Créé le: 22.03.2019
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Alerte catastrophe

Humour

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© 2019-2024 Marie Vallaury

Le danger ne se situe pas toujours où on l'attend le plus
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Alerte catastrophe

 

Je m’enfonce sous la couette en poussant un long soupir de soulagement. Quel délice de pouvoir se laisser couler dans un monde de douceur et de tiédeur bienfaisantes après une longue et dure journée de travail. Ivre de bien-être, je flotte dans une mer de plumes comme une bactérie dans l’océan primordial, je lévite telle une bulle de savon en pleine ascension spirituelle, je me sens aussi légère qu’une meringue posée sur un lit de crème chantilly. La délicate odeur de lavande des draps fraîchement lavés m’incite à plonger voluptueusement dans un sommeil réparateur.

Un courant d’air furtif me fait frissonner quand mon mari se glisse à son tour sous le duvet. J’éteins un agacement fugace en l’embrassant légèrement et je retourne à mon cocon de rêverie et de douceur. Mon corps se détend, mes pensées deviennent songes qui se laissent emporter par une mince brise qui va et vient de manière sporadique. Interpellée par cet étrange rythme aérien, j’émerge de mon demi-sommeil. Gérard, déjà endormi, expire en chuintant un air chargé de relents d’ail. Contrariée par cette irruption inopportune, je me renfonce un peu plus sous la couette et j’essaie de me replonger dans mon rêve : j’étais à la terrasse d’un café et j’attendais quelqu’un … ça y est, j’y suis revenue, impatiente dans l’espérance de mon rendez-vous. Soudain, mon téléphone portable posé sur la table se met à vibrer avec insistance, et la vibration se propage dans tout mon corps. Réveillée en sursaut, je m’affole en constatant que les vibrations envahissent réellement tout le lit. Après quelques instants de stupeur hébétée, je me rends compte que ce n’est que Gérard qui est passé en mode vibreur. Malheureusement, pas de bouton d’arrêt chez mon mari. Pour l’instant, l’intensité tient du ronronnement d’un chat légèrement asthmatique, mais ce n’est que le tour de chauffe.

La tête enfouie sous mon coussin, je tente d’endiguer à la fois ce bourdonnement syncopé qui m’assaille et l’irritation qui me gagne. Mais c’est peine perdue. Des images m’envahissent, évoluant au gré des variations sonores de mon voisin de lit : un frelon me frôle, tournoyant autour de ma tête ; un molosse menaçant me montre les crocs en grondant, la bave aux lèvres ; j’hiberne aux côtés d’un ours ronchonnant au fond d’une caverne. Cette fois-ci, franchement énervée, je me dresse dans mon lit, plaque mes deux mains sur mes oreilles. Je regarde la masse gélatineuse qui dort du sommeil du juste à côté de moi. Je me penche au-dessus de lui et sifflote un petit air apaisant. L’engin ralentit, crachote, reste en apnée quelques secondes, tressaute, puis cale. Je n’ose plus bouger, la machine mise en veille est très certainement équipée d’un détecteur de mouvement.

Je reste une minute à savourer le silence, puis me recouche au ralenti, tendue comme un ressort. Mais je n’aurais pas droit à une deuxième minute de paix. Frémissement d’abord imperceptible, les draps tremblotent, la pompe se remet en route avec la régularité d’un diesel bien réglé. Les trépidations reprennent et me replonge dans un monde sensoriel virtuel : un robot ménager hache des oignons, j’arrive à en sentir l’odeur et j’en pleure. Ça y est, le moteur est chaud, le curseur monte, je suis allongée sur un transat, et Gérard passe la tondeuse juste à côté de moi, j’ai des brins d’herbe qui me grattent partout sur le corps. Ah, décidément, cet homme me fait voyager, me voilà maintenant sur la piste d’un aéroport et le grondement puissant des réacteurs d’un Boeing 747 me plaque les cheveux sur la tête.

Trop, c’est trop ! Je bondis, empoigne mon mari sans ménagement et le secoue comme si je voulais que tous ses organes se mélangent. Il ouvre les yeux, on dirait qu’il sort du coma.Comment peut-il dormir aussi profondément alors que je suis incapable de fermer ne serait-ce qu’un œil à cause de ses ronflements de barbare ! Son œil vitreux me regarde, sa bouche esquisse un demi-sourire désolé et compatissant. « Je n’y peux rien » semble exprimer sa mine vaguement coupable. Il pivote sur le côté, et je lui tourne le dos avec un soupir de résignation. Le calme avant la tempête règne dans la chambre.

Bien qu’endormie, mon sismographe interne a déjà détecté l’épicentre du tremblement de terre qui atteindra prochainement la région. En attendant le séisme final, je rêve d’une excavatrice qui creuse sans relâche dans le sous-sol de mon inconscient ; je me retrouve dans la trajectoire d’une énorme turbine qui noie toutes mes tentatives de relaxation ; une foreuse géante creuse un tunnel sous la montagne de mes récriminations.

Au moment où des plaques tectoniques s’entrechoquent avec Force 8 sur l’échelle de Richter, je songe enfin à ma propre survie. Je fuis sous une pluie de gravats, zigzagant entre les failles béantes et les torrents de boue. J’atteins enfin le canapé du salon, havre de paix au milieu du chaos, radeau de sauvetage toujours prêt à m’accueillir dans la tempête. Pelotonnée sous une couverture de survie, loin du cyclone, mon corps et mon esprit enfin s’apaisent.

Il faudra que je pense à vérifier l’étendue de ma couverture d’assurance !

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