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© 2019-2024 Hervé Mosquit

Mon premier roman ”Au coin de l’ordinaire”, sorti en 2012, est épuisé mais il me reste le manuscrit (merci l’informatique). J’ai pensé que vous pourriez, peut-être, avoir du plaisir à le lire cet été ( es jours de pluie…!), sous forme de feuilleton. Le voici donc.
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INRODUCTION: L’histoire que je vais vous conter se passe en Suisse, petit pays montagneux au cœur de l’Europe. Ce pays de près de huit millions d’habitants est une confédération formée de 26 petits états qui ont chacun, leur parlement (les «grands conseils»), leur gouvernement (les «conseils d’Etat») leur fiscalité, leur police, leurs communes urbaines ou villageoises, leur système scolaire.

Il faut ajouter qu’il y a quatre langues officielles qui sont l’allemand, le français, l’italien et le romanche une langue latine très minoritaire parlée dans le canton des Grisons).

 

La démocratie directe et le pouvoir local sont des valeurs très fortes, quel que soit le milieu linguistique et socio-culturel. Les suisses n’aiment pas non plus ce qui dépasse : les hommes politiques sont souvent discrets, ont rarement du charisme et se promènent avec peu ou pas de gardes du corps. Les citoyens ne verraient pas d’un bon œil une présidence quasi monarchique à la française ni un pouvoir centralisé.

 

Indépendamment des élections, on vote beaucoup en Suisse : aux niveaux des communes, du canton et du pays. Le vote peut être provoqué par des citoyens ou des partis qui récoltent des signatures (100 000 au niveau fédéral) et proposent soit l’ajout d’une loi à la constitution («les initiative populaires»), soit la mise en votation populaire d’une loi votée par le parlement (le référendum). Cette pratique a malheureusement parfois pour conséquences que les gens se lassent et que le taux de participation soit très faible sauf dans les cantons où les absentéistes sont mis à l’amende. Même si beaucoup ne les utilisent que trop peu, pour rien au monde les helvètes ne voudraient renoncer à ces droits.

La confédération est dirigée par un parlement à deux chambres : le conseil des Etats ( avec deux « sénateurs » ou « conseillers aux Etats » par canton) et le conseil national où la population de chaque canton élit des députés mais dont le nombre est, cette fois, proportionnel à la population. Le parlement fédéral dans son ensemble élit l’exécutif qui est le « conseil fédéral » formé de sept conseillers fédéraux, chacun à la tête d’un «département »( ou « ministère ») comme les affaires étrangères, les finances, la défense, l’intérieur etc. Le président est l’un des sept

« sages », comme sont surnommés les conseillers fédéraux, qui assument, chaque année, à tour de rôle, cette fonction.

 

Quand on parle de la Suisse ailleurs en Europe et dans le monde, la plupart des gens pensent banques, paradis fiscal, montagnes et chocolat. Mais finalement, cette réputation est assez surfaite : si les banques sont en effet assez efficaces et compétentes, en matière de paradis fiscal les îles Caïman et Singapour nous dépassent de loin. Le Delaware ou même Jersey n’ont rien à envier non plus à la Suisse dans ce domaine, même si leurs autorités de tutelles, américaines ou britanniques peinent à le reconnaître.

 

En ce qui concerne le chocolat également, les belges par exemple, arrivent largement à la hauteur des suisses. Quant aux montagnes, je ne serai pas honnête en affirmant qu’elles sont vraiment plus belles que les Pyrénées et les Alpes italiennes ou françaises. Mais enfin, elles sont simplement plus près, donc plus accessibles pour les habitants de la Confédération Helvétique qui en ont fait l’une de leurs

images de marque.

Bref, la Suisse est un pays somme toute assez ordinaire comme le sont, d’ailleurs, la plupart de nos voisins avec qui nous avons beaucoup de parenté. Nos patois francophones par exemple appartiennent, selon la région, à la langue d’oïl ou aux patois franco-provençaux. Nous partageons avec les provinciaux français un sourire amusé, voire un certain agacement face aux parisiens, à leur vision centralisatrice et à leur parler « pointu ». Tout comme nos voisins, nous subissons sur notre territoire, en proportion équivalente à la leur, la présence de beaufs racistes, de petits chefs frétillants et harceleurs, d’arrivistes et de pseudos intellectuels à la grosse tête, de nationalistes obtus, de fanatiques religieux allumés et sectaires mais aussi de gens tout simples et plein de bon sens, comme vous et moi, parfois un peu cons, parfois un peu moins, rarement héroïques mais souvent solidaires et sympathiques.

 

La petite histoire qui va suivre nous met donc en contact avec des gens ordinaires dont il s’avère qu’ils habitent en Suisse. Ils auraient, notez bien, également pu vivre à Alès, Sabadell ou Bouillon mais je connais mieux la Suisse et j’aurais eu peur de commettre trop d’erreurs et de vexer mes amis cévenols, catalans ou wallons en situant mon récit chez eux. Cela dit, j’espère que ce récit, lui, comporte suffisamment d’accrocs, de parenthèses, d’imprévus et de détours dans les trajectoires de vie de mes personnages ordinaires pour vous donner envie de le lire jusqu’au bout.

 

Que l’on ne se trompe pas, je n’ai aucune ambition « d’entrer en littérature » : en cela je suis bien de chez nous : la grosse tête, la notoriété, les salamalecs, les explications à la mords-moi- les-neurones, ce n’est vraiment, mais alors vraiment pas ma tasse de thé, ni d’ovomaltine, ni de café, ni mon verre de rouge non plus d’ailleurs.

 

Je pratique un métier qui me passionne, j’ai une famille qui me comble de bonheur et nous demeurons dans un village où il fait bon vivre. L’anonymat heureux me convient tout à fait et je ne demande rien de plus ! L’écriture est d’abord et simplement un plaisir. Si j’ai envie de le partager, c’est d’abord aussi pour faire plaisir et, cerise sur le gâteau, pour réussir éventuellement à vous faire rire et peut-être réfléchir.

 

Cette histoire n’est bien entendu que pure fiction. Toute ressemblance avec des personnages réels ou ayant existé ne serait évidemment que fortuite et totalement involontaire .

 

Bonne lecture !

 

Quelque part dans le canton de Fribourg en Suisse, janvier 2012

 

Au coin de l’ordinaire

Chapitre 1

 

Sept heures quinze, ce matin d’octobre, sur l’autoroute, en chemin vers mon travail, vers Fribourg, ville moyenne de Suisse francophone, capitale du canton du même nom et dotée de jolis restes : soit une vieille ville médiévale enchâssée dans une boucle de la Sarine, cette rivière qui délimite peu ou prou la frontière des langues, entre le français à l’Ouest et au Sud et l’allemand au Nord et à l’Est.

 

L’été se faisait la malle en douceur. L’automne laissait se couvrir les épaules, distribuait des couleurs aux forêts et de la nostalgie à nos soirées. Ce matin, les premiers rayons de soleil caressaient tendrement la terre qui en rosissait de plaisir, exhalant ça et là des soupirs de brumes suspendus au creux des vallons, le temps de l’aurore. Les dernières traces de la nuit étaient parties se noyer dans le lac, là-bas, très loin derrière moi.

 

La circulation était fluide, le ciel limpide et mon humeur au beau fixe. Je fredonnais les mélodies que diffusait la radio entre deux débats et trois nouvelles de guerres et de catastrophes . Je levai les yeux vers le rétroviseur et m’exclamai :

 

– Non mais ! ça ne va pas la tête ! Qu’est-ce qu’il a à me coller au cul à cette vitesse. Il cherche la

collision ce con !

J’achevais de dépasser le camion qui me précédait et repris la chaussée droite, laissant passer le bolide blanc qui me talonnait. Il disparut dans une étrange lueur bleutée qui couvrait l’horizon bien avant que je n’achève de maugréer contre les chauffards, le laxisme de la police routière, le culte de la bagnole et de son avant-goût de fin du Monde.

 

La liste de mes griefs, extensible à souhait, aurait même largement permis à une deux CV asthmatique de s’évanouir dans le lointain avant que je ne me taise.

 

Allez Louis ! Tu te calmes, tu te détends, tu respires un bon coup. Et voilà que j’étais reparti, au volant s’il vous plaît, pour une petite séance de titillage narcissique et relaxante de mon nombril et de mon ego contrarié. J’apprêtai ce genre d’exercice à une sauce bio-réflexo-machin hautement éclectique concoctée à partir des réminiscences de week-ends joyeux, instructifs et chers (en francs aussi, mais c’est un autre problème), je disais donc, chers à ma compagne Irma.

 

Irma, outre le fait de partager sporadiquement ma couche et en permanence le toit qui recouvrait notre habitation commune, était une grande écolo devant l’Eternel. Elle demeurait une adepte inconditionnelle de la nourriture garantie bio, de la médecine naturelle, des énergies douces et surtout des innombrables techniques et théories de relaxation, massages, pressages et gesticulations en tout genre , du yoga au Tai-Chi en passant par la réflexologie ou la chromato-thérapie. Vraiment il faut le dire, Irma est ce qui se faisait de mieux, dans le Monde et à notre connaissance, comme égérie

des petites graines et passionaria de la santé globale.

 

Par ailleurs, mais ne le répétez pas, elle était la reine du paradoxe qui consiste, “ ein, zwei, drei, vorwärts !” (1,2,3 en avant !) à imposer à son entourage, de gré ou de force, la santé et l’enthousiasme garantis naturels. C’était une sainte écologiste vous dis-je, mais une sainte emmerdeuse.

 

Mais je m’égare, et pour éviter que ma voiture ne fasse de même, je donnai un léger coup de volant à gauche pour ne pas me retrouver complètement relaxé et béat sur les bas-côtés, dans le fossé, à droite de la bande d’urgences.

 

Je réalisai soudain que j’étais seul sur la chaussée: rien devant et pas plus dans le rétroviseur. C’était le vide sidéral rien que pour mon petit satellite personnel : le rêve inaccessible et absolu de la famille Machin coincée sur l’autoroute entre Valence et Montélimar, au mois de juillet à midi, avec les cris du petit dernier qui veut faire pipi, les deux grands qui se disputent, papi Machin qui grogne et mamy Machin qui boude. C’est le supermarché déserté un jour de soldes, le dentiste ou le toubib sans personne en salle d’attente, le bus des pendulaires sans bousculade, le cinéma sans file d’attente, le match sans supporters avinés ! Bref, c’était le plaisir total et absolu de ne pas attendre ni devoir partager le temps et l’espace.Voilà, j’arrivai à la sortie Sud, ou l’entrée, c’est selon. Dans dix minutes je serai en ville et d’ici trente minutes je verrai débarquer mes élèves en classe.

D’ici-là il y aura eu le café au bistrot, en face de l’école : ce moment-clé qui ouvre la journée, me dessille les yeux et me lave le regard. J’aime cette escale sur le chemin du turbin: odeurs de café, bruits de vaisselle, brouhaha . Je goûte, je hume, j’écoute, je regarde. J’observe: les femmes surtout, c’est normal. J’ai appris à deviner les chagrins repeints au rimmel; la démarche chaloupée et l’oeil glauque des lendemains qui déchantent; les yeux rêveurs après l’amour et le foulard qui en masque les traces ; l’haleine à faire pâlir un gousse d’ail du buveur invétéré, le désespoir du solitaire dont la solitude se reflète, plus noire encore, au fond de sa tasse ; les rendez-vous chez le chef qui font trembler les mains et commander une bière. Bref, j’anticipai le plaisir de cette parenthèse caféïnée, de cette leçon accélérée de sociologie accompagnée de la lecture du journal.

 

Fin de la bretelle de sortie et stop: contrôle de police. Pas de panique et sourire de circonstances: je baissai ma vitre:

 

– Bonjour Messieurs.

 

Le sourire est rendu, c’est bon signe.

 

– Descendez s’il vous plaît. Vos clés je vous prie…

 

– Voilà, mais…

Je m’attendais aux contrôles habituels: permis, pneus, triangle de panne. Mais la surprise est telle que les mots me manquaient. L’un des pandores dût remarquer mon embarras. Il enchaîna :

 

– Nous allons laisser votre voiture sur la place de parc que vous apercevez là-bas. Pas de

problème, vous allez la retrouver ce soir. Nous allons vous conduire. Vous allez où ?

 

Je balbutiai l’adresse de mon école. Il répondit d’un hochement de tête et fit signe à son collègue qui me gratifia d’un grand sourire.

 

– Si vous voulez bien nous suivre…

 

Je me retrouvai installé dans le véhicule de patrouille. Le policier souriait toujours et démarra. La voiture était très confortable et presque silencieuse.

 

Se passèrent alors une ou deux minutes d’un de ces silences pesants qui s’étirent et redonnent au temps une existence épaisse, palpable. Dans ces moments-là, on peut presque toucher le temps qui passe: il est là, lourd, enveloppant, adhésif. Cette impression ne prend corps qu’en de rares moments de la vie: ceux notamment qui précèdent les premiers rendez-vous amoureux, une naissance, un examen, un départ. Dans la vie quotidienne, au contraire, la fin d’un jour, d’un mois même, débarque à l’improviste en nous arrachant tout au plus un “ c’est fou comme le temps passe” désabusé et

fataliste.

 

Enfin, il parla.

 

– Je ne veux pas être indiscret, mais vous avez l’air surpris et contrarié.

 

J’explosai:

 

– Mais enfin, que se passe-t-il ? On n’a plus le droit d’aller tout seul au travail et sans escorte policière ?

 

– Sauf votre respect, mon cher monsieur, vous devez débarquer d’une autre planète pour ignorer qu’automobiles et camions roulent alternativement un jour sur deux, et cela depuis deux ans ! Les samedis, dimanche et lundis, il y a une interdiction générale de circuler, urgences médicales et services publics exceptés. Et nous sommes lundi.

 

– Ah bon, et je fais comment pour aller travailler ?

 

– Vous n’avez le droit de circuler que jusqu’aux gares ou aux arrêts de bus les plus proches de votre domicile. Je vous rappelle que les transports publics ont triplé leurs cadences et leur capacité en

voyageurs et en fret depuis deux ans. Pour le reste, la circulation continue d’être réglée par les anciennes lois avec juste quelques changements dans les sanctions frappant les contrevenants.

 

– Ah bon ?! et lesquels ?

 

– -Les amendes ont été supprimées. Les fautes graves entraînent automatiquement un retrait de permis à vie associé à une peine de travail dans les services d’urgences des hôpitaux. Pour les autres infractions, il y a simplement avertissement jusqu’à la troisième récidive. Le permis est alors confisqué, de même que le véhicule qui est revendu au profit de l’état.

 

– Mais comment…

 

– Nous arrivons Monsieur. Passez une bonne journée.

 

Je descendis de la voiture et traversai la chaussée déserte pour rejoindre l’école où mes élèves ne devaient pas tarder à arriver.

Je n’atteignis pas le trottoir qu’une détonation suivie d’un chuintement sinistre m’obligea à m’allonger sur le bitume. Des coups de feu ? mais je rêve ! Je levai la tête: l’école est là, déserte, silencieuse, et les seuls regards que je croise sont ceux des visages grimaçants “tagués” sur les murs entourant l’entrée principale.

 

Au coin de l’ordinaire

Je rampai vers le coin de la rue avec la fébrilité d’un coureur de fond pris par un besoin pressant et qui n’arrive pas à se défaire de son survêtement.

 

Je parvins au mur salvateur, le corps en nage et le gilet tissé main par Irma en loques.

 

– Louis, Louis !

 

Francesca, une ancienne collègue, était là, accroupie.

 

– Je t’ai vu ramper. Ne reste pas là à te tortiller sur le sol ! Tu vas attraper une balle perdue ou un gros rhume ! (à suivre)

Commentaires (1)

We

Webstory
22.02.2019

'Cher Hervé Mosquit, ceci est une très chouette initiative. C'est un plaisir de revisiter les particularités de ce coin de la Terre, la Suisse.
'

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