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Ils attendaient au froid depuis presque deux heures à l‘entrée d’un immeuble vétuste de la vieille ville. Il y avait Azad, Ali, Osman, Enver, Mamadou. Il y avait aussi Fritz, un chrétien de leurs amis qui ne supportait pas non plus que l’on tue et l’on opprime au nom de Dieu, que ce soit le Dieu des chrétiens, des juifs ou des musulmans. Ils étaient d’origine kurde, algérienne, turque, sénégalaise et bernoise. Ils avaient en commun leur foi mais aussi la conviction que l’Islam, comme la plupart des autres religions d’ailleurs, pouvait être une religion de tolérance, de lumière et d’ouverture aux autres. La charia et l’oppression des femmes par exemple, n’avaient pour eux rien à voir avec leurs convictions religieuses et n’avaient pas leur place dans l’Islam actuel. Les fanatiques qui manipulaient de pauvres gens crédules pour en faire des terroristes volaient leur religion aux vrais croyants et la salissaient par ces convictions fanatiques et ces actes de violence que les trois amis jugeaient impies. Ils savaient tous aussi que les sources du terrorisme se trouvaient dans l’injustice et les énormes disparités économiques entre les gens et entre les pays et non pas dans les différences religieuses . On ne recrute pas des fanatiques et des assassins parmi des gens heureux, mangeant à leur faim et vivant dignement !

 

Ils ne supportaient plus l’intégrisme violent dont le corollaire était bien évidemment la montée d’une islamophobie galopante dans les populations de culture chrétienne. Ils pensaient que chaque religion a sa place dans notre pays et dans le monde en général à partir du moment où l’on accepte les autres croyances, les autres convictions y compris l’athéisme. Ils croyaient à la cohabitation des croyances et à la primauté du civisme et des droits humains sur les religions.

Depuis des mois, clandestinement mais avec l’aide d’une grande majorité des musulmans de ce pays, ils menaient l’enquête dans les mosquées et les centres islamiques pour identifier les fanatiques et les surveiller.

 

Depuis peu, ils connaissaient les auteurs de l’attentat au palais fédéral dont l’un d’entre eux s’était imprudemment vanté de le préparer lors d’une réunion informelle après une prière à la mosquée de Genève. Il avait expliqué non sans fierté comment ils avaient l’intention de dissimuler sous leurs vêtements des explosifs qu’ils allaient ensuite disséminer dans des recoins du palais lors d’une visite touristique. Osman, qui habitait cette ville, en avait informé ses compagnons qui l’avaient encouragé à maintenir le contact avec ce bavard tout en informant la police fédérale de ce qu’ils avaient appris. Les fonctionnaires fédéraux leur avaient pratiquement ri au nez et les avait sommé de décliner leurs identités et de venir à Berne remplir toute une série de formulaires pour étayer et prouver leurs soupçons. Ils avaient donc abandonné l’idée d’avertir la police préférant agir seuls dans un premier temps .

 

De fil en aiguille, Osman flattant le terroriste, ils avaient appris que les trois auteurs de l’attentat devaient rencontrer leur commanditaire dans notre ville, ce soir-même. Par contre, ils n’avaient jamais pu obtenir une date précise quant à l’attentat qui les avait surpris, comme tout le monde, il y a quelques jours.

Ils avaient organisé une filature discrète du type repéré par Osman avec l’aide de plusieurs fidèles des mosquées de Genève, Lausanne et Fribourg. Ce soir, leur patience allait, enfin et avec un peu de chance être récompensée : Leur « cible » ainsi que 2 inconnus avaient pénétré dans l’immeuble depuis maintenant plus de deux heures. Fritz avait joué l’habitant de l’immeuble qui descendait de chez lui pour repérer dans quel appartement ils étaient entrés. Ils étaient équipés de gourdins, de sprays au poivre, de cordes et de menottes et comptaient sur la surprise pour neutraliser et empaqueter ces assassins.

 

A seize heures et cinq minutes, quatre hommes, dont celui qu’ils connaissaient, sortirent en même temps de l’immeuble.

 

Immédiatement, ils se ruèrent sur les quatre individus qu’ils attaquèrent à coup de gourdins sur la tête. Trois des terroristes furent assommés au premier assaut. Le quatrième sortit un pistolet et fit feu. Fritz, touché à la poitrine, s’écroula. Avant que l’homme ne se retourne , un coup de bâton sur le poignet lui fit lâcher son arme et un deuxième, presque simultané, porté à la base du crâne, lui fit perdre connaissance. Pendant qu’Ali appelait la police et l’ambulance, Osman soutenait Fritz qui perdait beaucoup de sang et Azad attachait les poignets et les jambes des trois individus inanimés.

 

Quinze minutes plus tard, les secours étaient là. Fritz, toujours dans le coma malgré les tentatives des ambulanciers pour le réanimer, était en route pour l’hôpital. Les trois amis répondaient aux questions

des policiers dont une partie venait de monter à l’appartement, désigné par Osman, d’où venaient de sortir les quatre terroristes. Ces derniers reprenaient conscience et celui qui paraissait être leur chef se plaignait aux policiers d’avoir été agressé alors qu’ils sortaient de son logement avec trois amis venus lui rendre visite et exigeait d’être détaché. Le policier à qui il s’adressait, le plus gradé sur place, eut la présence d’esprit d’attendre le retour de ses collègues montés à l’étage avant d’entériner cette version de la simple agression. En effet, l’histoire racontée par Osman et ses camarades semblait tellement grosse et invraisemblable qu’il avait de la peine à y croire et penchait plutôt pour la version de l’agression crapuleuse, les quatre terroristes présentant , par leur habillement, un aspect d’hommes d’affaires et de citoyens respectables. Mais dans le doute, il préféra attendre.

 

Il ne regretta pas son hésitation au retour de ses collègues qui n’avaient eu aucune peine à trouver du matériel de propagande islamiste intégriste, un brouillon de la revendication de l’attentat au palais fédéral ainsi que deux ordinateurs dont il imaginait que ses collègues de la sûreté ainsi que de la police fédérale allaient certainement faire bon usage. Il décida néanmoins d’embarquer tout le monde au poste et de laisser les inspecteurs se débrouiller avec tout ça.

 

Les jours suivants, cet événement prit une dimension nationale et même internationale. En effet, grâce aux ordinateurs saisis, les polices cantonales purent effectuer une série d’arrestations mais furent également en mesure de transmettre toute une série de renseignements sur un réseau terroriste à l’échelle européenne, aux polices espagnole, française, allemande, belge et britannique.

Dans chacun de ces pays, plusieurs interpellations donnèrent des résultats inespérés : caches d’armes, explosifs, matériel informatique.

 

En Suisse, cela eut des conséquences politiques immédiates : On considérait les quatre amis comme des champions de la lutte contre le terrorisme. Le fait qu’ils soient d’origine étrangère, de surcroît de confession musulmane et que le seul suisse, encore entre la vie et la mort, fasse partie des milieux qui défendent les demandeurs d’asiles et les réfugiés, tout cela contribua largement à démonter et à démentir l’amalgame étrangers – terroristes – délinquants aboyé régulièrement par les milieux nationalistes. Les nationalistes commençaient à réaliser qu’ils allaient sérieusement baisser en popularité lors des élections fédérales de l’année prochaine de même qu’aux élections cantonales programmées dans certains cantons pour cette année déjà.

 

Les suisses découvraient presque avec étonnement qu’il existait des musulmans modérés qui ne demandaient qu’à vivre en paix, en bonne entente avec leurs voisins d’autres confessions et pour qui la charia, le voile intégrale, le mépris des droits des femmes n’avaient plus leur place au vingt et unième siècle et leur apparaissaient même contraires à leur foi et hautement dommageable pour l’image des musulmans. Ils considéraient ces aspects de leur religion comme des anecdotes historiques dépassées au même titre que , pour les chrétiens, l’Inquisition ou les guerres de religion entre protestants et catholiques.

Dans ce contexte politique agité, les justices cantonales prirent encore plus de retard que d’habitude dans le traitement des affaires en cours. Ce fut le cas pour Louis, toujours emprisonné dans l’attente d’un jugement et malgré les pressions de l’avocat que lui avait trouvé Francesca aidée par Hans et Pietro.

 

Ce dernier, enfin libéré des opérations anti-terroristes par les derniers évènements, put se remettre à enquêter sur les meurtres du « légionnaire » et du russe. De loin, il essayait aussi de se tenir au courant de la situation de Louis. Il communiquait aussi très régulièrement avec ses collègues valaisans qui enquêtaient sur l’agression de Lucie et l’assassinat de sa photographe.

 

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Trois semaines. Cela fait trois semaines que je suis là. Noël et Nouvel-an avaient passé comme chat sur braises. Autant le quotidien me semblait d’une lenteur insupportable, autant ces fêtes passèrent très vite sans vraiment que je m’en rendes compte, n’ayant à peine prêté attention au menu de la prison, légèrement différents ces jours-là.

J’ai vu une dizaine de fois l’inspecteur Musy qui me reposait chaque fois les mêmes questions et

 

 

voulait absolument me faire dire que j’avais perdu le contrôle, pêté les plombs pour être simple, et que j’avais, de rage agressé ma directrice. D’ailleurs, me répétait-il à chaque reprise : « vos empreintes sont partout, sur son cou, sur le sol et surtout, sur le marteau. »

 

J’avais beau lui dire que j’avais bien aperçu ce marteau mais ne l’avais pas touché et que mon premier réflexe avait été de voir si elle était vivante, de sentir son pouls et d’appeler les secours. Mais rien à faire, il se contentait de sourire d’un air entendu pour me signifier qu’il ne me croyait pas.

 

J’avais également vu deux fois le juge d’instruction qui semblait moins acharné que cet inspecteur à prouver ma culpabilité. Il m’affirmait que beaucoup d’éléments jouaient en ma défaveur mais qu’il avait besoin de plus de preuves pour m’inculper définitivement. La preuve la plus lourde restait la présence, inexpliquée et inexplicable pour moi, de mon propre marteau sur les lieux de l’agression alors que je savais très bien l’avoir laissé sur mon établi la dernière fois que je l’avais utilisé.

 

J’avais pu rencontrer Francesca au parloir, deux fois, et avais eu droit aussi à la visite de Pietro mais accompagné de son collègue. C’est ainsi que j’avais appris leurs démarches communes pour me trouver un défenseur, maître Gonzato, un avocat tessinois qui, comme beaucoup de nos compatriotes italophones, était resté sur place à la fin de ses études à l’université de Fribourg.Ce dernier, que j’avais vu trois fois, croyait sincèrement, et pas seulement professionnellement, en mon innocence.

Il avait même élaboré une théorie du complot et pensait que, pour des raisons à découvrir, on avait voulu éliminer ma directrice en utilisant notre antagonisme, de notoriété publique dans l’école et me faire porter le chapeau. Il était persuadé que quelqu’un avait du subtiliser ce marteau chez moi et l’utiliser, à dessein, pour commettre cette agression.

 

Si je savais évidemment que quelqu’un d’autre était l’auteur de cette agression, j’avais par contre quelque peine à croire à cette théorie du complot. La Souby-Roux était certes une personne imbue d’elle-même, avide de pouvoir, d’une intelligence émotionnelle proche de celle d’une méduse et totalement incompétente dans la gestion du personnel mais, par contre, je la percevais aussi comme une personne fragile, très peu sûre d’elle-même, avec une petite vie ordinaire malgré ses ambitions. Au final, elle m’apparaissait plus stupide que vraiment dangereuse, à part pour les nerfs de ses subordonnés évidemment.

 

Elle pouvait donc susciter de la révolte de la part de ses employés ou d’autres personnes, des parents peut-être qu’elle avait quelque peu malmenés, éventuellement du mépris, de l’amusement, voire de la pitié mais pas de la haine au point de l’assassiner. Quant à moi, je ne voyais absolument pas qui pouvait m’en vouloir au point de me mettre dans la situation que je vivais présentement.

 

Dès la deuxième semaine, j’avais eu droit aux journaux et à la bibliothèque de la prison ainsi qu’ à une heure de promenade en compagnie des autres détenus. Cela me permettait de m’évader dans des

des romans, de m’intéresser à l’actualité ou de discuter de banalités avec mes codétenus, tout cela, pour oublier l’injustice du sort qui me faisait moisir dans cette cellule. C’est ainsi que j’avais appris l’attentat au palais fédéral qui faisait la une des conversations lors de notre promenade quotidienne dans la cour. Je comprenais aussi un peu mieux les lenteurs de la justice à l’égard des justiciables

 

ordinaires dont je faisais partie.

 

( à suivre)

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