J'avais écrite cette nouvelle pour le concours des éd. Monstsalvens sur le thème imposé " la femme est l'avenir de l'homme". La nouvelle n'a pas été choisie parmi les 300 envoyées mais j'ai pensé qu'elle avait tout à fait sa place dans Webstory. Bonne lecture !
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Copains qu’on joint ou conjoints qu’on plaint ?

 

Malgré l’été indien, l’automne était bien là. La saison donnait de la couleur aux forêt, des chandails aux frileux, de la nostalgie aux soirées, du spleen aux rombières et des regrets aux épicuriens avides de soleil et de farniente.

 

Jordi Python et Mostafa Zafari étaient attablés à la terrasse du « Train d’enfer » comme presque tous les vendredis soirs après le turbin. Jordi était menuisier indépendant alors que Mostafa, comptable, travaillait dans une fiduciaire de la place. Ils étaient copains depuis l’enfance, venaient du même village. Cela faisait presque vingt ans qu’ils ne dérogeaient pas, excepté pendant leurs vacances respectives, à ce rendez-vous hebdomadaire de fin de semaine.

 

Cette habitude, indispensable et salutaire à leurs yeux, avait failli tourner court. En effet, suite aux amours douteuses d’un vison et d’une chauve-souris ou alors d’une éprouvette et d’un virologue maladroit, un petit virus répondant au charmant prénom de Covid19 avait vu le jour en décembre 2019.  Dans cette tribu de virus, il faut dire que ce sont de chauds lapins qui forniquent à tour de bras sans jamais se lasser, pour autant que l’on puisse forniquer avec les bras et que l’on puisse qualifier de bras les multiples excroissances que l’on peut apercevoir au microscope électronique sur ces minuscules créatures sphériques. Le fait est qu’ils donnèrent très rapidement naissance à des millions de leurs semblables.

 

En plus, comme ils adoraient voyager, ils s’étaient répandus dans le monde en profitant de tous les transports en commun à leur disposition : touristes, hommes d’affaires, j’en passe et des moins confortables. Le résultat de cette migration intempestive fut une pandémie planétaire. Et comme personne n’avait encore découvert de vaccin, il y avait panique à bord. Pour se débarrasser d’un virus il faut un médicament ou un vaccin et il n’y en avait aucun à ce stade. Une immunisation collective par contamination d’une majorité de la population pourrait aussi faire l’affaire. Mais le problème était que cette engeance en voulait particulièrement aux personnes déjà malades, affaiblies ou âgées. Ces derniers, plus facilement victimes de complications graves, surchargèrent les hôpitaux et décédèrent par milliers.

 

Une grande partie du monde s’était donc retrouvée en confinement. Il avait fallu attendre plusieurs semaines pour que les établissements publics puissent à nouveau ouvrir leurs portes et que les deux amis puissent reprendre leurs habitudes. Ce jour-là, comme chaque vendredi depuis bientôt quatre mois, leur bistrot de prédilection pouvait à nouveau les accueillir.

 

En général, la conversation portait sur le boulot, les enfants, les épouses, le sport, sans oublier les derniers ragots qui circulent en ville mais jamais sur la politique qui ne les intéressait absolument pas. Aujourd’hui, une fois n’est pas coutume, ils avaient placé leur progéniture respective chez les grands-parents et leurs épouses les avaient rejoints.

 

Asunta Python était infirmière alors que Josette Zafari exerçait le métier de vendeuse dans un supermarché alimentaire. Pendant le confinement, Jordi avait du fermer boutique et Mostafa se trouvait en télétravail. Leurs épouses par contre, étaient « au front » comme le soulignait la presse en parlant des métiers qui ne peuvent s’exercer qu’en présenciel. En conséquence, les deux mâles avaient du mettre la main à la pâte pour le ménage, la cuisine, les enfants. Ils entrèrent dans ce rôle en renâclant et n’eût été la menace des épouses de les laisser se contenter de la veuve poignet pour satisfaire leur libido, ils auraient probablement opté pour un service minimum. Ils avaient donc accompli leur besogne tant bien que mal mais la charge mentale inhérente à l’organisation de la vie quotidienne continua d’être assumée par les épouses. Le confinement passé, les anciennes habitudes étaient revenues au grand galop malgré quelques tentatives de leurs  compagnes de renverser la vapeur. Aujourd’hui, elles avaient proposé de les rejoindre pour commenter une élection aux conseils communal et général de leur commune dont les résultats devaient tomber derechef. Ils savaient que leurs épouses manifestaient un certain intérêt à la politique, locale surtout, mais aussi nationale et mondiale. Ils considéraient donc la présence des deux femmes, ce soir à leur apéro, comme une manifestation incontestable de leur amour conjugal, de leur bonté et de leur ouverture d’esprit.

 

Pour engager la conversation, Mostafa, s’adressa à Asunta sur le ton docte de celui qui veut montrer qu’il maîtrise un peu le sujet :

 

–       Rien à dire, ce type, ce Nicolas Frey, il est compétent pour entrer au conseil : je l’ai entendu à la radio : ce qu’il parle bien !  Alors, t’en penses quoi ?

 

–       Je pense qu’il ne faut pas confondre compétent et con pédant ! L’autre jour, à la sortie de la répétition du chœur, je lui ai juste posé une question sur l’égalité salariale. Il est monté sur ses grands chevaux et m’a fait tout un tas de théories sur l’urgence d’attendre. Et quand je lui ai dit que c’était du vent, il s’est vraiment mis en colère et m’a traitée de poufiasse féministe.

 

–       Et tu as fais quoi alors ?

 

–       Je l’ai regardé avec un grand sourire et je lui ai récité une phrase que j’avais inventé au collège dans laquelle on devait mettre au moins douze i :

 

–       Et c’est quoi cette phrase ?

 

–       « Les irascibles m’irritent mais l’ire des irascibles infatués, imbus d’eux-mêmes et de leur importance irradie ma bonne humeur et déclenche inévitablement mon hilarité ». Je ne sais pas s’il a tout compris, mais quand j’ai éclaté de rire, il n’a plus rien dit ce couillon.

 

–       Là tu exagères ! Il me semble qu’il veut défendre nos intérêts, il veut restreindre l’immigration dans la commune, sauver nos emplois et diminuer la délinquance dans la foulée. Il a une certaine idée de la Suisse et il la défend bien, il faut reconnaître.

 

–       Tu rigoles ? Il s’en tamponne de nos emplois et veut nous faire croire que le danger vient des immigrés pour éviter qu’on regarde trop comment il fricote avec d’autres étrangers, des riches ceux-là, qui planquent leur fric chez nous. Et çà, c’est sans compter quelques multinationales qui arrangent ses affaires et celles de ses petits copains. Idée suisse peut-être mais suisse idée aussi.

 

–       Suisse idée ?

 

–        Je t’épelle : s-u-i-c-i-d-é-e ! Il faut décidément tout t’expliquer ! Bref, pour moi, ce genre de macho nationaliste et grand pourvoyeur de slogans faciles et populistes, ce n’est pas ma tasse de thé et ça démolit la démocratie que nos ancêtres ont mis des siècles à peaufiner !

 

–       Mais il y en a beaucoup qui le suivent ! Tu crois que tu as raison toute seule ?

 

–       Non, je ne suis pas seule. Ecoute, je me cite encore, et ça vient toujours du collège mais avec des b cette fois  :  « Bigarrée est la foule qui se balade, brassée et multicolore sera l’avenir de notre pays. Que l’on arrête de nous bassiner avec ces bêlements nationalistes bêtifiants ! Bronzés, blancs ou autrement beaux, les humains, femmes et hommes, sont tous égaux et sans bémol. » C’est cette réalité qu’il n’a pas compris ce mec. C’est juste un type qui sait bien utiliser l’ADSDQI .

 

–       La quoi ? la déesse des QI ? c’est quoi ce truc ?

 

–       C’est la capacité à manipuler une foule. Rien à voir avec la déesse des QI, sainte patronne des psychologues. Non, il s’agit de l’Abaissement Démagogico Simpliste Du Quotient Intellectuel. Autrement dit, on parle ici de  la capacité de certains orateurs à flatter les émotions les plus viles d’une foule rassemblée, au point d’en diminuer le QI moyen au niveau du QI le plus bas présent dans la masse de supporters. C’est d’ailleurs ce qu’utilisent aussi les religions.

 

–       Quoi les religions ? c’est quand même important de savoir d’où on vient et où on ira quand on quittera le monde des mortels, En plus, ça met un peu de moralité dans notre monde et ça empêche les gens de faire trop de saloperies. Non ?

 

–       Ça les empêche ou ça les provoque… Parce que tu vois, les religions ont aussi engendré les croisades, les guerres soi–disant saintes et les intégristes de tous poils : ces crocodiles de bénitiers qui égorgent et dévorent les infidèles au petit-déjeuner ou les dysentriques religieux qui nous chient des anathèmes ou des fatwas dans lesquels marchent les plus crédules ou les plus fêlés, empuantissant ensuite l’humanité de leurs exactions et de leur fanatisme nauséabond.

 

–       C’est bon Asunta ! Arrête tes grandes théories d’intello et tes citations à la mords-moi le noeud. On ferait mieux de changer de sujet sinon on va finir par s’engueuler.

 

Jordi vint au secours de son camarade et rabroua son épouse en lui assénant :

 

–       Lâche-le un peu, chérie ! Et d’abord, qu’est-ce que tu connais à la politique toi ?

 

–       Oh ! Je perçois là une frustration très audible d’hormones mâles contrariées.

 

–       Comment ça ?

 

–       Mais oui, tu sais. Le mythe du vrai mec, qui en a, qui commande, qui ne pleure pas, qui pisse le plus loin ….

 

–       Rassure-moi mon amour, tu ne me vois pas comme ça ?

 

–       Mais non gros bêta ! Mais fais gaffe cependant : les mauvaises habitudes sont coriaces, surtout chez les mecs ! Et pourtant, être un homme, un vrai, se prouve bien plus par le fait d’assumer sa part du ménage, des repas, des lessives, des couches à changer, des devoirs des enfants et j’en passe, le tout en souriant, en écoutant, en partageant. Et ça, toi, je reconnais que tu en es presque capable. Par contre quand quelqu’un cherche absolument à prouver sa virilité sur la route, dans un pugilat, avec une arme, en jouant au petit chef ou en draguant lourdement, c’est en général qu’il n’a pas les moyens de la prouver au lit et dans sa vie quotidienne. Et souris mon chéri, une particule d’humour ne te ferait pas de mal et même une partie face ferait l’affaire.

 

–       Partie face ?

 

–       Partie –cule et partie –face. Je dois toujours tout t’expliquer : j’ai l’impression de me battre contre un moulin à vent.

 

–       Moi je préfère les moulins après.

 

–       Elle est pas mal celle-là : donc 1 point pour toi. Celà dit, si nous nous sommes permis, Josette et moi,  cette intrusion dans votre sacro-saint apéro hebdomadaire, c’est pour vous transmettre une information qui pourrait impliquer quelques changements futurs dans la répartition des tâches familiales.

 

Jordi et Mostafa fixèrent leurs épouses d’un regard curieux où l’on décelait un soupçon d’inquiétude. Josette sortit son téléphone et enclencha une vidéo dans laquelle on voyait Asunta s’adressant à un public compact dans la grande salle communale. Ils regardèrent, et surtout écoutèrent, sidérés, le discours d’Asunta :

 

Chères amies, je vous remercie de votre présence et de votre engagement au sein de notre nouveau groupement « Des femmes pour demain ».

 

Nous avons donc déposé une liste pour les élections communales, tant au législatif, notre conseil général, qu’à l’exécutif, le conseil communal.  Je vous rappelle que si nous avons créé ce mouvement, c’est que nous sommes persuadées que les femmes sont mieux à même de penser d’abord au bien commun, de résoudre les conflits par le dialogue et qu’elles ont un sens pratique infiniment plus développé que les hommes qui, malheureusement, ne pensent trop souvent qu’en termes d’idéologie, de carrière, de pouvoir et d’intérêts particuliers à défendre.

 

Cela dit, ne généralisons pas et je suis heureuse de vous annoncer que certains de nos concitoyens masculins appuient cette démarche, en particulier parmi les membres du mouvement des jeunes pour le climat ainsi que quelques-uns de nos maris. Il en est d’autres qui seront plus difficiles à atteindre et encore plus à convaincre. Mais j’ai confiance, un jour viendra où tous ensemble nous éviterons à notre société de s’embourber dans le marécage politique dans lequel certains politiciens semblent se complaire. Les marécages sont, comme vous le savez, des zones souvent souvent insalubres et inhospitalière. Le marécage politique est celui qui sent la vase du repli sur soi, la puanteur de l’égoïsme, les gaz de la pollution, les miasmes de l’inégalité et du profit à tout prix et trop souvent, les flatulences nauséabondes du machisme et du racisme.

 

Un tonnerre d’applaudissements accompagné de cris de joie ponctua le discours d’Asunta qui reprit brièvement la parole pour donner quelques informations pratiques sur la campagne électorale ainsi que sur la répartition des fonctions au sein du comité du groupement.

 

Ne laissant pas le temps aux deux amis de dégainer leurs questions, Josette enchaîna :

 

–       Asunta a prononcé ce discours il y a un mois environ, ce fameux vendredi soir où nous avions dû vous supplier de garder les enfants pour une sortie entre filles. Je sais que la politique communale est à cent lieues de vos préoccupations mais je n’en reviens pas que vous n’ayez même pas prêté attention aux affichettes dans le village et aux nombreux tracts de cette campagne électorale. Asunta et moi avions remarqué que vous aviez jeté cette documentation sans la regarder en l’assimilant aux publicités qui submergent nos boîtes aux lettres. Mais aujourd’hui, à 18 h, précisément, donc dans quelques minutes, nous aurons le résultat de cette élection.

 

Amanda posa son téléphone sur la table pour suivre en direct l’émission spéciale de la radio locale. On y annonçait la victoire de la liste « Femmes pour demain » qui plaçait deux candidates à l’exécutif, Mesdames Asunta Python et Josette Zafari et 28 candidates sur 50 au conseil général.

 

Mostafa et Jordi échangèrent un regard ébahi. Mostafa avala sa salive et prit la parole :

 

–       Vous voulez dire que bientôt vous serez au conseil et qu’on devra prendre rendez-vous pour vous voir, sans compter les enfants et le ménage comme pendant le confinement !

 

Josette sourit et répondit :

 

–       Mais même en rouspétant, vous avez prouvé que vous le pouviez : tout était fait presque dans les règles de l’art. Cette fois, vous ferez encore mieux parce que nous n’aurons plus, j’en suis persuadée, la charge mentale de vous établir une liste avant de partir au travail ! Avec ou sans deuxième ou troisième vague de ce foutu virus, avec ou sans confinement, je sais que vous serez capables de vous organiser !

 

–       Non mais tu te rends compte de ce que vous nous demandez ?

 

–       Et toi, tu te rends compte qu’il ne s’agit que de ce que vivent et ce qu’ont vécu la plupart des femmes depuis des siècles ? Vous êtes nos compagnons, des copains joignables et atteignables, sur qui on peut compter et pas de pauvres petits mâles à plaindre, effrayés par des tâches que les hommes pensent être strictement dévolues aux femmes ?

 

Jordi intervint :

 

–       Finalement Mostafa, je crois qu’elles ont raison. Si on veut que nos enfants ne reproduisent pas ces vieux schémas et que le monde soit un peu plus vivable et plus juste demain, il faut arrêter de se plaindre et  faire notre part, maintenant et à notre niveau. Pour que les choses puisent changer vraiment, nos compagnes ont plus besoin de copains qu’on joint que de conjoints qu’on plaint !

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