Suite de mon feuilleton de l’été…
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Au coin de l’ordinaire chapitre 6

– Tu te rends compte de ce que tu as fait ? !! Si tu te fais prendre, c’est la perpète assurée, sans compter que si notre relation est connue, je suis fini et je ne parle pas des conséquences sur le parti !!! Tu es vraiment malade !!

 

– Mais je t’aime Jérôme. C’est pour toi que j’ai fait tout ça, Cette salope de journaliste allait saboter votre loi sur le renvoi des familles d’étrangers délinquants. Je suis sûre qu’elle se doutait que c’était des gens comme vous qui aviez payé ces trois réfugiés kurdes et albanais pour qu’ils braquent ce garage et tuent le gérant afin de monter l’histoire en épingle. Tu crois que je ne sais pas que vous les avez ensuite fait liquider par Youri, ce russe, en prétendant que c’était un règlement de compte entre la mafia turque et albanaise. Tu crois que je ne connais pas vos magouilles immobilières, les pressions et les intimidations que vous utilisez pour forcer des gens à vendre à bas prix ou pour expulser des locataires.

 

– Mais…

– Tais-toi. C’est toi qui m’écoutes maintenant. Youri m’a tout raconté. Tout ! Il m’a même dit comment il s’y était pris pour saouler les braqueurs et les descendre l’un après l’autre.Il m’a même fait écouter un enregistrement de sa conversation avec ton secrétaire de parti. C’est d’ailleurs pour ça que je l’ai engagé pour liquider la journaliste.Il a sous-traité l’affaire à Roger, un de vos adhérents d’ailleurs,

 

Au coin de l’ordinaire chapitre 6

mais je me suis arrangé, comme tu le sais maintenant, pour qu’aucun des deux ne puisse raconter quoi que ce soit. Alors maintenant que j’ai pris tous les risques, je pose mes conditions : je te donne six mois pour larguer ta bourgeoise et m’installer chez toi sinon je déballe toute l’histoire aux flics avec un seul petit oubli : le commanditaire des meurtres de la journaliste, de Roger et de Youri, ce sera toi !

 

– Si je comprends bien, je n’ai pas le choix…

 

– Tout juste Auguste, encore qu’Auguste vu ta petite mine, ce n’est pas tout à fait le prénom du jour. Allez, arrête de faire la gueule et viens. J’ai envie de toi, ici, sur le tapis, maintenant, tout de suite !

 

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Mes amis Hans et Ferran avaient déjà quitté l’hôpital tôt dans la matinée. Louis avait reçu son bon de sortie mais attendait encore une dernière visite de son médecin avant de pouvoir partir.

 

La température était glaciale. Le parking de l’hôpital était balayé par la bise. J’avais envoyé ce matin un texto à Irma pour lui donner rendez-vous ici. J’attendais depuis bientôt 25 minutes et je commençais à geler sur place. J’avais essayé par deux fois de l’atteindre mais elle ne répondait pas. J’avais laissé deux messages Le premier d’une politesse exquise, le second laconique et d’une

impatience crasse.

Il était vrai que les visites de ma compagne s’étaient faites plutôt rares ces dernières semaines et que nos conversations téléphoniques se limitaient souvent à des problèmes d’intendance.

Au moment où j’empoignai mon baluchon pour aller prendre le bus qui allait à la gare, j’entendis la voix de Ferran qui m’interpella :

 

– Hé companero, tu testes ta résistance au froid ?

 

– Non, je m’apprêtais à prendre le bus.

 

– Ah bon ? la madame Ravoire ne se fait pas voir ?

 

– D’abord on n’est pas mariés. Elle s’appelle Irma Stöckli-Schlumpf.

 

– Santé !

– Quoi ?

 

– Nada, res, rien, laisse tomber. Alors tu veux jouer les passagers ordinaires des transports publics ou

 

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tu veux profiter de mon carrosse personnel ?

 

– Pour aller où ?

 

– Mais chez toi pardi ! Je n’ai rien d’autre à faire que d’aller boire un pot avec moi-même et faire le ménage tout seul dans mon appartement en vieille ville. Jusqu’à nouvel avis, ce genre d’activités, ne revêt pas un caractère d’extrême urgence.

 

– OK, j’accepte.

 

– Anem ! vamos en su casa senor professor.

 

Nous habitions une ferme qui m’appartenait, rénovée par mes soins, un poil à l’écart d’un village de cinq cents habitants à une petite dizaine de kilomètres de la capitale cantonale qui affichait, elle, une population avoisinant les quarante mille âmes.

 

Tout était en place : le jardin, le poulailler sans poules, le clapier sans lapins, l’écurie sans chèvre. L’habitation comprenait un couloir traversant qui donnait accès, à chacune de ses extrémités, à 2

grandes pièces qui nous servent de salon et chambre à coucher flanquées chacune de chambrettes qui nous servaient de bureaux. La cuisine se trouvait au centre. A l’étage, pas grand chose si ce n’est un grand espace permettant l’aménagement d’au moins quatre grandes chambres sous un toit déjà isolé et sur un plancher neuf.

 

Au salon se trouvait un fourneau de pierres réfractaires, couvert de faïences, muni d’un banc et dont le foyer s’alimente depuis la cuisine. Ces « fourneaux en molasse » trimballaient, dans notre région, une légende qui disait qu’autrefois, les hommes s’y asseyaient, le soir, pour élever la chaleur de leurs testicules et diminuer ainsi la vitalité de leurs spermatozoïdes et le risque d’une grossesse supplémentaire dans des familles rurales souvent déjà fort nombreuses.

 

En l’occurrence, quand j’y siégeais, ce n’était pas pour cette raison, mais bêtement pour m’y réchauffer. De toute façon, Irma avait concédé aux sciences modernes la pose d’un stérilet, décidée qu’elle était à ne pas mettre des enfants au monde dans une époque qu’elle jugeait trop polluée pour les accueillir. Cela dit, moi j’aimais beaucoup les enfants et leur faisais confiance pour l’avenir de notre Terre. La paternité ne me faisait pas peur, bien au contraire… Quoiqu’il en soit, avec ou sans contraception, il y avait bien quelques mois qu’aucune gymnastique conjugale n’avait été pratiquée sous ce toit.

C’est précisément sur le fourneau, désespérément froid aujourd’hui, que je trouvai la petite bafouille d’Irma que j’avais failli manquer tant Ferran s’extasiait sur la maison et me bombardait de questions. J’ouvris l’enveloppe à mon nom et ne fus qu’à peine étonné du contenu :

 

« Salut Louis,

Je suis partie pour le Québec.Je me suis associée avec Jean pour y ouvrir un centre de consultation en diététique macrobiotique.

J’ai fait envoyer mes meubles et mes affaires il y a quelques jours.

Nous avons eu de bons moments mais tu sais aussi bien que moi que nous n’avons plus rien à nous dire. Bon rétablissement.Adieu. Irma ».

 

Je comprenais mieux l’enthousiasme d’Irma pour les séminaires de yoga et de méditation. J’identifiai la source de son langage parsemé de chacras, de chi, de ying, de yang. Je subodorai l’origine de mes maux de têtes passagers de ces derniers mois : à coup sûr l’éclosion d’une paire de cornes, tout bêtement. En quelques secondes, j’étais en train de vivre une crise d’hyperactivité de mes neurones. La bataille faisait rage dans mes circonvolutions cérébrales (que par ailleurs, sans avoir inventé l’eau chaude ou la physique nucléaire, j’estimais avoir assez frisées).

Ce fut donc avec un soupçon d’amertume mais sans vraiment de surprise que je constatai la défaite de mes certitudes, le Waterloo, que dis-je, le Pearl-Harbor de mes habitudes et de ma petite vie tranquille.

– ça va, hombre ?

 

La voix de Ferran me tira de mon état second. Je le regardai. Il me demanda si j’avais quelque chose à boire parce que, bon, je lui devais un trajet. J’acquiescai et descendis à la cave d’où je remontai avec deux bouteilles d’Humagne rouge. Nous ouvrîmes la première bouteille et nous nous affalâmes dans les fauteuils du salon. Après un moment de silence, j’éructai plutôt que je ne parlai, le premier :

 

– Qu’elle aille s’éclater les chacras au bord du St-Laurent ! que grand bien lui en fasse et qu’elle disparaisse de ma vie !!

 

– Voilà qui est bien dit, Louis. Sers –moi un autre verre et parlons d’autres chose. Vols bé ? tu veux bien ?

 

– Oui, je veux bien. Mais arrête de me mettre ton catalan ou ton espagnol à chaque trois phrases ou alors tu me les apprends une fois pour toutes.

 

– Qui sap ? quien sabe ? porque no ? empezamos ahora ? on commence maintenant ? C’est bon, d’accord, je t’embête. On continue en français sans rien de plus. Pour les cours, je t’enverrai mes tarifs.

Quelques heures et deux bouteilles plus tard, nous étions endormis, Ferran sur le canapé du salon et moi sur mon lit.

 

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Pietro n’eut pas le temps de boucler ses valises qu’un joyeux brouhaha envahissait sa chambre d’hôpital, vide de voisins depuis les départs successifs de Louis, Hans et Ferran . Joelle 9 ans, Aline 14 ans et Xavier 11 ans débarquèrent sourires aux lèvres et sacs d’école à la main, accompagnés de Christine, leur tante, sœur aînée de Pietro et promue nounou célibataire en chef depuis le veuvage de Pietro.

 

Passé le temps des embrassades et des retrouvailles avec ses enfants et sa sœur, Pietro s’étonna :

 

– Lucie n’est pas avec vous ?

 

– Non, répond Christine, on voulait justement t’en parler. Cela fait deux jours qu’on essaie de l’atteindre. On n’a pas osé la déranger au journal mais on pensait que tu savais où elle était.

Laissant sa sœur conduire, Pietro laissa 3 messages sur les répondeurs des téléphones fixes et portables de Lucie. Il s’inquiétait d’autant plus que Lucie , lors de sa dernière visite à l’hôpital, lui avait assuré qu’elle viendrait le chercher avec Christine et les enfants. Il savait qu’elle devait partir avec une collègue photographe dans une station de ski, mais il ignorait laquelle, pour un reportage sur les emplois saisonniers offerts aux jeunes. Cependant, les enfants étaient tous occupés à se couper la parole pour pouvoir raconter les dernières anecdotes de l’école, des copains, des voisins. L’attention qu’il leur devait et leur donnait, empêchait dans l’immédiat une montée trop forte de l’inquiétude grandissante que lui procurait l’absence de nouvelles de Lucie.

 

La soirée passa très vite. Les enfants avaient préparé un repas de fête et tout à la joie de retrouver leur père, lui racontèrent mille anecdotes concernant l’école et leur vie quotidienne avec leur tante pendant le séjour hospitalier de Pietro.

 

Interrompant les récits, Aline demanda à son papa s’il ne serait pas temps pour lui de changer de métier ou de demander, même à la police, un poste moins exposé qui lui éviterait ce qui venait de lui arriver. Elle vouait une admiration sans borne à son père qui non seulement lui apparaissait génial mais qui, en plus, trouvait toujours le temps pour l’écouter, la consoler, la faire rire, lui lire une histoire, la gronder quand elle dépassait les limites et lui donner, finalement, un cadre de vie le plus sécurisant et le plus chaleureux possible malgré le douloureux souvenir de la perte de sa maman. Il n’était pourtant ni son modèle ni son héros mais d’abord son père et avant toute chose il importait

qu’il restât un papa vivant.

 

– Tu sais Aline, la sécurité totale n’existe pas et je prends autant de risque en prenant le volant ou en partant skier avec vous qu’en exerçant le métier qui est le mien. En plus, tu me vois, vieillir derrière un bureau, moi qui ai déjà de la peine à faire ma déclaration d’impôts !

 

La gamine n’avait pas l’air convaincue mais elle savait aussi que son papa aimait son métier et qu’il l’exerçait avec beaucoup de plaisir, de conscience professionnelle et une éthique que personne ne remettait en question. Elle abandonna donc, pour l’instant, mais laissa bien entendre que le sujet n’était pas clos en ce qui la concerne.

 

Il était presque minuit quand les enfants s’endormirent et que Pietro pût enfin s’asseoir à son bureau.

 

Il tenta encore une fois, mais en vain, d’atteindre Lucie. Il luttait contre l’angoisse qui l’étreignait, contre cette peur panique de perdre encore une fois sa compagne. Il repensa à leur rencontre, aux trésors de tact et de patience déployés par Lucie pour apprivoiser les enfants tout en affirmant sa place de compagne de leur papa. Ils avaient prévu de vivre ensemble dès ce printemps : la maison était bien assez grande, les enfants en avaient bien accepté l’idée et Christine, sa sœur, pourrait ainsi souffler un peu. Elle prendrait le temps de vivre un peu plus pour elle et pourquoi pas, se trouver enfin un compagnon,

Lundi, ce serait aussi le retour au travail. Pietro savait par ses collègues, que son retour était très attendu : la police travaillait souvent en sous-effectif et l’absence d’un inspecteur était synonyme de surcroît de travail pour celles et ceux qui restaient. Et c’est dans les moments de surcharge, de fatigue extrême et de découragement qu’intervenaient les dérapages : la gifle qui part, le mot en trop, l’imprudence face à des délinquants qui, eux, n’avaient aucun état d’âme quant à l’usage de la force et de la violence. La médiatisation de ces « affaires » avait un influence néfaste sur le moral et l’engagement des policiers : on leur demandait d’être parfaits et le moindre écart, la moindre faiblesse pouvait devenir, si ce n’est dangereux pour leur propre sécurité, pour le moins, aux yeux du public et de la hiérarchie,une faute professionnelle grave. Cette exigence morale était souvent très stressante et lourde à porter ! A cela s’ajoutait un code de procédure pénale chronophage en démarches administratives, au détriment de la présence sur le terrain, et frustrant en matière de peines : les fameux « jours-amendes » faisait la part belle à la petite délinquance en permettant d’éviter trop souvent la dissuasion que constituait une peine ferme d’emprisonnement.

 

Pietro savait cependant aussi que la police, à l’image de l’ensemble de la société, comportait aussi des moutons noirs : des personnes qui exerçaient cette profession par goût du pouvoir ou qui, irrémédiablement bas du plafond, pratiquaient la généralisation de leurs préjugés quand ce n’était pas un racisme primaire.

 

Il suffisait d’une ou deux exceptions montées en épingle pour que le public affiche sa méfiance à

l’égard de l’ensemble des policiers. La police n’avait d’ailleurs pas le privilège de ce phénomène : il suffisait d’un pédophile, d’un maltraitant pour que, par exemple, l’on montrât du doigt l’ensemble des enseignants,des éducateurs, des moniteurs sportifs voire des ecclésiastiques. Et chez eux comme dans la police, il n’ y avait pas meilleur moyen pour démolir une personne innocente que de jeter une rumeur ou une accusation à l’appétit des médias. Et même si les accusations s’avéraient n’être que du vent, pour ne pas dire des flatulences malveillantes, l’honneur était blessé, la réputation salie et la douleur installée..

 

Il arrivait même, dans toutes ces professions « à risque » que certains chefs ou certains collègues se servent de ce procédé de bas-étage qui consistait à lancer une rumeur ou monter en épingle une erreur, pour régler des comptes personnels ou des différends professionnels.

 

En raison de toutes les règles qui régissent le statut des fonctionnaires il restait cependant très difficile pour la hiérarchie de se séparer de ces éléments dangereux ou de les mettre sur une « voie de garage », loin du terrain. Pour les collègues, les dénoncer restait une sinécure tant il est parfois vrai que le corporatisme bêlant l’emportait parfois sur la vraie solidarité et le « pas de vagues » sur les considérations éthiques.

 

Pietro en gardait un souvenir douloureux : il avait dénoncé, et fait sanctionner, à l’époque où il travaillait aux stups, un collègue coupable d’injures racistes régulières et de coups « gratuits »

 

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contre un requérant d’asile africain déjà arrêté et soupçonné de trafic. Une majorité de ses collègues d’alors l’avaient mis à l’écart au point qu’il était devenu impossible de continuer à travailler dans cette équipe et qu’il avait du demander un changement d’affectation.

 

( à suivre)

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