Créé le: 12.09.2017
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En quête d’harmonie

Pour les enfants

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Andrew est une grenouille différente des autres grenouilles de sa marre. Il aime chanter et les coassements de ses semblables le dépriment. Un jour, il décide de partir, en quête d'harmonie...
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En quête d’harmonie

Andrew aimait chanter plus que tout. Il avait une voix magnifique, mélodieuse, juste. Jamais il ne ratait un accord, ni se trompait de note. Il se jouait du tempo comme s’il l’avait inventé, modulant les sons sans même y penser. Il chantait dès son réveil, s’arrêtait à peine pour manger, exerçant ses vocalises à la recherche du timbre parfait. Et quand il devait se taire, il poursuivait ses explorations musicales dans sa tête. Il était déjà excellent, mais il voulait être encore meilleur. Malheureusement, autour de lui, on s’en fichait de sa voix mélodieuse, de son chant enchanteur et de sa tessiture étendue.

Andrew était une grenouille. Et les grenouilles ne s’extasient pas devant la voix d’une des leurs, si merveilleuse soit-elle.

 

Quand ses pairs se délassaient dans l’eau, laissant juste leurs yeux poindre à la surface et s’amusant à qui fera la plus grosse bulle, Andrew se tenait fièrement sur un nénuphar et poussait la chansonnette. Il se désolait de voir ses semblables se désintéresser à ce point de son art. Pour eux, en matière de chant, seule importait la saison des amours. A ce moment-là, oui, il fallait donner du coffre. Mais attention, pas ces mélodies bizarres qu’Andrew fredonnait à longueur d’année. Non. Il fallait du coassement, du vrai, avec ses grincements mouillés, ses roulements gutturaux, ses basses saupoudrées d’aigus. Les oreilles ne devaient pas risquer de le louper.

Andrew détestait cette période, témoin de l’incapacité de son espèce à se mettre au diapason du bon ton. Il observait ses compagnons d’étang en secouant la tête, navré de les voir se donner tant de peine pour si peu d’harmonie. Les autres grenouilles, elles, le regardaient d’un mauvais oeil. Elles avaient remarqué que son chant était différent et du coup elles craignaient de sa part une concurrence déloyale auprès de la gente féminine. Mais cette dernière préférait la litanie classique des grenouilles. Quand il s’agit de s’accoupler et d’assurer la pérennité de l’espèce, on n’a pas trop envie de tenter le destin en copulant avec une grenouille originale.

 

Andrew se sentait trop différent pour se plaire parmi les siens. Et un beau matin, alors qu’une nième bulle éclatait, rompant son trémolo inspiré, il se dit qu’il devait bien y avoir quelqu’un, quelque part, qui partage sa passion. Et comme il n’aurait aucune chance de trouver sa voix sœur en restant dans cet endroit peu inspiré, il prit ses cliques et ses claques et s’en alla, tournant le dos à sa mare natale. Sans regret.

Il chemina plusieurs jours, chantonnant gaiment, échafaudant des plans d’avenir. Il voulait trouver des chanteurs, comme lui, pouvoir marier sa voix à d’autres dans des harmonies colorées. Il se voyait déjà former un duo avec un merle chanteur.

 

Alors qu’il s’était arrêté dans une prairie pour s’accorder un moment de repos et gober quelques mouches, il fut attiré par un son très mélodieux. Il bondit avec délicatesse entre les herbes, faisant bien attention à ne pas faire trop de bruit pour ne pas effrayer les chanteurs. Il s’arrêta devant un jeune cerisier tout juste en fleurs. Dans les branches, deux tourterelles se roucoulaient des mots tendres. Il resta là à se régaler les oreilles, puis essaya plusieurs fois de prendre la parole pour se présenter, pour féliciter la performance ou simplement se joindre à la rengaine. Mais jamais elles ne s’arrêtaient, toujours elles continuaient, reprenaient au début. Au bout d’un moment, Andrew commença à se lasser des tourterelles, elles n’avaient somme toute pas un répertoire très étendu. Il réalisa qu’il avait envie d’un challenge plus relevé et aussi qu’il ne pourrait que difficilement placer sa voix dans ce duo exclusif et déjà bien rôdé.

Il repartit alors aussi discrètement qu‘il était venu, laissant les roucoulements s’éteindre derrière lui. Il était un peu déçu, mais ce n’était qu’une première rencontre et il aurait été illusoire d’espérer tomber sur la bonne harmonie à la première écoute.

 

Il rencontra ensuite un groupe de mésanges à longue queue. Elles étaient vives, leur chant rythmé et engageant. Il se joignit à elles, bondissant pour les suivre et garder le tempo. Elles l’entourèrent, gazouillèrent avec lui, tout heureuses d’ajouter une tonalité à leur mélodie. Il les suivit ainsi un moment, ravi d’être si vite intégré dans l’ensemble vocal. Mais elles ne s’arrêtaient jamais, ni de chanter, ni de bouger. Andrew commençait à perdre son souffle et ses notes se faisaient moins assurées. Ses sauts aussi perdirent en efficacité et il finit par se faire distancer. Les mésanges ne semblaient pas s’en inquiéter, pour elles, la nouveauté était déjà passée, elles allaient de l’avant, vers de nouveaux horizons, laissant la grenouille derrière elles.

Il ravalait sa déception et reprenait son souffle, quand un autre chant attira son attention. Ça ressemblait à des vocalises hystériques désordonnées. Mais le concept pouvait s’avérer original et donc digne d’intérêt. Andrew n’était pas effrayé à l’idée d’essayer de nouvelles mélodies et il bondit en quelques larges sauts au milieu du quatuor. Il regretta aussitôt son emballement en réalisant dans quel guêpier il s’était fourré. Les quatre hyènes commencèrent par le regarder avec surprise, puis elles s’avancèrent vers lui, très intéressées par ce casse-croûte qui tombait à point. Déjà la bave coulait à flot de leur babines et Andrew ne dut son salut qu’à son talent de sauteur. Il bondit sur le museau de la première, rebondit sur le crâne de la seconde et profita du tremplin de la croupe de la troisième pour gagner un élan bienvenu. Il ne s’arrêta pas de bondir, filant le plus vite possible vers un point d’eau salvateur. Il plongea sans demander son reste dans une rivière, entendant sur ses talons les reniflements de ses poursuivantes. Tapi dans la vase, Andrew observait les têtes déformées par le liquide qui le cherchaient de leurs regards hagards. Heureusement, les hyènes n’étaient pas très copines avec l’eau. Elles perdirent patience, retournèrent dans leur antre et Andrew fila à toute vitesse dans la direction opposée, le plus loin possible.

Il s’arrêta au bord d’un énorme rocher qui surplombait la mer. Il se sentait vidé, désespéré. Il avait l’impression d’avoir atteint le bout du chemin et contempler cette étendue d’eau infinie lui donnait le mal du pays. Il se mit à regretter son étang, l’ombre des bouleaux qui le bordaient et même les coassements discordants de ses semblables. Il était sur le point de tout abandonner quand soudain le son le plus enchanteur qu’il ait jamais entendu égaya ses oreilles. Il ne comprenait pas comment c’était possible. La mélopée venait au devant lui, là où il n’y avait que la mer à perte de vue. En regardant attentivement, au bout d’un moment, il finit par distinguer sous les flots des sortes de gros rochers qui semblaient bouger au rythme du courant. Ne sachant pas trop quoi faire, il se laissa emporter par l’instant et joignit son chant à celui qui s’élevait vers lui. C’est alors qu’elles émergèrent, trois baleines gigantesques accompagnées de deux baleineaux. Elles produisaient un chant doux et apaisant et accueillirent Andrew dans leurs harmonies. Ils restèrent ainsi un long moment dans cette joute vocale amicale. Les voix surfaient les unes sur les autres, Andrew apprenait à retenir ses notes pour ne pas briser la magie de l’équilibre vocal. Enfin il avait rencontré un groupe avec lequel il pouvait faire coeur. Il serait resté là des heures encore, des jours, toute sa vie même, pour faire perdurer cette parfaite consonance. Mais les cétacés prirent peu à peu le large, emportés par le courant, laissant la pauvre grenouille seule sur son rocher. Il hésita un instant à se jeter à l’eau, mais le régime salé ne convient pas à son espèce.

Il se retrouva ainsi à nouveau seul. Seulement, cette fois, il avait pu vivre une symbiose sonore inoubliable. Il était triste que ce soit fini mais comblé d’avoir eu une telle opportunité. La tête remplie de cette riche expérience, il se décida à regagner sa mare.

 

Sur le chemin, il fit un détour pour éviter les hyènes et se retrouva dans un champ où paissaient des ânes. Il avait déjà entendu parler de ces animaux dont le cri faisait soit-disant trembler le sol. Il s’en approcha, espérant vivre l’expérience de ce son légendaire.

 

Il était à quelques mètres d’eux quand un criquet surgit. Il lui déconseilla vivement de s’approcher davantage, le mettant en garde contre l’effet ravageur du barrissement pour des oreilles sensibles. En même temps qu’il parlait, le criquet rythmait ses propos de sons craquetants. Andrew était hypnotisé, sans s’en rendre compte, il suivait le criquet qui l’emmenait loin des ânes. Il était envoûté par ce son. C`est alors que jaillit derrière eux un cri horrible et monstrueux, fort et dissonant. Il réalisa avec gratitude que le criquet l’avait éloigné d’une vingtaine de mètres et déjà à cette distance le son était effroyable. Andrew resta tout de même un moment pour l’étudier. Une fois la surprise passée, il décela quelque chose d’étrangement nostalgique dans le barrissement, une beauté étrange bien camouflée derrière les trilles discordantes. Ça lui vrillait le coeur et lui serrait la gorge. Décidément, la beauté se cachait vraiment dans des endroits parfois surprenants.

Quand les ânes se turent, Andrew reprit le chemin de la mare. Le criquet sautait à ses côtés au rythme des sons qu’il émettait. La grenouille y joignit sa voix, trouvant son accord tout naturellement. Ça lui semblait si évident, leurs deux mélodies fusionnaient, se complétaient, jouaient l’une avec l’autre, se divisaient à la limite de la dissonance pour se retrouver dans un unisson parfait.

 

Ils avalèrent les kilomètres sans s’en rendre compte tellement ils étaient pris par leur musique. Le duo bondissant parcourait les chemins et s’échangeait des notes comme on s’échange des anecdotes. Ils dépassèrent la mare, Andrew la vit du coin de l’oeil, mais ça n’avait plus d’importance. Il avait enfin trouvé son frère d’harmonie.

Commentaires (1)

Starben CASE
16.09.2017

'Chère Asphodèle, quelle belle histoire, comme une fable sur la simplicité du bonheur et l'harmonie de trouver ses pairs'

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