Créé le: 28.09.2016
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Sopoli

Polar

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© 2016-2024 Jacques Defondval

Sopoli est une fiction réelle. La justice est basée sur la vérité. La vérité ne peut être qu’unique. Multiple, elle perd son essence de vérité. Et l’homme qui n’est pas Dieu, ne peut que se soumettre à cet état d'imperfection.
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sopoli

— Etes-vous sûr de vouloir boire ce médicament qui va vous endormir et vous donner la mort ?

Livia Montavi tendait à Louis Dirac un petit godet. Elle attendait la réponse dans un silence immobile. L’homme âgé souleva brièvement ses sourcils et sans hésiter répondit :

— Oui, c’est ce que je veux.

Livia poursuivit le dialogue de la procédure et donna la boisson létale à Louis qui s’en saisit. Il regarda silencieusement le liquide pendant quelques secondes puis se leva péniblement sur ses deux jambes en s’appuyant sur le dos du canapé en disant d’une voix blanche mais ferme :

— Je suis un homme debout. Puis en donnant plus de son à sa voix il proféra : Debout et libre. Sur ces paroles, il avala d’un trait le contenu du godet.

Louis se rassit et Livia lui donna encore un verre d’eau sucrée et parfumée pour masquer le goût vénéneux et chimique. Quelques minutes plus tard, Louis s’endormit en hoquetant dans les bras de Livia qui le soutenait. Elle adressa quelques mots aux personnes en présence et se leva en laissant Louis Dirac s’enfoncer, presque souriant, dans cette mort qu’il avait tant appelée.

Dans une pièce attenante du pavillon appartenant à l’association Cycle of Being, elle se retrouva seule comme souvent dans ce moment d’intimité qui appartenait aux proches et à la famille du mourant. Dans trente minutes, elle ferait le premier examen de la pupille qui attesterait de la mort. Assise devant la fenêtre qui donnait sur le petit bois de mélèzes, elle pensait à l’autre, là-bas, à Montana, qui ne refroidissait pas dans sa couverture chauffante.

***

Guillaume serrait les mains et répondait aux sourires de ses collègues. Il n’appréciait pas outre mesure ces “pots de départ” qui fleuraient bon l’épitaphe, mais il devait reconnaître

 

que le rassemblement amical organisé pour marquer sa sortie l’avait touché. La dernière à venir le saluer fut Marysa Sanchez, sa partenaire d’enquête depuis plus de quatre ans.

— Moi, je te dis à demain. Officiellement, il te reste combien de jour ?

— Quelque chose comme dix jours ouvrables. Moins les heures sup. Donc plus grand-chose.

— Demain, tu me donneras ce que tu as sur l’affaire Montavi ?

— Le dossier est complet et le rapport est terminé…, Guillaume hésita, mais j’ai encore quelques points à vérifier.

— Je connais tes doutes, mais tu sais aussi quelle est la position du procureur ?

Guillaume soupira :

— Oui, malheureusement.

Guillaume quitta l’Hôtel de Police avec le dossier Montavi. Avant de se retirer dans son gîte, il s’arrêta à La Savièsanne et se procura de quoi se faire un sandwich pour son repas. Arrivé chez lui, il parqua son véhicule et fit quelques pas en scrutant la découpe des Alpes valaisannes étalées devant lui. La Dent Blanche était rose du couchant, à côté d’elle, la Maya se détachait déjà en ombre chinoise. En contrebas, l’étang des Rochers reflétait la lumière orangée du crépuscule. L’air était encore frais et le printemps s’installait. Satisfait, Guillaume entra chez lui et huma avec bonheur le parfum boisé de son intérieur. Dans la pièce de séjour qui était ouverte sur la cuisine, il prépara avec méthode les éléments dont il avait besoin : la bouteille de pinot, le sandwich au thon, une vidéo des Indes galantes avec William Christie et au milieu de l’espace qu’il avait dégagé, le dossier complet de Dario Montavi. En se parlant à lui-même pour préciser le cheminement de sa pensée, il disposa les pièces du dossier sur le sol, selon sa chronologie :

1. Dario Montavi avait été retrouvé mort à son domicile, à Montana-Crans le 24 mars 2015 à 0930 par son employeur inquiet de son absence depuis deux jours.

2. Dario Montavi était connu des services de police pour plusieurs affaires de drogues en tous genres. Condamné deux fois pour trafic d’héroïne et consommateur notoire de cette substance.

3. Les agents de la police scientifique avaient relevé :

a) Les empreintes de la victime sur la seringue encore sur la table, et plusieurs autres traces appartenant à une femme faisant ou ayant fait partie du milieu de la prostitution. Elle avait été identifiée et mise hors de cause. Aucune autre trace significative n’avait été relevée.

b) Les agents avaient saisi un matériel médical complet, destiné aux injections intraveineuses, (seringues, aiguilles, coupelles stériles, bougies de chauffe-plats, sangle) ainsi qu’un sachet d’héroïne blanche.

4. La porte de l’appartement de la victime n’était pas verrouillée lors de la venue du témoin qui avait découvert le corps. L’appartement lui-même était dans un état négligé, à la limite de l’insalubrité.

5. L’enquête de voisinage n’avait rien révélé. Dario Montavi était perçu comme une personne discrète et taciturne. Il était bien connu des établissements de nuit de la station dans laquelle il fonctionnait comme chauffeur de taxi spécialisé VIP.

6. Le corps était étendu sur le canapé du séjour. La victime s’était enveloppée dans une couverture chauffante encore active au moment de la levée du corps.

7. Le rapport médico-légal indiquait une forte concentration d’héroïne dans les organes touchés par ce type d’intoxication. Les autres recherches en toxicologie ne pouvaient plus être considérées comme pertinentes car l’heure de la mort ne pouvait être déterminée avec précision à cause de la couverture chauffante. Tout au plus pouvait-on avancer un encadrement entre le samedi 20 mars et le mardi 23 mars.

8. Le téléphone portable de la victime avait été saisi et avait fait l’objet des investigations habituelles du groupe technique. Celui-ci avait mentionné la trace de 11 numéros différents, entrants et sortants, restés en mémoire durant les dix jours qui avaient précédé le décès. Tous avaient été contrôlés et tous avaient témoigné de leurs conversations avec la victime. Aucune autre information pertinente n’avait pu être mise en avant.

9. La copie d’un courrier envoyé à sa sœur, Livia Montavi, par un avocat mandaté par Dario avait été retrouvé dans l’appartement de la victime. En question, la maison d’Icogne dans laquelle habitait Livia Montavi et dont une partie, par voie de succession, revenait à Dario.

10. La sœur de la victime, Livia Montavi, avait été entendue. Elle avait déclaré n’avoir plus de contacts avec son frère. Mais quelques jours avant sa mort, elle avait eu deux conversations téléphoniques avec l’avocat de Dario pour régler ces questions de succession. L’avocat avait confirmé ces appels et communiqué le motif de ceux-ci : Livia voulait connaître ses droits légaux concernant la liquidation de la succession.

A ce point de l’enquête, tout était clair pour tous. Ses collègues et le procureur en charge de la direction d’enquête avaient conclu en s’en tenant au cadre juridique en vigueur, à une mort par

suicide ou accidentelle provoquée par une surdose d’héroïne. Aucun élément factuel ne permettait une autre interprétation.

Sauf pour Guillaume.

Assis devant les pièces de l’enquête disposées en large éventail devant lui, il réfléchissait et écrivait au feutre noir sur des demi feuillets, ses questions, pour lui non résolues :

a) Dario et Livia Montavi avaient été impliqués dans un grave accident de circulation il y a 26 ans : le 6 septembre 1988. Dario Montavi avait perdu la maîtrise du véhicule qui avait fait plusieurs tonneaux avant de s’immobiliser sur ses roues en contrebas de la route de Crans. Livia Montavi avait été éjectée et avait eu les deux jambes brisées. Dans la voiture était resté le fils de Livia, Alban Montavi. Le moteur de la voiture accidentée avait continué à tourner et par un malheureux concours de circonstances, les gaz d’échappement avaient pénétré dans le fond de la voiture où était resté étendu Alban Montavi. Celui-ci était mort asphyxié. Les occupants de la voiture arrivée sur les lieux quelques minutes plus tard avaient donné l’alerte. Dario n’était plus sur les lieux. Au dire de sa sœur, il était parti chercher du secours, mais il n’avait reparu que 24 heures plus tard. Il fut inculpé d’homicide par négligence et délit de fuite. Son avocat avait plaidé le trouble momentané de la conscience suite au choc. Faute de preuves et de témoignages à charge, il avait obtenu le non-lieu.

b) Livia Montavi était restée célibataire. Infirmière de formation, elle travaillait à mi-temps pour l’association d’aide au suicide Cycle of Being. Après l’audition qu’il avait eue avec elle,

Guillaume avait gardé un sentiment de malaise face à l’attitude lointaine, totalement dépourvue d’émotion de Livia.

c) La femme qui avait soutenu Livia Montavi s’appelait Sophie Torrent, née le 16.04.1966. Il n’y avait plus d’autres informations dans le système. Qu’était devenue aujourd’hui Sophie Torrent ?

d) L’utilisation de la couverture chauffante était peut-être du fait de la victime, mais l’intervention d’un tiers ne pouvait être formellement exclue.

e) Livia Montavi n’avait pas pu fournir un alibi solide pour le dimanche 22.03.2015.

Guillaume contempla l’arc de papiers à ses pieds et les notes de ses considérations qui s’y étaient greffées. En effet, il n’y avait aucun lien, si ce n’est celui d’avoir été impliqués ensemble, frère et sœur, dans cet accident dramatique datant de vingt-six ans, et la mort de Dario Montavi. Et pourtant, l’esprit noueux de Guillaume, même s’il s’en défendait, en insinuait un. Il aimerait beaucoup savoir, par exemple, qui était cette Sophie Torrent qui avait attendu les secours en compagnie de Livia Montavi. Avait-elle gardé des contacts avec Livia ? Livia qui l’avait impressionné par son calme, son détachement et la beauté sidérale de ses yeux lavande. Et puis cette couverture chauffante qui interdisait une chronologie précise de la mort de Dario, le dérangeait. Guillaume était en fin de carrière et comme à ses premiers jours dans la police judiciaire, viscéralement, il renâclait devant un élément incongru qui empêchait d’avérer ses intuitions. Livia réunissait toutes les conditions pour avoir pu assassiner son frère. Le mobile de la perte violente de son enfant par veulerie de Dario était suffisamment puissant ainsi que cette réapparition soudaine pour récupérer l’argent

de la maison familiale. Elle possédait les compétences médicales qui lui donnaient le savoir-faire d’une injection. Enfin, son activité d’accompagnatrice confirmée dans l’association Cycle of Being la rendait exercée à côtoyer la mort d’autrui. Plus que cela, elle connaissait l’expérience singulière de se conditionner pour, le moment venu, la donner. Ce qui n’était pas rien. Cet univers singulier dans lequel évoluait Livia Montavi lui conférait un état hybride, situé entre la sainteté et l’abjection du meurtre. Mais après plus de deux heures de gamberge, il dut se rendre à l’évidence. Tout ça n’était au regard de la loi, que spéculations et théories, pour ne pas dire états d’âme. A ce point des investigations, il manquait un élément factuel déterminant pour étayer son hypothèse. Un élément qui soit suffisamment robuste juridiquement, pour décider le procureur à poursuivre l’enquête. Mais Guillaume n’avait rien dans les mains qui pouvait infléchir le cours de la procédure.Néanmoins, et de façon à pouvoir se dire qu’il avait tout tenté, il se saisit de son téléphone et appela Georges Guilloud. Après deux sonneries, celui-ci s’annonça :— Paroisse des Anonymes, que puis-je pour vous ?— Salut Géo, je te dérange ?— Noooon, il est vingt-trois heures trente au troisième top. T’as des insomnies ?Georges Guilloud, dit Géo Trouvetout, ex-collaborateur génial du Service Informatique du canton, évincé et fiché pour des activités illégales liées au réseau underground des Anonymous, était toujours aussi gouailleur.— Non, quoique…, bon, en bref, j’ai besoin de toi une dernière fois…

— Et moi je t’arrête tout de suite Colombo, j’ai un job urgentissime à présenter dans deux jours à un citoyen aussi zarbi que toi. Il veut ouvrir une sorte de librairie qu’il a appelé L’Hospice des manuscrits abandonnés. Un philanthrope quoi. Et bien sûr, il pense à numériser. Son idée me plait. Et en plus il paye bien. Alors vois-tu, j’ai du boulot.

Mais Guillaume connaissait l’animal et après quelques minutes de négociations Géo finit par lâcher :

— Ouais, monsieur du dernier mot, on va pas y passer la nuit. Demain matin à sept heures. Et viens à l’heure ! Et avec le rapport EnCase !

EnCase Forensic System. C’était Géo lui-même, quand il était encore fréquentable, qui avait amené la police cantonale à s’intéresser à cet environnement technologique permettant de relever tous types de traces numériques. Le logiciel, devenu un standard dans ce type de recherches générait un rapport complet sur l’équipement analysé.

Le lendemain matin, à six heures, Guillaume avait récupéré le portable de Dario Montavi et à sept heures, il sonnait à la porte de Géo. Celui-ci lui ouvrit et sans le saluer maugréa :

— Donne-moi le téléphone, le rapport et va préparer le café à la cuisine.

Vingt minutes plus tard, Géo s’assit devant son bol de café noir et annonça :

— C’est bien ce que je pensais, le reporting de EnCase est complet et je pars du principe que toutes les traces significatives relevées ont été exploitées. Géo avait lancé un regard aigu en direction de Guillaume qui confirma. Il y a quand même, poursuivit Géo, une information souvent considérée comme non pertinente qui ne figure pas dans le rapport : c’est la liste des derniers appareils

identifiés par le système Bluetooth du téléphone et qui se sont trouvés à proximité.

— On peut voir ?

— Plus maintenant. Dès le moment où on active les paramètres Bluetooth, le système lance automatiquement une nouvelle détection, mais ne fais pas ta tête de nœud, j’en ai fait une vidéo.

Sur les images, on voyait le Samsung de Dario identifié par son numéro de séquestre. Sur l’écran, en dessous du titre « Périphériques disponibles », étaient apparus pendant quelques secondes deux noms : FT01D et sopoli.

— Et alors ?

— Et alors, il ne te reste qu’à faire la tournée de tes suspects et détecter si ces noms apparaissent sur ton téléphone, tu me suis ? Si c’est le cas, c’est que ces appareils se sont trouvés proches du Samsung ici présent, et donc proches de son propriétaire.

— Et si ce n’est pas le cas ?

— Tu leur demandes poliment de te montrer le nom de leur mobile, ça c’est dans tes cordes non ?

Dans sa voiture de service, Guillaume avait contacté l’Hôpital de Sierre pour s’assurer de la présence de Livia. Arrivé sur place, il s’annonça à la réception et demanda de pouvoir parler à Madame Montavi. Il patienta pendant plus d’une demi-heure avant de pouvoir saluer Livia. Elle lui parut toujours aussi maîtresse d’elle-même et toujours aussi belle. Aucune méfiance ou agacement ne transparaissait sur son visage. A la question de savoir si elle possédait un téléphone portable elle répondit par l’affirmative et tendit à Guillaume un appareil de marque LG.

— Connaissez-vous le nom de votre smartphone ?

Pour la première fois, Livia manifesta de la surprise.

— Bien sûr. Cet équipement nous est fourni par le Service informatique du Centre Hospitalier du Valais Romand. Nous l’utilisons pour plusieurs services fournis par l’Hôpital. Mon nom d’utilisateur est CHVR285.

En demandant à Livia d’entrer dans les paramètres de sa machine, Guillaume constata que le nom enregistré était bien celui-là.

— Puis-je vous demander si vous avez un téléphone portable privé ?

— Pas du tout. Livia le regardait de son regard bleu-sombre, avec une impassibilité tranquille. J’ai, chez moi un téléphone fixe et ce mobile professionnel en tout et pour tout.

Guillaume n’allongea pas, tout était dit. Il n’avait aucune raison de mettre en doute les déclarations de Livia et il valait mieux s’arrêter là. Il s’était trompé et « Lè dinche » (Patois : C’est comme ça).

Dans l’heure qui suivit, il transmit le dossier complet à sa collaboratrice en soulevant tous les points, qui selon lui méritaient encore une investigation. Sans en citer la source, il demanda expressément à Marysa Sanchez de contrôler les informations Bluetooth relevées par le groupe Technique Forensique, informations qui ne figuraient pas sur le rapport.

— Je le ferai, pour le reste, tu te rends compte, Guillaume, qu’aucune de tes conjectures ne convaincront le procureur à appuyer un complément d’enquête ?

— Oui en effet. Le point le plus obscur reste sans doute le modus opératoire pour administrer à la victime contre son gré une injection mortelle d’héroïne. J’ai demandé une analyse capillaire pour déceler la présence éventuelle de GHB…

— Et elle a été refusée. Je sais. Il n’y a aucun élément qui permet d’aller dans le sens de ton interprétation des faits. Aucune trace, aucun témoignage.

Le coût important de ce type d’analyse ne se justifiait donc pas. Après une pause, Marysa posa sa main sur le bras de Guillaume et se mettant bien en face de lui elle dit doucement :

— Lâche Guillaume. Lâche et commence quelque chose que tu n’as jamais fait.

Guillaume resta silencieux un instant puis relevant ses sourcils qui blanchissaient adressa un large sourire à sa partenaire en poussant le dossier dans sa direction :

— Ça, c’est fait Marysa. Maintenant c’est à toi.

Dans les trois jours qui suivirent, Guillaume fit ses adieux, partagea beaucoup d’apéritifs et tourna le dos à sa vie professionnelle.

***

Six mois plus tard, c’est avec plaisir qu’il se rendait chez le président de Valrando, Philippe Ulrich. Ils devaient mettre au point les derniers détails de la sortie du lendemain. En arrivant sur le parking de l’immeuble, Guilllaume repéra Philippe qui conversait avec une personne. En sortant de sa voiture, il entendit Philippe qui saluait avec volubilité une femme qu’il ne connaissait pas. Sans en avoir vraiment conscience, il mémorisa le numéro d’immatriculation de la voiture. Son état de policier enquêteur à la retraite lui convenait de mieux en mieux, mais d’anciens réflexes professionnels ne passeraient sans doute jamais. Il avait l’habitude d’ailleurs,

en empruntant la figure de style aux Alcooliques Anonymes, de se définir comme flic abstinent. Philippe se tourna vers lui la main tendue en lui lançant un sonore :

— Bonjour mon cher, je t’attendais. Alors comment vas-tu ? Sans attendre de réponse, Philippe toujours aussi exubérant, enchaîna. Tu ne connais pas Madame Olivier, n’est-ce pas ? C’est elle qui est notre médecin régional. Oh, elle est très appréciée et très compétente. Mais figure-toi qu’entre elle et moi, c’est une vieille histoire, imagine : nous avons fréquenté la même école primaire à Sierre. D’ailleurs à ce moment-là, elle s’appelait Torrent. Sophie Torrent. Tous les garçons de sixième avaient le béguin pour elle, mais c’est ce tordu de Roméo Bartozzo qu’elle préférait. Philippe s’esclaffa à ce souvenir puis poursuivit : maintenant elle vit ici avec son mari et elle est devenue Madame la Doctoresse Sophie Olivier qui officie…

Guillaume n’entendait plus. Il y avait dans les paroles de Philippe une musique qu’il avait reconnue. Son esprit, mécaniquement, assemblait et désassemblait les morceaux du kaléidoscope quand soudain le dessin devint intelligible. Fébrilement, il consulta les paramètres Bluetooth de son mobile. Dans la liste des derniers dispositifs informatiques détectés, il lut le nom de machine « sopoli », sopoli pour Sophie Olivier, sopoli que Géo avait repéré sur le téléphone de Dario Montavi, sopoli qui n’était jamais apparue dans le cours de l’enquête.

Sur le balcon de Philippe, Guillaume contemplait ce pays du Valais rude et beau. Les paroles de Marysa qu’il venait de contacter, flottaient encore à son oreille : le terme de sopoli n’avait plus été retrouvé nulle part sur le téléphone de Dario, la vidéo qui en gardait la trace ne pouvait juridiquement être produite comme pièce à charge, enfin, l’affaire avait été jugée et la cause de la mort, définitivement admise comme étant un suicide.

— C’est fini, Guillaume. Passe à autre chose.

Guillaume observait rêveusement la majesté hiératique de la Dent Blanche. Elle était là avant lui et avant les Montavi. Et elle serait encore là après. Au fond, Kundera avait raison : rien ne sera réparé, tout sera oublié.

 

Suite à cette nouvelle publiée par Jacques Defondval, quelle ne fût pas sa surprise de recevoir une réponse le 18 décembre d’une certaine Sophie Olivier…

Commentaires (2)

Pierre de lune
16.10.2016

Bonjour ! Un polar qui a de la poigne, et technique :-) J'aurais aimé en savoir plus sur le mobile de Sophie Torrent et les relations entre ce médecin et Livia ?

Jacques Defondval
16.10.2016

Vos désirs rejoignent mes regrets. En effet, j'aurais aimé expliciter les mobiles et les relations qu'ont gardés Sophie et Livia. Mais le jeu était d'écrire sous contrainte du nombre de caractères. Un choix de l'auteur, sur ce qu'il veut transmettre sans compromis devient alors inévitable... Et enfin, j'aime laisser de la place à la compétence du lecteur pour assembler les éléments créer sa propre interprétation. C'est une prétention qui comporte un risque :-)

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