Suite de mon "feuilleton de l'été"
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Au coin de l’ordinaire chapitre 2

– Alors, on a bien dormi ?

 

J’eus à peine le temps de répondre que mes muscles abdominaux se crispèrent sous la douleur d’une piqûre. Je devais pourtant avoir l’habitude depuis environ trois semaines que j’étais là. Mais rien à faire : le réveil à la seringue ne sied pas à mon tempérament : il active les réminiscences du réveil en fanfare ou des cris du style « debout là-dedans » ou «diane debout ! » aboyés dans les chambrées de soldats.

En plus, au rythme de deux injections quotidiennes, mon épiderme ventral allait bientôt ressembler à un terrain de golf pour morpions.

Enfin, il paraît que l’anti-coagulant injecté permettait à mon sang d’éviter de ressembler à un petit-suisse arôme framboise, avec les morceaux, et par conséquent, d’éviter que lesdits morceaux n’obstruent l’accès à mon cœur.

Et comme j’avais des ambitions de centenaire, tant qu’à faire, autant souffrir la moindre pour y parvenir !

 

– Alors, ça va ? bien dormi ?

 

L’infirmière, charmante par ailleurs mais je n’avais pas la tête à le remarquer, répéta sa question.

 

– Très bien. Merci. Bonjour, et vous ?

La réponse était immuable. Je déteste passer pour un douillet, une petite nature. Je n’aime pas me faire remarquer non plus. Mais, avouons-le, je déteste encore plus dormir le dos, avec une jambe plâtrée immobilisée dans une gouttière de mousse synthétique et je dormais effectivement très mal. Par fierté, je ne me plaignais jamais.

 

De même, j’avais empoigné mes béquilles et m’étais levé au premier accord donné par le médecin. Je faisais ma toilette tout seul, aussi pénible que puisse être l’exercice, refusant de dévoiler à ces dames, aussi charmantes soient-elles, une intimité dont le seul usage qu’elles en feraient serait de la savonner. J’avais aussi la conviction que plus vite je donnerais l’impression de débrouiller tout seul pour tous ces petits aléas du quotidien, plus vite me serait délivré mon bon de sortie.

 

Je n’aime pas l’hôpital. Je n’aime pas me sentir protégé, pris en charge, pouponné, dépendant et envahi. A presque quarante ans, j’avais eu le temps de construire un farouche esprit d’indépendance. Un reste de bonne éducation m’interdisait cependant d’exprimer ma mauvaise humeur et de décevoir la cohorte du personnel soignant qui s’efforçait de rendre mon séjour aussi agréable qu’efficace en termes de guérison. C’est donc avec autant d’ardeur que de politesse et d’amabilités que je marquai ma volonté d’indépendance et affichai une bonne humeur et un optimisme digne du curé d’une banlieue industrielle athée s’essayant au prosélytisme actif.

Parti au travail il y a trois semaines, je m’étais réveillé à l’hôpital cantonal le même jour, quelques heures après une collision sur l’autoroute, avec une BMW blanche qui avait fait une embardée en me dépassant. C’est du moins ce que l’on m’avait raconté. Pour ma part, je ne me souvenais de rien excepté le fait que j’étais en train de conduire et d’anticiper mentalement, et avec impatience, le café qui allait précéder mon entrée en classe.

 

J’étais, en effet, depuis un certain nombre d’années, enseignant de Français, d’Anglais et d’Histoire, branches que j’essayais d’inculquer à des ados de 12 à 16 ans dont les intérêts, et c’est un euphémisme que de le dire, étaient à cent lieux du contenu de mes cours. Foin de précautions oratoires et disons-le simplement : plus d’une bonne moitié de mes élèves tentaient avec peine et sans beaucoup de conviction de réussir leurs examens mais se tamponnaient royalement le coquillage de la substantifique moelle de mes efforts pédagogiques.

 

Cela dit, mon métier me passionnait et s’il n’y avait la directrice, dont je vous parlerai plus tard, j’aurais pu aisément avoisiner le 95 % de satisfaction professionnelle !

Comme la plupart de mes collègues, je mettais la priorité dans le contact quotidien avec nos élèves en essayant d’utiliser au mieux ce que j’étais, ce que je savais bien faire, en n’arrêtant pas de me questionner avec humilité et en tentant de trouver, journellement, les meilleures réponses possibles

pour aider ces adolescents à apprendre et à se construire. J’étais assez lucide pour savoir qu’ils n’allaient pas s’enthousiasmer pour les matières que j’enseignais mais j’avais la faiblesse de croire que le peu qu’ils retenaient, associés aux efforts consentis, participaient à la construction de personnalités un tant soit peu plus curieuses, plus fortes, plus critiques et plus solidaires.

 

J’avais une réticence certaine face aux gens qui étalaient ou imposaient leurs certitudes et face à l’uniformisation et au calibrage des méthodes  (ne pas confondre avec l’harmonisation des programmes, qui elle, semblait nécessaire). Comme tout enseignant consciencieux, désormais promu « praticien réflexif »par la nouvelle terminologie, j’accueillais tout ce qui fait progresser nos compétences et celles de nos élèves pour autant que l’on nous laisse libre de ne garder que ce qui est pertinent dans l’action pédagogique.Tant que les théories ne devenaient pas dogmes, ni modes ni contraintes, je n’avais pas d’a priori négatif. Les querelles de chapelles pédagogiques, avec leurs cortèges de certificats de conformité et d’excommunications, m’ennuyaient profondément.

 

Il m’arrivait aussi de me demander quel lien reliait encore l’école à ces joutes polémiques médiatisées où se gaspillait autant de temps et d’énergie à manier l’invective avant le questionnement. Verbe haut, le petit doigt en l’air et l’air inspiré, les acteurs de ces bavardages stériles, aux antipodes d’un vrai débat profitable à tous, faisaient autant de bruit que le martèlement de tonneaux vides. Ce vacarme couvrait, occultait et facilitait même parfois, des risques graves pour l’école. Je pensais entre autres

choses aux tendances élitaires d’une école à deux vitesses et aux risques de privatisation, de démantèlement d’une école publique, gratuite, au service de tous et particulièrement des plus démunis.

 

La qualité, qu’es aco pour nous ? M’avait demandé un jeune collègue il y a quelques mois. Je me rappelai encore du regard à la fois étonné, sceptique et intéressé de mon interlocuteur quand, prenant l’accent du midi (que des liens de famille me permettaient de pratiquer sans trop d’efforts), je m’étais fendu d’un long monologue, en félicitant ce pitchoun de demander l’avis d’un papé quadra dans mon genre.

 

C’est, lui avais-je affirmé, d’abord un concept volatile et subjectif…

 

Et pécaïre ! Tu me poses là, mon nenou, une question à laquelle le mistral et la tramontane qui voyagent pourtant beaucoup, auraient peine à te répondre. Le concept même de qualité est on ne peut plus volatile et subjectif. Autant demander aux cigales de mettre en portées leur musique ou de disserter sur le sexe des anges, la psychologie des santons ou la sexualité des fourmis rouges en Patagonie occidentale.

 

Cependant, je veux bien essayer de te répondre, même si je ne suis pas très frisé des circonvolutions et que je suis bien incapable, comme certains prétendent le faire, de te pondre sur l’heure un traité, 20 directives et trois échelles d’évaluation sur le sujet, le tout avec la bouche en anus de gallinacé et l’air

triomphant que confèrent les grandes certitudes. C’est donc dans mon expérience de vie et professionnelle de vieil instit que je vais essayer de puiser quelques réflexions dont tu feras ce que tu veux.

 

La qualité, en tout premier lieu, tient d’abord à l’enthousiasme et à l’amour du métier qu’ont les enseignants : l’enseignant doit à ses élèves sa volonté sa capacité à transmettre, non seulement les connaissances nécessaires, mais aussi le goût d’apprendre, la curiosité, le sens critique, le sens de l’humour, le respect des autres, des règles de vie en commun et la solidarité. A partir de là, et c’est le minimum requis, on peut déjà parler d’école de qualité.

 

Mais pour qu’un enseignant entretienne ce feu sacré, il est évident qu’il a besoin de confiance, de reconnaissance, de soutien quand çà devient trop difficile, et de conditions cadres, comme ils disent, qui permettent cela. Les conditions cadres, dans notre pays et à notre époque, ce sont des effectifs vivables, des appuis, des structures spécialisées, des services auxiliaires efficaces et, bien entendu, la coopération avec les collègues dans la forme qu’il jugera seul et qu’ils jugeront ensemble, la plus efficace pour leur école et leurs élèves.

 

Enfin bref, laissons là l’école et les grandes interrogations pour revenir à une préoccupation plus urgente et quotidienne : trouver au moins quelques aspects positifs à ce temps d’hospitalisation.

Un des avantages de ce séjour hospitalier forcé était de ne plus croiser la directrice de mon école Mme Bernadette Souby. Ambitieuse, autoritaire, méfiante, cette dame paraissait persuadée de faire partie des notables régionaux et croyait sérieusement que les compétences étaient livrées (par le Saint-Esprit ?) en kit avec une nomination. Elle ne supportait pas de ne pas pouvoir tout contrôler, tout imposer et semblait regretter le temps où l’on punissait les crimes de lèse-majesté.

 

Son établissement ne comptait plus les enseignants victimes d’épuisement professionnels laminés par l’attitude autoritaire, cassante, intransigeante à l’extrême, de cette partisane du pouvoir absolu et de l’autocratie. Elle avait même réussi à provoquer une dépression chez le psy de l’école, c’est dire ! Bien entendu, on dénombrait aussi beaucoup de départs volontaires chez ceux qui jetaient l’éponge faute de pouvoir changer quelque chose. Il y avait aussi des parents d’élèves échaudés par le mépris et la colère froide qui accueillait leurs timides critiques de son mode de gestion ou la manière inimitable qu’elle avait d’éluder ses responsabilités. Et je passe sous silence un certain nombre de dysfonctionnements autrement plus graves dont nous ne parlions qu’entre nous et à voix basses de peur de perdre notre emploi.

 

Je sais, je sais, la lâcheté n’est pas une attitude qui nous honorait mais un emploi reste un emploi et personne d’entre nous ne voulait prendre le risque de le perdre. Le nom de jeune fille de l’«Apparition», comme nous la nommions entre nous, Roux, complète le tableau. Cette chère madame Souby-Roux,

directrice d’école de son état, ne déclenchait donc que des apparitions de peur ou des ricanements et le seul miracle attendu par ceux qu’elle considérait comme ses subalternes aurait été son départ.

 

Elle avait, bien sûr, comme tout le monde, des circonstances atténuantes : Des parents notables, des frères et sœurs bardés de diplômes et notables itou alors qu’elle n’est devenue que simple directrice d’école à la force du poignet (le poignet sert, entre autres usages, à tenir un téléphone et à entretenir des relations influentes…). Ajoutez à cela un mari volage qui l’avait laissée avec une grosse pension certes, mais surtout trois enfants dont deux en âge scolaire et un ado ,confiés la plupart du temps à une nounou autoritaire, sans compter une vie sentimentale qu’entre collègues, nous imaginions au mieux aride sinon complètement désertique. Le tout, évidemment ne semblait pas contribuer à appréhender la vie et les relations humaines avec confiance, sérénité et humour.

 

N’ayant de toute façon pas d’autre choix, je savourais donc pleinement l’instant et l’avantage de me trouver loin des problèmes posés par « l’Apparition » et la gestion calamiteuse de notre collège.

Ce n’est pas le cas de mes collègues qui s’abattaient presque chaque jour dès 17 h sur la chambre comme un vol d’étourneaux, laissant l’espace se remplir d’un joyeux ramage d’où émergeaient pêle-mêle quelques marques d’empathie à mon égard mais surtout les derniers ragots, les derniers jeux de mots et les plaisanteries destinées à exorciser la colère, la lassitude et la peur viscérale qu’ils avaient tous de « l’Apparition ».

 

Au coin de l’ordinaire chapitre 2

Mais l’hôpital ne se limitait pas aux visites et aux soins que l’on y reçoit. Pour passer le temps, je m’amusais à observer la vie de cette ruche à soins, de cette usine à guérir. Il y avait le rituel de la visite, où l’on peut admirer parfois quelques spécimens particuliers d’orgueilleux, d’envieux, de craintifs, de tyranniques, de courageux en observant la manière dont interagissaient les infirmières ,les médecins assistants, le chef de clinique et même parfois le professeur.

 

Je percevais, je sentais, les amitiés, les rivalités, les conflits de compétence, les jalousies. Je devinais et subodorais les avancements, les reculs et les cahots de la vie professionnelle ou affective des blouses blanches qui m’entouraient. Cela dit, j’étais très bien soigné et avais même découvert que soigneur était l’anagramme de guérison, ce qui, finalement, me sembla d’un bon présage.

 

(à suivre)

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