Je voulais un feuilleton de l’été, mais nous sommes déjà en septembre et je me rends compte qu’il faut que j’accccélère un peu le rythme. Donc, je vous mettrai désormais 2 chapitres à la fois 2 fois par semaine.
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Au coin de l’ordinaire chapitre 13

Samedi matin, huit heures. Le froid me réveilla.

 

Il faudrait que je pense à installer un chauffage central. Le fourneau en pierres réfractaires, c’est bien joli, c’est traditionnel et typique de la région, mais ça demande aussi d’être un peu plus à la maison que moi.

 

A 10h. 30 le ménage était fait, le feu ronronnait dans le fourneau et la table était dressée pour le soûper. Je m’attellerai au repas lui-même dans l’après-midi.

 

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– Non, c’est trop risqué, je ne marche pas !

 

– Mais enfin, réfléchis. On a déjà des rumeurs qui attribuent le meurtre de la journaliste à la mafia albanaise. En plus, les disparitions du russe et de Bochud empêchent que quelqu’un parle et ne remonte jusqu’à nous. Quelques articles de presse et lettres de lecteurs commanditées et il n’y aura aucune chance que le centre d’accueil pour requérants d’asile ne s’ouvre dans l’ancienne usine de cartonnage : il est presque au centre-ville et l’opinion publique sera déterminante. Après ces affaires criminelles, les gens auront beaucoup trop peur. Et si ce centre ne s’ouvre pas l’usine sera à vendre,

à vendre et à démolir. La vente est dans la poche : l’héritier a déjà palpé une avance et il est du parti. Avec les deux vieux immeubles que nous y avons déjà à côté, tu réalises combien peut nous rapporter le complexe de bureaux et d’appartements de haut standing que nous avons projeté et que nous allons construire. En plus, cerise sur le gâteau, après tout ça et avec notre campagne sur la sécurité en ville, il y a de fortes chances que nous remportions les élections communales. Et une fois au conseil communal, imagine un peu ce que peut nous rapporter cette position quant à l’aménagement urbain. Et tu voudrais risquer de perdre tout ça, et peut-être même que l’on remonte jusqu’à nous, uniquement pour ménager ta pétasse !!

 

Jérôme transpirait à grosses gouttes. Son interlocuteur, Jean-Marie Golaz, le fixait d’un regard froid. Ce dernier, comptable dans l’agence de Jérôme et secrétaire du parti était surtout son associé occulte dans toutes les magouilles immobilières que cachaient la vénérable et ancienne entreprise familiale.En plus, contrairement à Jérôme pour qui seuls comptaient ses gains, son confort, sa réélection et sa notoriété, Jean-Marie Golaz était un fasciste et un raciste de la pire espèce. Froid, déterminé, machiavélique, convaincu de la supériorité de la race blanche et habité d’une haine de tout ce qui était étranger. Pour lui, il fallait que le meurtre de la journaliste soit attribué au pire à la mafia albanaise, au mieux à des activistes musulmans et renforcer ainsi la tendance dure et le discours identitaire et raciste au sein du parti nationaliste dont Jérôme était un député.

 

– Je sais que j’ai fait des erreurs, mais là , ce que tu me proposes…

– Il n’y a pas le choix ! Elle t’a menacé de tout raconter si tu ne divorçais pas. Et compte tenu de la fortune et de l’influence de ta belle-famille,de tes discours sur la famille chrétienne unie, contre le divorce, tu oublies ! Donc, il nous reste deux possibilités : Ou on la liquide, ce que je préférerais, ou on trouve un moyen de pression hyper efficace pour qu’elle renonce à tout jamais à ouvrir sa grande gueule de directrice d’école ! Et le seul point faible, tu le connais, ce sont ses enfants, en particulier le petit dernier qui doit avoir, si je me rappelle bien, huit ou neuf ans. Un enlèvement de quelques heures ou même une menace explicite devrait suffire.

 

– On ne touche pas aux enfants ! Toi, tu n’en n’as pas. Tu ne peux pas imaginer ce que peuvent ressentir des parents si on menace leur progéniture.

 

– Justement, j’imagine bien et je trouve cela très efficace.

 

– Non. Oublie !

 

– Alors on la liquide ?

 

– Il n’ y aurait pas moyen de la convaincre…ou de la dénoncer pour le meurtre du russe ?

– Tu sais très bien que non et tu sais aussi que si on la dénonce, elle va tout raconter sur le braquage de la station service, la liquidation des trois requérants sans compter un certain nombres de détails dont Youri lui a parlé. Et là, on perd tout ! et pas seulement les immeubles, mais les élections et surtout la liberté !

 

– Comment tu vois la chose ?

 

– Tu ne m’as pas dit qu’elle était détestée par son personnel et une bonne partie des parents à cause de son autoritarisme et de son arrogance ?

 

– Ouais, et alors ?

 

– Alors, ça peut être un bon motif de meurtre, l’humiliation, le harcèlement ? Non ?

 

– Tu veux la liquider et mettre ça sur le compte d’un des profs ?

 

– Tout juste Auguste ! T’as tout compris. Et le plus vite sera le mieux !

 

– Et tu comptes procéder comment ?

– Le plus simplement du monde : par arme à feu ou n’importe quel objet assez solide pour lui briser le crâne. Pour cela , comme d’habitude, on paiera provisoirement ce qu’il faut à quelqu’un qui aura comme par hasard un accident de chantier le lendemain. Pour le meurtrier officiel, il suffit de trouver les profs qu’elle aura le plus humiliés, ce ne sera pas difficile. Après, on examinera lesquels auraient de la peine à trouver un alibi et chez lesquels il sera le plus facile de planquer l’arme du crime. Une fois tous les éléments en mains, on choisira la personne, l’heure et la date. Facile, non ?

 

– Dit comme ça…

 

– Arrête de douter et d’ironiser. Ce n’est pas le moment. Dans l’immédiat, tu te réconcilies fissa avec cette emmerdeuse quitte à la sauter sur son bureau s’il le faut. Et surtout, tu t’intéresses à elle, tu la fais causer sur ses habitudes, ses horaires, son boulot, les profs et tout le bazar, et tout ça, le plus tôt possible ! OK ?

 

– Autrement dit je n’ai pas le choix

– Non, tu l’as dit et tu vas le faire !

Onze heures : Francesca ne devrait plus tarder. Bon, il faut dire que la ponctualité n’était pas sa qualité principale et finalement, cela allait assez bien avec les caractéristiques du Sud qui chantait dans son prénom même si son enfance s’était déroulée en Valais, au bord du Rhône.

 

J’ouvris une bouteille de blanc, préparai quelques « bruschette », ces tranches de pain grillés passés à l’huile d’olive et garnis de tomates (hors de prix et totalement anti-écologiques en ce mois de décembre ! ).

 

Pour passer le temps, je me mis à régler les chaînes du téléviseur que j’avais acquis quelques temps avant le départ d’Irma qui méprisait profondément ce média « aliénateur de création et tueur de la communication, inutile et abrutissant» et que pour ma part je trouvais, ma foi, pas aussi diabolique qu’il n’y paraissait.

 

J’étais en plein duel avec ma télécommande lorsque Francesca entra et me surprit en flagrant délit d’incompétence technologique. J’abandonnai ma zapette pour accueillir ma fleuriste préférée.

Quelques verres et quelques amuse-gueules plus tard, nous avions refait le monde et nous étions arrivés à la conclusion que ce qui comptait pour l’être humain était d’avoir un toit, de quoi remplir sa gamelle et surtout d’aimer, d’être aimé, de compter pour les autres et de savoir que l’on comptait pour eux. Tout le reste, le pouvoir, la richesse, la notoriété n’étaient que futilité et qu’avec un minimum de bon sens, l’humanité avait vraiment les moyens de permettre à tout un chacun de vivre heureux.

Malheureusement, le monde était ainsi fait que la cupidité, le besoin d’avoir raison et son corollaire le fanatisme, constituaient un obstacle quasi insurmontable à cette modeste ambition de bonheur universel.

 

C’est peut-être ce constat d’échec de nos rêves et de nos espoirs pour l’Humanité qui nous a poussé à expérimenter immédiatement, à même le sol de mon salon, une forme de bonheur immédiat dont je vous passe les détails ( faute d’avoir à faire avec la censure et la bienséance qui veulent que l’on ne décrive pas dans le détail la plus belle émotion physique du genre humain). J’ignorais aussi que ce n’était là que le premier exercice de conjugaison du verbe aimer que nous allions améliorer ensemble jusqu’à la fin de nos vies.

 

A dix huit heures et quelques draps froissés plus tard, décidément plus confortables que le tapis de récup’ du salon,nous avions mis la table, préparé l’apéritif, mis le gigot d’agneau au four, les légumes à mijoter et l’eau pour les pâtes dans la casserole ad hoc. Les profiteroles maison attendaient sagement dans le frigo la fin du repas et leurs doses de crème glacée qui les guettaient du congélateur.

 

J’étais tellement bien, heureux simplement, que j’avais même envie de remercier Irma de m’avoir fait pousser des cornes et de s’en être allée ouvrir ses chakras , loin, très loin au-delà des mers, dans le froid de la Belle Province.

Le premier à débarquer, contredisant en cela le légendaire retard de nos amis hispaniques, fut Ferran.

 

Cinq minutes plus tard débarquaient Hans, Xhemile et leur fils Skender. Les deux aînés, Honoré et Resmije, ayant d’autres occupations. Hans m’avait averti que Skender était à la fois curieux et anxieux d’être invité chez son professeur. Ils étaient à peine installés que débarquait la smala de Pietro . Les trois enfants, Aline, Joelle et Xavier, précédaient Pietro et Lucie, souriante mais pâle et cernée.

 

– Ce sont toujours les plus proches qui arrivent en dernier s’excusa Pietro qui habitait à moins de 3 kilomètres dans un village voisin.

 

Lucie et Xhemile tombèrent dans les bras l’une de l’autre. Lucie allait parler quand Xhemile l’arrêta et lui dit qu’elle était au courant de tout et que pour aujourd’hui, on n’allait pas remuer tout ce qui s’était passé.

 

Ferran et moi les regardions avec surprise, ignorant qu’elles se connaissaient. Xhemile expliqua alors qu’elle avait fonctionné comme traductrice pour Lucie et l’avait accompagnée lors de son enquête au sein de la communauté albanophone. Apparemment, Pietro et Hans étaient déjà au courant.

D’un accord tacite, personne, au cours de la soirée n’évoqua les évènements récents qui avaient touché Lucie et même Xhemile puisque son cousin avait perdu la vie dans les mêmes circonstances.

 

La neige s’était mise à tomber et les enfants sortirent un moment dans le jardin pour une partie de boules de neige et tenter la construction d’un igloo. Pendant le soûper, les conversations se focalisèrent surtout sur les enfants , leurs scolarité, leurs loisirs ainsi que sur les professions de chacun, seul Pietro éludant avec habileté tout ce qui risquait de casser l’ambiance et se contentant d’anecdotes inoffensives. Francesca était à l’aise et donnait le sentiment d’avoir toujours été là. Ayant été très discret sur ma vie privée, je ne fis rien pour contredire cette impression pas plus que Ferran, le seul au courant de ma situation, du moins celle précédant l’arrivée de Francesca dans ma vie.

 

A la fin de la soirée, nous étions tous reconnaissants envers les petits ennuis de santé qui nous avaient permis de nous rencontrer à l’hôpital et de commencer à tisser une amitié que je ressentais déjà comme bienfaitrice, solide et durable.

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Un collègue de Pietro , de piquet ce soir-là, meublait le calme de ce début de soirée en répertoriant les indices récoltés dans les deux affaires de meurtres qu’ils avaient nommées « le légionnaire » et « le russe ». En notant dans le registre l’existence du dictaphone, il eut envie d’en savoir un peu plus et

sortit l’appareil de son emballage plastique numéroté. Il mit en route l’appareil mais rien ne se passa. Pensant que les batteries devaient être épuisées, il prit l’appareil et se dirigea vers le bureau de Pietro dont il savait qu’il gardait une réserve de piles pour les radios de service. Il remplaça les batteries immédiatement. En passant, il se tira un café à l’automate qui se trouvait dans le couloir et retourna à grandes enjambées dans le local qu’il occupait précédemment. Arrivé sur place, il posa son café et s’apprêta à insérer dans le dictaphone l’une des petites cassettes trouvées dans le sachet en plastic qu’il venait de déverser sur son bureau. A ce moment le téléphone sonna.

 

Surpris , le jeune policier laissa échapper son gobelet de café brûlant qui se répandit sur les mini-cassettes. Occupé à répondre au téléphone, en l’occurrence une querelle de voisinage pour laquelle il alerta une patrouille de gendarmes, il tentait en même temps d’extraire les cassettes de leur mare de café. Arrivé à ses fins, il les sécha le mieux qu’il pût et les inséra l’une après l’autre dans le dictaphone. Il dut vite se rendre compte qu’elles étaient toutes inutilisables. Ne restait que la cassette qui était déjà dans l’appareil. Fébrile, anxieux, il mit l’appareil en marche.

 

Au début, deux voix d’hommes bien distinctes dialoguaient puis ce ne fut plus qu’une longue suite de crachotements d’où émergeait parfois un mot à peine audible. Vers la fin de la cassette, il crut saisir parmi les bruits parasites, une conversation entre un homme et une femme.Il posa la bande magnétique sur le radiateur et se mit à réfléchir à la meilleure attitude à adopter : allait-il parler de sa maladresse au risque de se faire incendier par Pietro ou allait-il simplement remettre la cassette

 

Au coin de l’ordinaire chapitre 13

dans son emballage numéroté en laissant ses collègues en tirer ce qu’ils pourraient demain matin ?

 

 

( à suivre)

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