Créé le: 19.08.2015
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Reflets d’amour

Amour, Histoire de famille

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Trouvaille

1

Triste vérité, désir d’espérance. Voici le miroir tel un chemin, tel un passage qui mène de l’amertume au bonheur. Les deux se confondent à force. Où se trouve la réalité ?
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C’est l’histoire d’un petit garçon. Non ! Enfin si ! Mais c’est surtout l’histoire d’un miroir. Un miroir qu’il demanda à sa mère d’acheter par un beau samedi de promenade. Au milieu du brouhaha d’un marché aux puces de quartier, le petit s’amouracha de cette glace qui le dépassait de quatre têtes.

 

Il remarqua qu’un majestueux arbre s’y reflétait, il le vit disparaître sous un drap blanc que le vendeur déploya afin d’emballer le précieux objet.
À peine le seuil de chez eux franchi, il le mit à la meilleur place de sa chambre sans le déballer pour autant. En sortant de cette dernière, son père se tenait là, il était dressé en plein milieu du couloir, le regard glacial et interrogatif.
Il exigea de connaître le coût du miroir, le motif de cet achat. La mère lui répondit que c’était un cadeau pour récompenser les bonnes notes de leur fils. Un rire sadique est narquois s’empara de lui en disant que son fils n’était qu’un être inutile, une merde, un bon-à-rien qui ne réussirait jamais dans la vie…

 

Les oreilles de l’enfant furent remplies de ce verbal venin. La mort dans l’âme, il se réfugia dans son antre. Ses pleurs furent soudainement interrompus par le désir de déballer son miroir. Il en fut stupéfait. Surprise et mystère ! Par quel sortilège de sorciers, ce miroir pouvait encore continuer à renvoyer non pas son reflet mais celui de cet arbre qui devenait, à priori, magique ?

Stupide horoscope

2

Un lendemain comme tant d’autres. Le garçonnet s’amusait dans la salle à manger. Il riait de lire autant d’âneries formatées dans la page horoscope du journal. Son père était assis à côté de lui, demeurait stoïque et faisait semblant de s’occuper.
Tout à coup, il demanda à son fils de le renseigner sur le décan de sa mère. Le petit lui répondit “troisième décan”. Il rentra dans une colère folle. Il le traita de menteur. Son fils osa lui répondre qu’il n’avait qu’à prendre le journal et lire ! Mal lui en avait pris. Le tortionnaire se leva, s’empara d’un grand couteau de boucher qui était resté sur la table et commença à le pourchasser partout dans l’appartement. Ses yeux étaient injectés de sang comme ceux d’un psychopathe.

 

La mère qui entendit les cris du petit, accourut à son secours et s’interposa entre son fils et son bourreau. Elle lui arracha l’arme des mains et s’en suivit une joute verbale des plus criantes.
Le garçon s’enferma à clé dans sa chambre, sa gorge gonflée et serrée par la peur, ses mains froides et moites. Le vent. Il entendit le sifflement du vent. La fenêtre était pourtant fermée alors d’où venait se souffle ? L’arbre ! Les branches se mirent à bouger ! Il pensa devenir aussi fou que son père. Il se frotta les yeux, une fois puis deux. Il bougeait toujours.

 

Il s’approcha de la glace doucement, trembla à quelques centimètres d’elle. Il sentit le vent jouer avec ses cheveux. Il tendit son doigt afin de toucher le verre et son index s’y enfonça. Il recula, avala comme il put sa salive, respira à fond et recommença l’opération. Qu’y avait-il derrière ? Ça ne pouvait être pire de toute façon.

De l’autre côté

3

Il reconnut l’arbre. C’était celui du parc en bas de chez lui. Il se retourna et vit le miroir qui était posé en plein milieu du parc et qui, cette fois, lui renvoyait l’image de sa chambre. Il ne comprenait pas. Où se trouvait-il et pour quelle raison ? Il rentra chez lui histoire de voir si les choses demeuraient telles quelles.

 

Il ouvrit la porte de ses mains tremblantes. Son père, dès qu’il le vit, lui adressa le plus merveilleux des sourires. Le garçon se dit qu’il devait être malade. Puis son papa lui demanda s’il s’était bien amusé au parc. Il répondit affirmativement, les yeux ouverts aussi grands que des fenêtres. Il lui demanda aussi de lui lire l’horoscope de sa mère car il ne se souvenait plus de son décan.
L’enfant s’exécuta d’une voix fluette. Le père le remercia et lui dit en riant que sa mémoire lui jouait des tours, qu’il se faisait vieux et qu’heureusement que son fils était là pour prendre la relève. Il conclut ses paroles en caressant le visage du petit tendrement et fièrement.

 

Qui était cet homme ? Sûrement pas son père ! Son père lui aurait arraché la tête d’une gifle, pensa-t-il. Jamais son paternel n’avait eu de mots plaisants à son égard. Nul geste d’amour. Pourtant s’était bel et bien lui. Radicalement à l’opposé mais lui !
Et sa mère ! Il ne l’avait jamais vu comme ça. Aussi souriante, belle et épanouie. De là où il venait, sa maman était triste, déprimée, fatiguée. Ni elle ni lui n’étaient heureux. Dès lors, il se dit que ce n’était pas plus mal de rester là mais que ça lui était impossible d’abandonner sa “vraie” mère…

Le temps passe, les nombreux passages avec.

4

Le petit devint un ado mais le miroir, lui, ne vieillit pas. Il était devenu sa bouée de sauvetage. A chaque coup, insulte et mot rabaissant, il s’échappait à travers lui afin de rejoindre sa “familia feliz” (heureuse famille). Là-bas, il y trouvait un père aimant, fier de son fils et qui était toujours là pour l’épauler. De là où il venait, la seule “familia feliz” qu’il avait, c’était un plat chinois qu’il prenait toujours en Espagne dans son resto préféré.

 

Son adolescence fut si difficile. Il se dit que vu que son abruti et violent de père n’était pas fichu de voir ses bons côtés, il en allait découvrir les mauvais. C’était le seul moyen qu’il avait trouvé de se faire remarquer ne serait-ce qu’un peu, même si cela impliquait de devoir “déguster” davantage.

 

Un jour de juin, parce que son fils avait préféré “sécher” deux heures de cours en fin de matinée, il lui dessina sur la peau toute une mappemonde à coups de ceinture. Bien entendu le sadique prit soin de se servir de la partie métallique.

 

Il était le genre de père à interdire l’accès du frigo à son fils, le verrouillant à l’aide d’une chaîne et d’un cadenas. La mère mit fin à ce stratagème immonde dès qu’elle le sut.
Il cachait et laissait pourrir la nourriture et les douceurs plutôt que d’en donner à son fils. Un égoïste. Un salopard. Un monstre…

Heureuse jeunesse

5

Cette même journée de juin, son père de substitution l’informa que l’école avait appelé et qu’il savait qu’il avait manquait deux heures en matinée. Son père le gronda et lui dit que ce n’était pas bien. Qu’il comprenait que la météo donnait plus envie d’aller à la piscine que de s’instruire mais qu’il y avait un temps pour toute chose. Il le priva de sortie durant une semaine et lui expliqua que dans la vie c’était donnant – donnant. Que s’il était sage, studieux, etc… il n’en serait que plus récompensé.

 

Le jeune homme s’excusa auprès de son père et ce dernier le prit par les épaules en lui dit que ce n’était pas bien méchant mais qu’il ne fallait pas que ça recommence !
À l’heure du goûter, il rentra de classe avec un pote et le père leurs lança que s’ils avaient un petit creux, ils pouvaient se servir au frigo et que quand il y en a pour trois, il y en a pour quatre ! Le pote dit à l’ado qu’il avait un père exceptionnel, il lui répondit que ça dépendait de quel côté il se trouvait. Son ami écarquilla les yeux sans comprendre.

 

C’était si dur de quitter les lieux et de reprendre le passage en sens inverse. Jour après jour, il en avait le ventre noué. Son père de substitution était devenu, à ses yeux, son vrai père. Celui qu’il aimait et non celui qu’il haïssait. Souvent, il rêvait de rester dans sa joyeuse famille, de détruire le miroir. Oui ! De rester là, à tout jamais…

 

Sa mère. Toujours elle. Il ne pouvait pas. Il se devait de la protéger, de la garder, de la sauver. Tant qu’il serait là, c’est lui qui prendrait tout, il était le “préféré” de son père, surtout de sa violence.

Sordide histoire de pastèque

6

L’ado devint un homme. Un homme heureux. Un homme marié. Un homme qui avait fui le domicile parental depuis fort longtemps déjà. Son miroir, il le fit porter dans sa résidence estivale. Sa place devait être là, l’objet porteur du passage demeurait au même endroit que le tortionnaire.

 

Le père, bien que légèrement amoindri par l’âge, savait parfaitement où se trouvait les points faibles de son fils. Il s’en prenait soit à sa mère, soit à sa femme.
Celle-ci, par une belle après-midi estivale, fut prise d’une gourmande envie de pastèque à la fin du repas. Elle l’accompagna d’un café et sortit sur la terrasse rejoindre son mari chéri. Il entendit tout à coup des voix s’échauffer dans la cuisine.

 

Le père faisait tout un esclandre parce que sa belle-fille s’était permise de manger de la pastèque. La mère lui répondit qu’il devait cesser de nous importuner et qu’il fallait “vivre et laisser vivre”. Quand il cria sur la mère et l’insulta, le fils ne put plus se taire. Il rentra et affronta son père, lui disant qu’il n’avait aucun droit de traiter sa mère de cette façon. Il lui devait du respect car elle prenait soin de lui et lui parlait gentiment.

 

Le père ne supporta pas cet “affront”. Il traita son fils de tous les noms avec violence, avec fureur. Puis il prit un couteau et tenta, en alternance, de blesser le fils et la mère. Cette dernière réussit à le désarmer.
Soudain, il fit mine de se tempérer et annonça qu’il était fatigué et allait se coucher.

Il n’aurait jamais dû

7

Tandis qu’il s’éloignait en direction de la chambre, le fils avertit sa mère qu’une fois arrivé sur place, le monstre saisirait le flingue et reviendrait afin de tous les liquider. Elle courut alors, au même endroit, afin de vérifier cette théorie.
Comme il avait raison ! Comme il connaissait cette ordure par cœur !

 

Le fils suivit le mouvement mais ne pénétra pas de suite dans la chambre. Sa femme était avec lui, dans le salon, devant la porte du “nid parental”. La pauvre était apeuré et larmoyante. Il s’en voulait de lui infliger tout cela, indirectement, indépendamment de lui. Des cris le tirèrent de sa réflexion. Il entendait sa mère lutter pour arracher l’arme des mains de son père.

 

Quel tableau effroyable lorsqu’il rentra. Il vit son père qui tenait un Beretta chargé et pointé sur sa mère à bout portant. En une fraction de secondes, le fils se jeta sur le père, détourna le canon de sa mère et, grâce à sa force décuplée par l’adrénaline du moment, désarma le fou.

 

Il eut, à cet instant, l’envie de le tuer. L’envie de l’éliminer pour toujours de leur vie. Il ne le fit pas. Cet acte aurait causé sa perte et celle de toute sa famille. Il le lâcha et partit cacher l’arme afin que ce meurtrier ne la trouve pas.

 

La mère sortit de la chambre, vide, cassée, en état de choc. Son fils lui supplia d’appeler la police d’une bonne fois pour toutes. En moins de dix minutes, ils étaient là. Le fils remit l’arme à un des policiers qui prit soin de la vérifier et d’ôter le chargeur qui était plein. Il expliqua que ce qui avait sûrement sauvé la mère, c’est qu’il n’y avait pas de balle dans le “magasin”.
Les officiers rentrèrent ensuite dans la chambre, arrêtèrent et embarquèrent le démon au poste.

Reflets d’amour

8

Le cauchemar était fini. Il y eut le procès, puis l’appel. La famille fut enfin délivrée de sa néfaste présence, de tant d’années d’amertume, de tant de blessures encore bien ouvertes. La mère, le fils ainsi que l’épouse de celui-ci, bénéficièrent de mesures de protection.

 

Une nuit, alors qu’il s’endormait, il vit, pour la première fois, son reflet dans le miroir. Il bondit hors du lit, se précipita en face et essaya de le traverser. Sa main se heurta à la glace. L’émotion le submergea. Il ne put s’empêcher de penser à ce père de substitution auquel il faisait appel pour panser les meurtrissures infligées par le sien.
Puis, il se dit qu’il était chanceux dans son malheur. Que lui avait eu la chance de posséder ce miroir. Que bien des familles, bien des petits n’en possédaient pas. Qu’ils n’avaient nulle échappatoire, nul chemin à traverser pour un peu de bonheur éphémère.

 

Alors, il se dressa en face de lui, se regarda et s’offrit le plus beau des sourires. Sûrement que le miroir ne lui ouvrirait plus le chemin de son bonheur, mais peut-être était-ce parce qu’il était enfin libre d’aimer et de se sentir aimé. De créer par lui-même une vie de joie qui fut étouffée durant ces trente dernières années. Non. Il n’avait plus besoin de lui.

 

Désormais, il ne renverrait plus que le reflet d’un homme qui aurait tout pour être heureux, qui serait sûr de lui mais, surtout, celui de quelqu’un qui se dresserait et protégerait les siens envers et contre tout.

 

© 2015, Aydan

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