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© 2019-2024 Hervé Mosquit

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Au coin de l”ordinaire/ suite

Tout en courant, elle m’expliqua en vitesse que les coups de feu étaient le fait d’un échange de tirs entre la police et une bande de brigands qui cherchait à attaquer la réserve d’essence et de gasoil, propriété exclusive de l’Etat et destinée à l’usage des services publics : ambulance, pompiers, police et autres. Le carburant se revendait évidemment à prix d’or auprès de certains particuliers aisés qui n’arrivaient pas à se séparer de leurs anciens véhicules dotés d’un moteur à explosion, d’où l’attrait pour cette manne énergétique et ces attaques devenues assez routinières selon Francesca.

 

D’autorité elle me prit la main et m’entraîna vers l’entrée d’un immeuble. Nous en ressortîmes par la cour. Quelques ruelles plus loin, nous arrivâmes au domicile de Francesca, sous les combles d’une bâtisse qui devait bien dater de quelques siècles.

 

Je connaissais Francesca de longue date. D’abord collègue, elle avait quitté l’enseignement pour se lancer dans la décoration florale. Nous n’avions pas pour autant perdu l’habitude de prendre nos pauses dans le même troquet. Au fil des années, à coup de godets éclusés, de repas partagés, nappés de rires et de confidences, nous avions tissé une amitié solide, complice et libre, à consommer à petites doses et sans date de péremption.

 

– Explique-moi, mais dis-moi ce qui se passe !

– Mais tu débarques ou bien ! ? Qu’est-ce que tu sais déjà ?

 

– La circulation.

 

– OK ! fais-toi couler un bain, ça te détendra. Je prépare du café et je t’explique.

 

J’entendis Francesca s’activer dans la cuisine. Le bain prêt, je m’y plongeai avec soulagement. L’eau, j’aime ça. Tout y est plus léger, même l’angoisse.

 

Francesca débarqua dans la salle de bain avec deux tasses de café fumant. Elle m’en tendit une, s’assit sur le bord de la baignoire et se mit à parler.

 

Je l’écoutai raconter la victoire du parti d’en rire aux élections, il y a deux ans et l’adhésion de la Suisse à la nouvelle Fédération Européenne qui remplace la trop bureaucratiques et centralisatrice Union Européenne, désertée par la plupart de ses membres suite à la crise de l’Euro et aux endettements catastrophiques de plusieurs pays dans les années 2010-2020. La nouvelle structure regroupe tous les pays européens sans exception et fait beaucoup plus de place à l’autonomie des régions et à la démocratie locale.

Je la laissai expliquer les changements politiques ainsi que leurs multiples et drastiques conséquences sur notre vie quotidienne …

 

– Je t’assure, toutes les mesures anti-pollution et le soutien actif aux énergies renouvelables comme le solaire, l’énergie éolienne, le bio gaz, les moteurs au gaz ou à l’hydrogène, la modernisation de l’énergie hydraulique, tout ça a permis de diminuer sérieusement la pollution atmosphérique.

 

J’encaissai la nouvelle sans broncher avec l’impression que rien ne m’étonnerait plus, que tout était possible. Je balbutiai :

 

– Ah bon, mais est-ce qu’il y a encore d’autres choses qui ont changé ?

 

– Mais mon pauvre Louis, tu as du partir deux ans en Amazonie ou sur la lune, et encore,

même en Amazonie, il y a Internet !!

 

– Laisse tomber, continue…

 

Je l’écoutai alors s’enthousiasmer pour un système fiscal qui ménageait les petites entreprises et les familles aux revenus moyens et bas tout en taxant beaucoup plus qu’autrefois les hauts revenus, les grosses fortunes et les signes extérieurs de richesse comme les résidences secondaires dépassant

le million, les bateaux, les piscines, les véhicules de luxe, les animaux de compagnie et j’en passe. Elle applaudit à l’intensification de la lutte contre l’argent sale et à la taxation des gains en bourse qui avaient permis de dégager de substantiels bénéfices pour l’Etat. La Confédération suisse avait par ailleurs économisé en réformant l’armée, en diminuant les privilèges pour les hauts gradés, en ne gardant que le matériel nécessaire à sa nouvelle mission redéfinie en fonction de nos accords avec les autres pays européens. L’armée se voyait donc surtout assignée à des taches d’aide et de secours à la population ou à des missions de maintien de la paix sous l’égide de l’ONU.

 

Elle applaudit au nouveau droit pénal qui prévoyait des peines beaucoup plus lourdes pour les crimes avec violences, la pédophilie, le racisme, les infractions graves au code de la route, les atteintes à l’environnement, les abus de pouvoir et le harcèlement sur les lieux de travail.

 

Elle se réjouit du nouveau système carcéral qui organisait des travaux d’utilité publique à l’intérieur des prisons pour les criminels dangereux et sur des chantiers de montagne ou dans les hôpitaux pour les condamnés à des peines plus légères, ce qui permettait de couvrir les frais d’incarcération tout en misant d’abord sur la réhabilitation. Elle enchaîna sur les naturalisations facilitées , l’aide au développement et continua de me décrire notre pays que je ne reconnaissais plus.

 

Tout en parlant, elle jouait négligemment avec la mousse du bain et se penchait parfois vers moi comme pour me convaincre de son propos. Les deux charmantes collines qui oscillaient sous

son chemisier et devant mon nez me firent perdre le fil de son discours. Je m’enfonçai plus profondément dans la baignoire pour éviter de dévoiler la nature de mes fantasmes que devaient révéler les proportions que prenait lentement mais sûrement mon périscope personnel.

 

C’est alors que je vis Francesca s’estomper dans une brume de plus en en plus dense. Je tendis les mains vers elle, Je criai…

 

J’entendis des voix. J’ouvrai un œil et vis des blouses blanches et vertes d’où émergeait le visage d’Irma.

 

– -Louis, Louis ! réveille-toi !

Une tronche moustachue émergeant d’une blouse blanche prit la parole :

 

– Monsieur Ravoire, Monsieur Louis Ravoire !

 

– Ouais… c’est moi. Je suis où s’il vous plaît ?

 

– Vous êtes à l’hôpital. Vous avez eu un accident de voiture, tout à l’heure, sur l’autoroute. Vous étiez

dans le coma. Nous avons du vous opérer. Vous sortez de salle d’opération.

 

– Ah bon, et qu’est-ce que j’ai…?

 

– Un traumatisme crânien sans gravité mais qui vous a causé un coma d’environ 24 heures. Vous avez aussi une double fracture du tibia et une fracture ouverte du fémur. C’est la raison pour laquelle nous vous avons mis en extension.

 

– Ah bon …

 

– Vous pouvez vous rendormir maintenant. Tout va bien. Vous êtes en de bonnes mains.

 

J’entendis la même voix, qui s’adresse à Irma.

 

– Vous pouvez rentrer chez vous Madame, Il ne risque plus rien. S’en sortir comme çà après une collision arrière et deux tonneaux, ça tient du miracle. En plus, il ne se rappellera probablement rien de l’accident. Cette amnésie circonstancielle lui évitera probablement tout souvenir traumatisant. Pour lui tout ça ne restera qu’une parenthèse.

Le jour s’achevait. Au bas des montagnes, la nuit commençait à repeindre en gris les couleurs de l’automne. En ville, les gaz des voitures chassaient les odeurs de molasse, de feuilles mortes, d’eau bénite et de schnaps qui entourent la cathédrale. Dans les banlieues, le béton ne sentait rien. Sur l’autoroute s’étirait le long serpent des pendulaires de retour du turbin et en route pour la becquetée du soir.

 

Toute cette histoire pourrait se terminer ici. Le mot “FIN” surgirait en travelling arrière pour venir s’immobiliser sur une vue panoramique et crépusculaire de l’autoroute….

 

Que nenni ! Bien au contraire : c’est ici que tout commence…

 

( à suivre)

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