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Tandis qu’Erich Honecker, l’homme fort de l’Allemagne de l’Est, voit son pouvoir et son pays s’effondrer en cet automne 1989, Peter et Angela s’interrogent : que se passe-t-il au-delà du Mur de Berlin ? Ils ont 20 ans et sont amoureux ; ils rêvent de liberté.
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RDA, automne 1989

 

Depuis plusieurs semaines, la frontière entre la République démocratique allemande et la République fédérale d’Allemagne n’était plus aussi étanche qu’auparavant. Le régime est-allemand ne pouvait plus colmater les fissures, l’eau filtrait et la pression menaçait l’édifice. A l’Est, des millions de manifestants protestaient contre le régime et réclamaient le droit de passer librement à l’Ouest. Ils s’opposaient à son immobilisme. Le 40ème anniversaire de la naissance de la République démocratique aurait dû être l’occasion, comme le relevait Mikhail Gorbachev, d’entreprendre des réformes. En effet, le nouveau maître du Kremlin était adepte de la glasnost, la transparence et l’ouverture, et s’opposait donc à des répressions, qu’Erich Honecker désirait pourtant. Il était inadmissible pour lui que depuis mai, 50 000 Est-Allemands aient réussi à déserter la RDA via la Hongrie, 230 000 via la frontière tchèque. Et quel choc, lorsqu’il avait entendu des milliers de ses compatriotes scander « Gorbi », lorsqu’ils avaient défilé devant eux, le jour de la fête nationale, le samedi 7 octobre. Quelle surprise, deux jours plus tard, qu’ils soient 70 000 à se rassembler pour la « prière du lundi » à l’église Saint-Nicolas de Leipzig. Ils étaient presque le double la semaine suivante ! Le pouvoir lui échappait. D’ailleurs, il n’avait pas réussi à censurer les propos des journalistes qui avaient révélé à la télévision est-allemande qu’il y avait bien contestation. Les manifestations de Leipzig avaient mis le feu à la poudre et Honecker avait compris que Berlin, comme toute la RDA, exploserait. Il n’avait donc pas voulu être le témoin de ce désastre. Puisque l’URSS ne voulait plus soutenir le SED, le Parti socialiste unifié, que Gorbatchev les lâchait, il avait démissionné le 18 octobre en prétextant des problèmes de santé. Egon Krenz se débrouillerait seul ! Mais la machine était lancée. Tout l’Est avait été bousculé par les manifestations contre le Parti communiste. Le 4 novembre, ils étaient un million, rassemblés sur l’Alexanderplatzt de Berlin. Ils avaient réussi à plier le gouvernement conduit par Willy Stoph depuis 1976. Ils démissionnaient tous le 7 novembre. Et le 9 novembre, le Mur tomba.

 

*

 

Wurzen, jeudi 9 novembre 1989, 18h25

 

–        Angela, allume vite la télévision. La conférence de presse en direct a déjà commencé.

–        Peter ? comment ?

–        Mais oui, le Secrétaire du Comité central du SED pour l’Information s’adresse en ce moment aux journalistes de la presse étrangère. Il commente les nouvelles mesures sur les conditions de voyage, prises cet après-midi.

–        Oh oui, merci, on se téléphone après.

Angela raccrocha vivement le combiné et se précipita au salon où elle enclencha son poste. Elle vit un parterre de journalistes assis en nombre sur des fauteuils de velours rouge. Derrière, debout, des cameramans filmaient la conférence de presse. En face d’eux, sur la tribune, Günter Schabowski et trois autres de ses collaborateurs commentaient les dernières nouvelles. Pressé par les journalistes, le porte-parole décida enfin de lire la nouvelle réglementation. Angela comprit que les voyages à l’étranger à titre personnel seraient autorisés et que la Volkspolizei accorderait les autorisations rapidement. Son rêve de découvrir l’étranger avec Peter, encore irréalisable il y a quelques mois, devenait une réalité ! Depuis leur enfance, ils rêvaient de découvrir ce qui existait au-delà du Mur. Maintenant, le rêve deviendrait bientôt réalité ! Afin de relâcher une pression trop importante et de calmer la rue, le gouvernement avait donc décidé de les autoriser à voyager à l’étranger et sans aucune condition particulière. Le porte-parole du Politburo était en train d’annoncer l’ouverture prochaine des frontières de la RDA et il ne semblait même pas s’en émouvoir, même pas s’en rendre compte, comme s’il prenait connaissance de la nouvelle réglementation en même temps que les journalises ! Günter Schabowski fut interrompu par la question de l’un deux.

–        Quand cela entre-t-il en vigueur ?

Le porte-parole sembla hésité, pris au dépourvu. Il regarda brièvement ses notes et, comme s’il improvisait, répondit cependant avec fermeté :

–        A ma connaissance, immédiatement… sans délai.

Angela se figea, bouleversée. Avait-elle bien entendu ? : « ist das sofort, unverzüglich ». Elle comprit que les derniers mots de Schabowski avaient lancé une bombe, lorsque quelques journalistes se précipitèrent hors de la salle, sûrement pour informer au plus vite leur journal et lancer les premiers articles. Il était 18h53. Comme une trainée de poudre, la nouvelle se propagerait, circulerait dans tout le pays et surtout à Berlin. Il fallait profiter du moment, observer ce qui se passait. Angela entendit la sonnerie du téléphone au moment où elle décidait d’appeler son ami. Elle décrocha et entendit des cris de joie.

–        Yahoo !

Angela rit. Elle entendait Peter, Ulli, son jeune frère, et ses parents, Annelies et Frank se réjouir avec lui.

–        On y va Schätzchen ? Cap sur Berlin, sur Check Point Charlie ?

–        Ça sera ouvert ? Tu penses vraiment que les mesures seront tout de suite appliquées ?

–        Il faut justement aller vérifier. Schabowski l’a annoncé : « ist das sofort, unverzüglich. »

–        Ok. Tu viens me chercher en moto ?

–        J’arrive. Si tout va bien, on y sera à 21h00.

–        Bis dann, mein Schatz.

Angela déposa le combiné pour le relever tout de suite, afin de téléphoner à sa mère qui travaillait encore. Elle n’était pas au courant. Les autorités lâchaient ainsi du lest ? Non, ce n’était pas possible ! Mais elle accepta tout de même que sa fille se rendît à Berlin pour vérifier la température.

–        Soit prudente. S’il y a contrordre, je ne veux pas que tu sois au milieu des manifestants ou que tu t’opposes aux VoPos.

–        Ne t’en fais pas Mutti. Bon, j’y vais, j’entends Peter. Tschüss.

Angela s’habilla chaudement, prit son casque et monta directement derrière Peter qui venait d’arriver. Ils avalèrent les deux cents kilomètres qui séparaient Wurzen de Berlin en un peu moins de deux heures. Sur la route, fermement agrippée à la taille de son ami, Angela ne pouvait s’empêcher de se demander si cette nouvelle était réelle. Schabowski n’avait-il pas dérapé ? Peut-être ne savait-il pas quand la mesure prendrait vraiment effet. Il semblait tellement surpris par la question du journaliste, puis embarrassé. Il avait été pris au dépourvu et il avait peut-être improvisé. Si c’était le cas, elle espérait que les autres membres dirigeants du Politburo ne puissent pas rétablir la situation avant que les journaux télévisés du soir aient rapporté les propos de Schabowski, leur Secrétaire du Comité central du SED pour l’Information, un poste qu’on lui avait attribué à peine trois jours plus tôt. Angela sentait que la situation était inédite, que le rouage se grippait, que la machine fumait et qu’il fallait en profiter.

 

*

 

Berlin, 21h04

 

Arrivés à Berlin, ils remarquèrent qu’il y avait foule, sur la route, sur les trottoirs. Le journal télévisé du soir avait dû transmettre la nouvelle pour qu’il y ait autant de monde. Leur espoir serait-il confirmé ? Ils parquèrent leur moto et se mêlèrent aux piétons de plus en plus nombreux. Une rumeur folle enflait :

–        Le Mur est ouvert !

–        On peut enfin voir ce qui se passe au-delà !

–        Ils doivent nous laisser passer !

A chaque point de passage, les manifestants exigeaient de pouvoir traverser. Ils criaient :

–        Nous reviendrons !

–        Pas de violence !

Les soldats et gardes-frontières semblaient désemparés, ils ne parlaient pas, ne s’opposaient pas à la foule qui grossissait et s’enhardissait face aux responsables du contrôle qui restaient inertes et stupéfaits. Que devaient-ils faire ? Les menacer de leur fusil ? Les laisser passer ? Ils n’avaient reçu aucune information, aucun ordre !

Angela et Peter entendaient leurs sœurs et leurs frères de l’Ouest crier. Tous les Berlinois semblaient s’être donné rendez-vous au Mur. Soudain, à la hauteur de la porte de Brandebourg, ils virent des jeunes escalader le Mur puis toiser et dominer les gardes désemparés. Les cris de l’est et de l’ouest ne formaient plus qu’un seul refrain :

–        Nous sommes libres ! Le Mur doit tomber !

En haut du mur, des centaines de femmes et d’hommes, éclairés par les projecteurs des équipes de télévision de l’Ouest criaient leur joie. La police est-allemande ne les intimidait plus, même si des lance-eau étaient déployés, même si un cordon de VoPos prenait place devant la porte, même si un camion muni d’un haut-parleur lançait :

–        Par ordre de la police, nous vous demandons de vous éloigner du mur.

Les Berlinois étaient maintenant de plus en plus nombreux et exigeaient en cœur, des deux côtés du Mur, l’ouverture des sept points de passage entre Berlin-Est et Berlin-Ouest. Soudain, l’impensable. Un premier portique s’ouvrit et les gardes tamponnèrent les passeports des « fortes têtes » qui passèrent l’un après l’autre en se poussant, puis la cohue et la pression furent si fortes qu’elles menacèrent les installations. Alors, ils entendirent l’ordre d’un garde-frontière :

–        Levez la barrière, qu’ils passent tous !

Joie, cris, applaudissements, il était 23 heures, les barrières se levèrent. Les gardes-frontières de la Bornholmer Strasse avaient craqué face aux revendications des manifestants qui forçaient pacifiquement la frontière. Ils laissèrent passer 20 000 ressortissants est-allemands pour éviter des bousculades, des affrontements, un bain de sang. Le barrage cédait alors aussi dans plusieurs autres points de passage et le flot trop longtemps retenu s’engouffra dans la brèche. Symboliquement, dès minuit, même Checkpoint Charlie s’ouvrit. Cris. Klaxons. Des jeunes-filles embrassaient les gardent. L’ambiance était euphorique :

–        C’est de la folie ! Que ce satané « mur de protection » puisse tomber, c’est inimaginable !

En quelques heures, plus de 100 000 Allemands de l’Est passaient à l’Ouest pour respirer l’air de la liberté.

–        Die Mauer ist weg !

–        Berlin ist Berlin !

Alors Angela et Peter, main dans la main, traversèrent pour la première fois, au cœur d’une marée de manifestants, la frontière qui avait entravé leur liberté. Enfin ils était arrivés au-delà de ce Mur de la Honte. Ils tombaient dans les bras des Allemands de l’Ouest. Enfin, ils se retrouvaient. Rires. Larmes.

–        Wir sind ein Volk !

Encore abasourdis mais tellement heureux, ils fêtèrent leur nouvelle liberté. Désormais, Angela, Peter et leur famille avaient enfin le choix, celui de rester chez eux à Wurzen, ou celui de partir à l’Ouest, pour y vivre ou seulement pour voyager. Enfin, ils pourraient visiter tous les pays qui les faisaient rêver : le Canada, la Nouvelle Zélande, l’Italie, la Suisse.

Après une bonne bière à l’ouest, qui leur fut offerte en guise de bienvenue par de jeunes berlinois, et tandis que la nouvelle de la chute du Mur se répandait telle une trainée de poudre, ils décidèrent de rentrer chez eux. Sur tout le chemin du retour, ils croisèrent leurs compatriotes. Il y avait des bouchons partout, sur le pont de Bösebrücke, à tous les points de passage, tant les Trabants étaient nombreuses. Tous voulaient traverser et goûter à ce moment de liberté. Angela et Peter désiraient maintenant rentrer à Wurzen, partager leurs impressions avec leur famille et leurs amis.

 

Ils avaient vingt ans. Une page se tournait, l’avenir leur souriait.

 

*

 

 

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