Suite de mon "feuilleton de l'été".
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Au coin de l”ordinaire chapitre 18

Les jours se rallongeaient. La neige avait migré en altitude. Les premières touffes d’herbe verte et parfois quelques perce-neiges et primevères pointaient le bout de leurs pétales.

 

Autour de la table, chez Louis, il y avait Francesca, Lucie, Pietro et sa sœur Christine, Hans et Xhemile, Ferran, Les enfants de Pietro étaient plantés devant la TV, ceux de Hans et Xhemile avaient d’autres occupations et n’étaient pas présents.

 

Dans l’enquête sur le meurtre du russe et de Bochud, Pietro avait tenté d’utiliser la piste proposée par Ferran. La voix, sur l’enregistrement retrouvé par le russe, semblait, d’après Ferran, appartenir à Jean-Marie Golaz, comptable et agent immobilier, mais surtout tête pensante locale du parti nationaliste, brasseur d’affaires et personnalité connue et respectée en ville. La hiérarchie de Pietro lui avait interdit d’aller plus loin. Il était hors de question d’impliquer sans preuve une personnalité sur les bases des affirmations d’un obscur traducteur free-lance, de surcroît sympathisant des écologistes du parti d’en rire et aux convictions libertaires connues.

 

Cette affaire se superposait à une autre, qui les préoccupait tous : l’accusation et l’emprisonnement de Louis pour l’agression de sa directrice. Ils étaient d’ailleurs réunis ce soir pour en parler avec maître Gonzato qui devait arriver sous peu.

Vers 19 h., Maître Gonzato frappa à la porte de la ferme et fit le point de la situation.

 

– La bonne nouvelle c’est que le juge hésite encore un peu vu l’obstination sincère et forcenée de Louis. La mauvaise c’est que nous n’avons rien non plus pour prouver son innocence, personne n’ayant été vu avant Louis chez la directrice. La femme de ménage dit bien avoir entendu une porte claquer quelques minutes avant qu’elle n’aperçoive Louis revenir sur ses pas et entrer chez la directrice. Mais beaucoup de monde peut passer dans l’école et ce n’est pas suffisant. Ce qu’il faudrait vraiment c’est que la directrice sorte du coma et parle. Mais d’après ses médecins, rien ne permet de dire que ça arrivera un jour.

 

– On pourrait peut-être faire croire qu’elle peut parler, hasarda Francesca, et faire réagir l’agresseur.

 

– Très bonne idée, enchaîna Ferran imité en cela par Christine, Hans et Xhemile qui se tournèrent vers Pietro qui était le seul à pouvoir faire quelque chose.

 

– Il faut d’abord que je convainque mon collègue de tenter le coup, et comme il est convaincu de la culpabilité de Louis, ce ne va pas être évident. Je vous rappelle que j’enquête sur les deux autres meurtres et que l’on me tient relativement à l’écart de l’enquête concernant Louis, vu nos liens d’amitié connus de mes collègues.

– On pourrait peut-être s’organiser entre nous, risqua Xhemile. Ce genre d’initiative a bien réussi à mes coreligionnaires qui ont fait arrêter les auteurs de l’attentat contre le palais fédéral. Ils n’avaient pas envie d’attendre, étaient bien placés pour agir et ils l’ont fait. Toi, Ferran. Tu as bien quelques copains journalistes qui pourraient nous filer un petit coup de main en diffusant la rumeur que la directrice est sortie du coma. Nous pourrions nous partager des tours de garde à l’hôpital et voir ce qui se passe. Pietro, tu te contenterais alors d’attendre notre appel et d’alerter tes collègues.

Christine , tu pourrais nous faire passer pour des journalistes qui enquêtent sur le monde

hospitalier et qui auraient besoin de le vivre quelques temps de l’intérieur.

 

– Cela ne me semble pas impossible. Je suis infirmière responsable et je peux tout à fait essayer de convaincre ma collègue du service où se trouve Mme Souby-Roux d’accepter la présence de journalistes. Il vous faudra simplement être crédibles et disposer de l’attestation officielle d’un journal.

 

– Je m’en occupe, déclara Ferran, j’ai un ami italien qui est journaliste d’investigation et rédacteur adjoint d’un hebdomadaire à Milan Il me doit un service et pourrait très bien prétendre mettre sur pied une enquête comparative des hôpitaux suisses et italiens en ayant recours à des enquêteurs de la région, en l’occurrence, nous !

– Tout ça, en espérant que ça déclenche quelque chose, conclut Hans, ce qui n’est pas gagné d’avance !

 

– Arrête de faire le pessimiste de service, répondit Xhemile. Je te rappelle que c’est toi qui me disais il y a quelques semaines, quand je désespérais de la mort de Samir et encore plus de le savoir assassin, qu’il fallait aller de l’avant et ne pas se laisser abattre !

 

– OK, OK j’ai compris…

 

– Moi, tout ça me fait encore peur, ajouta Lucie. Je n’arrive toujours pas à me souvenir de mon ou de mes agresseurs qui sont aussi les assassins de mon amie Asunta. Je ne sais pas si ce Samir était tout seul ou s’il y en avait d’autres. Je commence tout juste à me rappeler les moments qui ont précédé l’agression. Je pense souvent à Asunta et la revois enjouée, dynamique et heureuse et ça me fait encore mal. Je vous approuve, je veux aussi soutenir Louis, mais ne m’en voulez pas si je ne participe pas et ne joue pas à la journaliste. Je n’ai d’ailleurs pas besoin de jouer : je suis journaliste. Mais pour le moment je suis une journaliste en arrêt maladie et pas capable de grand chose sinon de vivre simplement, avec Pietro, avec les enfants et de me reconstruire.

 

Pietro intervint :

Pietro intervint :

 

– Je n’aurai jamais voulu que tu prennes le moindre risque et je crois que nous sommes tous d’accord que tu as, d’abord, besoin de paix et de tranquillité. Pour ma part, si je ne peux pas convaincre mon collègue, vous comprendrez bien que je ne peux pas risquer ma place en participant à cette initiative, Mais je pense que c’est une bonne idée et vous encourage à la tenter de toute façon.

 

Les autres opinèrent puis la conversation se poursuivit , laissant petit à petit apparaître les détails de ce qu’ils avaient convenu d’appeler

« l’opération LLD » comme « Louis Libre Demain ».

 

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– Cette fois ça suffit ! On a déjà assez de morts sur la conscience et, de toute façon, elle est dans le coma et ne va pas se réveiller.

 

– Tiens, j’ignorais que tu avais une conscience. Je te rappelle d’abord que ce ne sont que les dommages collatéraux de la mission que doit se donner le parti. Ensuite, accessoirement, il y a encore une chance de renverser la vapeur au niveau des élections communales, de te faire élire et d’empêcher la transformation de l’usine en centre d’accueil. Et avec l’achat de l’usine et le complexe de lofts et

d’appartements de luxe que tu vas y construire, imagine un peu combien tu vas gagner sans compter ce que le parti palpera au passage grâce à ta légendaire générosité !

 

– Des fois tu me fais peur Jean-Marie ! Tu ne te rends pas compte qu’on peut finir notre vie en tôle ?!

 

– Bien sûr que je m’en rends compte. Mais qui ne risque rien n’a rien et nettoyer la Suisse de tous ces métèques est une mission sacrée qui vaut la peine de vivre avec quelques petites peurs.

 

– Ton homonyme, le fameux Pilet-Golaz, qui faisait des risettes à Hitler , tout prêt à lui ouvrir la porte du pays, serait fier de toi…

 

– Tu es mal placé pour ironiser. Qui est-ce qui a tout décidé, tout organisé, pour le confort de monsieur le député, monsieur le promoteur et accessoirement pour la cause ?

 

– Je suis conscient de ce que je te dois mais là, c’est inutile. Je ne vais pas faire achever Bernadette. Je ne peux pas. Et de toute façon, elle ne pourra plus jamais rien dire.

 

– C’est toi qui le dis. Mais je te préviens que si j’entends le moindre signe de réveil de mon informateur à l’hôpital, c’est moi qui prendrai les mesures nécessaires.

– Fais ce que tu veux, je ne veux pas le savoir.

 

– Facile…

 

– Peut-être. Mais en attendant, ici, tu es officiellement mon employé et je te paie pour tenir ma comptabilité. Et tu vas t’y mettre maintenant parce qu’avec toutes ces conneries, tu as pris un sacré retard.

 

– Très bien, vénéré patron, tout de suite monsieur ! Mais je te signale juste en passant, de ne jamais oublier qui est le chef en dehors du bureau et pourquoi…. !

 

Jérôme sortit du bureau en claquant la porte, marmonna à la secrétaire qu’il avait rendez-vous avec un client et s’engouffra dans la cage d’escalier qu’il descendit quatre à quatre.

 

Il avait promis à son épouse de l’emmener au restaurant , histoire de lui faire oublier ses nombreuses absences et d’étouffer les éventuels soupçons qu’elle aurait pu avoir. Avant, il voulait discuter avec Pierre, son fils, et le dissuader une fois pour toute de fréquenter ses copains Cap-Verdiens qui lui distillaient ces idées malsaines avec pour conséquences que Pierre supportait de moins en moins le discours du parti de son père.

La discussion avec Pierre avait tourné court. Il ne voulait rien entendre et ne supportait pas que son père critique ses amis. Au contraire, il avait tenté vainement de convaincre son père que la xénophobie n’amenait à rien, sinon à plus de malheur pour tout le monde. Pierre était parti dans sa chambre en claquant la porte et Jérôme s’était changé pour emmener son épouse dans un restaurant chic du centre-ville.

 

L’épouse de Jérôme, étonnée de ce revirement et de l’intérêt que lui portait à nouveau son mari, adopta une gaîté de circonstance et laissa la conversation glisser vers des futilités, sentant confusément que Jérôme, pourtant tout attentionné en apparence, n’était pas vraiment présent.

 

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Le temps en prison, a une consistance. J’avais l’impression de pouvoir le toucher. Il était épais, urticant. Les minutes, telles des feuilles d’ortie sur mon ressenti temporel, me brûlaient et entamaient ma patience. Je lisais, bien sûr. J’ai toujours aimé ça. Mais jamais je n’y été contraint par cette absence de liberté, cette oisiveté forcée de plus en plus lourde, de plus en plus insupportable. J’essayais de m’échapper en me raccrochant à de petits détails pratiques : comment se passaient les choses à l’école ? Avait-t-on trouvé un remplaçant ? qui avait repris la direction ? qu’avait-t-on dit à mes élèves ? Ils me manquaient ! Qu’allai-je leur expliquer quand tout serait fini, pour autant que cela finisse un jour ?

Je vivais les visites de Francesca comme un bol d’oxygène vital. Elles étaient aussi fréquentes que l’autorise le règlement de la prison pour les prévenus, c’est à dire rares !

 

Parfois elle laissait sa place aux amis : Ferran, Hans et même les enfants de Pietro. Ce dernier n’avait pu me rencontrer que deux fois, et uniquement en présence de son collègue chargé de l’enquête, sa hiérarchie l’ayant jugé trop proche de moi pour l’autoriser à venir seul.

 

En plus, rien ne se passait : je n’avais vu le juge que trois fois et n’avais aucune nouvelle quant à mon inculpation et à fortiori quant à la date d’un éventuel procès.

 

Je voyais parfois mon avocat, bien sûr, mais il ne pouvait rien faire d’autre que de croire en mon innocence, me remonter le moral et multiplier les démarches pour accélérer la procédure.

 

A ma grande surprise, le quasi mécréant que j’étais avait apprécié de rencontrer les aumôniers. Il y avait un prêtre catholique d’un âge certain, un jeune pasteur de l’église réformée et un imam d’origine syrienne, proche du soufisme. Ces trois-là n’étaient ni prosélytes ni missionnaires. Ils écoutaient d’abord, et quelles que soient les convictions religieuses des prisonniers qu’ils rencontraient.

 

Parfois ils parlaient de leur foi et de la force qu’elle leur donnait. Mais jamais je ne les avais entendu émettre le moindre jugement sur les non croyants ou les fidèles d’autres religions.

Ils croyaient en en Dieu unique, en l’Homme et en la miséricorde divine. Je les avais interrogé sur les positions de leurs religions face aux intégrismes, au terrorisme, à l’avortement, l’homosexualité, le célibat des prêtres et les risques de pédophilie qui y sont liés. Aucun ne s’était défilé et chacun m’avait expliqué ses positions qui étaient, à mon grand étonnement, plus proches des miennes que celles, par exemple, de la hiérarchie catholique, des pontes des églises réformées ou des dirigeants de certains pays dits musulmans.

 

En tant que chrétien, je leur avais dit ma révolte devant le pape qui refuse de condamner un évêque intégriste raciste ou continue de prêcher l’abstinence sexuelle, même dans un continent ravagé par le sida comme l’Afrique. J’avais fait de l’ironie grinçante en parlant des hystériques évangélistes qui veulent soigner les gays, assassiner les médecins pratiquant l’IVG, bannir les fées et les sorcières des livres d’enfants ou bouter les musulmans et les athées hors des terres chrétiennes.

 

Je leur avais dit ma crainte et mon mépris des musulmans intégristes qui prônent la charia, cloîtrent leurs épouses ou justifient la djihad. A tout cela, ils avaient souri et d’un commun accord et m’avaient affirmé que l’amour et l’accueil du prochain était le principal message du Christ mais aussi d’Allah. Tout le reste, cette prétention à l’exclusivité de la vérité, ces vociférations dépassées, étaient à cent lieux ce qu’ils considéraient comme une attitude chrétienne ou celle d’un islam authentique. Pour ces hommes de Dieu, les terroristes d’Al Quaida ou les intégristes chrétiens ne représentaient, Dieu merci, ni ni le christianisme ni l’Islam, et n’en étaient que de tristes et dangereuses caricatures .

Enfin bref, ils m’auraient presque réconcilié avec la religion et j’appréciai ces moments de partage qui me faisaient oublier le lieu où je me trouvais. Entre les conversations occasionnelles avec les aumôniers, les visites de Francesca et celles de l’avocat, bien trop courtes et trop rares, j’essayais de me redonner de l’espoir et de doucher à l’eau froide la révolte qui me brûlait.

 

Parfois, je me demandais si je ne devais pas tenter de m’évader et de trouver par moi-même le moyen de me disculper. Cette attente, ce temps visqueux qui s’écoule à travers un sablier trop étroit, ce sentiment de ne rien pouvoir faire, tout cela me rongeait ! Je ne savais pas si je pourrais faire preuve de la patience dont m’adjuraient Francesca, mes amis et mon avocat.

 

Plus les jours passaient, plus cette idée prenait de la place au point que j’en venais à faire des plans d’évasion et recensait les planques possibles à l’extérieur d’où je pourrais, si ce n’est mener ma propre enquête, mais en tout cas attendre libre la fin de ce cauchemard.

 

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Ferran était fatigué. Depuis plus d’une semaine, il jouait, en alternance avec Xhemile, le journaliste enquêtant en milieu hospitalier. Voilà une semaine également qu’avec l’aide d’un ami journaliste, il avait orchestré une soi-disant fuite d’information concernant une sortie du coma de Madame Souby-Roux, La nouvelle avait aussitôt été démentie par les médecins qui, 3 jours plus tard, avaient du la confirmer , la patiente ayant en effet donné des premiers signes de vie en regardant une infirmière

et en disant simplement « pourquoi ».

 

Pietro n’avait pu convaincre son collègue de l’opportunité de l’initiative des amis de Louis mais avait obtenu de ce dernier qu’il ferme les yeux. De toute façon, l’enquête piétinait, sans véritable preuve supplémentaire ni aveu de la part de Louis qui s’obstinait à marteler sa version des faits à chaque interrogatoire, qu’il fût le fait de Musy ou du juge d’instruction.

 

A tout prendre, cette surveillance ne coûtait rien et lui permettrait, si par hasard il en ressortait quelque chose, d’en tirer les bénéfices sans en avoir pris les risques. Il avait même accepté de couvrir la pose d’un petit émetteur dans la chambre de la Souby-Roux, ce qui autorisait Ferran et Xhemile à surveiller les lieux tout en pouvant se mouvoir dans l’hôpital comme l’auraient fait de vrais journalistes.

 

De son côté, Pietro continuait son enquête sur les meurtres du russe et du « légionnaire » . Dans ce cadre, il s’était arrangé avec le même journaliste ami de Ferran, pour que ce dernier procède à une enquête filmée sur l’état des lieux du parc immobilier urbain. Il devait, pour cela, interroger entre autres les dirigeants de l’agence immobilière dont Ferran avait cru reconnaître la voix de l’un deux sur la bande magnétique retrouvée au domicile du russe assassiné. Il attendait les vidéos du journaliste pour les montrer à Ferran et pour comparer la voix de la cassette avec celle du possible suspect.

Il était presque dix-huit heures et Ferran attendait avec impatience dix-neuf heures et l’arrivée de Xhemile qui devait prendre le relais pour « suivre une équipe hospitalière » pendant la nuit. Il se réjouissait surtout de retrouver d’ici une heure, Christine, la sœur de Pietro.

 

Ils s’étaient vus régulièrement depuis que Ferran avait assumé la garde des enfants pendant quelques jours et encore plus depuis qu’il jouait les journalistes à l’hôpital. Officiellement, comme infirmière chef, Christine était chargée de guider et d’introduire les deux « journalistes « dans les différentes équipes de soins. Ils avaient partagé quelques repas et beaucoup de confidences. Ils avaient en commun une vision du monde actuel assez pessimiste. Ils nourrissaient cependant un espoir à la mesure de leur déception et de leurs craintes face à une planète dont l’avenir semblait plombé par l’appât du gain, le chacun pour soi, le fanatisme religieux et les rigidités idéologiques.

 

Ils constataient ensemble le gaspillage inouï produit par le consumérisme forcené, la pollution qui semblait inéluctablement envahissante et une répartition si injuste des ressources naturelles et des biens que l’on ne pouvait que craindre une confrontation violente entre pays riches et pauvres. Le terrorisme et l’immigration clandestine massive ne représentaient que le début des conséquences de l’aveuglement égoïste des partisans de la croissance à tout prix et de l’injustice sociale instaurée en système économique : on ne rêve pas de se venger, on ne devient pas fanatique pas plus que l’on ne quitte pas son pays si la vie qu’on y passe est satisfaisante !

Ils étaient tombés d’accord sur ce qui leur paraissait essentiel pour la majorité des habitants de cette planète : pouvoir travailler, manger à sa faim, se loger décemment, être en sécurité, bénéficier d’une bonne éducation pour leurs enfants et de soins efficaces en cas d’ennuis de santé, aimer et être aimés, rire, créer, se distraire en dehors du travail. Et notre terre recelait assez de richesse pour permettre à tout un chacun de vivre de cette manière y compris en préservant notre environnement pour que cela reste possible pour les générations futures.

 

Il devait être dix huit heures trente quand le petit écouteur de Ferran se déclencha : quelqu’un entrait dans la chambre. Comme à chaque alerte, Ferran se hâta de rejoindre l’étage supérieur et se retrouva devant la chambre.

 

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J’avais l’impression d’être le personnage d’un film d’aventures ou d’un roman. Mes mains accrochées aux barreaux, je regardais dehors. Ma cellule, vétuste et située dans la partie la plus ancienne de la prison, ne donnait pas sur la cour mais directement à l’extérieur, sur une ruelle peu fréquentée dont j’enviais les quelques passants, libres d’aller et venir. De rage je secouais les barreaux de toutes mes forces. C’est alors que j’entendis un craquement étouffé semblable à des miettes de pain sec que

l’on écrase. Je constatai qu’une fine couche de poussière s’était répandue au bas de deux des cinq barreaux verticaux qui équipaient ma cellule. Je renouvelai l’expérience et secouai à nouveau les tiges de métal qui semblaient pourtant scellées dans le mur pour l’éternité.

Après une bonne demie heure d’efforts j’avais réussi à désolidariser du mur le bas des trois barreaux du centre et j’entrepris de faire pareil avec le haut. Il y avait là largement assez d’espace pour qu’une personne puisse se glisser à l’extérieur.

 

Il devait y avoir quatre ou cinq mètres de vides jusqu’à la ruelle : trop pour sauter mais assez pour se laisser glisser le long de mes draps torsadés pour autant que ce que je n’avais vu faire que dans les films d’aventures de mon enfance s’avère possible pour moi.

 

Je remis les barreaux en place, utilisant des chewing-gums à la fraise pour les faire tenir provisoirement. Je bénissais ce cadeau providentiel des enfants de Pietro, transmis par Francesca à sa dernières visite. J’avais besoin d’attendre en tout cas la nuit et surtout de me donner le temps de décider, ou pas, de prendre le risque d’une évasion.

 

A vingt heures, j’avais pris ma décision. Je ne supportais plus d’attendre ici une preuve de mon innocence qui ne viendrait probablement jamais et de risquer un procès où j’en prendrai au bas mot pour 10 ans !

La perspective de passer des années seul et dans ces conditions m’apparaissait insupportables et en tout cas bien plus menaçante que de prendre le risque d’une évasion, de me faire prendre, de me retrouver à l’isolement ou de me blesser en chutant.

 

Il y avait une ronde à vingt et une heures puis peu avant minuit. Entre les deux, j’avais largement le temps de déchirer mes draps, de les tresser et de les accrocher à l’un des barreaux encore scellés en priant pour qu’ils supportent mon poids.

 

A vingt deux heures quinze, tout était consommé : j’étais dans la ruelle que je remontai en courant. Mon plus gros souci était le drap qui pendait à la fenêtre de la cellule et qui ne tarderait pas à être découvert même si les passants étaient rares et que ma cellule donnait sur l’arrière de la prison.

 

Dix minutes plus tard, je sonnai chez Francesca. Par bonheur elle était chez elle.

 

– Mais qu’est-ce qui se passe ? ils t’ont enfin libéré ?

 

– Non, je me suis tiré ! Viens ! prends ta voiture, ton passeport, du fric et on part, tout de suite ! Je t’expliquerai en route.

 

Au coin de l”ordinaire chapitre 18

Une heure plus tard, après un arrêt rapide et risqué à mon domicile pour y récupérer de l’argent et mes papiers d’identité, nous étions en France, près de Pontarlier, après avoir passé une petite douane franco-suisse où, accords de Schengen obligent, ne brillait même pas l’ombre d’un képi ou d’un uniforme.

 

– On va où maintenant, hasardai-je ?

 

– Les Cévennes, tu connais ? demanda Francesca.

 

– Non, pas vraiment.

 

– Moi oui, et c’est là qu’on va. Et crois-moi, je connais un endroit où personne ne viendra te déranger. Alors tu prends le volant et je te guide. Et ne t’endors pas, on en a pour cinq à six heures de route au minimum.

 

( à suivre)

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