Suite de mon “feuilleton de l'été”
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Au coin de l’ordinaire chapitre 15

Le 12 décembre pour moi se dit dodieci dicembre. En effet, une de mes tantes paternelles me parlait toujours de l’assassinat de ce jeune anarchiste italien, Pinelli, défenestré de la fenêtre d’un commissariat milanais dans les années 70. Elle avait participé, dans sa jeunesse, à plusieurs manifestations, le 12 décembre, pour commémorer cet assassinat et rendre hommage à ce militant. Elle avait d’ailleurs également fait quelques fois le trajet jusqu’à Genève, mais en novembre cette fois, pour honorer la trentaine de grévistes et manifestants antifascistes tombés ce jour-là sous les balles de l’armée le 9 novembre1932. Bref, cette période de l’année me ramenait souvent quelques années en arrière, au passé militant de ma famille paternelle et que Ferran d’ailleurs avait aussi contribué à ramener à la surface.

 

Cela dit, il faisait froid, il faisait nuit, et c’était l’heure de partir au turbin.

 

Ce que je n’aime pas en hiver, c’est m’en aller au travail quand il fait encore nuit et en revenir quand il fait déjà nuit. Pourtant, ce matin, grâce à Francesca et un peu à mes souvenirs d’enfance, c’est en sifflotant « bella ciao » que je fis le trajet et débarquai dans ma classe.

 

A peine arrivée, le téléphone sonna.La directrice me convoquait dans son bureau à 18 h. Je m’en étonnai et demandai s’il ne serait pas possible d’avancer le rendez-vous à 16 h, juste après la fin des cours. Elle refusa sèchement, arguant qu’elle avait d’autres obligations et que je n’avais qu’à m’arranger pour être présent.

Dans la situation je préférai ne pas jeter de l’huile sur le feu et acceptait de mauvaise grâce cet entretien dont je me doutais bien du contenu.

 

Par bonheur, la journée se passa vite et bien. Les élèves firent preuve d’une attention tout à fait dans la moyenne et je ne croisai pas notre « apparition « directoriale dans les couloirs, ce qui me permit d’éviter la boule à l’estomac qu’elle me provoquait. Je gardai ainsi un bon appétit pour partager le repas de midi avec Francesca, son domicile se trouvant à moins de 10 minutes à pied de l’école. Après les cours, je m’installai à l’ordinateur pour préparer mon programme de la semaine suivante et en profitai pour informer le président du syndicat, par courriel, de l’entretien que m’imposait la directrice ce soir.

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Informé de l’entretien, le matin même par sa maîtresse, Jérôme décida d’en profiter pour mettre son projet à exécution. Il voulait agir seul cette fois, ne voulant pas renouveler les mauvaises expériences faites avec le russe et ses sous-traitants. Il proposa donc à Bernadette de se dissimuler dans son bureau et d’enregistrer l’entretien sous prétexte d’accumuler des preuves du comportement inadmissible de ce Ravoire et de faciliter ainsi son renvoi. Bernadette s’empressa d’accepter et lui proposa de se dissimuler pendant l’entretien, dans le petit local d’archives attenant à son bureau.En début d’après-midi, Jérôme se rendit au domicile de Louis Ravoire, prenant soin de laisser sa voiture derrière la ferme pour ne pas attirer l’attention des éventuels et improbables véhicules qui risquaient d’emprunter la petite route qui finissait en terre battue dans les champs, juste après la maison du prof.

 

Au coin de l’ordinaire chapitre 15

Dans la grange, ouverte, il avisa assez vite, parmi quelques outils déposés dans une brouette, un marteau dont le manche était marqué des initiales LR à peine effacés. Il mit des gants, s’en empara, le dissimula dans son manteau et repartit sans avoir croisé âme qui vive.

 

A 17.45 h. il parqua sa voiture à quelques rues de l’école et rejoignit le bureau de la directrice en empruntant la porte de derrière et les escaliers où il ne croisa personne. Il remarqua, juste avant d’entrer, une femme de ménage qui nettoyait les différents locaux de l’étage, et s’en félicita en espérant qu’elle entende les éclats de voix dont allait certainement être émaillé l’entretien de Ravoire et de Bernadette.Il entra.

 

– Ah ! c’est toi. Dépêche-toi ! il ne reste que peu de temps.

 

– Bernadette…

 

– Non ! plus tard ! Tu me parleras plus tard. Pour le moment tu entres là-dedans, tu mets en route ton dictaphone et tu te tais.

A dix-huit heures tapantes, je frappai à la porte et ladite Bernadette répondit par un « entrez » sec et sonore.

D’un geste de la main, la directrice m’indiqua le siège en face du bureau. J’y pris place et déposai ma veste sur une table basse disposée entre deux fauteuils, derrière moi.

 

Bernadette sortit immédiatement et comme prévu la grosse artillerie : je n’étais qu’un insubordonné qui n’en faisait qu’à sa tête, qui montait un élève contre leurs parents, des gens par ailleurs honorablement connus et soutiens avérés des activités culturelles de l’école. Je faisais preuve de partialité et de favoritisme en favorisant les élèves étrangers au nom d’une douteuse idéologie gauchiste. Mes méthodes ressemblaient plus à celles d’un illuminé du siècle passé comme Freinet qu’aux directives et aux méthodes officielles prônées par le département.

 

Sachant pertinemment que ce n’était pas le cas, je demandai si d’autres parents que les Reblochon, s’étaient une seule fois plaint de mon enseignement au cours des 20 dernières années. Bernadette hurla que là n’était pas la question et que les évènements de ces derniers jours lui avaient fourni assez de munitions pour demander ma mise à pied, ce qu’elle allait faire dès que possible.

 

Comme prévu aussi, je sortis de ses gonds et hurlai que j’ allai ameuter le syndicat ,me plaindre au département du harcèlement dont j’ étais l’objet et que des deux, il n’était pas sûr que ce soit moi qui perde son poste. Je me levai et sortis en claquant la porte et dévalai les escaliers les larmes aux yeux.

Bernadette se dirigea vers le local d’archives dans l’intention de commenter l’entretien avec Jérôme. A peine avait-elle ouvert la porte qu’elle vit Jérôme, les mains gantées, le bras levé, le visage grimaçant. Elle n’eut même pas le temps d’ébaucher un cri. Jérôme abattit le marteau qui heurta le crâne de la directrice avec un craquement sinistre. Elle s’écroula.

 

Jérôme laissa tomber le marteau à côté de Bernadette qui gisait apparemment sans vie sur le sol, du sang s’écoulant lentement du sommet de son crâne. Il voulut vérifier qu’elle était bien morte mais il entendit une porte claquer à l’étage et décida de s’éclipser au plus vite.

Il passa la tête dans le couloir et, n’apercevant personne, il s’engouffra dans les escaliers qu’il descendit quatre à quatre, le cœur battant la chamade. Arrivé à sa voiture, il démarra en trombe et jeta le dictaphone, qu’il n’avait même pas allumé, dans le vide-poche.

 

En arrivant à ma voiture, je m’aperçus que j’étais en chemise et que dans l’énervement et l’agitation qui avaient caractérisé la fin de l’entretien avec la directrice, j’étais parti sans ma veste dans laquelle j’avais aussi laissé mes clés de voiture. Je fis demi-tour et m’enfilai dans l’ascenseur. Au moment de monter il me sembla, à travers la vitre teintée de l’ascenseur, apercevoir un individu passer en trombe vers la porte d’entrée. Je n’y prêtai pas vraiment attention, pressé que j’étais de récupérer au plus vite mon bien dans le bureau et me tirer de cet endroit qui commençait à me sortir par les oreilles.

J’allais frapper quand je remarquai que la porte était entr’ouverte. Je la poussai et vis immédiatement la directrice étendue sur le sol, la tête reposant dans une tache de sang qui s’écoulait d’une large plaie sur le haut du front. Je me précipitai et posai deux doigts sur son cou pour vérifier le pouls : il était faible mais elle était vivante. Je sortis immédiatement mon téléphone portable et appelai les secours puis criai à l’aide aussi fort que possible. A ma grande stupéfaction, j’aperçus alors, à côté du corps, le marteau que j’avais laissé, hier soir, au coin de mon établi, à la maison. Je n’enregistrai pas vraiment ce détail, absurde pour moi, et criai encore. La femme de ménage aperçue tout à l’heure entendit mon cri de l’étage inférieur. Elle poussa un grand cri d’horreur sur le pas de porte du bureau et s’en alla aussi vite qu’elle était apparue. Je n’avais même pas eu le temps de lui dire quoi que ce soit.

 

Je cherchai fébrilement quelque chose me permettant de colmater tant que faire se pouvait cette horrible plaie qui continuait de saigner. Fouillant les tiroirs, je tombai sur un paquet de serviettes hygiéniques que je déchirai aussitôt pour en extraire une poignée que j’emportai près du corps. J’avais déjà utilisé trois serviettes quand les ambulanciers et la police débarquèrent. La directrice respirait encore faiblement mais aucune de mes tentatives pour entrer en contact avec elle n’avait donné de résultat.

 

Je me laissai tomber dans un fauteuil, groggy, l’air hagard, et regardai d’un air absent les secouristes emmener la blessée sur une civière après lui avoir posé une perfusion.

– Monsieur… ?

 

– Monsieur, répondez-nous s’il vous plaît ?

 

– Oui, vous êtes qui ?

 

– Inspecteur Musy, police de sûreté .

 

– Ah bon ?

 

– Il faudra nous suivre monsieur…

 

– Comment vous suivre !? je veux rentrer chez moi. Je crois que j’ai eu ma dose d’émotions. Je passerai chez vous demain si vous voulez mon témoignage. Mais je peux déjà vous dire que je l’ai trouvée comme ça et que j’ignore complètement ce qui a pu se passer.

 

– Nous n’en sommes pas si sûrs et c’est bien pour ça que je vous demande de nous accompagner.

 

– Comment ça, pas si sûrs ??!! je suis peut-être choqué et un peu dans les vaps mais je sais encore ce que je dis et ce que je fais…

– Une femme de ménage vous a vu à côté de la victime après avoir entendu un grand cri. De plus, elle affirme qu’elle vous a vu entrer dans le bureau de la directrice il y a moins de deux heures et que vous vous êtes disputés.

 

– Le cri, c’était moi ! Je n’allais pas rester à côté d’elle sans rien dire ! Et c’est vrai que nous nous étions copieusement engueulés peu de temps avant: si vous aviez un chef comme j’ai une directrice, je parie que vous auriez eu la même dispute. Enfin, c’est moi qui vous ai appelé. Si je l’avais assommée, j’aurais plutôt pris la tangente, pas vous ??

 

– Pour le moment je vous demande de nous suivre. On va vous offrir un café et reparler de tout ça tranquillement dans nos locaux. A propos, vous avez déjà vu ce marteau ?

 

– Oui, c’est le mien…

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Jean-Marie Golaz mettait la dernière main à un communiqué du « front islamique », appellation assez vague pour être incontrôlable. Il choisissait ses mots en s’inspirants de coupures de presse relatant des revendications d’attentats terroristes islamiques en Afghanistan et ailleurs. Il allait d’ici peu le faire traduire par un repris de justice albanophone qu’il utilisait parfois comme garde du corps et comme homme de main quand il s’agissait d’intimider des concurrents en affaires.

Ce communiqué revendiquait le meurtre de la photographe en prétendant qu’elle avait fait insulte aux musulmans, par ses photos indécentes de femmes musulmanes dévoilées. Le reportage de Lucie et d’Asunta dans les milieux albanophones montraient justement une communauté bien intégrée au tissu social helvétique et une pratique religieuse ouverte, tolérante dont le voile n’était que très rarement l’expression.

 

Bien sûr, il aurait préféré un attentat bien spectaculaire, avec plein de victimes innocentes et la une des journaux pour en parler, pour stigmatiser les musulmans et les étrangers en général. Il espérait ainsi un repli identitaire et xénophobe des électeurs en faveur de son parti, en particulier de son aile d’extrême droite raciste. Mais bon, le meurtre d’une journaliste pouvait aussi, si l’on s’en donnait la peine,

être monté en épingle et donner des ailes aux instincts les plus bas de l’électeur lambda.

 

« Bon débarras d’ailleurs », pensa-t-il, « même si ces cons ont loupé la fouille-merde et descendu seulement la photographe, la scribouillarde va mettre un moment avant de recommencer à défendre les yougos, les noirs et autres métèques et à critiquer le parti après avoir vu sa collègue se faire descendre par des fondamentalistes musulmans qui publient un communiqué en albanais ».

 

– Voilà, c’est parfait. Dit-il en décrochant le téléphone.

– Rustem ? Je te vois dans une heure au café Bel Air.

 

Il lança l’imprimante , prit la feuille qu’elle cracha et s’en alla tranquillement à son rendez-vous.

 

************************************************

 

Pietro venait de passer un savon à son jeune collègue. La cassette audio retrouvée chez le russe défenestré s’était révélée à peine audible et les autres étaient définitivement hors d’usage.

 

Une première piste cependant pouvait être ébauchée : dans les premières minutes de la cassette , une homme à l’accent bien de chez nous donnait l’adresse de la station service braquée il y a deux mois.

 

Plus tard , une femme donnait l’adresse du chalet valaisan dans lequel avaient séjourné Lucie et sa camarade photographe assassinée. L’autre personnage, toujours le même, répondait dans un français correct mais où l’on distinguait assez nettement des intonations slaves. Le russe probablement, pensa Pietro. Il pouvait donc , peut-être, faire un lien entre le meurtre de la photographe et celui du repris de justice russe, le dénommé Youkov. Il faudrait qu’il en informe au plus tôt ses collègues valaisans.

L’idée d’enquêter aussi, et par ricochet en quelque sorte, sur l’agression de Lucie et le meurtre de sa photographe n’était pas pour lui déplaire. Encore fallait-il que son chef soit d’accord et ne préfère pas transmettre entièrement l’enquête à leurs collègues valaisans en raison des liens personnels entre Pietro et Lucie.

 

Il décrocha le téléphone et appela son chef pour lui faire un bref topo de la situation. Ce dernier accepta de lui permettre de poursuivre, en collaboration avec ses collègues valaisans, les enquêtes qu’il avait reprises au pied levé, faute de personnel. Pietro dut insister un peu pour convaincre que ses liens avec Lucie n’entraveraient pas son objectivité, et ne donneraient lieu à aucune impulsivité, excès ou débordement émotionnels. Il acquiesça en admettant que l’agression de Lucie ne constituait qu’un élément nouveau de deux autres enquêtes en cours.

 

A peine Pietro avait-il raccroché le téléphone qu’un de ses collègues l’appela. Il venait de recevoir par internet la revendication de l’assassinat de la photographe , transmise par une agence de presse à laquelle elle avait été adressée. Le communiqué, rédigé en albanais, en arabe et en anglais, émanait d’un groupe nommé « comité de protection de l’Islam authentique en Europe » dont personne n’avait jamais entendu parler.

 

Ainsi ce serait la photographe, Asunta Companys, qui aurait été visée et non Lucie ? Ou alors les deux ? Le reportage précédent des deux journalistes pouvant déranger des intégristes autant dans la forme,

à cause des photos, que dans le fond en montrant des musulmans pratiquants pour la plupart mais ouverts, tolérants, bien intégrés et sans relation aucune avec des partisans de la charia ou de l’oppression des femmes.

 

Pietro décida d’étudier de plus près le communiqué, d’en comparer le vocabulaire avec d’autres revendications de groupuscules islamiques et chargea un jeune collègue de lui préparer un résumé sur la nébuleuse des groupes fondamentalistes actifs ou identifiés comme tels en Suisse et en Europe. Après plusieurs heures de recherche, aucune information pertinente ne permettait de relier ce communiqué avec un quelconque groupuscule existant.

 

 

 

 

– En conclusion de quoi, nous devons vous informer que nous vous gardons en préventive jusqu’à conclusion de l’enquête sur l’agression de Mme Bernadette Souby-Roux.

 

– Mais enfin ! cela fait plus de trois heures que je m’escrime à vous expliquer que je suis retourné dans son bureau pour y rechercher ma veste et mes clés et que je l’ai trouvée étendue sur le sol avec cette horrible plaie à la tête. C’est moi qui ai crié au secours, c’est moi qui vous ai appelé !

 

– On a déjà vu des attitudes comme la vôtre. N’est-ce pas un moyen de se mettre à l’abri des soupçons aussi efficace que la fuite ? En plus vos empreintes sont partout dans le bureau : sur le fauteuil, sur le bureau, sur la victime dont vous aviez par ailleurs du sang sur les mains. Même le marteau, apparemment l’arme du crime, était couvert de vos empreintes.

 

– Evidemment que j’avais du sang, J’ai voulu voir si son pouls battait, si elle était consciente et j’ai essayé d’arrêter l’hémorragie !! Et le marteau, c’est bien le mien mais croyez-moi ou pas, je n’ai aucune idée comment il a pu arriver là !!!

 

– Je crois qu’on va en rester là pour l’instant. Il est tard. La nuit porte conseil. Demain, vous répéterez le même exercice avec le juge d’instruction. Je vous conseille de dire la vérité et d’admettre que vous avez perdu vos nerfs. Il en sera tenu compte.

– Demandez au commissaire Righini, Pietro Righini. Il me connaît. Il vous dira que je n’ai rien d’un assassin.

 

– On lui parlera mais beaucoup de meurtriers n’en n’avaient pas l’air avant de passer à l’acte.!

 

C’est ainsi que je me retrouvai en cellule, dépouillé de ma ceinture, de mes lacets, de mon porte-monnaie et évidemment de mon téléphone portable. Un vrai cauchemard ! Et Francesca avait largement eu le temps de s’inquiéter. Pourvu que Pietro puisse faire quelque chose !

 

 

 

 

                          

 

 

Hans était frigorifié.Il venait de passer la journée avec deux de ses ouvriers à refaire le toit d’une ferme endommagé lors de l’orage de grêle de l’été passé.Ils avaient terminé le lattage débuté la semaine passée et avaient du dégeler les paquets de tuiles au chalumeau avant de les poser. Couvrir un toit en hiver n’est pas une sinécure et tient parfois de l’exploit acrobatique quand le gel rend la sous-toiture glissante. Les retards pris dans les différents travaux en cours ne lui avaient cependant pas laissé le choix. Il avait profité du temps sec de ces dernières semaines pour terminer des chantiers commencé en automne.

 

Après avoir rangé le chantier et échangé quelques mots avec le propriétaire, ils se dirigèrent vers la camionnette.

 

Il lui tardait de se retrouver à la maison, de prendre un moment pour discuter tranquillement avec Xhemile et Skender et Resmije qui devaient avoir terminé leurs devoirs. L’ aîné ,Honoré, menait sa vie et il n’y avait guère que le week-end, et encore, où toute la famille se trouvait réunie autour d’un repas. Xhemile se remettait lentement de la mort de son jeune cousin et passait sa rage en pestant à journée faite contre tous les violents : les fanatiques religieux, les xénophobes, les racistes, les voyous sans scrupules assoiffés de fric, associés ou non en mafias et en clans, bref tous ceux qui étaient responsables de la dérive de beaucoup de jeunes comme Samir, mort l’arme à la main dans un chalet de montagne.

En arrivant à la maison, Xhemile l’attendait sur le pas de porte.

 

– Ils l’ont dit à la radio !

 

– Bonjour d’abord, toi, dit Hans en embrassant son épouse, qu’ont-ils dit à la radio ?

 

– Le meurtre de la photographe, tu sais, dans le chalet où était Lucie et où ils ont retrouvé Samir, eh bien, ils ont dit qu’un groupe islamique avait revendiqué le meurtre !! Samir n’aimait pas ces fous. Il avait fait des bêtises, des vols, du trafic et des choses comme ça, mais il n’était pas intégriste. Ces gens sont fous, ils sont mauvais ! ils sont la honte de l’Islam ! qu’Allah les maudisse de salir ainsi son nom !

 

– Ne te mets pas dans cet état ma toute belle.Il faut attendre…

 

– En plus, les gens vont nous en vouloir ! Déjà qu’on te fait des remarques parce qu’ils disent que tu n’es pas un vrai suisse parce que tu es noir et que tu as épousé une kossovare musulmane !!

 

– Ma chérie, tu as devant toi un vrai suisse, un député du parti d’en rire, le parti le plus souriant de toute l’Helvétie, de notre Suisse multicolore. Et arrête de te torturer avec ça ! Depuis toujours les gens ont utilisé la religion pour n’importe quelle saloperie. J’ai par exemple appris par une vieille dame chez qui j’avais fait des travaux, que dans les années trente, dans cette ville, les religieuses ursulines

qui enseignaient dans les écoles catholiques faisaient prier leurs élèves pour la victoire de Franco ou pour les âmes qui allaient se perdre aux manifestations ouvrières du premier mai, sans oublier le fait qu’elles déconseillaient tout achat dans des commerces tenus par des juifs.

 

Plus récemment, rappelle-toi ce dictateur libyen renversé en 2011, Khadafi, qui en appelait à la Jihad contre la Suisse et prenait prétexte du vote sur l’interdiction des minarets alors que la vraie raison en était l’arrestation de son caractériel de fils pour maltraitance de ses domestiques en Suisse. De leur côté, les xénophobes qui ont appelé à l‘interdiction des minarets ont aussi utilisé la pseudo défense de la religion chrétienne pour convaincre les gens. L’histoire est remplie d’exemples où la religion a servi de prétexte à des illuminés ou des salauds pour faire n’importe quoi.

 

Le degré de malfaisance et de nuisance de ces gens-là n’est plus à démontrer. On pourrait citer les attentats isalmistes du 11 septembre 2001 ou le massacre des jeunes socialistes suédois par un dément islamophobe, tous les attentats suicides, les meurtres de médecins pratiquant l’IVG par des fanatiques évangélistes, l’enlèvement d’enfants du Tiers-monde par ces mêmes intégristes pour soi-disant leur apporter la lumière de Jésus j’en passe et des pires si l’on s’arrête à notre époque

Mais on peut remonter loin dans le temps, aux croisades, à l’inquisition, aux missionnaires, à l’esclavage. Les dogmatiques et fanatiques de tout poil, des ultras catholiques aux évangélistes fanatiques en passant par les partisans de Jihad et toutes les sectes possibles et imaginables, ces gens-là ont toujours représenté un danger pour l’Humanité .

 

Alors là, crois-moi, il n’y a rien de nouveau: Il y aura toujours des intégristes obtus dans toutes les religions, mais j’espère de moins en moins si on essaie de les arrêter, mais sans utiliser leurs moyens pour ne pas devenir comme eux.

 

Ce qu’il faut, c’est d’abord se battre pour la répartition des richesses dans le monde, la justice sociale partout et la sauvegarde de notre planète : on ne recrute pas des fanatiques parmi des gens heureux.

 

Tu peux te rassurer : partout dans le monde, les croyants de base veulent simplement vivre en paix et heureux en pratiquant leur religion et en laissant leurs voisins pratiquer la leur. Je crois vraiment qu’un jour le bon sens gagnera !!

 

– Tu parles beaucoup Hans mon amour, mais je veux croire que tu

 

as raison.

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Les employés étaient partis. Seul le bureau du directeur de l’agence était encore éclairé. Jean-Marie sourit en pensant à Jérôme qui devait se torturer les méninges et la conscience, s’il avait la malchance d’en avoir encore une. Il prit l’ascenseur, entra dans la réception puis se dirigea vers le bureau de Jérôme Il entra, claqua la porte derrière lui et s’affala dans un fauteuil du petit salon aménagé pour recevoir les clients de l’agence.

 

– Bon ! les choses avancent. Ta directrice chérie ne risque plus de parler. Aux dernières nouvelles elle est dans le coma aux soins intensifs avec un pronostic vital vraiment pessimiste. Et si ce n’était pas le cas, il faudra s’arranger pour donner un coup de pouce au pessimisme médical. Le meurtre de la journaliste a été revendiqué par un groupe islamiste intégriste, juste de quoi susciter un bon relent de xénophobie et nourrir notre fond de commerce pour les prochaines élections. Et ces élections, il faut qu’on les gagne. Il faut viser une majorité confortable au niveau communal, ce qui facilitera le refus du nouveau centre d’accueil et donc la démolition de l’ancienne usine et, en conséquence, le rachat, la démolition et la construction du complexe de bureaux et d’appartements de luxe, CQFD !

 

– Et à long terme, en plus de ce que l’on se mettra tous les deux dans les poches mon cher Jérôme, ce complexe alimentera les caisses du parti et les prochaines campagnes électorales au niveau cantonal et national cette fois. D’ici dix ans, je vois la Suisse sans métèques, sans écolos et sans Europe avec des banques et des produits de haute technologie à haute valeur ajoutée dont les autres auront toujours besoin même s’ils continueront d’aboyer et de crier contre l’évasion fiscale pour la forme ou de nous

faire la morale avec les slogans débiles du type « vivons plus simplement pour que les autres puissent tout simplement vivre ».

 

 

Mais les gens, ceux qui nous intéressent et qu’on arrive à convaincre, ils s’en balancent des autres. La faim dans le monde, les inégalités, la pollution et l’avenir de la planète ils s’en beurrent les fesses et s’en confiturent le reste. Ce qu’ils veulent, c’est la paix, la sécurité, du pognon, la belle vie et ne pas devoir partager avec tous ces étrangers. Et là, crois-moi, il n’y a pas besoin de faire beaucoup d’efforts pour leur faire avaler ce qu’on veut : tu n’as qu’à voir avec le vote sur l’interdiction des minarets : deux trois images chocs, des slogans qui font peur et plus de la moitié des votants étaient pour nous.

 

– Tu vois toujours les choses du bon côté mais je ne suis pas aussi optimiste que toi. On a suffisamment de meurtres à notre actif et donc largement de quoi nous envoyer en taule à perpète avec comme conséquences pour ce parti que tu aimes tant, vu la place

qu’on y occupe, une plongée monumentale aux prochaines élections.

 

– Stop ! D’abord la journaliste ce n’est pas nous. Pour tout le monde c’est l’albanais et donc les intégristes qui l’ont liquidée. Le légionnaire a été tué par le russe et le russe par un inconnu. Et l’inconnue, avec un e, tu viens de lui fermer le caquet en faisant accuser ce prof qui, d’après mes sources à la police, vient d’être arrêté.

Donc, tout va bien et concentre-toi sur les élections communales. Aux cantonales, ce n’était pas la gloire et je n’en reviens pas que ces putains d’écolos avec leur parti d’en rire aient fait un pareil score. En plus, avec la démission pour raisons de santé, d’une de leur députées, ils ont réussi à élire un noir marié à une musulmane kosovare !! On croit rêver !! Mais aux communales, après tout ça, on va cartonner, crois-moi, et pour le canton et la confédération, ce n’est que partie remise.

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ouverts, tolérants, bien intégrés et sans relation aucune avec des partisans de la charia ou de l’oppression des femmes.

 

Pietro décida d’étudier de plus près le communiqué, d’en comparer le vocabulaire avec d’autres revendications de groupuscules islamiques et chargea un jeune collègue de lui préparer un résumé sur la nébuleuse des groupes fondamentalistes actifs ou identifiés comme tels en Suisse et en Europe. Après plusieurs heures de recherche, aucune information pertinente ne permettait de relier ce communiqué avec un quelconque groupuscule existant.

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– En conclusion de quoi, nous devons vous informer que nous vous gardons en préventive jusqu’à conclusion de l’enquête sur l’agression de Mme Bernadette Souby-Roux.

 

– Mais enfin ! cela fait plus de trois heures que je m’escrime à vous expliquer que je suis retourné dans son bureau pour y rechercher ma veste et mes clés et que je l’ai trouvée étendue sur le sol avec cette horrible plaie à la tête. C’est moi qui ai crié au secours, c’est moi qui vous ai appelé !

– On a déjà vu des attitudes comme la vôtre. N’est-ce pas un moyen de se mettre à l’abri des soupçons aussi efficace que la fuite ? En plus vos empreintes sont partout dans le bureau : sur le fauteuil, sur le bureau, sur la victime dont vous aviez par ailleurs du sang sur les mains. Même le marteau,

 

apparemment l’arme du crime, était couvert de vos empreintes.

 

– Evidemment que j’avais du sang, J’ai voulu voir si son pouls battait, si elle était consciente et j’ai essayé d’arrêter l’hémorragie !! Et le marteau, c’est bien le mien mais croyez-moi ou pas, je n’ai aucune idée comment il a pu arriver là !!!

 

– Je crois qu’on va en rester là pour l’instant. Il est tard. La nuit porte conseil. Demain, vous répéterez le même exercice avec le juge d’instruction. Je vous conseille de dire la vérité et d’admettre que vous avez perdu vos nerfs. Il en sera tenu compte.

 

– Demandez au commissaire Righini, Pietro Righini. Il me connaît. Il vous dira que je n’ai rien d’un assassin.

 

– On lui parlera mais beaucoup de meurtriers n’en n’avaient pas l’air avant de passer à l’acte.!

 

C’est ainsi que je me retrouvai en cellule, dépouillé de ma ceinture, de mes lacets, de mon porte-monnaie et évidemment de mon téléphone portable. Un vrai cauchemard ! Et Francesca avait largement eu le temps de s’inquiéter. Pourvu que Pietro puisse faire quelque chose !

 

( à suivre)

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