Créé le: 05.09.2021
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A toi

Correspondance, Psychologie

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C’est elle mon ennemie, je l’ai compris récemment, pas sans étonnement, pas sans stupeur. J’avais les yeux bandés pendant trop longtemps…
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Genève, le 10 août 2021

 

 

Salut !

(Je ne pourrais jamais t’appeler « Chère X », même pour des exigences de belle écriture)

 

 

Oui, c’est moi qui t’écris. Je n’aurais jamais pensé à le faire (et j’ai de forts doutes que tu voies cette lettre un jour), s’il n’y avait pas ce concours d’écriture avec un thème si inattendu et contrariant : « lettre à mon ennemie ».

Je vois déjà un sourire germer au coin de tes lèvres : oui, je participe à un concours d’écriture maintenant. Je te laisse le plaisir de te moquer…tu sais tellement bien le faire !

Je parie que tu te demandes pourquoi je t’ai choisi (tu vois, je te connais, après tant d’années…) La réponse est simple : je n’ai pas d’ennemis. Si insignifiante, effacée, timorée que je suis (comme tu me le répètes sans cesse, d’ailleurs), il n’y a personne qui s’en prend à moi. Encore moins probable ce serait que moi, je m’en prenne à quelqu’un. Même si j’avais eu des gens qui m’en voulaient dans le passé, ils ne me l’ont jamais dit, ni montré et je suis sure qu’ils m’ont oublié déjà depuis longtemps. Tu vas dire que cela te semble normal : pourquoi la peine de me haïr !? Sur ce sujet nous sommes d’accord : je ne pourrais être l’ennemie de personne.

Mais je me réserve le droit de haïr quelqu’un : TOI ! Tu te trouves sur ma liste comme première et seule ennemie. Contente ? Etonnée ? Tu ne t’imaginais même pas que je sois capable de tels sentiments ? Tu ne pensais pas que ce soit toi ? Ben, c’est la vérité et maintenant tu le sais… (ceci au cas où j’aurais le courage de t’envoyer cette missive).

Je t’ai connu à la mort du mon père. Ah, j’étais si jeune, j’étais si forte…mais tu ne peux pas savoir comment j’étais avant. Tu ne peux pas le savoir !… Je prenais ma guitare, quelques amis ou de simples connaissances qui avaient le courage de se lancer, et on partait découvrir le monde, en stop. On n’avait besoin ni d’argent, ni de bagages, quelques biscuits dans un sac à dos nous suffisaient pour faire le tour du monde.

Une fois, nous sommes arrivés à la mer très tard dans la nuit. Les auberges étaient fermées et pour un hôtel nous n’avions pas les moyens. On s’est couchés alors au bord de la mer, sur une plage de cailloux, bercés par le va-et-vient des vagues qui chuchotaient des incantations mystérieuses à nos oreilles. Je suis tombée dans un sommeil profond. Jamais un matelas n’a été si moelleux et enveloppant que ces pierres. Jamais un hôtel, le plus luxueux qu’il soit, n’aurait pu m’offrir une lumière si douce que celle des étoiles, un air si pur que le parfum de la mer, une ventilation si parfaite que la légère brise qui caressait mon visage. Le réveil a été aussi brusque qu’inattendu : un jet d’eau froide continu, insistant, qui venait de la mer. C’étaient les nettoyeurs qui lavaient la plage, en enlevant les ordures. Je me suis senti une ordure moi aussi. Mais l’enchantement a pris la place de la colère, car la splendeur la plus totale se dévoilait à mes yeux, au-delà des machines et des jets d’eau : le soleil s’étirait à l’horizon dans l’eau sombre de la mer, il avait ouvert les yeux en même temps que nous. J’ai remercié les consciencieux fonctionnaires de la propreté de m’avoir réveillée et je me suis jetée dans les ondes purificatrices. Ce matin-là, nous nous sommes baignés ensemble, le soleil et moi.

Ma guitare était ma meilleure amie, je me confessais à elle, je lui confiais mes peines et mes secrets, elle pleurait et riait avec moi. Je n’avais surtout pas besoin de public, je chantais et je jouais pour moi, pour elle.  Ensemble, nous avons vu des pays, nous avons écouté des gens, nous avons senti la bénédiction de la pluie et la rancune du soleil, nous avons goûté à l’extase et à la tristesse. Et quand la terre nous était trop étroite, alors, la nuit, on sortait explorer les étoiles.

J’étais comme ça avant, mais tu ne peux pas le savoir. Tu es entrée dans ma vie, ou plutôt tu t’y es insinuée, quand mon être avait perdu tous ses repères, toutes les certitudes, tout le courage. Tu m’as promis que tu allais être toujours à mon côté et c’est vrai : tu es restée. Tu ne m’as plus jamais quittée. Tu m’accompagnais, tes mots étaient toujours dans mes oreilles, ta main toujours sur mon épaule. Je trouvais ceci rassurant…au début. Mais petit à petit je me suis rendu compte que je n’entendais plus ma propre voix, que mes yeux ne voyaient plus tellement clair et que je préférais marcher dans tes pas…pour des raisons de sécurité. Oui, tu me parlais sans cesse de ceci : la sécurité est devenue ma principale préoccupation.

Tu souris, je sais, mais il y a seulement de l’ironie et du mépris dans ton sourire…je le connais trop bien ! Tu m’as eue, j’ai vraiment cru en toi ! A cause de toi et « pour des raisons de sécurité » j’ai arrêté mes escapades, mes baignades tête à tête avec le soleil, j’ai arrêté d’explorer le monde, pour ne pas parler des étoiles…quant à ma guitare elle repose dans sa housse pleine de poussière. Tu m’as cru vaincue, n’est pas ? Pendant des années je l’ai cru moi aussi…

Ta présence est devenue un venin qui m’empoisonnait lentement mais sûrement. Chaque cellule de mon corps a souffert (et souffre encore). La maladie était quasi inévitable. Elle s’est installée pour une période de temps suspendu : des jours, des semaines, des mois peut être, j’ai perdu l’espoir ! Tu jubilais, tu avais gagné ! Mais c’est justement ceci qui t’avait trahie. Un jour je me suis levée de mon lit et je t’ai vue, plus contente que jamais, tu souriais pendant que moi, je souffrais à mort…

Je viens de comprendre pourquoi je t’écris. J’ai un besoin viscéral de te dire ceci : je sais que tu vas rester continuellement à mon côté, tu fais partie de ma vie maintenant, je sais que tes intentions n’ont pas été toujours mauvaises et j’admets que j’ai eu besoin de toi pas mal de fois dans ma vie, mais… je ne suis pas ta marionnette.  (Comme ça fait du bien d’écrire cette phrase ! J’espère que tu vas la lire un jour : ça me fera encore plus de bien !)

Si c’était selon toi, je n’aurais jamais quitté mon nid, jamais appris à parler la langue des scientifiques, je n’aurais jamais confié ma vie à quelqu’un d’autre, jamais dormi dans les bras d’un ange, jamais essuyé une larme, jamais volé avec les nuages, jamais écrit. Mais j’ai fait toutes ses choses, et plein d’autres encore, malgré toi, malgré moi.

Je garde mon droit de te haïr, mais je ne regrette rien : ni mes extases, ni mes tristesses, ni t’avoir connue. Car j’ai compris qu’en moi habite une force beaucoup plus grande que toi, plus grande que tout, une force qui ne m’a jamais quittée, même dans les plus sombres profondeurs de la souffrance : c’est l’Amour.

Ce soir, quand la nuit et le silence berceront la maison, je vais sortir ma guitare, je vais la dépoussiérer, l’accorder et vais jouer pour toi, ma Peur.

 

 

A toi jusqu’à la fin,

 

Oana

Commentaires (1)

Ema Cera
27.09.2021

Authentique. Ta sincérité est touchante. On a l’impression de te connaître en te lisant. Bien des personnes devraient s’en inspirer…

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