Créé le: 12.06.2014
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2100 ZONE AMA Chapitre 5: Justice

Fiction

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© 2014-2024 Jill S. Georges

Commencez par  les premiers chapitres de ZONE AMA.“2100 ZONE AMA” décrit une société, parmi d’autres possibles, dans un siècle. Cette fiction sociale met en scène une jeune fille, Jo, qui, en devenant adulte, découvre et commence à comprendre le monde qui l’entoure.
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Chapitre 5: Justice

– Jo, réveille-toi, Jo, ouvre les yeux

Jo n’ouvrait pas les yeux. Kim était convaincue que Jo l’entendait, mais Jo n’ouvrait pas les yeux.

– Je n’ouvre pas les yeux, pensait Jo. Mais elle ne pouvait s’empêcher d’entendre saman. Et elle ne pouvait pas laisser saman toute seule. Jo ouvrit les yeux

– Oui maman

– Jo, ma chérie, tu n’as pas entendu ton réveil, tu vas être en retard

– C’est vraiment important? On va me faire un cirque à l’uni, je n’ai aucune envie d’y aller

– Ecoute, c’est Mary Mady qui a appelé il y a quelques instants. Elle t’a appelée car elles ont eu une réunion de crise, et la Présidente a pensé que Mary pouvait te convaincre. Elle attend que tu la rappelles.

– Je ne veux pas aller à l’uni, il va y avoir les journalistes et je n’ai rien à leur dire

– Jo, ce que tu as dit hier soir était parfait, tu n’as qu’à répéter

– Je ne me souviens plus de ce que j’ai dit hier soir, j’étais sur une autre planète

– Tu as dit que tu n’y étais pour rien et que si les dispositions liées au viol devaient être révisées, elles devaient l’être par la Souveraine. C’est juste parfait, tu es dans les lignes

– C’est la ministre de la justice qui te l’a dit?

– Comment tu sais?

– Je devine…

– Oui, c’est juste. Je te rappelle qu’il s’agit de la fille Crone, que saman est non seulement l’une des Trente, mais la Raine !

– Et que toi tu es en train de développer un projet pour le Ministère de la Justice et que ta fille est en train de dérégler tout le bel édifice

– Tu ne dérègles rien du tout, et d’ailleurs, tu m’en avais parlé. Je n’avais pas pensé que les conséquences seraient telles. Tu as rendu visite à ce Georges, non?

– Oui, mais je n’ai rien fait, je l’ai juste écouté. Tu te souviens de la plaidoirie que j’avais imaginée?

– Oui, très efficace en fait. Sais-tu pourquoi cette jeune Miss Crone a retiré sa plainte?

– Non, je ne sais pas, je n’y suis pour rien

– Mais tu étais à la clinique, après avoir été dans la zone pour parler à ce Georges. Et quand tu es à la clinique, la fille Crone décide de quitter les lieux et la famille de retirer sa plainte

– C’est une coïncidence

– Coïncidence malheureuse alors !

– Peut-être, ou pas. Je ne vois pas très clair encore. Mais tu sais, maman, la loi sur le viol est injuste et les dispositions doivent être revues.

– Oui chérie, mais je te propose de ne pas en parler ces prochains jours. Ou alors, on en parle entre nous, et je fais une connexion avec la ministre de la justice. Mais je t’en supplie, n’aborde pas ce sujet avec tes amies, ou même les proffes, et encore moins avec les journalistes. Tu me promets?

– Je te promets, je comprends. Mais…

– Mais quoi?

– Mais tu me laisses chercher à comprendre, et je te dis tout.

– Tout?

– Tout ce qui concerne cette affaire de viol. Il y a un truc qui n’est pas clair quand même, mais je n’arrive pas à voir quoi

– Tu sais, Jo, les Crone sont très puissantes. Ne te mets pas dans une situation qui pourrait te nuire. Tu ne connais ni ce Georges, ni cette fille, alors ne t’implique pas trop.

– Oui, mais je suis étudiante en droit à l’université et j’ai choisi le droit car je crois en la valeur de la justice. Et cette valeur est bien au-dessus de mes propres intérêts

– Jo, d’accord pour l’idéologie, pense qu’il y a d’autres êtres autour de toi pour qui les conséquences pourraient être horribles. Des êtres que tu côtoies et qui ont besoin d’une certaine, comment dirais-je, protection? Ou disons, d’une certaine, discrétion?

– Ok Mman. Pourquoi dois-je parler à Mary Mady d’ailleurs? Je n’ai pas peur des journalistes et des photographes.

– Dis-le lui alors. Je crois savoir que l’uni a ouvert le canal de sécurité pour toi, celui qui est souterrain, afin que tu puisses rejoindre les classes sans passer par l’entrée.

Jo regarda saman, les yeux tout grand ouverts maintenant. Elle éclata de rire

– Tu plaisantes? Le canal de sécurité?

– Je ne plaisante pas, j’ai déjà donné des consignes à Georges pour qu’il prenne la bonne voie. Le départ se fait dans un garage fermé, et ensuite, tu as un tunnel jusqu’a l’uni.

– Comment tu connais ça, maman?

– Dis, ma belle, je ne t’ai jamais dit que j’avais une connexion avec le Ministère de la Justice?

– Oui, mais je ne vois pas le rapport.

– Et bien je ne t’en dirais pas plus. Allez, appelle Mary Mady, habille-toi, Georges est en bas. Ah, avant de partir, tu te rends compte que tu as sauvé une vie?

– Maman, je t’ai déjà dit que je n’y étais pour rien

– Je ne crois pas Jo. Tu ne sais pas ce que tu as fait, mais la conséquence est là, tu as sauvé une vie. Cet homme, Georges, peut de nouveau dormir sur ses deux oreilles.

Jo se rappela la fête à la coloc quand elle avait voulu le voir, la veille. La veille seulement. Le temps s’accélérait comme un moteur emballé.

La journée de Jo s’était déroulée sans trop d’accrocs. Georges l’avait conduite à travers le tunnel de sécurité qui passait sous l’université et dont l’entrée, les entrées, étaient tenues secrètes. Ils étaient partis comme d’habitude de la maison. Ensuite Georges était entré dans un autre quartier, et s’était dirigé avec la voiture vers le garage souterrain d’un grand immeuble moderne. Il avait descendu les trois étages, et avait ralenti, cherchant le bon endroit. Il s’était arrêté devant le dernier garage au fond à gauche, avait baissé sa vitre, sorti le bras pour placer son bracelet en face d’une borne dans le mur et la porte du garage s’était ouverte. Il avait entré la voiture dans la place. La porte s’était refermée sur eux, et seulement quand le noir avait été très profond, le mur devant la voiture s’était soulevé, comme une seconde porte de garage. Georges avait rallumé ses feux et il avait démarré, quittant le garage pour se trouver au milieu d’un tunnel dont on ne voyait pas le bout. Il avait pris sur la droite et roulé un certain temps. La limousine noire qui était parquée quelques places plus loin dans le garage souterrain avait encore attendu cinq minutes, puis, ne voyant personne sortir du

garage, elle était repartie doucement en direction de la sortie. En arrivant à l’uni, Jo avait du passer chez la directrice. Elle avait souri au tableau, surtout à un visage qui semblait lui faire un clin d’œil sous un chapeau rond rouge vermillon. La directrice lui avait répété les consignes en cas d’événements exceptionnels de ce type. Entre autres, pas de publicité, pas de rumeurs, pas de grandes explications. La directrice avait proposé à Jo d’écrire un compte-rendu et de l’afficher au tableau des étudiantes. Jo avait trouvé l’idée bonne, et Mary Mady lui avait tendu un texte déjà rédigé qui relatait les événements d’une façon succincte et factuelle. Jo apporta une ou deux précisions de détails, et ce document fut immédiatement apposé sur le tableau au secrétariat. Jo signa une décharge acceptant que ce serait ce même texte qui serait communiqué aux journalistes qui attendaient en grappes devant l’entrée. Jo rejoignit ensuite sa classe, avant la deuxième sonnerie, et la porte se ferma sur ses gonds, en tournant comme une danseuse sur une jambe.

Les filles avaient été très excitées par le récit de Jo, qui restait mot à mot identique au texte initial. Nam ne la lâcha pas d’une semelle lors du déjeuner, si elle avait pu s’asseoir sur ses genoux, elle l’aurait fait, mais par chance Nam était trop timide pour oser désobéir au règlement et elle se tint sur sa chaise, très proche de Jo, mais sans plus. Jo essaya de changer de sujet et de parler de l’anniversaire de Nam qu’elles devaient organiser les deux. Peu de filles avaient déjà accepté l’invitation, mais ce jour-là, elles vinrent les unes après les autres pour lui confirmer qu’elles viendraient, lui demandant son adresse et ce qu’il fallait amener. Jo avait réfléchi et, en remplacement de la mère de Nam qui semblait vraiment incapable de penser au vingtième

anniversaire de sa fille unique qui approchait, elle avait décidé que le cadeau de Nam serait un bijou, et répondait à toutes les filles invitées qui lui confirmaient leur venue qu’elles pouvaient participer au cadeau. Jo avait pensé à un bracelet en or qui comptait 20 pierres de lunes, taillées en forme d’amandes et reliées entre elles par une chaîne au maillon fin. L’ensemble était souple et délicat, les pierres de lune avec leur couleur laiteuse et la douceur des reflets s’accorderaient très bien avec la peau de Nam. Jo regardait son amie avec tendresse. Nam lui tenait la main, ses yeux un peu noyés perdus dans les siens. En parlant de l’anniversaire, Nam reprenait des couleurs, et soudain, devenait toute pâle. Jo pensait que c’étaient les sentiments contradictoires qui la traversaient qui lui faisaient sourire puis presque pleurer. La mère de Nam était totalement indifférente, voire absente. L’ambiance à la maison devenait de plus en plus délétère et aucune des deux mères ne voulait partir vivre ailleurs. Luce était elle aussi dans un piteux état, lui avait dit Nam. C’était l’enfer. Jo s’était énervée en disant que personne n’avait le droit d’infliger l’enfer aux autres, que si une femme voulait vivre dans le malheur, c’était son choix, mais que ce n’était pas acceptable d’y engager d’autres êtres, surtout sa propre fille. Nam avait acquiescé en disant que l’enfer c’est les autres, mais qu’on ne peut pas vivre sans eux, et que finalement, on vit donc toujours en enfer. Ce syllogisme avait encore plus énervé Jo qui avait, à bout d’argument, proposé que Nam vienne vivre à la maison le temps que ça se calme. Et surtout, le temps de la fin de l’uni, il fallait absolument que Nam réussisse son année et puisse travailler pour la semaine d’examens qui aurait lieu après la fête de fin d’année. Et Nam avait accepté de venir vivre chez Jo. Et Jo avait pensé que c’était la fin de quelque chose.

En arrivant en salle de classe après le déjeuner, la prof l’informa qu’elle devait lui demander de regarder son téléphone, car elle devait répondre à un message important semblait-il. Jo avait éteint son portable afin de ne pas être dérangée par les journalistes ou autres fausses amies qui lui demanderaient certainement de raconter encore et encore la même histoire. Cela avait déjà été assez pénible avec les copines de Nam pour son anniversaire, alors elle avait voulu éviter les importunes. Mais Jo s’exécuta et alluma son portable, comme demandé. Une fois passés les divers messages de journalistes et copines qui lui demandaient des détails ou sa position par rapport au droit du viol, elle trouva le message qui attendait sa réponse. Le message était assez bref: ” Vous êtes attendue pour le thé à 18 heures. Georges viendra vous chercher à la sortie de votre université”. C’était une invitation sous forme d’ordre, mais ce qui était le plus impressionnant, était la signature. Ce message impératif venait d’une… impératrice ! Il était signé Mado C. Crone. Et elle le lui avait fait envoyer le matin, d’où le rappel de la profe. Jo sentit le regard posé sur elle et elle crut entendre “répondez, je vous en prie”, sans même lever les yeux. “Peut-on refuser une invitation de Mado C. Crone “?

Et Jo répondit, tout aussi sibyllinement: “Je vous remercie de votre invitation et attendrai Georges à la sortie de l’université, à 17h45”. Sur sa lancée, elle fit suivre le message à saman en lui demandant ce qu’elle devait faire en particulier. Et Kim répondit presque immédiatement: “Boire ton thé”.

Jo avait vécu cet après-midi comme un long rêve qui s’étirait et n’en finissait pas. D’abord, elle était très fatiguée, elle avait peu dormi, elle avait eu de la peine à trouver le sommeil après avoir passé beaucoup de temps dans les bras de Kim, se laissant dorloter et bouchonner comme une toute petite

fille. Jo avait même souhaité pouvoir revenir au temps d’avant, celui où elle n’avait pas à réfléchir et où il suffisait de manger, boire, rigoler avec les copines et étudier ce que les enseignantes leur demandaient d’étudier. « Grandir est très difficile », avait reconnu Jo, mais on ne peut pas faire autrement. Et le matin, Jo s’était réveillée les muscles tendus, dans un rêve horrible, un cauchemar dont elle ne sortait pas. Elle rêvait qu’elle marchait dans un couloir, et qu’il y avait des portes, elle essayait d’en ouvrir une, elle ne s’ouvrait pas, ni la suivante, puis il y avait un coude dans le couloir, et Jo marchait toujours, puis elle avait trouvé une porte qui s’ouvrait et elle s’était retrouvée dans un autre couloir, identique au précédent, avec des portes à gauche et droite. Jo avait commencé à marcher plus vite, essayant d’ouvrir les portes qui ne s’ouvraient pas. Et si elles s’ouvraient, elle se retrouvait dans un couloir encore, et elle avait le sentiment d’être déjà passée par ce couloir, et que les portes ne s’ouvraient en fait pas des deux cotés, et elle s’était mise à courir, et, à bout de souffle, devant une porte qui ne s’ouvrait pas, elle s’était finalement réveillée, les muscles durs et la peau moite. Un cauchemar en fait, un vrai cauchemar. Jo n’était pas très concentrée sur les cours, elle s’envolait par la fenêtre à chaque fois qu’elle tournait la tête. Et soudain, une image se planta dans ses yeux: Adam. Adam et ses yeux immenses et bleus de ciel. Jo chassa ce souvenir, et Zac aussi, c’était trop tôt pour y réfléchir, elle avait assez de problèmes à régler comme Nam et son anniversaire, Georges et sa non condamnation pour viol, et maintenant la Mme Crone. Mais l’image d’Adam revenait, insistante. Il souriait, et elle l’entendait lui dire “je ne suis pas un problème, ni une solution, je suis Adam, Adam”. Jo regardait la montre toutes les trois minutes. Cette journée, en fait

cette semaine, ou ce début de semaine s’annonçait chargé comme un matin d’orage.

A 17h45 pile, Jo était sur le parvis devant l’uni. Georges n’était pas là. Mais une grande limousine noire était parquée juste devant la sortie, un chauffeur en sortit:

– Je suis Georges, Miss Jo, madame Crone vous attend

– Oui, merci Georges.

Et Jo pénétra dans la voiture avec appréhension.

– Alors, comment était le thé? Kim avait une voix joyeuse en servant une coupe de champagne

– Le thé? Noir

– Noir come une nuit noire sans lune

– Oui, exactement, comme tout l’univers de Mado C. Crone

– « C » pourquoi ce « C »? Veut-il dire : Cheffe? Mme Cheffe Crone?

– Non, attention Mame Kim, vous oubliez vos liens très proches avec le Ministère de la Justice. Swan brandissait la bouteille de champagne en prenant un air réprobateur.

– Vous ne devinerez jamais à quoi le « C » fait référence.

– Aucune idée, c’est vrai. « C » comme Caroline? Chaussette? Chic? Chochotte

Jo répondait :

– Non, non, non, vous ne trouverez jamais

– Alors dis-nous, on a envie d’aller plus loin que ce « C », entre autres savoir ce qu’elle t’a dit

– Le « C », chère maman et Swan, est pour Crone

– Crone? Tu veux dire qu’elle s’appelle Mado Crone Crone?

– Oui, dans cette famille, le deuxième prénom est une reprise du nom de famille

– Quelle drôle d’idée, en fait c’est au cas ou elles oublieraient leur nom?

– Ou pour le protéger comme prénom aussi. Ainsi, personne d’autre ne peut l’utiliser pour le donner à sa fille. Subtil !

– Ou pour insister sur leur lignée.

– Ah, en fait, je ne le savais pas, et réalise que ça ne me manquait pas. Quoi d’autre? reprit Kim

– Il y avait du sucre…

– Non, tu te moques de moi. “Un sucre ou pas du tout?”

– Non, Mman, il y avait du sucre dans un sucrier

– Avec une cuiller?

– Avec une cuiller en argent, oui Mame Solen

– Et du lait?

– Et du lait…

– A part ça, il y a eu une discussion intéressante?

– Oui, Mman.

– Santé, santé. Swan tintait les verres.

Jo avait passé une semaine de folie. Entre les soi-disant copines qui voulaient toutes venir à la fête de Nam, les profes qui la regardaient d’un drôle d’air, et la discussion avec Mado C. Crone qui lui revenait sans cesse à l’esprit. Le pire avait quand même été le matin suivant avec Julia. Jo était arrivée à l’uni, comme d’habitude, sauf que Georges avait à nouveau pris le tunnel depuis un autre garage souterrain. Jo était arrivée sur le parvis, et avait vu Julia. Elle s’était approchée, souriante en voyant son amie, quand Julia l’avait toisée de haut et tourné les talons à son approche. Jo l’avait suivie, l’avait retenue par l’épaule et s’était campée en face d’elle. Julia avait un air hautain et distant que Jo ne lui connaissait pas. Julia puait le mépris. Jo ne savait que dire, tellement elle était sous le choc. Et Julia avait commencé à l’insulter

– Je ne veux pas te parler, tu nous fais honte, tu es une tare pour notre université

Jo avait protesté, demandé ce qui lui valait un tel débit de méchancetés, et Julia lui avait craché tout son venin

– Tu ne te rends même pas compte. Tu remets en cause tout ce qui fait notre vie, notre équilibre, toutes les valeurs que nous défendons et qui font que notre société est ce qu’elle est: un lieu de paix et de liberté. Ton comportement est une atteinte à tout ce que nos mères, et les mères de nos mères ont créé, construit, bâti. Tout ce qui fait notre force, la puissance de la vie, l’indépendance de la femme, la tranquillité… tu bannis tout, sous prétexte sans doute que tu adores passer à la télé et être la star. Simple narcissisme de jeune fille unique et peu équilibrée. Tu es prête à détruire notre société sous prétexte que tu te crois meilleure que notre Souveraine, que nos lois, que nos valeurs.

Jo était interloquée et avait essayé de s’expliquer

– Attends, Julia, je n’ai rien fait de mal, je n’y suis pour rien, je suis allée à la clinique pour parler à Miss Crone, et elle est partie avant, tu le sais bien, tu étais là, Julia, rappelle-toi

– Oui j’étais là, et tu m’as utilisée à tes desseins malsains. Sans rien me dire, tu as abusé de ma confiance, de mon amitié. Tu m’as dit vouloir aller dans cette clinique pour un bébé, mensonge ! Tu ne voulais que rencontrer cette pauvre fille pour cette sordide histoire de viol, et pour défendre un chauffeur en plus ! Mais tu es devenue complètement folle ! Un chauffeur viole une jeune fille et toi tu veux défendre le chauffeur ! Je me demande ce qui se serait passé si ça avait été toi. Et en plus, tu me mets dans cette histoire sans rien me dire, sans me dire la vérité, je risque ma réputation et celle de ma famille pour tes projets vaseux. Tu me dégoutes

– Julia, ne le prends pas ainsi. Je suis allée dans cette clinique pour faire un bébé, c’est vrai, plus que vrai, tu peux demander à Nam, cela fait des mois que je lui dis que je veux un bébé. Maintenant, d’un point de vue juridique, il peut être intéressant de se poser la question de notre réglementation quant au viol, comme un sujet d’étude quelconque ! On est étudiantes en droit, ou je me trompe? Le Parlement est en train de rediscuter les lois du divorce, et ce n’est pas un crime, alors pourquoi pas le viol. Et c’est vrai que j’aurais bien aimé discuter avec Miss Crone mais, comme tu le sais tout aussi bien que moi, elle est partie avant qu’on puisse la rencontrer.

Julia la regardait de son air méprisant, le regard un peu absent,

– En tout cas, ne compte pas sur moi pour ta fête, je ne viendrai pas. Tu veux la télé, tu n’as qu’à faire venir ta copine journaliste, mais moi je ne viendrai pas. Et Julia tourna le dos en un seul mouvement, et engagea un pas très grand loin de Jo. L’espace s’agrandissait entre les deux, et Jo

restait plantée comme un arbre, les feuilles au vent. C’est une main qui se posa sur son bras qui la fit se retourner.

C’était Nour, qui lui souriait.

– Tu sais, ça va lui passer. J’ai l’impression d’entendre saman. Je suppose qu’elles ont regardé les nouvelles et que Julia s’est vue obligée de choisir un camp. Et naturellement, elle a choisi le camp de la famille ! Saman devrait te remercier, je suis sûre qu’elles n’ont jamais été aussi proches toutes les deux. Allez, viens, Julia reviendra, tu es sa meilleure amie.

Jo se laissa entraîner vers le couloir

– Et moi j’aimerais te dire que je t’admire beaucoup d’avoir répondu comme tu l’as fait devant la télé. Sans être préparée, avec le stress et l’émotion, je trouve que tu as été super. Et rien n’a été déplacé. Tu n’as rien dit de la famille Crone, tu n’as pas répondu à la question du viol et tu es partie sans discuter. Bravo ! Un exercice de rhétorique

– Merci Nour, après les propos de Julia, tu me remontes le moral.

Et elles étaient entrées en classe à la première sonnerie, Julia très loin de Jo. La deuxième sonnerie avait fermé la porte hermétiquement, comme pour toujours.

A part l’épisode de Julia qui avait ébranlé très fortement Jo, rien n’avait troublé la fin de la semaine. Jo se forçait à rentrer directement avec Georges, Nam rentrait avec elle et elles travaillaient un max,

les examens approchant à grande vitesse. Nam semblait relativement calmée. Jo la trouvait souvent les yeux fixés sur elle, immobile et triste. Jo et Nam avaient convenu que les jours de congé de la fin de semaine seraient occupés à l’étude. Jo avait aussi pris la bonne résolution de ranger sa chambre, ce qui était une révolution. Georges n’avait pas le droit de ranger le bureau de Jo, non pas que Jo le lui ait interdit, mais Kim soutenait qu’un ménager est là pour faire le ménage, pas pour trier des poubelles. Et il était vrai que sur le bureau de Jo se trouvaient tout aussi bien des livres, des plaques, des papiers, des tasses, des strings, des rouges à lèvre, des stylos, des bijoux, des cartes, et toute une quantité de choses hétéroclites qui ne servaient à rien mais qui constituaient un champ de couleur et de choses tout à fait rassurant pour Jo. Et bien là, Jo avait décidé de ranger. Elle avait tout jeté par terre, et se posait la question pour chaque objet où il allait et si elle voulait le garder. Elle fit plusieurs voyages vers la cuisine pour rapporter des paquets de biscuits à peine entamés et des tasses sales. Elle jeta une quantité impressionnante de riens, et ensuite admira son bureau et sa chambre, ayant un sentiment agréable d’avoir la satisfaction de celle qui a accompli une grande tâche et de celle qui découvre et conquiert une nouvelle terre. En fait, elle s’empêchait de penser en se noyant dans du travail concret et pragmatique et dans ses devoirs universitaires. Le week-end passa vite, il n’y avait que Mary Mady qui lui avait demandé de ses nouvelles, en plus de Mami Li, naturellement. Georges était aux petits soins, il lui avait apporté un immense bouquet de roses rouge sang qui embaumait toute la maison.

La semaine commença par un lundi. Un lundi lourd comme un premier jour de semaine. Nam était la peine incarnée, et organiser un anniversaire avec la peine incarnée frisait l’impossibilité.

Jo était la star, toutes les filles la harcelaient de tout et de rien. Et la cohorte de journalistes ne cessait de gonfler devant l’université, Mme Crone ayant fait une déclaration. Jo avait rangé dans un tiroir de sa mémoire les propos de Mme Mado Crone Crone comme un dessert que l’on garde pour plus tard. Jo essayait de s’occuper de cet anniversaire de Nam, de rester concentrée sur ses études et d’éliminer le reste. Dès la semaine suivante, elle reprendrait les autres thèmes comme le viol et les dispositions légales, sa participation à la fête de l’uni, les examens et le bébé. Elle hésitait quant à l’ordre à donner à ses priorités, mais ne se mentait pas. Adam apparaissait régulièrement en fond d’écran, elle ne pouvait oublier la façon dont il l’avait regardée. Mais elle chassait l’image chaque fois qu’elle le pouvait. Après les examens, il y aurait les vacances, son anniversaire et elle pourrait ensuite s’atteler à son travail de recherche sur cette femme du siècle dernier. En pensant à ce projet, Jo se permit une incartade et se rendit dans la salle de recherche. Après avoir appuyé son bracelet sur la borne elle put entrer et s’installa à l’ordinateur. La puissance ici était telle que la vitesse allait presque aussi vite que le cerveau. Jo demanda à l’ordi de s’allumer puis lança une recherche sur la Clinique de la Colline. Elle obtint de nombreux résultats, bien plus que depuis la maison. Elle se rappelait fort bien avoir eu telle page avec tels renseignements, là, elle en avait au moins trois fois plus. Jo tapa le mot “interruption de grossesse”, et soudain le visage de la directrice apparut à l’écran. Jo sursauta.

– Bonjour Jo, excusez-moi de vous interrompre

– Non, madame, ce n’est rien, je vous en prie

– Dites-moi Jo, pouvez-vous passer dans mon bureau?

– Maintenant?

– Oui, maintenant, c’est urgent. Merci.

Et l’image disparut. Jo se dit qu’elle n’avait pas le temps de chercher plus loin sur la clinique mais se promit de revenir.

En arrivant devant le bureau, Jo frappa. La porte s’ouvrit et la directrice lui sourit en lui demandant d’entrer. Jo salua le tableau, ayant l’impression que l’un des personnages lui faisait un clin d’œil, puis salua toutes les femmes présentes dans la salle. La directrice lui fit signe de s’asseoir, et soudain Jo eut peur. Elle sentit sa gorge se serrer et sa peau se crisper, sans raison. Elle plongea encore une fois dans le tableau, se sentit mieux, respira et s’assit.

– Jo, tout d’abord, merci d’être venue si vite. Nous étions en pleine discussion et j’ai pensé que vous pourriez nous aider.

Jo ne disait rien. La directrice regarda ses autres collègues et continua

– Voilà la situation. Il s’agit des coquines.

Elle se tut. Attendant que Jo réagisse. Mais Jo ne disait rien. Elle s’était trompée en voulant protéger Nam, et ne voulait plus rien dire maintenant. C’était trop risqué.

– Vous savez, Jo, ce que sont les coquines?

– Oui madame, ce sont des fioles de liquide concentré, de la drogue, dont l’usage est interdit dans l’uni et en général.

– Oui, c’est exact. Mais savez-vous pourquoi l’usage est interdit?

– Sans doute parce que cela créée une dépendance

– En fait non, et je vous demanderai, dois-je le faire? Que tout ce qui se dira ici restera entre nous. Vous promettez?

– Oui madame. Si vous n’aviez pas confiance vous ne m’auriez pas fait venir, donc ma promesse ne vaut rien.

– Bon d’accord, mais de principe, vous vous engagez à tenir secret ce qui se dira ici?

– Oui, je ne dirai rien, pour autant que je comprenne ce que je suis sensée faire…

– J’y viens, j’y viens. Donc une coquine est une fiole remplie d’un liquide interdit. Mais ce liquide, Jo, n’est pas de la drogue, tout au moins pas au sens commun. Ce liquide est un élixir très puissant qui bouste les neurones et augmente la mémoire de manière phénoménale. Une jeune fille qui prend une coquine peut accumuler et retenir environ dix fois plus de connaissance qu’une autre. Comprenez-vous pourquoi la consommation de coquines est interdite?

Jo était pensive. En fait, les coquines étaient interdites car elles donnaient un avantage certain à celles qui l’utilisaient ! Et non pas que cela les détruisait ! Jo était perplexe

– Oui, madame, je ne le savais pas et suis surprise effectivement. Mais je ne vois pas en quoi cela me concerne

– Disons qu’en plus de la confiance vous avez une autre caractéristique.

– Laquelle?

– Vous vous êtes dénoncée comme étant la propriétaire d’une coquine, juste?

– Oui, c’est exact

– Alors vous avez des contacts.

Jo sentait le piège. Cela allait être les dénonciations contre un casier vierge, sans coquine. Elle ne dit rien.

– Vous avez des contacts, de toutes les façons. Notre problème est le suivant. Avant, nous avons toujours eu quelques jeunes filles qui consommaient des coquines. Line, ici, présente, a réussi, en plus ou moins de séances, à faire comprendre à ces jeunes filles que cela valait mieux pour elles de ne plus en prendre.

Jo pensait à Nam.

– Donc nous gérions à peu près bien la situation, maintenant, nous avons un nouveau problème.

La directrice s’était tue. Elle se tourna vers une femme aux lunettes cerclées de métal et lui demanda d’expliquer

– Le nouveau problème est le suivant. Il y a des coquines de mauvaise qualité qui circulent. Elles ne sont pas de mauvaise qualité, elles sont carrément toxiques, et dangereuses. Si une jeune fille en consomme deux dans la même journée, elle risque un coma, comme un coma éthylique. C’est très dangereux.

La directrice reprit le discours

– Voilà, nous avons besoin d’aide. Si vous acceptez, ce sera de nous signaler si vous voyez des choses bizarres. Il y a d’autres jeunes filles qui sont dans le secret, mais vous ne saurez pas qui, et elles ne sauront pas que vous en faites partie. Il s’agit de surveiller mais pas de partager, sauf avec nous.

Et Jo avait accepté, que pouvait-elle faire d’autre? Elle avait réalisé en sortant du bureau qu’elle avait

avait plein de questions. Qui fabriquait ces coquines? Savait-on aussi qui les distribuait? Elles étaient certainement produites par des laboratoires pharmaceutiques, clandestins, naturellement. Et Jo était restée sur le mot clandestin. En retournant en cours, elle se surprit à regarder dans la direction de Julia, mais elle ne leva pas les yeux vers elle. Julia l’ignorait au plus haut point, elle était entourée de deux ou trois filles, dont Sally et Vic qui étaient insupportables. Elles critiquaient toutes les filles, elles savaient toujours tout mieux, minaudaient, intriguaient et faisaient circuler des rumeurs. Des filles avec lesquelles Jo ne voulait pas discuter. Sally surtout était infernale. Elle ressemblait à Julia, elle était de la même trempe, elle était une fille des Trente. Alors évidemment, elle était supérieure, tout au moins le croyait-elle. Sa naissance lui donnait certes un avantage indéniable sur les autres, mais ce n’était pas suffisant au regard de Jo. On est ce qu’on est né, et on devient ce qu’on doit. Ce qui compte c’est là ou on va, et comment, mais pas tant d’où on vient. On a peu de mérite à être née dans une famille ou une autre, on n’en est pas responsable. En revanche, on est complètement responsable de ce que l’on fait et des buts que l’on se fixe, dans un univers et un temps donné.

– A quoi tu penses?

– Je pense à Julia,

– Et tu as l’air bien triste et dubitative

Kim, était assise en face d’elle, à la table ronde de la salle à manger. Swan était aussi en face d’elle.

Jo sourit en pensant que le rond évitait de montrer qu’elles ne formaient pas une famille standard de

de deux mères avec leur deux filles, assises en carré. Une table ronde permettait à chacune de trouver sa place sans jamais avoir de siège vide. Swan était assise à coté de Kim et Kim était assise à coté de Jo, mais aussi en face. Pourtant, depuis quelques temps, Nam était là, et sa présence créait les deux paires qu’elle n’avait jamais connues

– Tu veux nous raconter? Kim lui souriait

– Si tu veux, je sors. Swan était toujours d’une politesse délicate et élégante

– Non, reste Swan, tu pourras aussi me donner ton point de vue. Il s’agit de Julia. Depuis la visite à la clinique et surtout depuis l’interview, elle ne me parle plus, elle est fâchée contre moi et m’ignore complètement. Elle s’est aussi liguée avec des autres filles, des pestes, et elles passent leur temps à comploter, ce que je déteste. J’ai l’impression qu’elles préparent un mauvais coup contre moi.

Jo raconta dans les détails ce qui s’était passé à la fac lors de la dispute en public, et décrivit l’attitude de Julia en cours. Nam était outrée et intervenait dans le cours de l’histoire pour maudire Julia. Kim écoutait, ainsi que Swan, sans interrompre les explications de Jo. Quand le silence revient, Kim prit la parole

– Julia est ton amie, il faut toujours partir d’un postulat positif. Maintenant, si tu pars du principe qu’elle est ton amie, comment peux-tu expliquer un tel comportement

– Elle se laisse manipuler?

– Oui, c’est une possibilité, par qui?

– Par saman, par ses copines, je ne sais pas !

– Par saman, je pense que c’est le point le plus juste. Julia est ton amie, et saman est fâchée contre toi, donc Julia, qui est féodée à saman, doit suivre la même voie. A ton avis, ce scénario est possible?

– Oui, mais alors je ne comprends pas pourquoi la mère de Julia est contre moi. Je ne lui ai rien fait à elle ! Quelle importance !

– Quelles sont les personnes impliquées dans cette histoire de viol

– Il y a la fille Crone et Georges, son chauffeur. Et à ce que je sache, la mère de Julia n’a rien à voir avec la fille Crone, et encore moins avec le chauffeur

– On va y revenir, mais il y a encore un élément, voire deux, que tu ne mentionnes pas. Ce ne sont pas des personnes

– Le viol? Nam avait presque crié

– Oui, le viol, et encore quoi?

– Le droit, la justice

– Juste, et moi je vois encore un élément qui pourrait servir de détonateur

– Je ne sais pas Mman

– Nam? Tu as une autre idée?

– Non Kim

– Moi je vois les implants. Et derrière les implants, toute l’industrie pharma

Swan regarda Kim et ouvrit la bouche pour la première fois

– Alors il y a aussi les médias.

– Exact. Récapitulons. Dans cette histoire, il y a deux personnes: la fille Crone et le chauffeur Georges

Ensuite, il y a la justice, le viol, les implants, les medias. Si on exclut les relations de la famille de Julia avec la fille Crone et le chauffeur…

Swan interrompit Kim

– Excuse-moi, mais la fille Crone n’est peut être pas la bonne personne, pense à Mado C. Crone…

– Oui, quand on a MCC dans le collimateur, on peut perdre les pédales. Qui sait, la mère de Julia et la mère Crone sont peut être de grandes amies, ou de grandes ennemies? Auquel cas, cela pourrait expliquer qu’elle soit très remontée contre toi

– Et le chauffeur?

– Je pense qu’on peut exclure le chauffeur. Il est au service des Crone depuis toujours. En revanche le viol peut aussi être un élément. Imagine que la mère de Julia, ce que je ne lui souhaite pas, ait une fois été maltraitée par un homme, voire, un chauffeur, pourquoi pas. Elle en a gardé des souvenirs horribles et depuis, tout ce qui a trait à ce genre d’événements la traumatise

Jo réfléchissait. Effectivement, si la mère de Julia ou bien même Julia avait eu une expérience traumatisante, on pouvait comprendre que tout ce qui s’en rapprochait les rendait hostiles

– Ensuite, le droit, la justice. Tu ne sais pas, peut être que la mère de Julia est en train de pondre un texte pour proposer de nouvelles dispositions, auquel cas tu lui pourris son projet. Ou bien tu lui poses un problème existentiel en remettant en cause une loi établie et reconnue

– Et les implants? Les sociétés pharma

Nam souriait

– Elle a peut-être des actions ou une participation dans une de ces industries, et elle n’aimerait pas du

du tout voir le cours des titres s’effondrer en cas de doute et de rappel des implants car elle perdrait beaucoup d’argent.

Le silence trônait en rond entre les quatre femmes. Chacune réfléchissait et élaborait un scénario plausible dans sa tête. Kim rompit le silence

– Et il y a encore une autre possibilité

– Laquelle? Les trois autres s’étonnaient

– Devinez !

– Ah non maman, tu ne nous fais pas un coup pareil, dis-nous

– Et bien ce à quoi nous n’avons pas pensé est ce que nous n’avons pas imaginé.

– Oui, d’accord, mais ça veut dire quoi en français?

Elles éclatèrent de rire

– Cela veut dire qu’il y a toujours une possibilité de plus, le cas, la situation à laquelle on n’a pas pensé. L’explication inconnue, ou x. le truc tellement énorme que nous ne l’avons même pas envisagé.

– Comme quoi?

– Je ne sais pas, que la mère de Julia est la maîtresse de Mado C. Crone? Ou que le chauffeur est son fils .

– Kim tu exagères. Swan avait l’air vexé. Tu ne peux pas dire des choses comme ça

– Ok, c’est vrai Swan. Les filles, je n’ai rien dit, oubliez mes frasques. Mais gardez à l’esprit qu’il y a

toujours une raison supplémentaire, l’inconnue, ou X.

– Mman, maintenant que nous avons bien compris qu’il y a diverses raisons, plus une, qui peuvent faire que la mère de Julia soit fâchée contre moi et que par conséquent Julia le soit aussi. Cela me donne le pourquoi. Mais qu’en est-il du comment? Comment puis-je renouer avec elle? Julia est mon amie, c’est le postulat du départ.

– Julia est ton amie, c’est effectivement le postulat initial. Maintenant, de deux choses l’une, soit elle est ton amie, et elle reviendra vers toi, soit elle ne revient plus vers toi et reste avec sa bande de copines et ne sera plus ton amie.

– Elle est vraiment une garce. Nam ne pouvait s’empêcher de s’énerver

– Attends Nam, oublions la trahison actuelle. Vous avez eu de bons moments avec Julia, non?

– Oui, plein

– Et plein de vacheries rétorqua Nam, comme le jour ou elle t’a plantée pour aller au Cercle Rouge avec Flor, et qu’elle ne t’a même pas proposé de venir, tu te rappelles?

– Ok, on va laisser les méchancetés sur le coté, non pas qu’elles n’existent pas, mais parce que notre but est de renouer une amitié, et pas de faire la guerre, on est d’accord?

Jo acquiesça, Nam gardait les yeux sur la table. Visiblement, elle n’avait aucune envie de parler de paix, ou même d’envisager une trêve.

– Donc jo, ton amie à un comportement peu sympathique, pour une raison qui fait sans doute partie des bonnes raisons que nous avons trouvée plut tôt. Maintenant, que faire?

– Lui envoyer un long message pour lui expliquer que tu ne la comprends pas, que tu lui demandes de t’expliquer, que votre amitié vaut qu’elle la respecte, qu’elle n’a pas le droit de te traiter comme ça, tu es sa copine depuis des années et que si elle continue, elle te perdra, souffla Nam

– Oui, tu as raison, envoyer une lettre demandant des explications. C’est le meilleur moyen, de toutes les façons, elle refuse de me parler à l’uni, reprit Jo

– C’est la culpabiliser en plein, elle va se sentir encore plus mal, toujours en partant du principe que c’est ton amie. Imagine, elle t’aime bien, et saman lui fait un lavage de cerveau pour qu’elle t’abandonne. Tu crois qu’elle se sent comment Julia? Ce n’est pas très heureux de la harceler de questions auxquelles elle ne pourrait vraisemblablement ne pas répondre. Elle ne pourrait pas te dire “Maman m’a demandé de ne plus te voir parce que le cours de ses actions risque de baisser” ! Tu vois le genre?

Et moi? Je me sens comment? Je me fous des actions et de leurs cours, c’est Julia et moi qui devons nous retrouver, il me semble

– Bien, tu envoies cette lettre pleine de questions, que se passe-t-il ensuite?

– Elle va répondre à mes questions, et puis j’aviserai

– Elle va répondre ou pas, tu oublies qu’elle peut très bien ne pas répondre. Et si c’est le cas, tu n’en sais pas plus, si ce n’est qu’elle a un document de toi. Et si elle répond, alors qu’elle est fâchée, elle risque de répondre des horreurs qui te feront encore plus de peine

– Et bien alors on saura que le postulat initial n’est plus valable et que Julia n’est pas mon amie

– N’est plus ton amie, elle l’était avant. Il ne faut pas tirer le temps vers l’arrière. On parle du présent

et éventuellement d’une direction pour le futur ici

– N’est plus mon amie, bien. Je serai fixée

– Tu te souviens la première chose que tu m’as dite?

– …

– Que tu veux renouer avec Julia

– Oui, en fait c’est ce que je veux. Mais j’ai peur qu’elle ne veuille pas

– Alors tu préfères faire en sorte qu’elle te prouve qu’elle n’est plus ton amie

– Maman, tu me fatigues, j’ai la raison qui réfléchit et les sentiments qui souffrent, pour toi c’est plus simple, Julia n’est pas ton amie. Alors dis-moi ce que tu penses directement, sans faire de la maïeutique

– Jo, ça veut dire quoi une amie pour toi

– C’est une fille que j’aime et qui m’aime

– Alors, dis-le lui

– Quoi? Elle me fait une gueule d’enfer et je vais lui dire que je l’aime? Elle va se moquer de moi, je vais être la risée de l’uni. Ou pire, elle va croire et dire que j’aime quand on me fait la gueule, que je suis une maso, que je n’ai pas d’honneur ni de dignité

– Jo, Julia est ton amie, tu l’aimes, tu es triste. Au lieu de lui dire tout ce qu’elle devrait faire, comme te donner des explications par exemple, dis-lui simplement que tu l’aimes, que c’est ton amie, que tu te réjouis de retrouver les bons moments comme vous les avez connus avant. Demande-lui ce que toi tu peux faire pour favoriser le rapprochement, dis lui que si tu as commis une erreur, fais

quelque chose qui lui a déplu, tu veux bien l’écouter et en parler avec elle. Dis-lui qu’elle te manque, que tu penses à elle et que tu regrettes ce malentendu, ce froid, cette distance.

Nam s’était levée et avait quitté la pièce, sa colère laissait comme une traînée de lumière brûlante autour d’elle. Kim se leva à son tour, vint enserrer sa fille dans ses bras et l’embrassa sur les cheveux, le front, en lui caressant l’épaule.

– Ma fille, le chemin est long, apprendre est difficile, et on ne sait jamais rien. Julia était ta meilleure amie, et c’est ta pire ennemie aujourd’hui. Si tu lui envoies un message d’amour et qu’elle réagit négativement, tu sauras alors que peut être Julia ne sera plus ton amie. Mais toi, tu auras fait ce qu’il faut pour toi, vis-à-vis de ta conscience.

– Oui, moi je dois être sympa alors qu’elle fait la garce

– Oui, je vais te confier un très beau dicton, très ancien, qui nous vient de contrées très lointaines. Dans cette région du monde où la mer et la montagne enserrent une ville de lumière, on disait: “Fais le bien et jette-le à la mer”

– “Fais el bien et jette-le à la mer”. Je vais tout de suite lui envoyer un message.

Jo sortit son téléphone de sa poche et commença à écrire les mots. Elle corrigea plusieurs fois, revint et finalement envoya le message. Kim était partie à la cuisine pour aider Swan et Nam. Jo murmura :

– Merci maman, je t’aime.

Jo et Nam se couchèrent après avoir reparlé de l’anniversaire de Nam qui approchait à grands pas. Nam restait d’un mutisme complet à propos de la question existentielle qui déterminerait l’avenir des deux jeunes femmes. Jo sentait comme un vide au creux de sa gorge. Elle regarda Nam qui

qui dormait comme un ange. Tous les soucis avaient disparus de son visage. Elle est si belle quand elle dort. Elle devrait dormir tout le temps! Nam n’avait pas supporté la discussion au sujet de Julia, elle ne supportait plus les disputes à la maison entre saman et sa belleman, elle ne supportait plus Luce qui envahissait son univers disait-elle. Et Jo, est-ce que Nam supportait Jo encore? Et est-ce que Jo supportait Nam? Elle en avait un peu pitié, et la pitié est le pire matériau pour construire une relation. Jo ne s’était pas posée la question en fait de savoir si elle, elle voulait vivre avec Nam toute sa vie. La question ne s’était pas posée parce que c’était une évidence. Nam et Jo étaient ensemble depuis toujours et seraient ensemble pour toujours. Une évidence. Jo posa un délicat baiser sur la peau douce du dos de Nam et s’endormit.

Au matin, quand Jo arriva dans la cuisine, le dernier numéro d’ECOTELLE était posé sur la table. Le magazine titrait sur le droit du divorce avec slogan qui donnait à réfléchir “LE DIVORCE A VINGT ANS, UNE MAJORITE?” Jo pensa que bientôt, quand elle aurait vingt ans, elle pourrait voter. Ce serait amusant de voter pour la première fois sur la question du divorce. D’après Kim, la votation interviendrait à la rentrée après l’été, donc Jo pourrait voter. Le divorce, soit, et la question du mariage viendrait-elle sur le devant de la scène? Jo ne voulait pas se marier, et Nam devait répondre le jour de son anniversaire, le jour de sa majorité. Avant de parler du divorce, et de repenser le droit, ne devrait-on pas se pencher sur la question du mariage?

– Mman, tu en penses quoi, toi, du divorce?

– Chérie, je pars dans trois minutes et le sujet est plus vaste, on peut en reparler à un autre moment?

– Nam est partie avec son chauffeur car elle devait passer chez elle. Georges peut nous amener, toi et moi, et on peut continuer dans la voiture. Tu ne penses pas qu’avant de réviser notre droit du divorce on devrait se pencher sur le droit du mariage?

– Oui, mais c’est encore plus délicat. Je suppose que commencer par le divorce, qui est connexe, est moins dangereux que d’aller de front s’attaquer à une institution qui est la base même de notre société. Tu sais, les femmes ont du se battre longtemps pour arriver à un tel degré de sécurité et d’harmonie. Nous avons sans doute la société la plus efficace et agréable à vivre. Et le mariage en est un pilier.

– Mais on pourrait vivre ensemble sans être mariées

– Oui, et alors on n’est pas mariées, donc on n’a pas le statut

– C’est du chantage, si je ne me marie pas, je n’ai pas droit aux mêmes choses que mes copines mariées

– Oui, dans un certain sens. L’objectif étant de maintenir une stabilité sur une base commune à toutes les membres de la société.

– Oui, mais le mariage c’est quoi en fait

– Deux femmes qui se marient décident de vivre ensemble et de se soutenir en tout temps, que les temps soient merveilleux ou difficiles. C’est une solidarité volontaire et indestructible.

– Oui, et tu n’as qu’à voir la mère de Nam et sa femme, c’est l’enfer, indestructible si tu écoutes Nam !

– Oui, tu en viens déjà au divorce. Mais reprenons le mariage. Deux femmes décident de vivre ensemble. On ne parle pas d’amour, on parle de lien social. Et une fois ces deux femmes mariées,

elles fondent une famille. Une famille comme cellule fondamentale de notre société. Une famille ou les jeunes filles sont élevées dans le but de maintenir cette société, de la Nourrir, de la chérir, de la continuer. On ne met pas au monde des enfants pour détruire ce que nous avons construit, mais bien pour le continuer

– Je ne veux rien détruire, je ne veux juste pas me marier

– Tu ne te poses peut être pas la bonne question. Tu ne veux pas te marier, parce que dans ta tête, tu dois te marier avec qui?

– Avec Nam, naturellement.

– C’est la que la question réside peut-être. Est-ce le mariage dont tu ne veux pas ou bien est-ce que tu doutes de vouloir vivre une vie entière avec Nam?

Jo regarda saman, surprise. Elle n’avait jamais pensé ainsi. Ce serait à cause de Nam que Jo ne voudrait pas se marier?

– Revenons-en au mariage. Quand deux femmes ont décidé toutes les deux de vivre ensemble, elles forment un pacte, qui s’appelle le mariage, et fondent une famille. Et c’est la que l’on peut parler de famille. En général, les deux jeunes femmes ont un enfant en même temps, pour les élever, s’aider et partager tous les moments ensemble.

– Oui maman?

– Tu sais qu’une fille naît de deux X.

– Oui, bien sûr. Jo se rappelait sa réflexion à la clinique, quand elle se demandait d’où venait le second X

– Et bien chaque mère dans le couple donne son X à sa fille

– Oui, évident

– Et le deuxième X est le même pour les deux enfants à naitre. Dans notre famille ce n’est pas le cas puisque Swan n’a pas eu d’enfant, mais si tu prends Nam et Luce, elles sont sœurs par l’éducation et l’amour qu’elles ont reçus de leur mère respective, et surtout par le deuxième X qui vient du même donneur. Génétiquement, elles sont demi-sœur, c’est le même père dans les deux cas.

Jo se rassit sur sa chaise. Pourquoi y avait-il tant de choses qu’elle ne savait pas? Son ignorance était immense, comme un lac profond qui s’élargissait de jour en jour.

Georges mit un terme à sa réflexion en signalant qu’il était temps de partir. Jo s’installa dans la voiture, Kim croisa ses longues jambes à coté d’elle, glissa ses lunettes de soleil sur son nez et sourit. Jo trouva saman très belle, elle rayonnait. La discussion s’engagea sur les préparatifs de la fête de samedi, les ballons bleus et le service traiteur. Kim eut un sourire en coin en disant qu’elle avait organisé une surprise aux filles.

Jo en avait assez de prendre les souterrains de sécurité. Le seul avantage est qu’elle arrivait très tôt à la fac. Elle décida de se rendre chez la directrice, même sans rendez-vous, pour faire le point. Elle prit le long couloir, regarda le ciel à travers la rivière de verre du plafond et ferma les yeux. Combien de pas pouvait-elle faire? Elle commença de manière franche, puis ralentit, puis ralentit encore mais se força à ne pas ouvrir les yeux à 7. Il fallait tenir plus. Elle les ouvrit à 9. Jo était au beau milieu du

couloir, et en face d’elle, campée sur ses deux jambes, Mary Mady la regardait en souriant.

– Bonjour Mary. Jo était confuse

– Bonjour Jo, à quoi jouez-vous? Vous tentez de dominer l’espace?

– Marcher les yeux fermés est un exercice périlleux et un travail sur soi

– Périlleux, certainement, vous risquez de vous casser le nez dans un mur

– C’est le risque. Je peux aussi développer ma connaissance physique, et non visuelle, des limites qui m’entourent

– Vous m’étonnez toujours, Jo, vous êtes vraiment une fille spéciale

– Oui, j’ai deux neurones…

– Ah bon, vous êtes enceinte?

Jo éclata de rire et Mary la suivit.

– Je vais voir la directrice, elle est là?

– Oui bien sur, vous avez rendez-vous?

– Non, justement, mais j’aimerais parler des consignes de sécurité, j’en ai marre de prendre les tunnels, je veux venir comme tout le monde

– Venez, on va parler à Angie

Angie? C’était le nom de la directrice, Jo ne s’était jamais posé la question du nom.

La directrice de l’uni était le directrice, ou la Présidente, selon. Elle avait repris les deux postes, de la direction de l’établissement et de la présidence du conseil d’administration quand les deux organes avaient fusionnés pour simplifier la charge administrative. Elle était contrôlée pour sa gouvernance par un seul conseil qui comprenait des enseignantes et des administrateurs externes. Jo sourit en

pensant que cette femme-là, s’appelait Angie.

Mary avait frappé à la porte et était entrée dès que celle-ci s’était ouverte. Elle dit quelques mots à la directrice et se tourna vers Jo pour l’inviter à entrer. Le tableau sauta aux yeux de la jeune fille, comme un baiser chaleureux du matin.

– Bonjour madame la directrice.

– Bonjour Jo, vous allez bien?

– Oui madame, je vous remercie de me recevoir.

– Dites-moi, car Jo vous n’avez pas beaucoup de temps avant les deux sonneries

– Cela concerne la sécurité. Je ne souhaite plus prendre les tunnels de sécurité, et Georges ne veut rien entendre.

– C’est très bien, il obéit aux ordres, surtout quand ils sont donnés pour votre sécurité… Jo, la situation n’est pas réglée, le cas de ce chauffeur est encore en suspens, la jeune fille Crone ne s’est pas encore prononcée, on n’a eu des messages venant de Mado C. Crone uniquement. Donc la polémique reste entière. En plus, la dimension juridique sera mise au premier plan avec les discussions et le futur vote sur le droit du divorce, donc il serait plus prudent de vous tenir encore éloignée des journalistes.

– Oui, mais elles se sont calmées, il n’y a plus personne devant la maison.

– Oh, c’est en raison d’un décret et d’un périmètre de sécurité qui a été imposé autour de votre maison, ne croyez pas qu’elles vous aient lâchée !

– Quoi, un périmètre de sécurité, mais je n’en veux pas, je veux vivre comme tout le monde

– Alors ça, mademoiselle Jo, il aurait fallu y penser avant d’aller dans la zone rencontrer ce chauffeur…

Jo se tut. Comment la directrice savait? Elle regarda Mary Mady qui suivait la conversation

– Oui, votre sécurité prime car vous avez mis le doigt sur un point sensible, extrêmement sensible. Vous étudierez en histoire du droit l’année prochaine comment nous en sommes venues à légiférer sur les mesures à prendre pour protéger notre société. L’une de ces mesures est pharmaceutique, et vous le savez aussi bien que moi, l’industrie pharma est très puissante. Economiquement et socialement. Sans parler du rôle de celles qui la représente parmi les Trente.

– Mais je ne dis rien, je ne dirai rien ! en plus, si on impose des mesures drastiques de sécurité autour de moi, cela peut laisser penser que j’ai raison, ou bien que je sais des choses graves, ce qui n’est pas le cas. Pourquoi ne pas organiser une interview dans laquelle je parlerai de la préparation de la fête annuelle de l’uni, des exas, et de mon projet, sans le dévoiler, pour le centenaire? On montrerait que cette histoire de viol est passée et minime dans mon agenda.

– Et dans celui de l’uni, reprit Mary. C’est une bonne idée, détourner l’attention en parlant de tout autre chose. Qu’en penses-tu Angie?

– Ce n’est pas une mauvaise idée, je peux organiser une réunion ici. Vous avez parlé à cette journaliste, Nancy Floc pourrait vous interviewer, ce serait somme toute assez logique. Il faudrait préparer ce que vous allez dire et les questions qu’elle va vous poser. Vous pensez qu’elle serait d’accord?

– Je crois bien, elle m’a remerciée de lui avoir donné l’exclusivité le fameux soir. Donc je peux bien lui demander ça. Je vais l’appeler

– Attendez, laissez-moi y réfléchir et je vous donnerai le feu vert. Allez partez maintenant, la sonnerie va retentir.

Mary raccompagna Jo à la porte. Et Jo prit le couloir sans le voir. Elle allait donner une interview, quelle histoire. Les nuages passaient dans le couloir de lumière au-dessus de sa tête. “Il faut laisser passer les nuages, on verra bien la couleur du ciel ensuite” pensa Jo.

En arrivant en classe, elle remarqua Julia qui intriguait avec ses copines dans un coin, dos tournés à la salle. Nour vint vers elle, un large sourire aux lèvres.

– Bonjour Jo

– Bonjour Nour, tu vas bien?

– Oui, super, dis, on peut se voir à la pause?

– Bien sûr, on ira prendre un café sur la terrasse.

– Ok, à toute.

A 13h, Jo envoya un message à sa mère: “Mman, il faut que je te parle ce soir”. Kim répondit immédiatement “Tu veux passer au bureau, je peux t’envoyer Georges”. “Ok, je l’attends devant, comme d’hab”. Jo passa vite au secrétariat informer qu’elle manquait l’heure à venir car elle devait aller voir la Docteure tout de suite. Elle ne mentait qu’à moitié, saman étant Docteure es Economie,

et non es Médecine. Georges l’attendait sur le parvis, il n’y avait personne d’autres, pas de journalistes, non plus. Elle s’engouffra dans la voiture et Georges la conduisit au bureau de Kim.

– Mman, il y a un problème à l’uni

– Cela doit être grave si tu viens me voir durant les heures de cours

– Je peux parler ici? Tout n’est pas enregistré?

– Non, mais si tu préfères, on peut aller dans le parc, il fait très beau

– Je préfère,

– D’accord.

Kim laissa un message vocal sur son téléphone, poussa la chaise et prit Jo par le bras. Arrivées dans le jardin, elles s’assirent sur un banc devant un petit étang couvert de feuilles de nénuphars. Un ou deux bourgeons de fleurs de lotus émergeaient, quelques fleurs étaient déjà ouvertes en offrant une assiette de pétales blancs sur l’eau verte des feuilles rondes. Une grenouille sauta dans l’eau en faisant un plouf magistral.

– Voilà Mman, il y a un problème grave

– Toi, tu as un problème?

– Non, pas moi directement, quoi que en fait, je suis aussi impliquée, par erreur

– Raconte, je t’écoute.

– Il s’agit des coquines, tu sais ce que c’est?

– Je suis plus vieille que toi, mais j’ai aussi eu 20 ans… oui je sais ce que c’est. C’est un sérum hyper

puissant pour développer et améliorer les capacités de mémoire

– Oui, quelque chose comme ça. Et ces coquines sont interdites dans l’enceinte de l’uni

– Normal, sinon certaines seraient avantagées de manière artificielle par rapport aux autres.

– Alors le problème nouveau qu’a l’uni est que de coquines de mauvaise qualité circulent. Plus que de mauvaise qualité en fait, mortelle. Si tu en prends deux dans la même journée, tu peux y rester.

– grave, ça l’est !

– Et la directrice, qui s’appelle Angie en passant

– Tu connais son prénom? Bienvenue dans le cercle fermé de celles qui connaissent le nom de la directrice. C’est elle qui te l’a dit?

– Non, Mary Mady, en parlant d’elle

– Erreur fatale, Mary, tu aurais dû te taire. Ce n’est qu’Angie qui dit à qui elle veut donner son prénom pour être appelée Angie

– Mais moi, je l’appelle toujours madame la directrice, je ne me permettrai pas de l’appeler Angie. Et je pense qu’elle ne sait pas que je connais son prénom.

– Alors ne l’utilise pas avant qu’elle ne te le donne

– Ok, mais là n’est pas la question. La question c’est ces coquines

– Oui, que t’a demandé la directrice?

– Elle m’a demandé de voir si je détectais quelque chose de trouble ou d’anormal dans le comportement des filles autour de moi. Elle m’a dit que d’autres jeunes filles seraient comme moi, dans le secret, mais que je ne pouvais pas savoir qui, et que je devais rapporter seulement à elle, la

la directrice

– Bien organisé, et puis-je savoir pourquoi elle t’a choisie?

Jo hésita, sa mère insista, et Jo lui raconta l’histoire de ses sinus sinistrés et du mouchoir. Elle raconta aussi qu’elle s’était dénoncée à tort pour couvrir Nam, pensant que c’était elle qui avait jeté la coquine, et qu’en fait, ce n’était pas elle.

– Mais la directrice ne m’a pas crue, je t’assure

– Oui, sinon elle ne t’aurait pas confié cette mission. Mais tu te rends compte ma fille que tu as signé une déposition disant que tu consommes des coquines ! Cela peut mettre en péril toute ton académie ! Tu dois penser à toi avant de vouloir penser aux autres, en plus tu ne leur rends pas service

– Ok, je propose que les reproches soient repoussés à ce soir. Je discute volontiers des erreurs que je commets, et surtout pour Nam, mais maintenant, le problème est plus grave que moi.

– Oui, revenons-en à ces coquines

– Et bien Nour voulait me voir

– Nour?

– Oui, Nour, une nouvelle. C’est elle qui avait piqué, entre guillemets, les deux feuilles de résumé de Julia

– Piqué des résumés? C’est quoi cette histoire? Julia n’utilise pas de plaque, comme tout le monde?

– Oui, mais tu sais, moi aussi je fais des résumés, sur une page par contre

– Ok, Nour donc, est venue te voir

– Oui, et c’est affolant. Il y a un réseau de distribution qui s’est mis en place.

– Un réseau, mais ces coquines sont extrêmement chères, pas toutes les filles peuvent se les payer

– C’est que le drame, dans ce réseau, elles te sont offertes.

– Offertes?

– Offertes, pour créer de la dépendance. Pour détruire le plus possible de filles de l’uni

– Ou pour créer un réseau, reprit pensivement Kim. Qui aurait intérêt à monter un réseau à un tel prix au sein de l’université?

Jo et Kim regardaient devant elles. Au-delà de l’étang se trouvait un mur de bambous, longs et fins, qui bruissaient dans la brise claire. La grenouille était revenue sur sa feuille, tout doucement. Elle était verte comme les bambous, un vert frais et léger, un vert de printemps. Kim reprit

– Ces coquines, c’est vraiment troublant.

– Oui, tu sais, en plus, les informations que nous recevons ne sont pas complètes. Quand nous avons eu le contrôle de sécurité, il y avait une coquine, je le sais bien, d’abord je l’ai vue dans la poubelle, et ensuite j’ai été convoquée chez la directrice et j’ai dit, à tort, que c’était la mienne. Donc il y en avait au moins une qui a été trouvée par le personnel de la société BB.

– Oui, et alors?

– Et alors, quand les résultats ont été affichés sur le panneau des étudiantes, rien n’était mentionné. Que des banalités que tout était normal.

– Bizarre. Le conseil en a sans doute décidé ainsi.

– Oui, ça te donne une bonne image de ce qu’il peut nous dire ou nous cacher…

– C’est pour éviter la mauvaise presse, tu sais les media sont toujours à l’affût de ce genre de nouvelles. Et probablement que s’il y avait une seule coquine, c’est négligeable. A partir de trois ou de quatre, elle serait obligée de l’afficher. Mais il n’y avait vraiment rien d’indiqué? Les résultats étaient définitifs et négatifs?

– Oui, en fait non, la phrase était tournée d’une façon qui disait que rien de grave pour l’uni n’avait été détecté. Il n’y avait pas un compte-rendu du genre: objets illicites trouvés dans les locaux: une coquine, un clittoy, un couteau, une bombe à neutrons et une grenouille…

Jo éclata de rire, sa mère aussi

– J’imagine très bien” bonjour madame la directrice, vous avez trouvé une grenouille dans la salle des profes, veuillez nous expliquer? C’est la grenouille météo, elle monte et elle descend selon le temps qu’il fait”. Jo riait, quand elle eut repris ses esprits, elle continua

– Mman, tu ne sais pas tout. Quand Nour est venue me voir pour me parler des coquines, elle était très gênée. En fait, le réseau se fait de manière anonyme, en tout cas au départ. L’histoire est la suivante, Nour a ouvert son sac, comme d’habitude, elle l’avait laissé à l’heure de la pause dans le couloir. Et quand elle a ouvert son sac, elle a trouvé un mot, écrit en rouge, qui disait “une est pour toi, les autres, tu les donnes”. Nam a regardé autour d’elle, pensant qu’elle verrait une fille, mais elle m’a dit qu’elle n’a vu personne. Elle ne comprenait pas bien, et a commencé à fouiller son sac. Le plus drôle, c’est qu’elle n’en avait jamais vu ! C’est ce qu’elle m’a dit. Elle ne savait pas ce que c’était. Elle n’en n’avait jamais vu. Elle m’a dit combien elle a avait été surprise de trouver ces trois fioles au fond de son sac ! Et elle est venue me voir. Alors moi, je dois théoriquement aller parler à la directrice

pour lui raconter tout ça, mais je préférais voir avec toi.

– Etrange, donc celle qui met les fioles ne se montre pas, elle en met trois dans un sac et demande de continuer la chaîne.

– Est-ce que ça veut dire que celle qui a mis les fioles en avait 4 et en a redonné 3?

– Possible. Mais si ces fioles sont mortelles, c’est ultra dangereux. Tu vois si une fille décide de les garder les trois ou les quatre, et qu’elle en prenne deux, c’est la fin

– C’est la fin. Enfin…

– Quoi

– C’est ce que dit la directrice.

– Jo, tu as une fiole avec toi?

– Non

– Non? C’est dommage

– Non, je n’ai pas une fiole, j’ai trois fioles !

Kim sourit.

– Je comprends que tu aies eu envie de venir me voir si vite, si tu te fais attraper avec trois fioles, tu peux dire au revoir à l’uni, le règlement est indiscutable

– Que crois-tu que je fais ici? Je sais bien. Jo ouvrit son sac et en sortit une coquine

Kim la regarda et prit sa respiration

– Je te propose une action, mais il faut mentir un peu

– Mentir? Mman, où sont tes valeurs?

– Toi, il me semble que tu as déjà bien mis la valeur de ton amour pour Nam au-dessus de la vérité, alors tu ne vas pas me faire la leçon

– Je plaisante Mman, je sais bien que tu ne vas pas me demander une chose non éthique

– Alors voilà, tu vas aller voir la directrice, en lui racontant tout…. Jo l’interrompit

– J’ai promis à Nour de ne pas dire que c’était elle

– Ok, encore mieux, tu vas voir la directrice et tu lui racontes tout, sauf le nom de Nour et surtout, tu lui donnes les coquines tout de suite, quand tu rentres en fac

– Oui, je vais la voir immédiatement. Je ne vois pas en quoi je mens…

– Tu ne vas lui donner que deux coquines, et je vais garder l’autre. Je vais la faire analyser, on en saura peut-être plus

– Tu peux faire ça, toi? Et comment tu vas justifier? Et ton règlement?

– Je ne suis plus à l’uni et j’ai quelques contacts, tu sais?

– Oui, le Ministère de la Justice… il y a des labos

– Bien sûr, et je vais même faire un rapport confidentiel.

– Mman, alors je ne peux pas donner le mot écrit à la directrice, il y est mentionné les trois coquines.

– Non, ce que tu m’as dit est” une est pour toi, les autres, tu les donnes”

– Oui, c’est bien ce que je disais, il y en a donc au moins trois, comme c’est au pluriel

– Disons que la chaîne perd une coquine à chaque étape, mais le mot reste le même. Si maintenant Nour donnait une coquine et en gardait une, le mot serait aussi inexact. Je suis certaine que Nour ne prendrait pas le risque d’écrire un nouveau texte.

– Pas mal, je vais aller tenir cette explication à la directrice, et on verra. Je suis soulagée Mman, je trouve que toute cette histoire est bizarre. Parce que si tu penses au prix d’une coquine, c’est super cher, alors si une fille distribue allègrement des coquines gratuitement, c’est une sacrée fortune qui part en fumée

– Tout dépend du but de cette chaîne. Cela peut être de créer une dépendance, comme tu l’as dit, ou alors d’implanter un réseau fort et secret dans les rangs de la fac. Je ne crois pas que le seul but soit de détruire des étudiantes.

– Je suis d’accord, ça peut aussi être de faire en sorte que le maximum de filles réussissent leurs examens, je te rappelle qu’on est super proche de la fin. La fête de l’école et les examens sont pour bientôt, si des coquines sont distribuées juste avant, ça peut modifier les résultats généraux du classement. Rester la meilleure uni? Non?

– Oui, c’est une possibilité, mais dans ce cas, la directrice serait dans le coup. Et pourquoi te mandaterait-elle de regarder tout ce qui se passe

– Parce qu’elle a confiance, elle sait que je ne dirais rien si je trouve quelque chose d’anormal. Comme maintenant, je vais aller lui raconter, mais elle sait très bien que je ne vais rien dire à mes copines !

– Et à moi, tu ne crois pas qu’elle sait que tu vas me parler?

– Peut-être, c’est un risque. Mais comme j’ai été attrapée avec une coquine et que j’ai signé une déposition, elle me tient, sans doute.

– Stop, arrête, je connais Angie, je ne la vois pas du tout monter un truc pareil, elle est super occupée,

elle n’a pas le temps. Et en plus, tu m’as dit que ces coquines sont frelatées. Non, il y a encore une autre possibilité

– L’inconnue !

– Oui, il y a toujours l’inconnue. X est toujours inconnu. Tu peux imaginer les sociétés pharma, ou une mécène

– Ou une femme qui va mourir et qui dépense son argent pour donner des forces intellectuelles à des jeunes étudiantes…

– Bref ma fille, retourne à l’uni, va voir Angie, raconte-lui ton histoire et moi je vais faire faire des analyses. On fait le point ce soir, agent secret Jo. Venez faire un bisou à votre maman adorée

– Merci Mman, je repars.

– Au fait, tu es avec Georges?

– Oui bien sûr, et nous n’avons pas pris les tunnels de sécurité. Je suis allée voir la directrice ce matin pour demander d’arrêter ces mesures débiles, et elle ne veut pas. Enfin, je vais participer à une interview dans lequel je parlerai de la fête de l’école pour détourner l’attention de cette histoire de viol.

– Ma fille, je ne comprends rien, il faut que tu m’expliques. Mais je trouve que tu te mets dans des situations un peu délicates ces temps: la zone dans laquelle tu es allée, le viol et Miss Crone, ce Georges, cette déclaration à la TV et maintenant, les coquines. Jo, rappelle-toi que ta vie, c’est tes études.

– Tu as oublié le bébé

– Le bébé ET le mariage….- Non, le bébé, et c’est tout.Kim soupira, en prenant sa fille serrée dans ses bras, elle lui chuchota à l’oreille: “Fais attention, prends soin de toi. De toute façon, quoi qu’il arrive, je suis toujours là, je t’aime, comme tu es, tu es formidable. Fais juste attention à toi”.Jo repartit avec Georges qui emprunta un tunnel de sécurité. Arrivée à l’uni, Jo se dirigea vers le bureau de la directrice, sonna en mettant son bracelet sur la borne et entra dès qu’elle en fut autorisée. En sortant, un peu troublée, surtout par le tableau qui l’avait totalement ignorée et qui semblait dormir, elle releva un message sur son portable. A sa lecture, elle sauta en l’air en hurlant “génial” et repartit vers ses cours.

 

Suite 2100 ZONE AMA: Chapitre 6: Amitié

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