Créé le: 15.09.2013
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Course poursuite

Fiction

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© 2013-2024 Thierry Villon

Echapper à tout prix à l'horreur qui nous guette
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C’était des rues en enfilade, comme celles où l’on court dans les cauchemars, les pavés qui glissent, les lumières qui tremblent, les portes qui toujours se dérobent. Et cette course qui recommence encore et encore, sans jamais en voir la fin. Un visage revient, qui nous hante, mais qui n’a pas de nom. Seul son rictus aux coins de la bouche souligne l’appartenance au clan des ennemis, amis de hier, ennemis pour toujours, tragédie de l’amour, maladie de la rage d’aimer, jamais soignée, jamais guérie.

Et puis le rue s’est fermée pour de bon. Au fond, il n’y a rien qu’une barrière, un mur, imprévisibles, qui nous empêchent d’espérer. Au loin, le souffle puissant d’un chien d’attaque se rapproche. Nous restons tétanisés, sur place, incapables de penser, tellement la terreur nous glace. Pris au piège dans une impasse, nous n’aurions pas d’autre choix que nous rendre, que les laisser nous prendre. A moins que… à moins qu’une lueur n’éclabousse toute la scène de son écrasante beauté et qu’elle s’avance enfin, telle une épée. La fée liberté, armée jusqu’aux dents, s’invite pour ouvrir une brèche, fracasser ce mur, couper ces barbelés, et nous fait échapper au massacre. Le chien hurle, mais de détresse. Il n’a pu se défaire de la laisse qui l’enchaîne à ses maîtres, peu doués pour la course.

Et puis encore des rues, pavées de pluie, luisant sous la lumière tremblante des réverbères à gaz, le même gaz dont ils se servent pour éliminer les files interminables d’ombres qui sortent des wagons de bois, aux fenêtres closes. Nous sommes déjà loin mais l’odeur persiste, la pestilence des corps gisant dans les fosses. Hier, nous ne savions pas, personne ne se doutait, mais le chien, lui sait, son instinct lui dit que nous serons bientôt à bout de souffle et qu’il n’aura plus à courir trop longtemps avant de nous coincer.

Mais le temps s’arrête soudain, au-delà du terre-plein, la forêt, sa noirceur rassurante, son parfum glacé et ses ombres protectrices, nous tendent les bras. Courir, courir plus loin, sans faiblir, sans douter, l’allée de la liberté s’est ouverte, il faut y foncer, ne pas se retourner, tout laisser derrière, pour que le monde sache ce qui se passe à l’intérieur des grilles. Malgré la musique qui se propage au-dehors, sans parvenir à étouffer les cris d’horreur, le vacarme des moteurs, le fracas des armes, nous parviennent les pleurs aigus d’un enfant privé de ses parents qui ont rejoint le nombre du jour sombre, que nul n’avait imaginé autant privé d’humanité. Des chemins s’entrecroisent, la nuit nous entoure, comme un manteau de laine. Et la haine ressurgit sourde et vaine, tout au fond de nos veines. Pas un mot à dire, le silence est notre seule chance.

C’était des arbres morts, en travers du chemin, qui semblaient là pour stopper tout espoir. Quand les projecteurs nous ont pris dans leur halo, soudain nous étions comme des lapins dans les phares d’une voiture. Une main sur les yeux, à peine entrevue, la sulfateuse, l’aboyeuse de mort, nous a balayés en pleine course. L’un après l’autre, comme des pantins, nous sommes tombés au milieu de nulle part. Un voile rouge sur le visage, une prière, un dernier râle et là commença le repos.

© 2013 Thierry Villon

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