Créé le: 31.07.2017
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2100 ZONE AMA Chapitre 6: Amitié

Fiction

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© 2017-2024 Jill S. Georges

2100 ZONE AMA décrit une société, parmi d’autres possibles, dans un siècle. Cette fiction sociale met en scène une jeune fille, Jo, qui, en devenant adulte, découvre et commence à comprendre le monde qui l’entoure.
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2100 ZONE AMA Chapitre 6: Amitié

Samedi commença comme un samedi, c’est à dire bien, petit déjeuner sur la terrasse, pain grillé et café au lait, confiture de tomates vertes et beurre frais. Un bouquet de pivoines éclatait au cœur de la table, le bleu du ciel était clair et transparent. Jo et Nam avaient fait l’amour tout doucement et Jo se sentait magnifiquement bien. Nam avait l’air triste, mais Jo pensa que c’était parce qu’elle organisait son anniversaire chez Jo plutôt que chez elle. Et un vingtième anniversaire étant une étape capitale, il y avait de quoi être triste. Les copines étaient supposées arriver vers 17 heures. Il y aurait un repas et Kim avait organisé une surprise vers 21 heures. Le gâteau serait coupé à 20 heures pour permettre de manger avant et après. Plus tard, elles iraient quand même au Cercle Rouge, avec celles qui tenaient le coup, pour finir la soirée. En attendant, Jo et Nam avaient toute la journée. Jo proposa- Je propose soit d’aller chez Nowear, soit d’aller visiter une clinique, celle de la colline par exemple, soit de…

– Soit de quoi demanda Nam? Aller chez Nowear c’est sympa, mais je ne veux pas dépenser de sous ces temps. La clinique, bof. C’est quoi ton autre proposition`?

– Et toi, Nam, tu n’as rien à proposer? Un endroit où tu aimerais aller?Nam baissa les yeux.

– Non, je ne sais pas, je vais où tu veux,Jo ne put réprimer un petit mouvement agacé de la tête- Alors la troisième proposition est, tenez-vous bien, d’aller à l’exposition de Miss Niva- Mais j’ai lu dans le journal qu’elle ne commence que demain dimanche, rabâcha Nam.

Jo lui jeta un regard assassin.

– Oui, peut-être pour le commun des mortelles. Mais moi, j’ai une invitation pour la pré-ouverture de son exposition.

– C’est génial, et comment tu as eu une telle invitation? Swan calmait le jeu

– Tu parles, génial, Miss Niva ne fait jamais d’annonce, un jour ou deux avant l’inauguration, elle lance les invitations. Et nous pouvons y aller, moi je suis super excitée. Nam, tu as déjà vu le tableau dans le bureau de la directrice?

– Oui, ce grand truc rouge au fond?

– Oui, le Marché Rouge, il ta plu?- Euh, je ne me souviens pas, oui, c’est un tableau !- C’est vraiment chouette, Swan et moi pouvons aussi venir à cette expo? interrompit Kim

– Mais oui, bien sûr, et Nam, tu n’es pas obligée de nous accompagner si tu n’en as pas envie.

– Oui, je peux rester ici et préparer mon anniversaire, avec Georges

– Oui, mais on a tout le temps de le préparer après ! On va à l’expo vers 11 h, on mange un canapé avec un peu de champagne, et on revient vers 13 heures pour finaliser les opérations. De toute façon, tout est prêt, et avec Georges, je suis sûre que ce sera parfait !

– Je ne sais pas, la peinture, c’est pas mon truc. Je peux rester et étudier alors

– Ok. Jo était cassante. Tu restes, nous on y va, d’accord?Kim essaya encore de convaincre Nam de venir avec elles. Rien n’y fit. Jo pensa que son petit-déjeuner lui restait en travers. Elle planta Nam et monta se préparer. Elle n’entendit pas Kim lui demander d’où venait cette invitation.

Georges aimait bien conduire les trois femmes ensemble. Il était très fier d’être le chauffeur de Kim. Il aimait bichonner sa voiture quand il savait qu’elle allait avoir besoin de lui. Dans la voiture, Kim posa à nouveau la question de l’invitation. Et Jo expliqua que c’était Madame Emma, la directrice de

la Clinique de la Paix qui lui avait envoyé un message. Jo était surexcitée, et la présence, ou plutôt l’absence de Nam ne la dérangeait pas le moins du monde. En arrivant au lieu de l’exposition, Jo fut surprise. Miss Niva avait choisi une serre de légumes, et les toiles étaient exposées entre des carrés de tomate rouge baiser et des lignes de salade d’un vert éclatant. Une fois passé le premier moment de surprise, une flute de champagne à la main, Jo se laissa entraîner par une hôtesse. Miss Niva n’était pas encore arrivée, mais Jo pouvait admirer les toiles en attendant les explications. Kim et Swan étaient un peu plus loin, enlacées tendrement devant un tableau de lumière. La chaleur qui s’en dégageait débordait des bords de la toile, les couleurs claires et limpides en faisaient une tache de clarté au milieu des légumes. Jo passait devant les toiles en respirant leur message, un dépliant à la main sur lequel elle pouvait lire les titres. Elle se promena parmi les allées comme pour faire le tour de l’ensemble, puis se laissa guider par son instinct. Devant une très grande toile posée à même le sol, elle décida de s’arrêter. C’était le ciel dans la mer ou la mer dans le ciel, les bleus se fondaient dans une osmose délicate. Jo se laissait entraîner par les vagues qui montaient et puis flotter dans les embruns qui voletaient. Kim et Swan la rejoignirent et se postèrent de chaque coté de Jo, Kim la prenant par le bras.

– Merci ma chérie de nous faire profiter de cette invitation, c’est magnifique. Quelle vie, quelle force dans les toiles, je suis bouleversée. Tu as vu le “Lever de lune”`?

– Non, pas encore, je commence par celle-ci. C’est comme chez Mami Li, la mer qui plonge dans le ciel

– Ou le ciel qui s’endort dans la mer

– Le travail des bleus est magique, on verrait presque les vagues aller et venir

– Elle est vraiment fabuleuse cette Miss Niva. Quel art !C’était Madame Emma que Jo n’avait pas vue venir. Après avoir fait les présentations, Kim remercia chaleureusement Madame Emma de les avoir invitées

– Ce n’est rien, quand votre fille est venue me rendre visite, elle a remarqué le tableau qui se trouve dans mon bureau. Une fleur, toute simple. Et Jo a été comme happée par la force de la toile.

– Oui, une fleur toute simple, mais quand même, tu sais Mman, elle te boit, c’est une fleur qui t’absorbe totalement

– Oui, mais Jo est particulièrement sensible. Il y a beaucoup de jeunes femmes qui entrent dans mon bureau et qui ne voient même pas le tableau.

– Jo est comme un miroir, ou un révélateur, osa Swan

– Je suis simplement à l’écoute de mes émotions, je me laisse porter par le tableau, sans même le comprendre au sens rationnel. Je ne sais pas pourquoi je suis fascinée, mais je sais que l’effet est profond. Tu sais, Mman, dans le bureau de la directrice de l’uni, il y a un immense tableau qui s’appelle le Marché Rouge. Et bien chaque fois que je le vois, il me parle ! Il est différent, il donne un message autre ! Et pourtant, c’est toujours le même tableau !

– Oui, c’est parce que toi tu es différente à chaque fois, et le tableau reflète ton humeur, ou ton attente, c’est le tableau qui est ton miroir, et non l’inverse. Tu vois ce que tu as envie de voir.

Jo pensa à la fameuse fois ou elle avait eu l’impression qu’un des personnages du tableau lui avait fait un clin d’œil. Elle sourit.

– Et comment s’appelle ce paysage de mer qui vit?Jo regarda sur sa liste, numéro 9, c’est “La mer en ciel”.Elles continuèrent parmi les salades et les tomates.

– Madame Emma, vous savez si Miss Niva viendra aujourd’hui?

– Mademoiselle Jo, c’est possible, mais pas certain.

– Nous avons déjà la chance de voir les toiles, c’est formidable

– Les créations se voient mais la créatrice se cache

– En observant les créations, comme vous dites, on peut se faire une belle idée de la personnalité de la créatrice

– Je dirais qu’elle doit aimer

– Aimer quoi?

– Aimer rien, aimer tout, aimer tout court. Pour peindre de telles toiles, il faut avoir une dose d’amour très grande, car elle en met tant dans ses créations !- Oui, elle doit aimer, et aussi être aimée. On ne peut pas donner si on n’a pas reçu, si on ne reçoit pas. Elle doit être aimée continuellement et aimer en retour- Ou inversement. Elle aime, donc elle est aimée

– C’est la poule ou l’œuf, qui commence?

– Au moins nous sommes d’accord de dire qu’elle baigne dans l’amour, cela va à nous toutes?

– Oui Swan, très bonne diplomate, comme d’habitude.Et Kim l’embrassa tendrement dans le cou. Elles continuèrent leur promenade en rêvant devant chaque toile. Jo resta plantée devant un jardin bleu entouré de murs. Elle était perplexe devant la composition qui lui faisait se sentir dans le jardin et en dehors, qui l’invitait au repos tranquille et à l’action, qui marquait une forme de déséquilibre dans les formes et les teintes.

. Il y avait deux niveaux, et Jo pensa que dans tous les tableaux de Miss Niva qu’elle avait eu la chance d’admirer, il y avait toujours une dualité, une différence complémentaire, le visible et l’invisible. Elle continua sa marche jusqu’au choc. Au fond de la serre, seul sur son chevalet trônait “elle”. Elle appela saman et Swan, qui arrivèrent en souriant.

– Etonnante la ressemblance, cette jeune fille a l’air de toi Jo

– incroyable, en effet !Les yeux brillants, les lèvres entrouvertes, les cheveux. Et pourtant, il y avait un voile, une tristesse inattendue

– Mais cette moue n’est pas la tienne, enfin, pas vraiment, je ne te connais pas boudeuse. Il y en a d’autres ! Jo pensa à Nam, qui boudait à la maison et qui avait refusé de venir, cette pomme.

– Non, je ne suis pas boudeuse. Je me demande comment s’appelle ce portrait. Jo scruta sa liste.- Ce tableau s’appelle : “Ma fille”

– Ma fille?

– Oui, Miss Niva a une fille, comme nous toutes, qui ressemble, il est vrai, à mademoiselle Jo. Un certain air un peu sauvage peut-être. Mais je ne la connais pas bien, remarquez, je ne l’ai vue que deux trois fois, pas plus

– Si Miss Niva vient, on lui demandera le prénom de sa fille, pour nommer le tableau

– Je n’ai pas besoin du prénom, je le nomme moi-même, c’est “ma fille”, n’est-ce pas Jo?  Kim avait fait un pas en avant et collé un petit rond rouge sur le bas du cadre. “Ma fille” s’appelle “Jo”. Et c’est son tableau. Jo restait la bouche ouverte comme une automate.

– Mman, tu es sûre? Tu ne connais même pas le prix !

– Ma chérie, si j’attends la prochaine exposition de Miss Niva pour t’offrir un tableau, je risque de devoir attendre des mois. Tu adores ces toiles, je crois que je l’ai bien compris, tu vas avoir ton anniversaire et cela me fait une immense joie de te faire plaisir. Si tu veux ce tableau, bien sûr !- Mman, je ne sais quoi dire, j’adore les tableaux de Miss Niva, chaque fois que je les vois je suis sous le charme, mais là, c’est encore plus impressionnant, ce tableau est mon image, c’est fou !

– Oui c’est génial. Qui veut du champagne?Entre les salades et les tomates se précipita un ménager habillé en maître d’hôtel de grande classe et leur remplit leurs verres. Kim lui demanda de lui laisser la bouteille, et les quatre admiratrices burent du champagne et mangèrent des bouchées raffinées en s’imbibant des couleurs et des formes des tableaux.

C’est Georges qui vint les chercher vers 15 heures. Kim était rose et souriante, elle ne lâchait pas Swan d’un centimètre, heureuse d’avoir signé son engagement pour “ma fille”. La jeune femme qui les avait reçues lui avait dit que ce tableau porterait chance car c’était le premier vendu de la collection. Jo avait pris des tomates dans son sac à main et Georges fut presque vexé quand elle lui demanda d’en faire une salade. Ses tomates à lui étaient bien plus belles pensa-t-il. Ici, elles étaient poussées industriellement, alors que les siennes étaient pleines de tendresse et d’affection. Madame Emma les quitta en leur promettant de les inviter à la prochaine soirée qui aurait lieu à la Clinique de la Paix, elle devait fixer une date avec le Ministère de la santé, et dès qu’elle le saurait, elle leur enverrait un carton. Jo était un peu déçue de devoir attendre la fin de l’exposition pour pouvoir recevoir son tableau, elle en fit une photo sur son téléphone. Toutes les trois légèrement ivres, elles

arrivèrent à la maison ou les attendait Nam et son anniversaire.

En arrivant à la maison, Jo trouva Nam dans sa chambre, les yeux rouges, en train de contempler un ballon bleu. La maison était toute décorée, Georges avait bien fait les choses pendant que Jo, Kim et Swan étaient à l’exposition. Les invitées devaient arriver vers 17 heures, Jo fit un baiser dans le cou de Nam et lui proposa un thé. Elle lui racontait le tableau, ce tableau qui s’appelait “ma fille” que Kim lui offrait et qui était si ressemblant. Il y avait la même énergie, les mêmes ombres, la même ambiance que dans le Marché Rouge, mais c’était un portait. Un portrait avec un sourire énigmatique, mi narquois, mi blasé. “Un sourire à la Jo” avait murmuré Nam. Son air triste énervait Jo qui ne comprenait pas que le jour d’une telle fête, Nam puisse bouder. En plus, Kim avait organisé une surprise qui ferait très certainement plaisir à son amie. En plus, Jo lui offrirait un superbe bracelet en pierres de lune, cadeau de toutes ses copines pour ses 20 ans. En remontant avec les deux tasses, Jo se dit qu’elles devaient parler. Elle posa la tasse sur son bureau rangé et propre, et posa celle de Nam devant elle. Prenant une chaise, elle s’assit tout près de son amie.

– Alors, ça ne va pas?

– Non

– Non?

– Non

Et Nam restait dans son silence

– Tu ne veux pas me dire, ce serait plus facile pour t’aider si je savais où était le problème.

– Le problème, les problèmes !

– Commençons par un, quel est le premier problème? Ton anniversaire, ta mère?

– Ma mère et sa femme, oui c’est un des problèmes, mais pas le plus important

– Alors quel est le plus important problème?

– Franchement, tu ne vois pas? Tu ne te souviens pas?

– Si, si je me souviens, c’est moi, donc c’est moi ton problème? Jo était excédée

– Oui c’est toi, et en fait, non ce n’est pas toi mais ton ultimatum. Je te rappelle qu’aujourd’hui je dois te dire si je reste avec toi sans me marier ou si je te quitte

– Oui, soit tu restes avec moi sans me marier et on fait un bébé ensemble, soit tu trouves une autre femme avec qui tu te maries. Je sais que le choix est difficile, mais je suppose que tu l’as fait?

– Tu as l’air bien sûre de toi, oui j’ai fait un choix, et tu vas le détester

– Quoi? Laisse-moi deviner. Tu ne veux pas venir vivre avec moi? C’est ça? C’est nul, tout simplement parce que tu ne veux pas enfreindre une loi vieille et désuète.

Je serai la première à ne pas me marier, peut-être, mais je ne vois pas ce qui est mal, ou bien au contraire, il est peut être temps de remettre en cause ces vielles règles qui nous gouvernent. Il y en a assez, c’est des Madames C. Crone qui font les lois, qui font la loi. Et pourquoi ne pas penser autrement, pourquoi ne pas simplement penser? Penser? Tu comprends?

– Oui, je comprends que tu es toujours sur la limite, toujours en train de tester et tu prends sans cesse le risque de te blesser. Tu es comme un cheval dans un enclos, tu te frottes toujours aux barrières, tu tournes, tu les touches. Tu ne comprends pas que tu te fais mal? Et que non seulement tu risques ta peau en agissant ainsi, mais celle des autres? Tu es si proche des limites, des barrières, que tu es sur le point de les briser, de les casser.

Et tu sais ce qui va se passer si tu casses les barrières?

– Oui, si je casse les barrières, je vais me faire mal, oui, peut-être, et peut-être pas. Qui te dit que derrière ces barrières il n’y a pas quelque chose de plus beau, de mieux? Moi j’ai envie de voir ce qui est derrière, je veux savoir pourquoi il y a des barrières…

– Et tu vas faire une brèche, tu creuses un trou, tu creuses notre tombe à toutes. Tu ne vois pas que ces barrières ont été construites par nos mères et les mères de nos mères? Tu ne vois pas que ces barrières sont là pour nous protéger, pour nous protéger de ce qui est dehors, en dehors des barrières, des limites? Tu ne vois pas que tu risques non seulement de te blesser mais en plus de faire entrer quelque chose qui peut nous nuire?

– Qui peut nous nuire, un gros monstre tout poilu? Je rigole et bien peut-être que c’est un gros monstre tout poilu qui va manger les petites filles, peut-être. Mais c’est aussi peut-être la lumière et le bonheur que je peux trouver dehors, et rapporter dedans, tu imagines? Des étoiles et du ciel bleu sans fin, de la douceur et de la vie. De la lumière et du bonheur…

– Mais Jo, tu ne vois donc pas que la lumière et le bonheur sont ici, dedans ! Nos mères et les mères de nos mères ont construit ces murs pour conserver cette lumière et ce bonheur, et si tu ouvres une brèche, et même si il n’y a pas de monstre poilu comme tu dis, on va perdre ce bonheur et cette lumière. La lumière va filer par le trou, elle va nous quitter, et nous serons seules dans le noir et le chaos.

– Dans une tombe éternelle. Mais Nam, tu répètes ce que des générations répètent sans savoir, moi je te dis que près des limites, la lumière est plus forte.  Je veux franchir ces limites, je veux aller au-delà,

lje veux sortir, tu comprends sortir. Sortir de ce monde, sortir de cette maison, sortir de cette uni, sortir de cette société. Je veux sortir. Jo criait. Je veux sortir et s’il faut casser les barrières, je le ferai, et j’irai voir le gros monstre poilu, et si je le rencontre et qu’il me dévore, et bien je ne reviendrai plus jamais. Mais si je trouve une autre lumière, d’autres bonheurs, différents de ceux que nous connaissons, je les ramènerai, je les offrirai au monde que nous connaissons

– Tu es folle, tu mets en péril ce qui fait que nous sommes ce que nous sommes. Que tu te mettes en péril, en allant dans la zone par exemple, soit, mais que tu mettes en péril notre équilibre, notre société, tu es dangereuse, on devrait t’arrêter, on devrait t’enfermer. Toi, le cheval qui tapes dans les murs, sans cesse, tu vas nous faire périr, tu vas faire mourir notre cité. Et je t’aime trop pour te dénoncer, pour prévenir, pour t’enfermer, tu mourrais si tu n’étais plus libre – Voilà, c’est exactement ça, tu me comprends alors, je veux être libre, je veux aller où je veux, faire ce que bon me semble, je ne veux pas toujours me heurter à des remparts que, quand je demande à quoi ils servent, on me dise « on ne sait pas, mais ils sont la depuis toujours alors ils doivent rester là ». Cette raison du passé est insuffisante. Et en même temps, ce sont ces murailles qui déclenchent chez moi cette envie de liberté, les murs sont si hauts que j’ai envie de les écraser, de les défoncer, ce sont ces murs qui m’incitent à me heurter contre eux. Et je souffre, tu ne t’imagines pas combien j’ai mal parfois, je dois prendre ces tunnels de sécurité, mais je les hais, je déteste l’idée même de la sécurité, cette sécurité qui t’emprisonne, qui t’enferme, qui t’enterre. Je veux marcher à l’air libre. Tu sais en revenant de chez Mami Li, j’ai vu un endroit magnifique pour construire une maison, un endroit qui est l’extrême bord

du quartier, d’un côté la maison donne sur la rue, et de l’autre, tu as des champs immenses, des champs qui étaient jaunes de soleil, chargés de blé lourd, avec des montagnes à l’horizon, violettes et bleues, des montages comme une caresse sur le champ de ta vision. Non pas des montagnes qui t’obstruent, mais des montagnes qui t’invitent, qui t’invitent à les gravir, à se promener, à chanter avec le vent, à marcher avec les arbres et à voler avec les aigles. J’ai trouvé l’endroit de notre maison, Nam crois-moi !

– Mais Jo, tu n’as pas compris, tu n’as donc rien compris. Je ne viendrai pas avec toi, je n’irai pas dans ta maison, sauf le jour où tu voudras te marier avec moi. Et si tu veux cette liberté, si tu veux ne pas souffrir de toutes ces barrières qui t’entourent, si tu ne veux pas te cogner aux murs, reste au centre, reste loin des murailles, reste avec nous ! Nous avons la lumière et nous ne voyons pas ces barrières, elles sont si loin. On ne s’y frotte pas, on ne se souffre pas, on ne questionne pas. On sait qu’elles sont là, pour nous protéger, et on les laisse ou elles sont, on créé son univers dans l’immédiateté de son existence, dans un cercle proche de soi, construit sur les valeurs essentielles qui nous ont été transmises et que nous transmettrons. Nous sommes une communauté dont le but est la survie de la communauté dans les meilleures conditions de vie possibles. Et ça demande du temps et de la patience pour construire un univers si petit et en même temps si infini. Cette cité que ta mère et sa mère ont aidé à faire prospérer va encore exister, demain et le jour suivant. Pourquoi n’essaies-tu pas de donner ton énergie et ta force à consolider ce qui est plutôt que chercher le déséquilibre?

– Le déséquilibre, tu as mis le mot qu’il faut sur ma montagne, elle est en déséquilibre permanent, et c’est une invitation à retrouver un équilibre, une harmonie, une complémentarité des contraires, une

richesse des différences. Tu dois voir la maison Nam, c’est si beau, la vue est époustouflante, on y serait si bien

– Jo, qui essaies-tu de convaincre? Si nous avions une maison ensemble, je serai à l’intérieur en décorant les murs, et tu rêverais de les briser pour aller voir dehors. Ce qui nous relie est ce qui nous sépare…

– Les murs

– Oui, les murs que je vois protecteurs quand je les construits, que tu vois limitatifs quand on te les impose

– Alors?

– Alors, je ne viendrai pas avec toi

– Tu vas te marier avec une autre ?

– Non, je vais faire comme un mariage, avec toi

– Tu m’énerves, je ne veux pas de ce lien, je ne veux pas de cette obligation, de cette chaîne. Je veux être avec toi libre.

– Et moi je veux montrer au monde que je suis enchaînée avec toi, à toi, que tu es la personne que j’aime, que j’aimerais toujours et que j’ai aimée. Toi, maintenant, hier, aujourd’hui et demain

– Nam, tu délires

– Pas du tout, mes yeux sont assez rouges pour te prouver que cette décision est épouvantable pour moi, je déteste prendre des décisions, elles me font quitter un chemin pour toujours et en prendre un autre. On ne devrait pas devoir choisir, c’est ce que j’ai pensé. Et j’ai trouvé la solution

– Et quelle est cette solution de non choix?

– Je choisis effectivement de ne pas choisir. Dans cette alternative, soit je reste avec toi contre mes convictions fondamentales de vie, soit je te perds et je perds mon amour, car je ne pourrai jamais aimer une autre…

– Alors, je ne vois pas

– Alors je pars, je m’en vais

– Comment ça tu pars, tu vas où?

– Tu veux aller voir au-delà des limites extérieures de notre société, je vais m’enfermer au milieu des limites de mon propre être. Je vais sonder ma vie, mon corps, mes émotions, mes pensées. Je vais voyager au fond de moi en tant que femme et en tant que femme parmi les femmes, une femme, la femme. Retrouver par la méditation ce qui a fait de moi ce que je suis, et prier. Jo, je vais prier, jour après jour, chaque jour, chaque heure, chaque nuit, je vais prier pour toi, je vais prier pour toi mon amour

– Mais tu es folle, je ne veux pas de ce lien, je ne veux pas que tu m’imposes ta réclusion, je ne veux pas être la cause de ton malheur, je ne veux pas que tu me fasses porter une culpabilité qui n’est pas la mienne. Je ne veux pas de tes larmes, de tes chaînes, de ton poids. Tu ne peux pas m’imposer un tel fardeau, tu ne peux pas !

– Et toi, tu m’imposes ton choix, je dois l’accepter, je meurs de ton amour ou je meurs de mes valeurs. Je ne veux ni l’un ni l’autre, je veux ton amour et mes valeurs. Et je prierai, tu n’as pas besoin de le savoir ni d’y penser, mais je prierai pour toi, toujours.

-…

Jo était tétanisée. Les ballons bleus flottaient dans la pièce comme des bulles irréelles qui se seraient égarées dans une histoire d’horreur. Tout était si immobile, si froid, si distant. Jo sentait ses yeux en-dehors d’elle, elle les voyait, deux gros globes blancs qui hurlaient de terreur. Sa peau était glacée, elle ne respirait plus

– Jo, Jo, on se verra encore, regarde-moi. Nam lui avait pris la main et la secouait. Jo, on ira chercher des choses sûres ensemble, tu veux?

Jo détourna son regard et le posa sur Nam, “chercher des chaussures” lui résonnait dans la tête. Elle se baissa, enleva son escarpin, le tint par le talon, et le tendit à Nam

– Voilà Nam, ta chaussure. Et elle s’échappa à travers la porte d’entrée le jardin et les nuages…

– Mame Kim

– Oui Georges?

Georges était paniqué, il tenait un ballon bleu dans les mains et avait un air hagard

– Mame Kim, c’est Jo

– Comment Jo? Kim baissa la musique

– Jo s’est disputée avec Nam, et, elle est partie

– Comment partie, mais c’est son anniversaire !

– Oui, mais c’est Jo qui est partie. Elle a donné sa chaussure à Nam et elle est partie

– Pourquoi sa chaussure ?

– Je ne sais pas Mame Kim, mais je crois que je dois aller la chercher

Kim regardait Georges sans avoir l’air de bien comprendre.

– Jo est partie? Mais oui, Georges, prenez la voiture et ramenez-là tout de suite. Elle est partie a pied dans la rue?

– Oui Mame Kim, avec une seule chaussure

– Georges dépêchez-vous et ramenez Jo tout de suite

Georges lâcha le ballon qui s’envola jusqu’au plafond de la cuisine, prisonnier de son air, la ficelle pendante.

– Mam Kim, je crains que je ne puisse pas la ramener

– Comment ça Georges, bien sûr que vous allez la ramener à la maison, où voudriez-vous qu’elle aille?

– Mame Kim, je suis désolé de vous dire ça, mais connaissant Jo, elle voudra aller dans la zone

– Ecoutez Georges, peu importe où elle veut aller si elle a besoin de se calmer tant que vous êtes avec elle, elle ne risque rien. En fait, je viens avec vous

– Non, Mame Kim, si j’ose, non, restez là. Nam a aussi besoin d’aide. Et Miss Jo est forte, très forte elle.

– Forte? Aujourd’hui, j’ai des doutes, aussi elle m’énerve à faire la tête le jour de l’anniversaire de Nam. Allez-y Georges et tenez-moi au courant.

Georges sortit et Kim se dirigea vers le salon. Nam était assise, ou plutôt effondrée en tas sur un pouf, une chaussure à la main.

– C’est la chaussure de Jo?

– Oui, je ne comprends rien, elle m’a dit quelque chose à propos de chaussure et elle en a enlevé une

pour me la donner…

– C’est quoi le problème ?

Nam éclata en larmes, et se lova dans les bras de Kim

– Allez tout doux ma belle, c’est ton anniversaire, tu ne peux pas pleurer comme ça, c’est un beau jour !

Nam redoubla ses sanglots. Quand enfin elle fut un peu calmée et que son cœur eut ralenti ses battements d’aile, Nam expliqua:

– Jo ne veut pas vivre avec moi

– Ah bon? Je croyais que Jo voulait vivre avec toi, tu es son amie de toujours

– Oui, mais elle ne veut pas se marier, et elle sait que c’est impossible pour moi de vivre avec elle sans ce lien

– Les choses changent, et même Jo peut changer d’avis, avec un peu de temps

– Non, elle veut des barrières pour les franchir, et moi pour me protéger. On ne regarde pas dans la même direction.

Nam recommença à pleurer

– Alors?

– Alors je vais en retraite

– En retraite? Mais c’est de la folie, réfléchis, tu seras toute seule, loin de tout, dans le silence et la méditation, tu es trop jeune pour te punir ainsi

– Non, j’aime Jo et je ne pourrais jamais en aimer une autre, je ne voudrais jamais avoir la tentation

d’aimer une autre femme. Jo est la seule, elle est forte, elle est…

Nam ne pouvait continuer, Kim continuait de la bercer. Après un moment d’éternité, Swan apporta trois verres bas avec des glaçons

– Allez, buvons, c’est un élixir à émotions

– Non je ne veux pas, pleurnicha Nam

– Tu n’as pas le choix, bois. Swan lui tendait un verre avec détermination, Nam le prit, “Pas le choix” ! Encore et encore. Et but l’alcool ambré d’une traite. Elle replongea dans les bras de Kim qui lui dit

– Allez ma belle, ce n’est pas tout, c’est ton anniversaire. Tu vas aller prendre un bon bain, tu as le temps, et on va accueillir tes amies, ce sont tes 20 ans !

– Et Jo, où est Jo?

– Jo est allée prendre l’air, Georges est avec elle. Elle va revenir bientôt, une fois calmée, comme toi. Une bonne nuit de sommeil et les choses auront une autre allure demain matin.

– …

– Allez, au bain mademoiselle Nam, pour que la fête commence !

Quand Nam fut partie, Kim appela Georges dans la voiture qui lui confirma que Jo était avec lui. Et quand Kim lui demande où Jo allait, Georges répondit:

– Chez ZAC

Kim raccrocha et se servit un deuxième verre. “Seuls restent les nuages qui passent”.

Kim, son verre à la main, se dirigea vers la porte fenêtre qui donnait sur le jardin. Des ballons bleus

flottaient partout, des verres étaient empilés, des mini sandwichs faisaient des piles. Il faisait beau,

beau comme une insulte. L’air était une invite à mourir de plaisir. Kim entendit l’eau couler, « au moins Nam prend un bain » pensa-t-elle.

Elle sortit un tube de rouge à lèvres très rouge de sa poche. “Seuls restent les nuages qui passent” écrivit-elle sur la vitre. Les lettres faisaient des petits paquets de couleur rouge, rouge sang. Le sang de ma fille qui coule dans mes veines, dans les veines de Zac aussi. Zac, son frère, son frère jumeau. Elle savait qu’un jour il reviendrait, il serait là. En fait, il avait toujours été là dans sa tête, même si elle ne le voyait jamais, si elle ne l’avait plus vu depuis ce jour, ce dernier jour… Swan lui tendait un autre verre. Elle lui enserra la taille et colla sa hanche contre la sienne

– J’ai toujours pensé qu’il était injuste que je n’aie jamais d’enfant, que je sois une mère seule sans enfant, comme un corps sans raison. Et aujourd’hui, quand je te vois dans tant de peine, je pense que la douleur de mère est incommensurable. Un gouffre de drame, au quotidien…

Kim tourna la tête, lui sourit, et murmura:

– Et un horizon de soleil aussi, tu sais. Ou bien en fait tu ne sauras jamais. Le pire est à la hauteur du mieux, il faut beaucoup de tristesse pour vivre pleinement le bonheur. C’est une mesure du sentiment. Et rassure-t-toi, je ne suis pas triste, en tout cas pas pour Jo, je ne m’inquiète pas, d’abord elle est avec Georges, et ensuite, elle va chez Zac. Et elle est forte, tellement forte… non, je suis triste quand je pense à toutes ces années où j’avais un frère et où je ne l’avais pas. Quelle folie, avoir un être de son sang, et, pour des raisons, d’ailleurs quelles raisons? Ne pas se voir, ne pas se parler, ne pas se rencontrer, faire tout pour oublier que l’autre est là quand même. L’effort à fournir pour oublier est un effort

surhumain, je te l’assure

– Oui, je sais, je fais cet effort depuis que je sais que je n’aurais jamais d’enfant. Oublier sans espérer, c’est un travail de chaque instant.

Kim ne disait rien, elle pensait que ce devait encore être plus dur de ne pas avoir un être pour ne plus y penser, il est plus aisé de chasser ce qui existe que de chasser ce qui n’existe pas. Elle se retourna et entoura Swan de ses deux bras. Elle plongea ses yeux dans les siens et Swan lut les mots sur la vitre

– Seuls restent les nuages qui passent. Je te remercie d’être là avec moi Kim

– Tu sais, il y a une femme à sauver d’une grosse bêtise

– Nam ?

– Nam. Elle veut aller en retraite, ne jamais se marier, ne jamais avoir d’enfant, ne jamais vivre sa vie de femme… il faut l’en empêcher. Jo est unique, mais elle n’est pas la seule

– Je vais aller lui parler, dès qu’elle sort du bain. Swan ferma les yeux et s’enfonça dans le parfum de Kim.

Les jeunes filles arrivaient les unes après les autres. Kim les recevait avec le sourire, les envoyant dans le jardin et leur servant un verre de champagne. Le cadeau trônait dans un superbe emballage sur une table dans l’herbe. Le papier était rose brillant, un ruban large entourant le paquet. Une grande carte était posée ouverte, avec des stylos de plusieurs couleurs afin que chaque invitée puisse inscrire un souvenir. Elles se retrouvaient par petits groupes. Kim ne reconnaissait personne. évidemment pensa-t-elle, Nam n’était pas dans la classe de Jo.

Swan était montée jusqu’à la chambre ou elle trouva Nam les cheveux enturbannés sur la tête, nue sur

le lit de Jo, la peau mouillée. Swan prit une serviette dans la salle de bain et essuya le corps de la jeune fille qui semblait ne pas être là. Swan ouvrit l’armoire, prit une robe à fleurs, Nam ne semblait pas voir, ne voulait pas dire si elle voulait cette robe ou une autre. Absente, absente… Swan l’habilla comme un bébé, le bras, la tête, l’autre bras, le slip. Elle lui sécha les cheveux, lui proposa un rouge rose que Nam rejeta en levant les sourcils.

– C’est ton anniversaire Nam, c’est ton seul et unique anniversaire de 20 ans, tes amies t’attendent, tu dois vivre cette journée comme la tienne, car elle t’appartient. Demain, tu prendras la décision…

Elle ne put continuer, Nam avait poussé un petit cri

– Ecoute Nam, aujourd’hui, tu vis ta fête, tu vas descendre, voir tes amies, manger et boire du champagne. Tu vas faire comme une jeune fille le jour de ses vingt ans, d’accord?

– Je ne dois pas choisir?

Nam grelottait

– Non, tu ne dois rien choisir, tu vas descendre, je vais te dire ce que tu dois faire. Cela te va?

– Oui, si je ne dois pas choisir.

– Alors tu viens? Swan s’était levée

– Oui, je viens. Nam cherchait quelque chose du regard quand soudain son œil s’arrêta sur la chaussure de Jo qui trainait sur le sol. Elle se baissa et prit l’escarpin dans la main par le talon

– Nam, je te propose de laisser cette chaussure ici, tu n’en n’as pas besoin pour ton anniversaire

Nam lui jeta un regard noir, chargé de feux et serra la chaussure contre elle

– Cette chaussure est celle de Jo, et comme Jo n’est pas là, je garde sa chaussure en souvenir d’elle.

Et Nam fondit en larmes. Swan lui tendit un mouchoir, lui essuya les yeux et la prit par le bras.

– Allez on y va, tu n’as pas le choix, c’est clair?

Nam la serra fort et commença à descendre les escaliers.

Quand Kim finit par se coucher, elle attendit que Swan termine à la salle de bains pour éteindre. Kim voyait les images qui repassaient dans sa tête. Nam le robot, qui avait l’air d’une folle avec sa chaussure à la main, Swan qui faisait son possible pour répondre aux jeunes filles, et la surprise que Kim avait complètement oubliée. La surprise était tombée comme un non événement. Kim avait insisté pour que la mère de Nam vienne, avec sa femme, pour faire une trêve. Et quand Liz était arrivée, elle avait trouvé des jeunes filles légèrement ivres qui discutaient dans le jardin, Kim et Swan à la cuisine devant un café. Quant à Nam, elle était introuvable, ni dans le jardin, ni au salon, en fait, elle s’était couchée dans le lit de Jo, avec sa robe à fleurs et la chaussure. Et elle pleurait. Sa mère s’était arrêtée sur le seuil de la chambre, un long moment à observer sa fille, puis, tout doucement, elle était entrée, s’était assise sur le lit et avait caressé le dos et les épaules de Nam, qui avait finalement ouvert les yeux et s’était jetée dans les bras maternels en pleurant sa douleur. Après une discussion muette, Nam était descendue, on avait allumé les bougies sur le gâteau et elle avait ouvert son cadeau, Nam avait vu sans le voir le splendide bracelet de pierres de lune, l’avait déposé au fond de la chaussure, puis s’était assise sur un canapé. Elles étaient parties peu après, toutes les quatre, Nam, sa mère, sa belleman et sa sœur Luce. Du coup, les autres avaient aussi décidé de partir, et elles étaient parties au Cercle Rouge. Ce qui était initialement prévu en fait !

– A quoi tu penses?

– A Jo

– Tu t’inquiètes? Elle est avec Georges, il t’a appelée, non?

– Oui bien sûr. Mais Jo ne veut pas rentrer, et je ne veux pas insister. Elle a franchi une étape

– Une frontière, en fait, celle de la zone !

– Une frontière, celle de l’enfance. Maintenant, il va lui arriver… tout et n’importe quoi

– Il va lui arriver… la vie.

Swan se colla contre le dos de Kim, lui caressa les cheveux et la nuit les emporta.

Dans la voiture, Jo fulminait. Elle ne savait pas si elle était plus en colère ou plus en tristesse. Elle avait envie de hurler et de pleurer. En prenant un mouchoir, elle sortit son téléphone et composa un message à Nam : « Nam, ne décide rien ce soir. C’est ton anniversaire, il faut que tu termines l’uni, il faut que tu nous laisses une deuxième chance. Je te propose d’attendre jusqu’à mon anniversaire, le 1er août ». Jo envoya les mots en l’air, ne sachant pas que Nam était incapable de lire quoi que ce soit. En fait, elle le savait. Elle savait qu’elle ne voulait pas de cette vie rangée, de cette vie conventionnelle. Le fait de ne pas vouloir se marier n’était qu’un prétexte à remettre en cause toute la structure classique, traditionnelle. Avec le mariage qu’elle refusait, elle renonçait à la maternité, elle mettait en doute la famille, elle contestait l’ordre établi. Elle franchissait une ligne qu’en fait elle voulait abolir. Jo ouvrit la fenêtre d’un coup, elle avait besoin d’air. En route vers la zone, elle avait demandé à Georges de la mener chez Zac.

Et Georges roulait dans cette direction. Jo ferma les yeux, respirant l’air qui entrait en elle comme une fontaine de fraicheur. Elle voulait mettre un point, elle voulait fermer la porte, elle voulait se réveiller et commencer un nouveau jour, sans repenser à celui-la. Quand Georges parqua la voiture devant l’immeuble AMA, elle sortit avant qu’il ait éteint le moteur. Elle se tenait debout, sur le trottoir, pieds nus, une chaussure à la main. Georges, fermement, la prit par le bras et lui ouvrit la porte. Elle dédaigna l’ascenseur et monta les deux étages à pied, Georges sur ses talons. En arrivant devant le palier, la porte était ouverte et Zac se tenait debout, dans la lumière. Jo se précipita dans ses bras, sa tête contre la poitrine dure de son oncle, et lâcha un torrent de larmes. Zac la poussa gentiment dans la pièce, Georges ferma la porte derrière eux. Zac posa Jo dans un canapé, lui tendit un mouchoir et se dirigea vers la cuisine.

– Je vais faire du thé, tu veux?

– Oui Zac, merci. Pourquoi ta porte était ouverte, tu attendais quelqu’un?

– Oui, j’attendais Cendrillon, et tu vois, elle est arrivée

– Je ne comprends pas…

– Ma sœur a appelé, enfin, Kim, taman

Zac était embarrassé. Il s’affairait à la cuisine, Jo écrasée dans son coin de canapé, Georges assis sur une chaise le plus loin possible. Soudain, Jo sentit une présence, et une main malhabile lui toucha l’épaule, redescendit le long du bras et lui prit la main

– Adam?

– Oui Jo, c’est moi. Tu es si triste, pourquoi es-tu si malheureuse ?

– Je ne suis pas malheureuse, répliqua Jo en éclatant en sanglots. Elle pleurait un océan d’eau, larmes qu’elle n’avait sans doute jamais pleurées. Adam lui tenait la main. Il s’assit près d’elle. Et la nuit passa, et le thé refroidit.

Au matin, Jo se réveilla sur son canapé, Adam à coté d’elle. Dès qu’elle fit quelques mouvements, il se réveilla aussi. Georges dormait dans un fauteuil, et Zac n’était pas là.

– Bonjour Jo

– Bonjour Adam

– Tu as bien dormi?

– Comme un trou noir, je ne me souviens pas. Et toi?

– J’ai bien dormi, en fait je n’ai pas dormi beaucoup, je ne pouvais pas, avec toi à côté de moi

– Je suis désolée

– Oh non, au contraire, tu sais, à part Zac, je ne vois jamais personne. Enfin, je veux dire, je ne côtoie jamais personne. J’ai les livres que Zac me lit, et les personnages sont mes amis, mais avoir une amie en vrai, ici, c’est exceptionnel.

– Merci, je suis touchée

– Tu souris? Il me semble que tu souris. Adam avait porté ses doigts sur le visage de Jo et ils faisaient le tour de la bouche pour suivre le contour d’un sourire. Zac était entré dans la pièce.

– Bonjour les enfants, vous avez bien dormi?

– Les enfants? reprit Jo, nous ne sommes pas des enfants

– Mais vous resterez nos enfants même quand nous aurons 100 ans et vous 80. Qui veut du thé, du café?

– Moi je prendrai bien un café avec du lait si c’est possible

Georges s’était animé et avait pris place à la cuisine, faisant signe à Zac qu’il s’occupait du petit déjeuner. Il ouvrait et fermait les placards en faisant du bruit.

Zac regardait par la fenêtre quand il vit la limousine noire

– Dis Georges, c’est à Kim cette limousine noire? Je ne savais pas qu’elle avait ce genre de voiture, c’est depuis qu’elle occupe des fonctions au Ministère de la Justice?

Georges se pencha et hocha la tête.

– Non ce n’est pas la voiture de Mame Kim, la sienne est celle qui est juste là plus loin, je ne sais pas à qui elle est cette voiture. Mais il me semble que ce n’est pas la première fois que je la vois

– Ah bon ? Et alors ?

– Elle nous suit peut-être…

– Et quand bien même, elle est trop visible pour faire une filature. Ce doit être une visite à l’un de nos voisins…

Le petit déjeuner fut délicieux. Personne ne parlait de la veille, chacun faisait comme si c’était tout à fait normal de se trouver la, tous ensemble. Quand Jo eut fini son café et ses tartines, Zac lui demanda

ce qu’elle comptait faire. C’était dimanche, et elle ne voulait rien faire.

– Ok, j’appelle Kim pour lui dire que tu restes avec nous pour la journée, mais ce soir, tu rentres à la maison, ça te va?

Jo était réticente mais elle finit par accepter le compromis. Zac appela Kim et la rassura

– J’ai vu une jeune fille arriver avec une chaussure à la main. Tu traites ta fille, pardon, ma nièce, comment, tu n’as pas les moyens de lui offrir deux chaussures? Tu veux rejouer le conte de Cendrillon et tu cherches le prince charmant? Mais tu sais bien que dans notre société, les princes n’existent plus ils sont devenus des crapauds…

Zac raccrocha après avoir embrassé sa sœur au téléphone. Pendant des années ils ne s’étaient pas parlé, et là, grâce a Jo, la conversation avait eu lieu comme si la dernière fois qu’ils s’étaient parlé remontait à hier. Le temps est ses segments… Zac laissa les deux jeunes en pleine discussion, autour du deuxième café. Il avait libéré Georges qui était rentré chez lui. Il se dirigea vers sa chambre, se coucha et laissa voyager son imagination.

Kim se réveilla comme la lumière recouvre la terre, tout doucement. Elle se tourna sur le côté et regarda Swan qui dormait. Sa peau était si douce, le drap blanc recouvrait l’épaule, froissé, et la respiration de Swan faisait monter et descendre la minuscule montagne blanche de son corps. Kim se rapprocha de la nuque de Swan, et, fermant les yeux, inspira profondément le parfum qui glissait des cheveux épars. Tous les soirs, avant de se coucher, Swan déposait une goutte d’élixir d’amande sur sa

nuque et ses poignets.

Kim pensa à une louve, tiède, rebelle et rassurante. Kim glissa ses doigts entre le drap et la peau de l’épaule, la chair frémit légèrement. Le désir gonflait, le soleil entrait dans la chambre. C’était dimanche. C’était un jour où la routine de la semaine ne s’imposait pas, c’était… Jo. «Jo n’est pas là». Kim sentit tout son corps se crisper. Sa fille, son bébé d’amour, Jo, était partie, avait dormi ailleurs, dans la zone en plus, chez les hommes! Kim sentait l’angoisse la serrer à la gorge. Elle s’assit au bord du lit, regarda encore une fois Swan avec regret et se leva. Elle enfila un peignoir en soie et passa par la salle de bain avant de descendre à la cuisine. En mettant la machine à café en marche, son regard tomba sur une photo d’elles trois, Jo, Swan et Kim. Elles souriaient comme si de rien n’était, Swan légèrement plus petite que Kim et sa fille. C’était une belle journée. Et Kim pensa à la vie, à son ventre qu’elle avait prêté à cet être qui était Jo, qui avait grandi en elle, à qui elle avait parlé à travers sa peau, et, une fois née, qu’elle avait dorloté chaque jour, raconté des histoires, recueilli les premiers gazouillis, accompagné les premiers pas, adoré les premiers sourires. Chaque instant elle aurait pu mourir pour sa fille, s’inquiétait pour un rien, la couvrait de ses regards de mère, bienveillants et chaleureux. Et elle avait aussi nourri, nettoyé les pipis et les cacas, essuyé les vomis, attendu au chevet lors des grippes ou autres maladies d’enfant, renoncé à des dizaines, que dire, des centaines de soirées et d’activités qu’elle aurait aimé faire pour rester avec sa fille, pour lui faire répéter les devoirs, pour l’emmener à la danse, chez des copines, aux anniversaires, au théâtre, au ciné, faire du shopping… une vie de 20 années, Kim réfléchit au nombre de jours que cela représentait: 20 fois 365 donnait environ 7300 jours et autant de nuits.

7300 matins où la pensée se centrait sur Jo, 7300 soirs où le bisou du soir était donné à Jo, 52 dimanches fois 20, plus de 1000 dimanches où les choix de ce qu’on allait faire la journée étaient tributaires des envies de Jo. Jo, 20 ans de bonheur ensemble, et tout à coup, Jo ne rentrait pas. Ce bébé de chair et d’amour était avec des autres…. Kim sentait les larmes lui monter aux yeux. Elle pressa sur le bouton pour le café, et l’odeur délicieuse envahit la pièce. Kim se ressaisit: «c’est la vie, les jeunes doivent partir un jour, c’est le cycle». Mais le fait de le savoir n’enlevait pas la peine. Kim prit son téléphone portable et écrivit un message : « Jo je t’aime ». Elle se trouva ridicule et ne l’envoya pas. Jo n’était pas partie, elle était seulement aller dormir ailleurs suite à cette stupide fête d’anniversaire de Nam, quelle idiote celle-là avec ses principes rigides. Du coup sa fille, sa fille à elle s’était sentie obligée de partir, partir de sa propre maison ! La tristesse se muait en colère, colère contre Nam et son incapacité à ne jamais faire des choix. Kim prit une gorgée de café brûlant, s’assit dehors au soleil et reprit une grande respiration. «Nam ne va pas me gâcher la vie et en fait, Jo serait allée de toutes les façons dans la zone, il lui fallait une excuse, et cette excuse est venue par Nam. C’est la que l’on reconnaît les réelles amies: ce sont celles qui permettent au changement de se produire, même si ça fait mal». Kim sourit. Jo est chez Zac. Que la vie est drôle, elle nous rattrape toujours. Un papillon se posait sur une rose et ne faisait plus qu’un avec la fleur, si ce n’est que ses pétales à lui bougeaient, alors que la rose restait immobile. Zac. Elle ne l’avait pas revu depuis qu’ils avaient eu sept ans. C’était l’âge ou il avait du quitter la famille pour aller en internat, ce qui était, et est toujours, pensa-t-elle, le lot des garçons. Ils ne restent pas dans les familles, raison pour laquelle les femmes ont des filles.

Les hommes sont destinés aux travaux de service et de production, les femmes aux rôles de décision et de pouvoir. Et elle ne l’avait plus jamais revu. Elle ne s’était pas posée de questions, parfois, il est vrai, au début, elle se demandait ce que son petit frère était devenu, mais elle aussi avait commencé l’école et elle était tellement occupée avec ses copines et la maîtresse, les devoirs et tous les petits riens qui font la vie d’une petite fille de sept ans qu’elle avait oublié. Non pas oublié, son frère était toujours là dans son cœur, ou dans sa tête, mais comme un être d’esprit, et non de chair. Et maintenant, il revenait dans sa vie, il accueillait sa fille qui avait bien du même sang que lui en elle. Au moins un quart de génétique commune. Et Mami Li, que savait-elle? Est-ce qu’elle était restée en contact avec son fils? Elles n’en avaient jamais parlé ensemble, ce n’était même pas dit, même pas un accord tacite. C’était comme ça. Zac ne faisait plus partie de son univers depuis qu’ils avaient eu sept ans. «Je me demande quelle tête il a». Kim était soudain curieuse de savoir qui il était. Mais la raison lui revint quand le papillon quitta la rose d’un élan de ses ailes mobiles: elle ne pouvait pas créer un lien avec lui, tout son frère qu’il était. Sa position au Ministère de la Justice l’en empêchait. Elle se devait d’être irréprochable, et être irréprochable voulait dire n’avoir aucun contact avec les hommes, hormis les contacts professionnels nécessaires, comme avec Georges, son chauffeur. Kim sourit en pensant que c’était Zac qui lui avait recommandé Georges, et qu’elle n’avait jamais eu à se plaindre de ce ménager. Il faisait tout avec respect et gentillesse. Une chance d’avoir une telle aide à la maison. Kim avait terminé son café. Son téléphone lui indiqua qu’elle avait reçu un message. C’était Zac: «Jo a dormi sur le canapé, elle ne pleure plus, elle reste a la maison avec moi et Georges te la ramène ce soir, ok? Ton meilleur frère, Zac».

Kim répondit un laconique ok. Tout ce qu’elle avait envie de dire ou d’écrire ne pouvait pas tenir dans un message téléphonique. Elle se leva, et une fois à la cuisine, décida de faire de la confiture. Elle prit de très beaux grapefruits roses, dont la pelure faisait des vagues nuancées de couleur, du gingembre, un bâton de vanille, du sucre brun de canne et sortit une large bassine en cuivre du fond de l’armoire. Elle éplucha les fruits, en prenant garde à bien enlever les peaux blanches amères, pesa le même poids de sucre, mélangea avec une grande spatule en bois, fendit la gousse de vanille en deux et l’ajouta. Le gingembre subit le même sort, Kim lui enleva la peau avec un couteau bien aiguisé, coupa la chair en petites lamelles fines et les rajouta au contenu de la casserole qui commençait à fondre. Pour finir, elle choisit une belle pelure de pamplemousse, coupa la partie blanche afin de ne garder que l’écorce rose et coupa de fines lamelles qu’elle éparpilla dans la bassine en cuivre. L’odeur commençait à remplir la cuisine, la masse moussait en chauffant, gonflant de volume et léchant les parois hautes de la bassine de cuivre. Régulièrement, Kim testait avec sa cuiller en bois si la goutte de sucre restait ou coulait. Entretemps, elle sortit quelques bocaux, les installa dans le lave vaisselle au régime ultra rapide, quatre minutes, et, encore chauds du séchage, elle les posa sur la table. La goutte de sucre fondu collant à la cuiller en bois, Kim ouvrit l’armoire des épices et y trouva le poivre rose qu’elle avait cueilli sur un arbre près du loft au bord de la mer. Elle égrena Elle put remplir sept bocaux. Sept jours pensa-t-elle. Et elle éclata de rire. Le dernier bocal n’était pas complètement rempli, Kim prit du pain, coupa deux tranches généreuses, les toasta, étala une belle couche de beurre qui fondit immédiatement, et compléta les tartines avec sa confiture de grapefruits roses au gingembre et poivre rose.

Sur un plateau, elle posa l’assiette et prépara deux grands cafés au lait. Avant de monter l’escalier, Kim prit encore le pot de confiture et une cuiller et s’entendit murmurer. «Swan je vais goûter ma confiture sur ta peau» et elle sentit le désir envahir ses pensées.

Jo et Adam discutaient depuis un bon moment. Zac était allé se coucher, Georges était parti chez lui avec la mission de revenir chercher Jo vers 18 heures. Quand un silence prit la place du troisième membre de la discussion, Adam tendit le bras et toucha Jo maladroitement. Il l’avait attrapée au-dessus du coude. Il descendit sa main en la faisant glisser jusqu’au poignet de Jo, qui restait immobile, regardant cette main suivre son bras comme un petit animal indépendant et doux. Quand son poignet fut emprisonné dans les doigts d’Adam, Jo lui demanda ce qu’il faisait de ses journées. S’il ne sortait pas, s’il ne pouvait pas lire, pas regarder la télévision, pas voir des gens, pas discuter avec des amis – Ce qui semblait impensable et insupportable à Jo, s’il n’avait personne à voir ni rien à faire, comment faisait-il pour ne pas devenir…

– Fou? termina Adam

– Oui, fou. Vivre en réclusion, sans personne

– Je ne suis pas en réclusion, il y a Zac. Zac est comme mon père, en fait non, il est mon père. Il sait tout, il fait tout pour moi. Je suis en sécurité ici, avec Zac. Il me donne la connaissance, il me lit des livres, il me fait écouter de la musique. De la musique classique, avec des instruments à vent qui volent dans l’espace. Attends, je vais mettre un morceau.

Et Adam se leva doucement, se tint au dossier de la chaise, commit deux pas en direction d’un meuble bas logé contre le mur, tâtonna un moment pour atteindre la platine, glissa son doigt d’un bouton à l’autre jusqu’à ce qu’il appuie sur une touche. Un instant après un air tranquille et lent imbiba la pièce de notes légères et profondes. Adam refit les deux pas vers la chaise et se rassit.

– Tu aimes?

– Oui, enfin, je ne sais pas, ce n’est pas deux secondes de musique qui peuvent te faire aimer il faut apprendre, apprivoiser, écouter, encore et encore pour finalement arriver à saisir le suc, l’essence de l’émotion. Enfin, c’est ce que je crois

Adam faisait la moue

– Mais oui Adam, j’aime ta musique

Adam sourit

– Merci, car moi je l’adore. C’est un fleuve qui coule, c’est un ciel qui s’élance, c’est un frisson de printemps, c’est la nuit qui tombe…

– Dis, Adam, comment fais-tu pour être si a l’aise avec les obstacles, je te regarde marcher comme si tu voyais parfaitement.

– Jo, cela fait vingt ans que je parcoure ces quelques mètres plusieurs fois par jour. Mon univers se limite à cet espace. Il y a ici, le salon cuisine, ma chambre, la chambre de Zac, la salle de bain, le balcon et l’atelier. C’est tout, et c’est peu pour un seul être

– L’atelier? Vous avez un atelier?

– Oui Jo, c’est l’atelier où nous peignons

– Peignons? Tu peins? Mais tu es aveugle !

– Et alors, je peins ce que je ressens, grâce à Zac. Et lui ensuite termine mes tableaux s’il ressent qu’il faut ajouter ou changer quelque chose. Je lui fais entière confiance. Il me donne les couleurs, selon ce que je lui demande, et me dirige sur la toile, pour que je pose mon pinceau au bon endroit

– Je n’en reviens pas, vous peignez à deux !

– Oui, à deux. Par exemple, je peins un paysage avec une rivière. Tu as vu que notre balcon donne sur la rivière, c’est magnifique le son au matin, quand l’eau coule doucement dans le silence, et que les arbres ne bougent pas, attendant le soleil qui va se lever. Et soudain, les oiseaux commencent à chanter, l’air devient plus dense, plus chaud, et la lumière caresse la peau. Alors tu vois, si je peins la rivière, je commence et je peins aussi les arbres qui la bordent. Quand je reprends la peinture, je dis à Zac que je veux continuer les arbres, je ne sais pas moi, le troisième vers le bas. Et Zac me guide vers le troisième vers le bas. J’ai le tableau dans ma tête, et lui le voit sur la toile. Tu sais Jo, j’adore peindre. Je pense que c’est ce qui me fait vivre. J’aime les choses qui m’entourent, et je crois qu’elles me le rendent bien.

– Tu es en train de peindre en ce moment?

– Je peins toujours, je ne peux pas m’arrêter. Parfois il me prend beaucoup de temps pour terminer un tableau. Je ne le sens pas encore prêt, encore mûr. Comme pas fini. Et alors il peut m’attendre un certain temps.

Le plus je crois qu’un tableau m’ait attendu est 6 mois. En fait, il fallait changer de saison, quand il a commencé à faire froid, l’inspiration est revenue et j’ai pu terminer le tableau. Il manquait le froid, sans cette baisse de température, je ne pouvais pas créer. C’est ridicule, non?

– Certainement pas, c’est passionnant. Moi je ne sais rien faire de créatif. Mman m’a toujours poussée à faire des études, et des études. «C’est ta ligne de survie» dit-elle tout le temps. Pour gagner ta vie, il te faudra un travail. Et pour bien gagner ta vie, il te faudra un travail que tu aimes. Et pour avoir un travail que tu aimes, il faut que tu puisses choisir. Et pour choisir, il faut avoir des diplômes. Est libre celle qui montre qu’elle a été bien docile durant la première partie de sa vie. Finalement, elle est tellement formatée qu’elle n’est plus libre de rien du tout. Elle va faire ce qu’elle a appris et n’a aucun libre arbitre pour remettre en cause ce qu’elle a appris. Je le vois avec la question du mariage

– Le mariage, tu vas te marier?

– Non, justement, je ne veux pas me marier. Je veux vivre libre, et se marier n’est pas être libre

– Oui, mais tu peux aussi penser que décider qu’être libre de ne pas l’être est en fait être libre de l’être. Ta liberté te lie volontairement à un autre être que tu aimes, car l’amour est un lien qui doit maintenir la liberté de chacun dans une relation à deux- Exactement, tu dis exactement ce que je pense. On peut être deux et être libre d’être seul. Il n’y a aucun besoin d’avoir un lien social comme le mariage pour marquer cette union. En fait, le mariage veut montrer à toute la société que les deux êtres qui se marient ne sont plus libres. Plus libres d’avoir une autre compagne. Donc moi je ne veux pas me marier. Mais on parlait de création.

Tu vois, en étudiant le droit, je ne créé rien. Je n’invente rien, mes mains ne font rien, mes yeux ne voient rien… je suis une gentille petite machine qui fait ce que d’autres gentilles petites machines ont fait avant elle. La même chose. On reproduit et on se reproduit, à l’identique. Alors que toi, tu créées, et chaque fois, tu peins un nouveau tableau, une nouvelle émotion, unique. Dis, tu penses aux gens qui regardent tes toiles et à ce qu’ils ressentent?

– Oui, et c’est un déchirement quand Zac prend les tableaux. C’est comme si c’étaient mes enfants qu’il m’enlevait. Et je ne sais pas où ils vont, chez qui, sur quel mur. Je ne sais pas comment la femme qui va regarder ma fleur va se sentir, si elle va être heureuse et vivre la joie et le bonheur que j’ai eus lorsque je l’ai peinte, un jour de grand soleil. J’aimerais voir les gens qui vont voir mes toiles, s’enfoncer dans mes champs de blés et sentir la bonne odeur des grains murs. C’est pire que d’être aveugle. Créer et ne pas savoir ce qu’il advient de mes créations.

– Et Zac ne te dit rien?

– Zac et moi avons convenu de certaines règles que nous ne transgressons pas, afin de ne pas toujours tout remettre en question. Sinon la douleur pourrait être trop forte parfois

– Et quelles sont ces règles par exemple?

– Par exemple, que Zac ne prend un tableau que si je lui dis qu’il est terminé. Alors parfois, quand il y a un tableau que j’aime particulièrement, je triche un peu et je dis à Zac qu’il n’est pas fini.

Adam sourit

– Et Zac n’est pas dupe, il sait tout, mais il accepte.

Une autre règle est qu’une fois que le tableau est parti d’ici, on n’en parle plus. Il fait partie du passé et le passé est derrière. Zac ne veut que regarder devant, il ne veut pas remonter dans le temps.

– Et il en fait quoi Zac des tableaux?

– Alors ça, il faut le lui demander, selon notre accord, cela ne me regarde pas. Et c’est mieux ainsi. J’ai les limites de l’appartement pour me déplacer dans l’espace, et j’ai les limites de notre accord pour se déplacer dans l’esprit. Et j’ai promis à Zac de ne pas dépasser les limites.

– Tu n’as jamais envie de passer au-delà?

– Non, ou oui, peut-être. Mais j’ai promis à mon père de ne pas sortir, de ne pas franchir cette porte. Alors je tiens mes promesses. Et j’en suis fier

– Je t’admire, moi j’ai toujours envie de dépasser les limites. J’ai l’impression qu’elles sont là pour être repoussées encore plus loin, toujours, et qu’il faut des gens pour le faire. Et moi je suis là pour ça

– Peut-être, c’est très philosophique. Je ne me pose pas trop de questions, dis Jo, tu veux venir voir la toile que je suis en train de peindre?

– Oh oui, avec un immense plaisir

– Mais tu sais, c’est la première fois que je montre une toile à une autre personne que Zac. Tu te rends compte que la première fois est un événement, spécial disons

– Oui Adam, je me rends totalement compte et te remercie de ta confiance. Mais si tu ne veux pas, ne te sens pas obligé. Je peux attendre que tu sois prêt

– Jo, tu es tombée du ciel, tu es venue un jour comme une étoile filante et tu es repartie tout aussi vite.

Sans même dire au revoir

– Pardon, je suis confuse, vraiment désolée

– Non, ce n’est pas ça, tu fais comme tu veux. Mais si pour une raison ou une autre tu décides de repartir à nouveau comme une étoile filante et que je ne t’ai pas montré une toile, je n’aurais peut être jamais l’occasion de le faire ! Qui me dit que tu vas revenir? Qui me dit que nous allons nous revoir? Une jeune fille dans la zone n’est pas très fréquente, et dans la maison de Zac encore moins. Alors maintenant que j’ai Jo avec moi, je veux qu’elle soit mon amie pour avoir envie de revenir encore et souvent. Tu ne peux pas imaginer combien le temps a été long après que tu soies partie la dernière fois. Tu sais, quand il n’y a rien, on n’attend rien, et le temps passe gentiment. Mais quand soudain il y a un être qui vient, il créé comme une borne dans le temps et on attend, pour sa mesure, de poser une deuxième borne. Et cette borne semble si loin et le temps si long jusqu’a ce que l’être soit à nouveau là. C’est aujourd’hui. J’ai tellement pensé à toi, à comment ton visage dessinait un sourire, ton sourire, que j’imagine unique et énigmatique. Des yeux grands et vifs. De quelle couleur sont tes yeux? Dis-moi

– Ils sont entre le bleu et le gris, changeant avec le temps. Et toi, de quelle couleur sont tes yeux?

– Bleus, je sais. Très bleu. Comme un ciel d’été. Zac me l’a dit très vite. Il disait que mes yeux étaient des miroirs du ciel. Jo, je suis si content que tu sois là. Merci

– Merci à toi Adam, tu apportes dans ma vie des dimensions nouvelles que je n’aurais jamais osé imaginer!

– Alors viens Jo, je vais te montrer notre atelier. Tu es prête?

Adam attrapa la main de Jo, se leva, Jo fit de même, et ils se dirigèrent vers la porte qui s’ouvrait sur le jardin des délices. Jo frissonnait.

Une porte toute simple. Une porte dans la tête, une porte dans un mur, ce n’est qu’une porte, un panneau de bois peint avec une poignée. La poignée a toute son importance, elle permet d’ouvrir la porte. Et Adam posa sa main sur la poignée comme s’il la voyait. Il la voyait depuis les dizaines de fois qu’il avait posé sa main sur cette poignée pour ouvrir cette porte. Adam franchit le seuil, suivi de Jo.

– Bienvenue chez moi, bienvenue au jardin des délices

Jo s’arrêta net. Devant elle, une toile immense, plus haute qu’elle et large d’au moins trois mètres était plantée là, au milieu de la pièce, et la toisait.

– Tu vois Jo, c’est un triptyque. Ce tableau est fait de trois panneaux, tu les vois?

Jo regarda à gauche puis à droite et effectivement vit qu’il y avait en fait trois toiles posées cote à cote. Celle du milieu était plus grande, celles des bords étaient plus étroites.

– Un triptyque. Le panneau de gauche est l’enfer, celui de droite, le paradis, et au centre, la vie. Je devrais dire en fait qu’à gauche tu as l’ombre, à droite la lumière, et au centre, la vie. L’ombre est sombre et triste, mais pas trop, car elle contient l’espoir, et la lumière est belle, mais un peu froide, ennuyeuse, car elle est la perfection et ne connaît pas l’erreur. Donc elle est morne, figée. Parfaite mais froide. Tu sais Jo c’est très difficile de peindre de la lumière froide, car en général, la lumière provient du soleil et elle est jaune, dorée et chaude.

Comme quand tu restes derrière une vitre et que tu ressens cette douceur tiède de la lumière.

– Et au centre, comment tu peins la vie?

– La vie, pour moi, c’est un paysage de champs, des champs de blé, des champs de fleurs, des arbres. Tu vois, j’ai commencé à peindre un champ de blé, ici, tu le vois?

. Oui, bien sûr, un grand champ de blé, tout doré de soleil. Avec du ciel au-dessus

. Oui, j’adore le ciel, c’est l’idée de l’immensité, et bleu, en plus

Adam se mit à rire

– Et comment tu fais pour les couleurs?

– D’abord j’ai un feeling, mais c’est surtout Zac qui m’aide. Tu sais, on peint les tableaux à deux. Moi je peins ce que je ressens, Zac me donne les couleurs, me dit où je me situe sur la toile. Ensuite, Zac reprend le tableau, il y ajoute des touches personnelles, il termine un trait qui est parfois resté en l’air. Mais toujours en me disant ce qu’il fait. Il ne se permettrait pas de modifier un tableau sans me le dire. Et tu sais, quand le tableau est sec, je le lis avec mes mains. Je sens les couleurs qui ont différentes chaleurs, je sens les reliefs. Tu vois, si je peins une fleur, quand la toile est sèche, je passe mes doigts et je sens les pétales qui s’ouvrent, les pistils fragiles, la tige charnue, les feuilles tendres. Dans le ciel, je parcours les nuages, ils forment des bosses légères sur la toile. Je visite le tableau, je le vois avec mes mains.

– Et tu signes les tableaux?

– Non, tu es folle ! Oh pardon Jo. Excuse-moi. Non, bien sûr que non. Je suis un  fantôme, mais je ne peux pas signer.

– Un fantôme?

– Oui, un fantôme est quelqu’un qui peint pour un autre, donc son nom ne peut pas paraître

– Ah, pour Zac…

– Mais non, Zac est aussi un fantôme. Nous sommes en fait un seul fantôme, les acheteurs ne savent pas que nous peignons à deux, puisque je n’existe pas. Seul Zac existe officiellement, tu sais.

– Un fantôme, mais je n’avais jamais entendu ce terme? C’est légal?

– Légal, Jo, on ne parle pas la même langue. Ici tu es dans la zone et Zac est un fantôme, il peint pour d’autres qui lui achètent ses toiles. Et grâce à cet argent, il peut vivre confortablement et me faire vivre aussi confortablement. Tu sais, je n’ai pas besoin de travailler, je suis pris en charge complètement, j’ai une chance inouïe

– Oui, mais tu peins, donc tu travailles quand même

– Je travaille, si tu veux, mais si c’est du plaisir, et une source de vie et d’équilibre, alors je ne vois pas le travail comme une corvée, mais comme une chance. Tu sais Jo, j’adore peindre.

– Et comment cela t’est-il venu?

– C’est Zac. Zac était un fantôme quand il m’a recueilli. ll peignait déjà. Alors c’est tout naturellement que j’ai commencé à jouer avec les tubes de peinture, les pinceaux et les toiles. D’ailleurs, il doit y avoir ma première œuvre ici sur l’étagère.

Jo s’approcha et effectivement pu admirer une sorte de patchwork de couleurs d’automne. Des bruns, des ocres, des verts sombres, des bruns de feuille, des gris d’écorce, des marrons de champignons.

– Tu vois, j’ai peint cette première toile pour montrer à Zac que je pouvais retrouver les limites des couleurs et ne pas tout mélanger. C’était très dur. Il faut avoir les dimensions en tête, et la mémoire totale du tableau avant qu’il soit peint et au fur et à mesure qu’il se peint. Tu vois, si je fais la tache rouge vif ici, je dois ensuite peindre sur la surface à coté une autre couleur sans les mélanger ou réduire la taille de la première tache de couleur. C’est une mémoire visuelle constante.

Jo s’était éloignée de la petite toile et s’était campée devant le triptyque.

– Il est beau ton champ, on aurait envie de partir dedans pour se promener

– Tu aimes? C’est un champ de blé, et au milieu des épis, il y a des coquelicots. Car comme tu le sais, les coquelicots ont cette particularité de ne jamais pousser que dans les champs cultivés alors qu’eux-mêmes ne peuvent pas l’être. C’est une fleur qui a besoin de la culture pour étaler sa fragilité sauvage. Un coquelicot est une robe de soie rouge enfermée dans un manteau de toile verte, qui, quand il s’écarte, laisse échapper des plissés savants qui vont se détendre au soleil et au vent. Un coquelicot cache ses pistils noirs et son cœur entre des grands pétales légers comme des ailes de papillon. J’aime beaucoup les coquelicots, frêles et élégants

Adam se tourna d’un coup vers Jo

– Dis, Jo, tu peux m’aider?

– Oui bien sûr si je peux…

– Tu peux prendre là à gauche il y a les pinceaux. Tu peux me tendre le bocal?

Jo prit sur l’étagère un bocal dans lequel trempaient des pinceaux de toute taille.

Adam tripota les bois les uns après les autres jusqu’à arrêter son choix sur un pinceau fin

– Tu peux prendre ma palette? C’est un morceau de bois avec un trou, pour le pouce, tout couvert de taches de couleur

Jo trouva facilement ce tableau de tâches disparates et le tendit à Adam

– Maintenant, il me faut la couleur

– Je peux te la donner si tu veux

– Non, les couleurs sont rangées dans un ordre que je connais et qui me permet de les choisir et de les retrouver. Ne touche à rien, je sais exactement comment elles sont organisées. Ainsi, je peux faire les mélanges comme je les sens.

Adam posa ses mains sur une rangée de tubes couchés dans une boîte en bois. Il commença par la gauche et toucha chaque tube l’un après l’autre avant d’en choisir un puis un autre. Il déboucha soigneusement le capuchon, versa une grosse noisette de couleur sur sa palette, fit de même avec l’autre tube, qui contenait du noir, et rangea à nouveau très méticuleusement les tubes dans la boîte en bois.

– Maintenant, j’ai besoin de toi. Tu dois me montrer où est le bord du champ. Tu vas prendre ma main et lui faire faire le tour, d’accord?

Jo hésitait, mais finit par prendre la main droite d’Adam et tint son index sur la toile, en faisant suivre la limite du champ à la main d’Adam. De sa main gauche, il appuyait de toute sa paume sur la toile, comme pour en mesurer les reliefs.

Finalement, il posa ses deux mains proches l’une de l’autre, à droite du champ, vers la droite du panneau central et demanda à Jo de lui passer le pinceau et la palette. Il installa les couleurs sur sa main gauche, et demanda encore à Jo de lui tendre un gobelet d’eau qui devait aussi se trouver sur l’étagère. Adam trempa son pinceau dans l’eau, puis dans la couleur et commença à peindre.

– Tu vois Jo, je vais peindre un coquelicot, un coquelicot unique, dans un champ de coquelicot. Ce coquelicot aura la chance d’être le tien et chaque fois que tu verras cette toile tu verras cette fleur qui est la tienne. Je ne peux pas t’offrir un vrai bouquet, je n’ai pas de fleurs mais sur mon tableau, tu seras la reine de toutes les fleurs, avec ta longue tige verte, couverte de minuscules poils, ta corolle légère qui se courbe au vent, tes graines noires au sein de ta robe rouge, rouge coquelicot. Ce coquelicot sera notre secret.Adam reprit un tube dans la boite, écrasa un peu de matière sur sa palette, changea de pinceau, trempa et reprit et Jo restait immobile, aux ordres, lui tendant le gobelet d’eau, le regardant se concentrer sur sa toile. Il gardait toujours la main gauche au même niveau, et quand il devait l’utiliser pour ouvrir un tube par exemple, il demandait à Jo de la remettre exactement au même endroit. Elle devait aussi lui reposer le pinceau là où il le demandait, ce qui était très difficile. Au bout d’un long moment, elle finit par soupirer. Et Adam s’arrêta net

– Oh excuse-moi Jo, je n’ai pas la notion du temps, et j’ai presque oublié que tu n’étais pas Zac.

Adam posa tout son matériel sur l’étagère et se tourna vers Jo. Il lui prit la main et lui demanda- Alors tu l’aimes ton coquelicot? Il est unique, dans un champ de soleil, au centre de la vie.

Il est comme toi, fin et léger, Jo, tu m’as tant manqué…

Adam s’était rapproché d’elle. Jo sentait sa chaleur d’homme, son odeur de peau, mêlée de transpiration, elle ne pouvait plus bouger. Adam se rapprocha encore, il la touchait, sa hanche touchait son corps, il posa sa main sur sa taille, et remonta le long de ses cotes, termina sur son épaule, derrière le bras, et gentiment la tirait vers lui. Jo n’avait pas de réflexe, elle se sentait attirée par cette douceur, elle avait envie de sentir son odeur tout près, il avança sa tête, posa son front dans son cou, la serra contre elle et se remplit de son odeur de femme. Jo se sentait femme dans les bras d’Adam. Il leva la tête et elle l’embrassa, sa bouche remplie de sa bouche, Adam lui malaxait le dos, descendait avec ses mains sur ses fesses, lui mangeait sa salive, la pressait contre lui. Jo sentait la chaleur lui gagner les joues et la virilité d’Adam se dresser contre ses cuisses. Jo eut peur soudain, et une immense envie. Elle passa sa main sous la chemise d’Adam en se disant «tant pis, je n’arrête pas de dire que les limites doivent être franchies, il est temps de le faire». Adam lui mangeait la peau, la léchait dans le cou et Jo commençait à lui déboutonner sa chemise quand Adam l’arrêta, se recula d’un pas, et, ses grands yeux bleus plantés dans les siens, lui dit

– Jo…

– Oui Adam

– Jo, j’ai une confidence à te faire

– Oui Adam. Quoi?

– Je n’ose pas te le dire

– Alors ne me le dis pas, si tu ne le sens pas

Adam se rapprocha, la prit dans ses bras et posa sa bouche tout contre son oreille. Il murmura

– Jo, je n’ai jamais fait l’amour avec une femme

Jo sourit. Elle n’avait jamais fait l’amour avec un homme, mais ne le lui dirait pas

– Je vais te montrer, ce n’est pas compliqué je pense

Et Jo continua de déboutonner la chemise d’Adam.

 

A suivre avec un nouveau chapitre de 2100 ZONE AMA Chapitre 7: Amour

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