Créé le: 06.12.2020
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Broute mouton

Fantastique, Fiction, Nouvelle

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© 2020-2024 Kurt Fidlers

Le porcinium : substance obtenue grâce au mélange d’uranium et de graisse de porc, et confère à celui qui l'absorbe une énergie prodigieuse.
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Sous un soleil de plomb s’étendaient des vallons verts, couverts d’une herbe grasse. C’était une belle journée.

Si belle, qu’un berger, affalé à l’ombre d’un arbre, caressait paresseusement son chien couché sur son flanc. Plus loin, un troupeau de moutons paissait tranquillement dans un carré délimité par une clôture. Et tandis que la somnolence gagnait le pâtre, un marchand apparut, surgit de nulle part.

Tirée par deux ânes fatigués, celui-ci arrêta sa chariote brinquebalante à l’orée du champ où broutait le troupeau.

Agglutinés les uns aux autres, les moutons s’occupaient de brouter, vaille que vaille.

Le commerçant, vêtu d’un vieux pourpoint, d’un pantalon élimé et de guêtres usées, sauta à terre. Il ôta son haut-de-forme.

Les moutons s’arrêtèrent de brouter et l’observèrent l’œil rond, des restes d’herbe fichés entre leurs chicots.

— Mes amis ! fanfaronna l’homme.

Les moutons échangèrent des regards interloqués.

— Oui vous ! C’est votre jour de chance.

— Vous… vous parlez notre langue ? dit un mouton proche de la clôture.

— Mais évidemment, et ce, grâce à mon remède miracle : le Porcinium !

— Le Porcinium ? s’écrièrent de concert les bovidés en oubliant soudainement qu’un
humain puisse s’adresser à eux.

L’homme, ravi d’avoir captivé son auditoire, tira sur une cordelette, geste qui eut pour effet de remonter la bâche qui recouvrait les arceaux du chariot. Il découvrit un meuble constellé de petites fioles d’herboriste.

Les moutons émirent un bêlement de stupéfaction.

— Oui, le Porcinium mes bons amis. L’élixir de jouvence. Celui qui vous apportera vigueur, jeunesse, et vous fera oublier vos membres perclus de douleurs.

Tous trépignèrent sur place avant qu’un mouton, avancé dans l’âge, fendit le troupeau.

— Qu’exigez-vous en échange ? Nous n’avons pas cet « argent » dont se servent les humains.

La bouche du marchand s’étira sur un sourire carnassier.

— Oh, ce ne sera rien qu’une petite chose qui ne vous est d’aucune utilité ici-bas… Votre âme.

— L’âme ? Nous n’en possédons pas si l’on en croit les hommes qui nous gardent.

— Alors, le problème est résolu, n’est-ce pas ? rétorqua l’homme.

Le vieux mouton hésita. Il n’aimait pas beaucoup l’allure de ce gentilhomme. Il semblait habillé de quelque chose de faux. Et puis cette odeur pestilentielle qu’il répandait. Ça lui avait tout l’air d’un traquenard.

Mais avant qu’il puisse ajouter un bêlement de protestation, ses compagnons se jetèrent contre la clôture, prêt à avaler tous les élixirs du monde, pourvu qu’on les libérât de leurs douleurs et qu’ils puissent enfin retrouver leur jeunesse.

 

Le berger et son chien se réveillèrent.

Le jeune pâtre venait de faire un mauvais rêve dont le goût amer inondait encore sa bouche. Il avait rêvé des moutons qui paissaient dans le champ du monastère de la Sainte-Trinité.

Mais tandis qu’il se leva, il fut tétanisé.

Toutes ses bêtes gisaient sur leurs flancs, leurs corps constellés de bubons purulents. Morts. Seul demeurait le plus vieux qui émit un bêlement plaintif.

 

FIN

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