Oui, qui est-ce ?

C’est à propos de quoi ?

Ça doit être une erreur, je ne suis pas philosophe.

Mais ça n’a rien à voir ! D’une part, il y a un sentiment et de l’autre, une pratique.

Mais là je dors. Vous savez, je mène une vie un peu bourgeoise, comme on dit, je ne sors pas trop de ma zone de confort.

Mais c’est agréable ! la vie est courte, il faut en profiter, non ?

Risquer de perde sa vie pour rien est un peu stupide.

Ô combien il est plus simple de vouloir vivre le plus longtemps possible plutôt que le plus intensément possible !

Risquer sa vie dans l’immédiat, ça demande du courage !

Vous allez écrire un texte sur ce sujet ?

Vous n’écrivez pas ! Vous lisez au moins ?

Ça ne vous est pas utile. Ah bon, première fois que j’entends une telle ânerie et au milieu de la nuit.

Vous devriez dormir, ce n’est pas raisonnable !

Ah, la raison aussi ? Vous vous en passez ? Pas utile ?

Quoi ? Euh non, je ne vois pas comment ce serait possible.

Décrire l’expérience de Newton ? Euh il voit une pomme tomber d’un arbre, non ?

Mais c’est impossible !

C’est le milieu de la nuit, je dois aller travailler demain et pour être en forme je dois dormir. Vous êtes sur un autre fuseau horaire ?

Ah mais il n’y a pas d’hôtel au sommet du Mont Olympe.

Quelle importance, les lois de la physique sont toujours écrites à la forme affirmative, non ?

Au milieu de la nuit ! Vous êtes insomniaque ?

La négation est simplement l’absence du fait affirmé, il n’y a rien à extrapoler sur ce sujet.

Nous ne sommes pas dans le même registre.

L’art ne répond pas à un besoin, il le créé.

L’amour est un pur besoin, il en est le fruit.

La philosophie est la recherche d’une autre perspective sur le monde. Comment voir le monde autrement que ce que nous croyons être immuable.

Non, l’art, c’est être capable de donner à voir le monde à autrui à travers sa propre approche, l’art ne demande pas de cohérence, c’est la pratique de créer un univers; qu’il soit irrationnel ou irréel est une qualité.

J’ai étudié sérieusement l’univers d’Aphrodite, mais cette question ne s’est jamais posée.

Certes, les divinités créent, mais sont-elles des artisans, des artistes ou des être tout puissant ?

Sont-elles seulement des êtres ?

Il faut éprouver un manque pour avoir un besoin.

Si une divinité est omni-tout il ne lui manque rien, elle est sans besoin.

Oui, elles avaient des qualités très humaines.

Vos points de vue sont intéressants. Mais quel signification donnez-vous à l’amour ?

Nous pouvons discuter de philosophie semaine prochaine, là je tombe de sommeil.

Allô ! Je vous entends mal ?

La ligne est mauvaise. Vous êtes nue ?

Vous vous ouigner d’huile sous la douche ?

Ah, une aquarelle à l’huile, une bonne idée, mais impossible.

Vous savez, tant que vous ne vous douchez pas à l’eau-forte, je ne vais pas en faire une histoire.

C’est un classique de prendre sa douche en chantant, rien de bien particulier.

Les échanges philosophiques vont être rudes avec vous, j’en perds déjà mon latin.

Je dois avoir un moment de libre en fin d’après-midi de vendredi, justement le jour de Vénus.

Vous êtes là ?

Il y a quelqu’un ?

 

Quel conversation! il est temps de dormir, mais comment peut-on téléphoner à un inconnu à trois heures du matin !

En tout cas cette personne manque un peu de savoir vivre, elle pourrait envoyer un message avant de m’appeler, nous n’avons pas fait du tir à l’arc ensemble. En fait c’était plutôt les moutons ou les cochons, je ne sais plus, il faudra que je regarde sur internet la bonne locution.

 

Ah, six heures déjà, maintenant je suis en retard, il faut que je me prépare. Le temps passe vraiment vite, même quand on entend de pareilles inepties.

 

Qui est-ce ?

Comme a dit Bruce Lee, la porte ne vous le rendra pas, moi si !

C’était à propos d’un mur, mais c’est valable pour une porte à mon avis.

Manquait plus que ça, la police !

Oui, oui, j’arrive.

Je n’ai pas encore payé la dernière facture du loyer, mais j’allais faire le transfert ce matin.

Oh, comme d’habitude, un peu autre chose à faire de plus important.

Ah, vous n’êtes pas là pour ça, vous êtes là pour une enquête ?

Prenez place, vous voulez un café ? Je m’en fais un avant de filer au travail.

Plusieurs heures ? Mais, on m’attend au travail, les gens ont besoin de moi, vous savez. Je suis utile, moi.

Non, excusez-moi, je ne voulais pas dire que vous ne l’êtes pas, mais que je ne pourrai pas passer autant de temps avec vous, déjà que j’ai reçu un téléphone à trois heures du matin pour un cours de philosophie !

Votre enquête est à propos de ce téléphone ? Vous êtes sérieux ? Comment êtes-vous informé de ce coup de fil ?

Quoi ? Je suis sur écoute, mais de quel droit ?

Vous saviez que j’allais recevoir ce téléphone ? Mais comment ?

Secret de l’instruction, oui, oui, je comprends.

Ah oui, je vois, il va m’être difficile de m’y soustraire, dans ce cas. Puis-je aviser mon bureau ?

Ils ont besoin de moi, mais si j’y vais cette après-midi, il devrait pouvoir avancer dans leur tâche, ce matin.

Oh là là !

Mais je ne me souviens pas de tout ce qui a été dit ! C’était trois heures du matin, voilà que je décroche et une voix me demande un cours de philosophie. J’ai simplement dit que je ne donnais pas de cours de philosophie.

Au début, il a été question…

Littéral ?

LITTERALEMENT ! Mais je ne suis pas un ordinateur, je n’ai pas enregistré les mots les uns après les autres.

Pourquoi me demander de répéter si vous avez enregistré ?

Mais comment ? vous connaissez les miens mais pas les siens ?

Vous plaisantez, si ma voix est enregistrée, la sienne aussi, c’est de la physique.

Vous avez bien écouté ? Pas la moindre oscillation !

Votre enregistreur dysfonctionne.

C’est la première fois et le seul enregistrement ? Incroyable.

Mais ça ne fait pas de moi un coupable, j’espère.

Je suis en haut de la liste des suspects ? Je n’ai pourtant rien dit de particulier.

« Acide », ce mot n’a jamais été prononcé, je vous assure.

Oui, je suis certain.

Mais ce n’est pas parce que je sais qu’il n’a jamais été prononcé que je me souviens de tout ce qui a été dit.

Oui, c’est logique, je ne peux l’affirmer si ne je me souviens pas de tout ce qui a été dit. Et pourtant…

Bon, bon, je vais faire un effort, mais je doute pouvoir vous restituer ce que j’ai entendu, car je l’ai plus entendu qu’écouté.

Et comment allez-vous vérifier que je rapporte les propos littéralement, vous n’avez pas l’enregistrement ?

Vous allez falsifier mes déclarations ?

Ah, vous invalidez tout ce que j’aurai rapporté si vous trouvez une seule incohérence selon la méthode de Karl.

Karl Marx ?

Popper ! Ah, j’ai intérêt à me concentrer.

J’ai décroché et j’ai entendu quelqu’un m’interpeller.

J’ai répondu que c’était bien moi.

Quoi, vous voulez que je vous donne les expressions littérales que j’ai entendues, sans les miennes ?

Ah, en tant qu’artiste, je dois considérer que c’est un nouveau genre littéraire : l’hémi-dialogue !

Je ne suis pas vraiment un artiste, je ne produis pas de l’art pour gagner ma vie. C’est plutôt pour, euh.

J’arrive, j’arrive, voilà :

Monsieur Nissos Odios ?

Oui, c’est moi.

Ah, vous ne voulez pas mes répliques, j’avais oublié. Elles polluent votre compréhension du déroulé de sa pensée ?

Charmant, je vous remercie pour cette qualification de mes efforts.

Voilà, voilà, ne vous fâchez pas je ne souhaite pas finir au cache-eau.

Oui, je suis un peu fatigué, je n’ai pas dormi cette nuit, je fais des mauvais jeux de mots.

Allez, je me concentre et on y va.

 

Monsieur Nissos Odios ?

De philosophie.

 

Ah, oui, vous avez raison, il manque une réplique !

Vous ne me connaissez pas vraiment.

De philosophie.

L’amour et l’art.

Qu’est-ce qui vous retient dans vos habitudes ?

Ne faut-il pas plutôt en jouer, y goûter jusqu’à sa limite ?

La fin de la vie est de mourir et vous voudriez ne pas vivre pour ne pas mourir ?

Le courage s’acquiert par l’acte, comme toute disposition psychologique, comme l’amour, par exemple.

Non, je n’écris pas.

Non, le pragmatisme et ses obligations de résultats ne sont pas de mon monde.

Vous avez raison, mais elle n’est pas de mon monde non plus.

La raison désoriente, elle raisonne dans le vide.

Décrivez-moi l’expérience d’une pomme qui tombe, vue par un humain.

Sans recourir à des phrases positives. N’utilisez que des phrases négatives.

Je vis sur le Mont Olympe, en Grèce.

Quelle conclusion tirez-vous de ne pas pouvoir décrire une expérience avec des phrases négatives ?

Mais vous venez de dire qu’il n’y a pas d’hôtel au somme du Mont Olympe. Est-ce un fait ?

Encore un fait négatif, comment en rendre compte avec des lois affirmatives ?

À quoi sert la philosophie si elle ne dit rien du rapport de l’art et de l’amour ?

Alors, elle est à la source de l’art.

La déesse de l’Amour peut-elle être une artiste ?

Oui, certainement, mais les divinités ont-elles vraiment besoin des humains ?

Les divinités grecques ne sont pas toutes puissantes, omniscientes ou omniprésentes.

Il n’y a pas d’amour pour qui n’est pas apte à disparaître, comme il n’y a pas de philosophie pour qui ne considère pas que sa pensée disparaîtra.

L’amour, c’est être capable de voir l’autre toujours autrement, sans décider soi-même de comment cet être devrait être. Laisser à l’autre ses choix, sa vie, ses espoirs, ses rêves et ses apprentissages.

L’amour demande de se mettre à nu.

Comme une huile apposée en couches de lavis.

Non je suis peinte sous la douche.

Là vous me douchez, vraiment.

Mais oui, faites en une histoire !

 

Voilà, je crois vous avoir rapporté tous ses propos je peux y aller ?

 

Nissos Odios, je vous arrête pour avoir dissout Aphrodite, domiciliée au Mont Olympe, dans de l’eau forte.

Tout ce que vous pourrez écrire pourra être retenu contre vous.

 

Pour une goutte rouge sur le tableau, comment peut-il en déduire qu’elle n’est plus ?

Du sang ?

Ou peut-être des traces de rouilles provenant de la douche ?

Une écorchure sur sa cuisse ?

Une marque féminine d’un enfantement qui n’a pas jugé opportun ?

Pour une goutte !

Quand je pense que je lui ai dit que je ne savais pas comment tous ces mots avaient pu s’être gravés dans ma mémoire, mais certainement pas à l’eau forte ! C’est ce mot qui m’a condamné à ses yeux ?

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