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© 2019-2024 Hervé Mosquit

Suite de mon "feuilleton de l'été"
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Au coin de l’ordinaire chapitre 9

Mardi, il faisait gris et triste. Si gris que le ciel en pleurait à grosses gouttes froides qui refusaient à se transformer en neige, pourtant tellement plus belle que la pluie.

Avant de commencer la matinée de classe, nous avions chanté tous ensemble bon anniversaire en français, en anglais, en allemand, en espagnol et en albanais pour Paquito qui fêtait ses 12 ans. Je lui remis son cadeau : un raquette de ping-pong et un petit roman. Certains collègues me reprochaient parfois ces cadeaux mais je n’en n’avais rien à battre. Cela constituait un bon encouragement, ça entretenait la bonne ambiance et ça me faisait plaisir. Et franchement, en tant qu’enseignants, comme beaucoup d’autres fonctionnaires d’ailleurs, nous étions autant à l’abri de la pauvreté que de la richesse et ce n’était pas ce genre de babioles qui allaient grever nos budgets personnels !!

 

L’évaluation de français semblait s’être bien passée. Tout le monde avait fini dans les temps. Pour les résultats, on verrait ce soir.

 

Je surveillais la récréation. Tout se passa bien comme c’était presque toujours le cas cette année scolaire : sans comparaison avec l’année passée où une partie des plus grands, partis maintenant en apprentissages ou au lycée, semaient la terreur dans la cour : rackets des plus jeunes, insultes racistes, provocations, vêtements et souliers enlevés et cachés et j’en passe ! Le travail sur les règles de vie réalisé dans toutes les classes y était peut-être pour quelque chose. Il n’en restait pas moins que

certains mômes, souvent sans limites à la maison, semblaient fascinés par les modèles de violence de la TV et des jeux vidéos. Ils avaient une tolérance à la frustration proche du degré zéro, ne supportaient aucune contrainte et restaient souvent indifférents aux sanctions comme aux encouragements.

 

L’inspecteur était dans la classe presque tout l’après-midi. Nous avions ensuite discuté des activités de vocabulaire et d’Histoire de la dernière heure et de la classe en général. J’aimais bien le bonhomme et j’avais de la chance : ce gars-là ne se prenait pas la tête avec son titre d’inspecteur.

 

Il savait qu’il devait développer des compétences différentes et complémentaires aux nôtres. Il était d’abord à l’écoute, posait beaucoup de questions, nous encourageait à utiliser nos points forts, nous faisait confiance sur les méthodes choisies, était présent sur notre demande lors d’entretiens problématiques avec des parents. Bref, avec cette attitude, il nous aidait infiniment plus qu’en tentant d’imposer avec force remarques et consignes, sa vision de choses. Il faisait aussi tout, sur le plan administratif, pour que les choses soient claires et pour nous faciliter le travail. J’espérais qu’il resterait longtemps chez nous et touchai du bois ! En effet, je savais que des collègues d’autres régions, indépendamment de la qualité de leur enseignement, n’étaient presque jamais encouragés, soutenus ou félicités mais se faisaient régulièrement disputer sur des détails comme le journal de classe, la rédaction des objectifs, les méthodes choisies ou d’autres aspects de leur travail, par des « supérieurs » hiérarchiques dont le seul but était d’affirmer leur pouvoir en imposant leur point de vue et leur

leur conception personnelle de la qualité.

 

Ces futures victimes du principe de Peters, ( qui veut que tout ambitieux atteigne inévitablement un jour son degré d’incompétence) n’avaient pas encore compris qu’on obtenait beaucoup plus en écoutant et en demandant qu’en ordonnant et que la possibilité d’exercer un pouvoir, aussi grisante soit-elle, ne donnait pas forcément toutes les compétences ni tous les droits.

 

Pour faire bonne mesure, et pour ne pas se voiler la face, il faut reconnaître que si l’immense majorité des collègues pratiquaient leur métier avec enthousiasme et compétence, il existait encore malheureusement aujourd’hui des attitudes minoritaires qui pouvaient salir l’image de l’école, des enseignants et nuire aux élèves qui nous étaient confiés.

 

On pourrait citer en vrac les remarques humiliantes, l’ostracisme voire le racisme à peine voilé, les allusions méprisantes à la profession des parents, le rejet du handicap ou d’autres différences, la loi du moindre effort, la conviction de détenir la seule vérité pédagogique et le refus de coopérer avec les autres. S’il était vrai que les collègues, les parents, les élèves eux-mêmes pouvaient tenter de modifier ces comportements, il arrivait malheureusement que l’inspectorat doive intervenir. Reconnaissons que ce n’était pas là une tâche facile !

Je restai un moment en classe à préparer la matinée et les réunions de parents de demain. Presque dix-huit heures : ça suffisait. Je filai vivement à la maison !

Je commençais à m’habituer à cette maison rien que pour moi. J’avais changé de chambre et m’étais installé au Sud, face à la forêt. J’avais relégué le bureau dans notre ancienne chambre à coucher, au Nord. La cuisine était restée pareille, avec sa table de bois massif, ses vieilles chaises, son vaisselier qui devait avoir le même âge que le bâtiment, autrement dit un paquet d’années.

 

Le temps de poser mes affaires, le téléphone se mit à carillonner. C’était Ferran qui venait aux nouvelles et me parla avec humour de son dernier job « alimentaire » : des traductions pour une société immobilière qui visait une clientèle étrangère aisée attirée par le calme et la sérénité de nos montagnes mais aussi par nos banques qui pratiquaient un accueil de l’argent inversement proportionnel à celui que notre cher pays affichait face aux réfugiés de la violence et de la misère.

 

A peine avais-je raccroché qu’un nouvel appel, de Hans cette fois, m’informait qu’il était bien rentré, croulait sous les commandes et que toute la famille se portait bien. Il s’énerva en passant contre un de ses employés qui ne s’était pas présenté au travail, un certain Roger, qui lui semblait peu fiable, le seul de l’équipe à agir ainsi me précisa-t-il. Il me demanda mon avis d’enseignant sur son fils Skender. Je ne pus que lui en confirmer le caractère agréable et travailleur et lui dis qu’il n’avait aucun souci à se faire de ce côté-là.

 

J’appris que Pietro l’avait appelé en début de semaine pour lui dire qu’il s’inquiétait de ne pas avoir de nouvelles de Lucie, son amie journaliste. Hans avait essayé d’atteindre Pietro hier et ce matin, sans

 

Au coin de l’ordinaire chapitre 9

succès. Nous convînmes d’un repas entre les quatre « camarades de chambrée », chez moi, en fin de semaine. Il se chargerait d’avertir Pietro et je m’engageais à faire de même avec Ferran.

 

La soirée fut banale : corrections, informations à la télévision, roman, sommeil profond.

 

 

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Arrivé à la maison, Hans trouva Xhemile en pleurs. Son petit-cousin Samir avait été retrouvé mort, un pistolet à la main, dans un chalet valaisan. Dans le même chalet on avait trouvé le corps d’une jeune photographe, violée puis tuée d’une balle. La photographe travaillait pour le même journal que Lucie, l’amie journaliste de Pietro. Les projectiles meurtriers provenaient de l’arme tenue par Samir.

 

(suivre)

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