Suite, fin et épilogue de mon “feuilleton de l'été”
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Au coin de l’ordinaire chapitre 25: la fin

Ce vendredi, juste après la fin des cours, il devait être onze heures quarante-cinq quand Jean-Luc, le fils de Bernadette Souby-Roux, sortit du lycée le nez planté dans son Smartphone. Il y pianotait une recherche sur les vols transatlantiques à prix bradés, histoire de s’éloigner, l’été prochain et le temps d’un stage de 6 mois, d’une mère qu’il trouvait de plus en plus rigide, irritable, en un mot impossible à vivre.

 

A dix-neuf ans, le bac bientôt en poche, il avait envie de souffler un peu avant de reprendre des études. Restait à convaincre maman de délier les cordons de sa bourse, qu’il elle avait, par ailleurs, bien garnie.

 

Il s’engagea sur la route, en dehors du passage piétons évidemment, sans voir le bus de ville qui arrivait. J’attendais le feu rouge à cinq mètres de là quand je pris consciences de la situation. Je me précipitai, empoignai le jeune par les bras, et le tirai en arrière, in extremis, juste avant que le bus ne le renverse, Nous chutâmes lourdement sur le trottoir et ma cheville se tordit sur le côté avec un petit bruit bizarre, un peu comme quand on casse un élastique. Je voulus dire quelque chose mais ressentis une douleur aigue et fulgurante. Puis ce fut un peu comme si un avion me traversait la tête en tirant derrière lui un gros rideau noir. En résumé et très prosaïquement, je tombai dans les pommes et, en plus scientifique, je perdis connaissance pour ne pas affronter la douleur de mes ligaments déchirés.

Quelques secondes plus tard je voyais et j’entendais un grand jeune homme échevelé me répéter merci, merci, merci et me demander si tout allait bien.

 

– Vous m’avez sauvé la vie et c’est vous qui vous êtes fait mal. Je suis désolé. C’est de ma faute, j’aurais du ranger mon I-phone avant de traverser. Vous avez mal ?

 

– Ce n’est rien jeune homme, c’est la cheville. J’ai déjà déchiré les ligaments de la cheville droite en faisant de la varappe, il y a quelques années. La gauche a été jalouse et a voulu sa part. Si vous m’aidez à marcher, je vais appeler mon médecin . Il voudra faire une radio pour s’assurer qu’il n’y a pas de fracture mais je ne le pense pas. Si c’est comme la dernière fois, je suis bon pour vivre avec une attelle, un « air-cast » comme ils disent, pendant quelques semaines. J’aime mieux ça que d’annoncer à vos parents qu’un autobus vous a écrabouillé.

 

– Ne bougez pas, j’appelle ma mère. Il est presque midi, elle doit avoir fini son travail. Elle vous ramènera chez vous ou chez votre médecin.

 

– Ce n’est pas nécessaire…

 

– Ne discutez pas. C’est la moindre des choses que je peux faire pour rattraper ma bêtise.

Je m’assis sur un muret qui bordait le trottoir. Le jeune homme, après avoir appelé sa mère, prit place à mes côtés et nous étions en train de parler des dangers de la circulation urbaine quand une voiture se parqua juste devant nous. A mon grand étonnement, je devrais plutôt dire à ma grande frayeur, je vis Mme Bernadette Souby-Roux sortir du véhicule et se précipiter vers nous. Elle me reconnut et marqua un temps d’arrêt.

 

– Ah maman, ce monsieur vient de me sauver la vie. Je t’assure ! c’est vrai ! J’allais passer sous un bus quand il m’a empoigné et tiré en arrière. Nous sommes tombés et j’ai atterri sur sa cheville qui a l’air mal en point. Tu peux l’amener chez son médecin ?

 

– Pas de problème. Aide-le à monter dans la voiture et viens.

 

– Je ne peux pas maman. J’ai rendez-vous avec des copains pour terminer un exposé d’anglais et avec tout ça, je suis déjà en retard.

 

– C’est bon. On en reparlera ce soir. Mais je ne veux plus te voir avec ce téléphone dans la main quand tu traverses une route sinon je te le confisque. A 18 ans, tu devrais avoir l’âge d’éviter ce genre de connerie qui peut te coûter la vie. Ne me refais plus jamais ça. Tu as compris

 

– Oui maman….

 

Au coin de l’ordinaire chapitre 25: la fin

La directrice se contenta de me demander l’adresse de mon médecin et démarra sans un mot. Au fur et à mesure du trajet, je l’observai et vis qu’elle s’essuyait les yeux. Elle s’arrêta sur le parking du cabinet médical et tout d’un coup, éclata en sanglots.

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Hans ne savait plus où donner de la tête. Les soucis amoureux de sa fille tombaient mal. Il aurait voulu être plus présent, l’aider, l’accompagner. Certes Xhemile faisait plus que sa part auprès de leurs enfants, mais il aurait voulu faire plus. Mais vraiment, ce n’était pas le moment et il n’avait, objectivement, que tellement peu de temps.

 

La demande d’ installations de panneaux solaires thermiques et photovoltaïques augmentait à un rythme tel que les fournisseurs ne suivaient plus et Hans devait régulièrement affronter la frustration et la colère de clients mécontents des délais imposés par cette situation.

 

Il songeait sérieusement à passer le relais à quelqu’un d’autre et à laisser son entreprise pour ne se consacrer désormais plus qu’à la politique qui lui prenait déjà plusieurs heures par semaine.

Il faisait notamment partie d’une commission cantonale destinée à mettre en œuvre la promotion

des énergies renouvelables et l’économie d’énergie, à l’instar de ce qui faisait maintenant dans

tous les cantons et au niveau fédéral qui suivaient en cela une tendance déjà mondiale.

 

Au coin de l’ordinaire chapitre 25: la fin

En effet, la grande majorité des pays avaient agendé une sortie définitive du nucléaire et tout le monde travaillait d’arrache-pied pour éviter qu’une décision de sauvegarde de la planète ne se transforme en pénurie énergétique. Plusieurs chantiers étaient en route en parallèle et avaient créé des milliers d’emplois: le solaire, l’éolien, la bio-masse, le renforcement et le développement de ce qui pouvait encore l’être au niveau de l’hydro-électricité ainsi que le soutien aux recherches sur la meilleures transformation possible de l’hydrogène en carburant efficace et sécurisé. Les zones désertiques et ensoleillées se couvraient de panneaux solaires, les crêtes ventées et les rivages inhabités battus par les vents voyaient s’installer des centaines d’éoliennes, les estuaires des fleuves se garnissaient de barrages fonctionnant avec la marée.

 

Parallèlement à ce fourmillement technologique, de grands projets politiques donnaient des insomnies à plus d’un dirigeant politique .

 

L’uniformisation mondiale de la fiscalité n’était pas le moindre bouleversement possible : il permettrait de stopper l’évasion fiscale et donc, par ricochet, l’endettement des états. La place banquière helvétique avait quelque peine à prendre ce virage mais même au sein de ce milieu, certains clamaient haut et fort qu’il fallait se focaliser sur la qualité et la fiabilité du service et non plus sur l’accueil d’un argent que d’aucuns voulaient mettre à l’abri chez nous plutôt que de payer leurs impôts dans leurs propres pays.

On parlait aussi de transferts de technologies, de soutien obligatoire aux pays en développement, d’harmonisation du droit pénal et de beaucoup d’autres idées encore, toutes destinées à rendre notre monde plus solidaire et plus vivable pour tous.

 

Hans était enthousiasmé par tous ces changements et vivait avec passion l’impression d’en être, à l’échelle locale bien sûr, l’une des chevilles ouvrières. Xhemile partageait son enthousiasme et continuait , elle, de s’engager au niveau de l’accueil des migrants, même si leur nombre diminuait de manière notable. Elle accompagnait des familles dans le dédale des administrations communales et cantonales ou dans des démarches aussi triviales que celles d’inscrire les enfants à l’école, remplir leur déclaration d’impôt, faire leurs paiements mensuels.

Leur parti, le parti d’en rire, né il y a quelques années dans la foulée du mouvement des indignés, avait réussi le tour de force de devenir la locomotive des partis de gauche avec lesquels il partageait l’essentiel des valeurs, sans braquer pour autant la droite traditionnelle qui reconnaissait aux élus de ce parti un esprit pragmatique, une aptitude à la collégialité et une efficacité dans tous les exécutifs où il était représenté.

Tout cela faisait qu’ils n’avaient plus, ni l’un ni l’autre, beaucoup de temps pour les amis et les loisirs. Si nous continuions tous à partager un repas chaque deuxième samedi soir, chez Pietro et Lucie ou chez nous, nos deux amis ne pouvaient guère y participer plus d’une fois chaque deux ou trois mois.

 

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Ce jour-là, justement, on venait de lui demander de se présenter comme conseiller aux Etats pour représenter le canton au parlement fédéral. Ce statut de « sénateur » lui faisait un peu peur, lui qui était si proche des préoccupations des petites gens. Il décida d’appeler ses amis pour avoir leur avis et commença par moi. Mon portable sonna juste au moment où je me trouvais dans une situation assez incongrue pour moi : assis dans l’auto de la directrice de mon école sur le parking de mon toubib, la cheville douloureuse et regardant, sans savoir que faire, pleurer cette dame arrogante et autoritaire qui avait terrorisé mes collègues pendant des années. Je décrochai.

 

– Ah c’est toi Hans. On t’a demandé de te présenter aux élections. Mais c’est trop bien. Vas-y. Je t’assure. J’y crois. Mais est-ce que je peux te rappeler d’ici une heure ou deux parce que ce n’est pas tout à fait le moment pour en parler. Ce soir vers vingt heures ? OK. Sans problème, je t’appelle.

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Je me retournai vers Mme souby-Roux qui sanglotait effondrée sur son volant.

 

– Est-ce que je peux faire quelque chose ? Que se passe-t-il ? Votre fils n’a rien et tout va bien à part la malheureuse cheville d’un de vos subalternes qui ne demandera même pas d’arrêt de travail. J’ai donc un peu de peine à comprendre.

 

Elle poussa un gros soupir. Se moucha. Reprit son souffle et me répondit.

 

Au coin de l’ordinaire chapitre 25: la fin

– Vous n’y êtes pour rien. Ou plutôt si, c’est à cause vous. Vous sauvez mon fils alors que j’ai tout fait pour pourrir votre vie. Ce n’est pas vous qui m’avez agressé. Vous avez fait de la prison pour rien.

 

– Je sais, c’est ce fasciste de Golaz…

 

– Non, ce n’est pas lui. C’était un salaud, certes, et il avait beaucoup de sang sur les mains, mais ce n’est pas lui. C’est mon amant, Jérôme Reblochon qui a tenté à deux reprises de me tuer ou de me faire tuer pour pas que je ne révèle toutes les saloperies dont il s’était rendu coupable. Mais je l’aimais tellement, je voulais tellement qu’il quitte sa femme pour moi. J’ai même tué et fait tuer pour lui, pour qu’il garde sa position, son honorabilité, sa réputation, sa fortune. Vous ne pouvez pas comprendre. Je me fais honte !! Mais je n’en peux plus. Je vais finir en prison, je le sais mais au moins je pourrai me regarder dans un miroir et mes enfants n’auront pas à considérer leur mère comme une salope irrécupérable !

 

J’avais de la peine à suivre son discours et lui demandai d’être plus précise. Elle me raconta alors tout par le détail.

 

Je tombai des nues. Je n’aurais jamais imaginer ne serait-ce que le dixième de ce que j’entendais. Cela dura longtemps, vingt, trente minutes, une heure peut-être et j’avais même oublié ma cheville. Elle se tut et regardait fixement devant elle, la tête appuyé contre le siège de la voiture.

– J’ai un ami policier qui pourrait vous guider pour que vous puissiez redire tout cela de manière officielle tout en bénéficiant du maximum d’égards possibles face à une prévenue qui fait une déclaration spontanée. De plus, votre qualité de témoin volontaire dans plusieurs enquêtes en cours ne peut que vous rendre service. Seriez-vous prêt à répéter tout ça devant un juge ?

 

Elle ne bougea pas, ne me regarda même pas mais me dit d’une traite :

 

– Oui. Qu’on en finisse maintenant !

 

Je composai le numéro de Pietro. Lui expliquai brièvement de quoi il s’agissait en lui demandant de rappliquer illico s’il le pouvait. Il ne se le fit pas dire deux fois et m’assura qu’il serait là dans les dix minutes.

 

J’attendis en silence les huit minutes que dura le trajet de Pietro, de son bureau à l’endroit où nous nous trouvions. Je lui demandai de m’aider à marcher jusqu’à la porte de mon médecin et le laissai en compagnie de cette dame qui venait de provoquer chez moi le plus gros étonnement , si ce n’est de ma vie, en tout cas le plus important depuis de nombreuses années.

 

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L’interrogatoire de Mme Souby-Roux dura plus d’une semaine. Ses enfants furent placés dans la famille : elle avait encore son père et un frère marié qui se partagèrent la garde des enfants.

 

Au cours de son interrogatoire, elle livra quantité de détails, non seulement sur l’agression qu’elle avait subie mais aussi sur la série de meurtres inexpliqués et pour lesquels des enquêtes étaient encore en cours : sur les auteurs de braquages divers, des membres de la mafia albanaise engagés à dessein par Jérôme et Golaz puis liquidés par le tueur à gage russe qu’ils avaient engagé ; sur le légionnaire, auteur de l’agression de Lucie et du meurtre de son comparse, retrouvé avec une balle dans la tête près d’une usine désaffectée ; enfin sur le russe lui-même, défénestré par Mme Souby-Roux.

 

Tout cela, c’était sans compter les malversations comptables, les magouilles immobilières, les intimidations perpétrés par les deux complices. Elle ne cacha rien, ni de sa relation avec Jérôme ni de sa part de responsabilité dans certains des meurtres. Elle précisa même qu’on pourrait certainement retrouver ses empreintes au domicile du russe. Du coup, le décès de Golaz et de ses complices dans un soi-disant règlement de compte suivi d’un accident de voiture n’apparaissait pas aussi simple et le juge demanda que l’on reprenne l’enquête pour savoir si une intervention extérieure était plausible.

 

On retrouva le paysan qui avait croisé une tout terrain de luxe sur le chemin de montagne menant au chalet où Jérôme avait liquidé le trio. On ne tarda pas à faire la relation avec ce dernier, la marque et la couleur de sa voiture coïncidant avec celle de Reblochon. Pour compléter les preuves, la police

scientifique réussit à recomposer le numéro de série du Fass 90 retrouvé dans la voiture accidenté, le fusil d’assaut qui avait servi à tuer Golaz et ses complices. Ce fusil avait été acheté dans une armurerie d’une petite ville du canton de St Gall, près de la frontière autrichienne. L’acheteur était un certain monsieur Jérôme Reblochon qui avait participé, il y a trois ans , à un concours de tir dans la région et avait oublié son arme de service à la maison. Plutôt que d’en louer le temps du concours, il avait préféré en acheter une.

Toute l’enquête fut menée tambour battant mais en totale discrétion par quelques policiers de confiance, en collaboration avec la police valaisanne qui menait l’enquête sur le meurtre de la photographe et l’agression de Lucie.

 

Jérôme ne se doutait de rien. Il était juste contrarié de ne pouvoir atteindre Brigitte Souby-Roux : Il tombait toujours sur le répondeur et le secrétariat de l’école lui disait qu’elle était absente pour raison de santé.

 

Il fut finalement arrêté à son bureau, un matin, alors qu’il finalisait avec des clients, et en présence d’un notaire, la vente d’une résidence secondaire de luxe dans une station de ski. Il s’excusa poliment auprès de ses clients en les assurant qu’il s’agissait certainement d’un malentendu et suivit les policiers.

Par la suite, il protesta, nia, parla d’affabulations d’une hystérique déçue d’avoir été rejetée, invoqua ses relations politiques, sa respectabilité mais rien n’y fit : les interrogatoires se poursuivaient.

 

En ce qui concerne les meurtres de Golaz et des policiers ripoux, il tenta de donner comme alibi sa soi-disant réunion à Lausanne mais personne ne corrobora ses dires. Finalement, devant le nombre de preuves et d’évidences, il opta pour le silence et laissa parler son avocat. Tant les évidences de sa culpabilité étaient grandes que ce dernier lui conseilla de reconnaître les faits et de plaider la dépendance et la soumission intellectuelle et idéologique à Golaz : on ne risque rien à charger ceux qui ne sont plus là pour dire le contraire.

 

Son épouse tombait des nues. Si elle avait longtemps, si ce n’est partagé, du moins accepté les prises de positions racistes de son mari, elle était à cent lieues de se douter qu’il l’avait cocufiée toutes ces années et commis tous ces crimes.

 

Le coup fut rude comme il le fut pour Pierre même si ce dernier avait nettement pris ses distances face à l’idéologie de son paternel et avait, maintenant, la voie libre pour poursuivre, avec la bénédiction de sa maman, sa relation avec Resmije. Mais un père reste un père et être le fils d’un criminel connu n’est pas forcément un aide pour démarrer dans la vie, et cela, d’autant plus que cette situation s’accompagnerait très certainement d’un changement radical, vers le bas, des revenus familiaux. La fortune de Jérôme étant due pour une bonne partie à des pratiques immobilières douteuses sans

 

Au coin de l’ordinaire chapitre 25: la fin

compter toutes les fraudes au fisc que l’examen détaillé de ses affaires allait mettre à jour.

 

EPILOGUE

Vingt ans ont passé.

 

Jérôme Reblochon est décédé en prison dix ans après sa condamnation : Il a malencontreusement glissé sur un savon dans les douches et s’est brisé la nuque.

 

Bernadette Souby-Roux a été condamnée à une peine de 10 ans mais a été libérée pour bonne conduite après 6 ans. Elle est gérante d’un kiosque à journaux proche de la gare et habite un petit logement HLM dans la banlieue. Ses enfants avaient été confiés à son frère .

 

Son fils Pierre a épousé Resmije. Ils vivent au Sénégal, en Casamance, où Pierre travaille comme ingénieur agricole. Ses autres enfants habitent la région et lui donnent souvent ses petits enfants à garder. Elle ne parle jamais de son passé mais est devenue très proche de la veuve de Jérôme avec qui elle participe à un club de lecture et de réflexion organisée par une des paroisses catholiques de la ville.

 

Au coin de l’ordinaire chapitre 25: la fin

Hans et Xhemile sont à la retraite depuis plusieurs années et font régulièrement le voyage au Sénégal pour y rencontrer Pierre, Resmije et leurs enfants. Ils apprécient tous les deux de voir ce que le monde est devenu sous l’impulsion, entre autres, du mouvement des indignés initiés dans les années 2010 et des tenants, sinon d’un décroissance, du moins d’une croissance économique soumise aux exigences d’un développement durable, d’une justice sociale et d’une juste répartition des richesses et des ressources.

 

Les dictatures étaient tombées les unes après les autres sous la pression des peuples soutenus officiellement par l’ONU et concrètement par les pays dans lesquels les droits de l’Homme n’étaient pas une simple vue de l’esprit. Les tentatives de remplacer certaines dictatures par des théocraties ou des régimes militaires avaient fait long feu, les populations ne voulant pas du remplacement de régimes autoritaires par d’autres formes de dictatures, fussent-t-elles, il faut le reconnaître, parfois moins corrompues que les précédentes.

 

La liberté de croyance est pratiquement garantie partout. Et même si la culture et les croyances locales sont respectées, les non-croyants et les autres religions ne souffrent pas, ou presque plus, de discrimination et de persécutions. Les grands mouvements migratoires semblent s’être essoufflés depuis que les habitants des pays les plus pauvres retrouvent peu à peu l’espoir d’une vie meilleure chez eux avec tous les efforts internationaux faits pour accélérer le développement de ces régions autrefois dites défavorisées.

Certes, cet effort collectif avait impliqué aussi un changement de vision économique et il n’avait pas été facile pour les nantis d’accepter que l’époque de la croissance à tout prix et de l’enrichissement sans limite de certains soit révolue. Il y avait pourtant bien assez de ressources pour espérer voir la majorité des habitants de notre planète vivre grosso modo avec un niveau de vie des classes moyennes de nos pays occidentaux. Mais pour cela, il était devenu évident qu’il fallait prendre aux plus riches et ne leur laisser aucun endroit dans le monde où ils puissent soustraire leurs fortunes et leurs revenus indécents au fisc et au bien commun.

 

Au niveau énergétique, l’usage du pétrole et du gaz naturels sont sévèrement règlementés et ne sont pratiquement disponibles que pour un usage d’utilité publique. Il ne sont utilisés que par des services d’urgences ( transports aériens indispensables, police, ambulances, hélicoptères de sauvetage, groupes électrogène de secours dans les hôpitaux ou les centrales de télécommunications etc.).

 

Les véhicules vont beaucoup moins vite et fonctionnent à l’électricité ou à l’hydrogène. L’électricité, elle, provient de l’hydraulique, du solaire, de l’éolien auxquels s’ajoutent, selon les régions, les marées, le gaz de fermentation des déchets végétaux ou des déjections animales. Le chauffage domestique ne se fait plus que par des pompes à chaleur quand il n’est pas devenu carrément caduc par une conception optimale de l’isolation des maisons et de l’optimisation du rayonnement solaire.

Dans une grande mesure, on essaie de produire et de consommer sur place l’énergie produite mais certains pays riches en soleil ou très ventés, exportent aussi leur énergie. Les produits de consommation courante sont essentiellement transformés et consommés sur place. Les échanges internationaux indispensables et le tourisme lointain se font désormais presque exclusivement par bateaux, l’utilisation de l’hydrogène pour les moteurs d’avion n’étant pas encore vraiment fiable. Mais les gens, il faut le dire, ne se plaignent pas de vivre et de bouger plus lentement et de manière môns frénétique que celle qui a caractérisé la fin du vingtième siècle et le début du vingt-et-unième

L’augmentation du temps libre et la baisse du rythme de travail a certes ralenti la croissance économique, mais comme c’est le cas partout, cela ne porte que peu à conséquences sur le quotidien des gens.

 

Une fiscalité intelligente a permis de développer les pays les plus pauvres et par là, a considérablement ralenti les grands flux migratoires. Les ressortissants des pays autrefois défavorisés trouvent sur place de quoi faire vivre leurs familles. Dans la même foulée, le contrôle des naissances est devenue une réalité mondiale et freiné ainsi mis la démographie galopante qui caractérisait certains pays. La population vieillit un peu plus mais se renouvelle également de manière à ce que les ressources mondiales permettent à chacun de vivre décemment.

Les pays sont maintenant regroupés en fédérations par continents mais avec des lois fiscales et pénales similaires partout, ce qui ne laisse aucune place, ou si peu, pour l’injustice et l’arbitraire.

 

De très vieux conflits ont été résolus : ainsi, même Israël et la Palestine ne forment plus qu’un seul Etat, lui même membre de la fédération des états de l’Asie occidentale qui regroupe tout le Moyen-Orient et une bonne partie des républiques du Caucase. La Corée est réunifiée sous un régime démocratique. partout dans le monde, les dictatures sont tombées les unes après les autres, sous la pression de leurs peuples mais aussi faute de soutiens et de moyens financiers venus de l’extérieur. L’évasion fiscale n’est en effet quasiment plus possible de même que le blanchiment d’argent. Ainsi, les dictateurs et les despotes en herbes, les fanatiques de tout poil ou simplement les malfrats n’ont plus d’échappatoires.

 

Partout, les peines de travaux forcés d’utilité publique sont devenues la règle et coûtent moins cher à la collectivité que la prison dans l’oisiveté. Pour les individus très dangereux, un accord international a permis de réquisitionner un certain nombre d’iles désertes dans lesquels on exile ces gens là avec juste les outils qu’il faut pour en faire fructifier le sol et construire des abris.

 

Pour ce qui concerne la vie quotidienne par contre, presque partout en Europe et petit à petit dans les autres continents, le pouvoir politique a été fortement décentralisé, un peu à l’image de chez nous en

Suisse. Les régions peuvent ainsi mieux gérer, et plus souplement, les ressources, les échanges et l’aménagement du territoire à un niveau régional. Les habitants se sentent aussi plus concernés, participent plus aux prises de décision et s’engagent mieux dans les collectivités publiques.

 

Pietro a pris sa retraite et a fort à faire en tant que grand-père d’une dizaine de petits-enfants dont il assume, avec Lucie, une garde régulière deux fois par semaine. Ce sont nos voisins et en tant que tels, nous partageons beaucoup : quelques repas, la récolte de nos vergers respectifs, l’extraction du miel et le soin aux abeilles, des parties de cartes et des soirées de bavardages.

 

Ferran et Christine sont partis s’installer dans un petit village au pied des Pyrénées. Ferran a retiré sa caisse de retraite pour s’acheter un petit domaine composé de deux pâtures et d’un verger. Nous avons des rendez-vous hebdomadaires devant l’ordinateur que Ferran accapare beaucoup pour recevoir des conseils pour tenir son jardin. Il s’est lancé aussi dans l’élevage de chèvres et fabrique des fromages qu’il va vendre, avec ses fruits quand c’est la saison, sur les marchés. Christine a trouvé un poste d’infirmière à temps partiel à l’hôpital de Perpignan et la passion qu’elle a de son métier compense l’heure de route, matin et soir, nécessaire pour ces trois jours de travail hebdomadaire.

 

Nous habitons toujours notre ferme, même si elle a bien changé au cours des ans.

J’arriverai à la retraite d’ici une petite poignée d’années et Francesca me suivra un peu plus tard. Pour l’instant, nos professions respectives nous plaisent toujours autant même si nous apprécions toujours, et de plus en plus les moments tranquilles partagés en famille, ou avec des amis.

 

Nous avons eu deux enfants, deux filles, qui terminent leurs études et deviendront bientôt, pour l’une avocate et pour l’autre ingénieure en électricité solaire. Notre maison est chauffée par une pompe à chaleur installée avec une source trop proche de la surface pour être utilisée comme eau potable. Nous produisons notre électricité grâce aux panneaux solaires sur notre toit et à deux petites éoliennes. Nous vendons le surplus de courant en le remettant dans le réseau collectif.

 

Le terrain se partage entre les arbres fruitiers, les arbustes, le jardin potager et les fleurs que Francesca cultive pour sa boutique. Nos abeilles apprécient beaucoup cette végétation et nous remercient par le miel qu’elles produisent et qui est suffisant pour tenir une année et même pour en offrir régulièrement à nos amis.

 

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Sept heures quinze, ce matin d’octobre, sur l’autoroute, en chemin vers mon travail, vers Fribourg, ville moyenne de Suisse francophone, capitale du canton du même nom et dotée de jolis restes, soit une vieille ville médiévale enchâssée dans une boucle de la Sarine, cette rivière qui délimite peu ou prou la frontière des langues, entre le français à l’Ouest et au Sud et l’allemand au Nord et à l’Est.

L’été se fait la malle en douceur. L’automne laisse se couvrir les épaules, distribuait des couleurs aux forêts et de la nostalgie à nos soirées. Ce matin, les premiers rayons de soleil caressent tendrement la terre qui en rosit de plaisir, exhalant ça et là des soupirs de brumes suspendus au creux des vallons, le temps de l’aurore. Les dernières traces de la nuit étaient parties se noyer dans le lac, là-bas, très loin derrière moi.

 

La circulation est fluide, le ciel limpide et mon humeur au beau fixe. Je fredonne les mélodies que diffuse la radio entre deux débats et trois nouvelles de météo favorable, de création d’emplois et de coopération internationale fructueuse. Ma voiture à hydrogène dépasse presque les 80 kilomètres autorisés sur autoroute Je lève les yeux vers le rétroviseur et m’exclame :

 

– Non mais ! ça ne va pas la tête ! Qu’est-ce qu’il a à me coller au cul à cette vitesse. Il cherche la collision ce con ….

 

Et si l’utopie s’appelait simplement espoir…

 

Et si l’espoir n’était simplement que bonne volonté et bon sens…

 

                                          F I N

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