paraissait pas mais, de l’intérieur, on se serait cru dans un château. La salle de bains – où il n’était pas un luxe de faire un passage – était pour le moins baroque! En effet, la baignoire, trônant au milieu d’une grande pièce, était entourée de rideaux faits de voilages blancs, à baldaquins et à volants! C’était certes très kitsch mais également très touchant. Après notre toilette, redevenus frais, propres et dispos, nous étions allés nous promener dans le village sans y rencontrer âme qui vive en ce milieu de dimanche après-midi. Sous le soleil redevenu particulièrement brûlant, les autochtones faisaient la sieste. Que pouvions-nous faire? Pas grand-chose! Alors nous prîmes nos bouquins et, installés sur la terrasse du bistrot de la place, nous profitâmes du calme de l’après-midi.

 

Vers dix-huit heures trente nous décidâmes de manger afin de pouvoir nous coucher assez tôt. Un seul hic: nous avions oublié qu’en Espagne avant vingt heures trente personne ne sert à manger!

 

A l’heure dite, nous étions donc revenus dans l’unique bistrot-restaurant du bled. Lieu qui, après le calme de l’après-midi, s’était transformé en un espace fort prisé par une gent masculine déchaînée, hurlante et gesticulante! Quelle était la raison de ces invectives et de ce remue-ménage? Peut-être une bagarre… Pas du tout! Il y avait simplement un match de foot! et dans un village espagnol le foot c’est toute une affaire! Devant notre air un peu déconcerté le patron compris très vite que nous ne venions pas pour voir le match! Il nous installa donc, au calme, dans une toute petite salle à l’arrière du restaurant où il n’y avait que trois tables. La carte des mets ne nous parla pas beaucoup…! Aussi nous commandâmes des plats dont nous ignorions totalement de quoi ils seraient faits! Le hasard fît plutôt bien les choses: nous avions choisi du poisson! Mais surtout, ce jour-là, nous prîmes un pichet de vin.

– Rioja ? Valdepenas ? Navarra ?

Bien sûr nous ne connaissions pas grand chose aux vins espagnols et, toujours par gestes, le patron compris que nous lui faisions confiance.

Il apporta aussitôt une bouteille, munie d’un fond en verre d’une épaisseur de quatre à cinq centimètres, remplie d’un breuvage grenat foncé, vraiment très foncé! Le service fait on leva nos verres avec, au coin des lèvres, un petit sourire condescendant signifiant « comme piquette on va être servi! »

– Santé, Amour!

C’était toujours par ces deux petits mots et les yeux dans les yeux que nous trinquions. Et là, tandis que nous portions les verres à nos lèvres, quelque chose se passa…

La première gorgée qui imbiba nos papilles produisit un effet totalement inattendu: ce vin était délicieux! Sans doute l’un des meilleurs que nous ayons dégusté depuis longtemps. Incroyable! Bien charpenté et généreux, il emplissait notre palais par son côté équilibré et ample. Une merveille.

Nous échangeâmes un regard surpris avant de reprendre, en pleine conscience cette fois, une gorgée de ce vin décidément exceptionnel.

Quel cépage était-ce? Nous ne l’avons jamais su et peu importe, ce vin de Navarre était un cadeau du chemin. Nous l’avons pris comme tel et, subjugués par ce cru tellement improbable qu’il en était extra ordinaire, nous avons simplement profité et apprécié ce moment hors du temps.

 

Roncevaux se perdra dans mes souvenirs mais l’intensité de ce vin de Navarre, dégusté dans la simplicité de l’unique bistrot d’un village de deux cents habitants à peine, restera à jamais dans ma mémoire.

 

 

 

 

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