Créé le: 04.09.2012
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Requiem pour Sandy

Nouvelle

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© 2012-2024 Aydan

Le chant d’une mort annoncée

1

Deux vies parallèles perdues dans un labyrinthe. A la recherche de la vérité, une seule d'elles survivra. Je te dédie cette histoire. Ton histoire et forcément la mienne...
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Je l’ai tuée. Elle n’avait que 27 ans. Pas de façon rapide mais bien au contraire, son agonie aura duré 2 longues et interminables années. J’ai assisté en direct à sa déchéance. A l’image de son corps qui mutait au degré des médicaments que je lui injectais.

Bizarrement, elle ne me supplie pas. Elle subit mes assauts, consentante.

Je la regardais mourir sans nulle pitié. Il en devait être ainsi. C’était elle ou moi.

Nos rapports étaient tellement liés au départ, fusionnels. Cela remonte à bien loin. Une époque qui s’est perdue, évanouie dans les méandres de ma mémoire.

Je ne pouvais pas la garder avec moi, je ne devais pas ! De sa mort dépendait ma survie.

Elle est heureuse de toute façon. Heureuse de disparaître, heureuse de quitter ce monde qui ne lui convenait pas. Elle m’a choisi pour que je mette fin à ses jours. C’est un immense honneur qu’elle me fait là. Un cadeau inestimable.

 

Qui mieux que moi pour l’anéantir ? Qui mieux que moi pour l’assassiner dans le respect ?

De toute façon, elle ne supportait plus qui elle était donc finalement, en agissant de la sorte, je lui donne la délivrance. Je ne fais que l’expédier pour un nouveau voyage qui j’espère est moins pathétique que la vie qu’elle a eu avant son décès.

Je ne suis pas dur, je ne suis pas cruel. Juste réaliste et conscient.

Sans l’éliminer, je ne vis pas. Je n’étais que l’ombre d’elle-même. Une ombre bien trop longtemps réduite au silence. Je l’ai tuée et le chant de sa mort coule dans mes veines.

Elle

2

Sandy. Elle ne payait pas de mine comme on dit. Elle était de taille moyenne. Cheveux châtains très frisés. Des yeux bruns, pénétrants. Le regard soutenu, intense, mystérieux.

Elle avait des rondeurs, un physique généreux, plus que généreux même ! Elle ne se supportait pas.

Tantôt grande gueule, tantôt discrète. Elle tentait tant bien que mal de se fondre dans la masse, une masse qui ne la correspondait pas.

Elle marchait souvent le regard perdu, le regard par terre. Comme si elle avait toute la tristesse du monde sur ses épaules. Son monde qui était si sombre, à peine quelques éclaircies qui ne duraient pas longtemps.

 

Elle aimait pourtant rire. Elle aimait les gens. Trop. Elle se faisait tout le temps avoir. Rouler. La société confond gentillesse et imbécillité. C’est fort dommage.

Elle s’habillait la plus part du temps en noir. Elle avait l’impression de dévoiler, ainsi, son âme en peine au monde. Les choses simples de la vie, elle les appréciait comme un enfant qui découvre les merveilles qui l’entourent. Elle était comme ça. Tantôt fermée, tantôt se donnant entièrement aux gens qu’elle aimait et qui, la plus part du temps, l’ont dupée.

 

Elle était rongée de l’intérieur. Un mal qui grandissait, qui tissait sa place en elle comme une araignée tisse une toile, la toile de son mal-être.

Moi

3

Je me nomme Aydan. J’ai été mon propre père. Je me suis construit de rien.

J’ai 33 ans mais je fais beaucoup plus jeune que mon âge. Les cheveux très courts, la barbe soignée et sept tatouages sur le corps. Toujours impeccable sur moi, j’aime sentir bon.

Quand je suis heureux, je m’habille en couleur mais lorsque un sentiment négatif m’envahit, peu importe lequel, je m’habille en sombre avec des motifs qui représentent la mort.

Je suis loyal et fidèle en amitié comme en amour. La vie m’a rendu méfiant. Je ne pardonne plus. Je rends coup pour coup.

Pour exister, pour devenir, pour m’épanouir, j’ai tué une femme. Je n’ai aucune culpabilité, aucun remord. Au contraire, c’était une joie ! Quelle délivrance pour elle comme pour moi ! Elle ne me pourrit plus la vie, je ne marche plus dans ses pas. Je suis libre d’être…

Je l’ai longtemps remerciée. Sans elle, j’étais voué à l’ignorance totale, à l’incompréhension et au flou sur moi-même. J’étais fasciné, apeuré et déterminé à lui infliger tout, tout pour aller jusqu’au bout d’elle et au-delà de moi. Ma renaissance.

 

Moi, Aydan, j’ai pris le pied le plus grand sur cette terre à la liquider. A tuer, à réduire à néant cette femme qui, pour moi, n’en a jamais été une d’ailleurs. Elle n’était rien. Une enveloppe vide.

Eux

4

Les autres. Je les ai tous mis au courant. Je leurs ai dit que j’allais la tuer. Personne n’a bougé. Personne n’a rien dit. Certes certains ont trouvé la chose abjecte et sont partis en courant… Bon débarras ! Ceux qui sont encore là ont compris. Ils sont restés, ont accepté.

Ça n’a pas été évident pour eux pourtant. Certains ont mis du temps à s’y faire. Ils assistaient parfois à la déchéance de Sandy par mes soins et n’étaient guère ravis. De temps à autres, ils me questionnaient pour savoir si j’étais sûr de moi. Si j’étais conscient de ce que j’étais entrain de faire. Je leurs répondais toujours que je devais aller jusqu’au bout de la démarche pour mon salut et ils me laissaient en paix.

 

Je suppose que ma mère a été la personne la plus peinée par sa disparition. Elle n’admet pas que je ne veux plus entendre parler de Sandy. Elle veux que je parle d’elle, que je la nomme, que je considère le temps de son existence. Je m’y refuse. Bien entendu je ne l’oublierai jamais ! Bien entendu je lui suis reconnaissant de tout ce qu’elle m’a apporté mais de là à parler d’elle et l’inclure dans ma vie de tous les jours alors qu’elle est morte, jamais !

 

Cela m’a pris bien trop de temps et d’énergie pour la tuer. Alors qu’elle repose en paix et tant pis pour ceux qui la regrettent ! Il n’y en avait pas beaucoup de toute façon…

Sens-tu la mort qui t’emporte ?

5

D’abord, je lui ai injecté des médicaments puis j’ai observé, durant près de deux ans, tout son être qui changeait de forme. Parfois elle rageait. Elle était envahie d’une colère, d’une haine fulminante ! Ce n’était pas moi qu’elle haïssait mais la société entière.

Ensuite, plusieurs coups de scalpel sont venus lui arracher la magnifique et grande poitrine qu’elle avait. Il n’en reste plus rien. J’ai recousu.

Pendant quelques mois, le temps qu’elle se remette et parce que j’aime faire durer le “plaisir”, je l’ai laissée tranquille car la suite a été encore plus dure et éprouvante.

Etant donné que j’estime qu’elle ressemblait à tout sauf à une femme, je décide, en deuxième temps, de lui arracher les entrailles. Je perce 3 trous dans son ventre et insère trois longs instruments afin de touiller le tout et la vider d’une bonne fois pour toutes par l’entre-jambes. Bref, une dinde…

 

Elle n’a pas survécu. Dès cet instant, elle a cessé de vivre. Sandy n’était plus de ce monde et je me sentais plus vivant que jamais. J’étais submergé de bonheur, de vie, d’oxygène, de tout !

Je n’étais plus son ombre, je n’étais plus cette chose à cacher, je n’étais plus dans l’anonymat…

 

Je la regarde s’en aller tandis que j’arrive. Je ne vais pas la regretter, jamais. Elle ne me manquera pas. Je suis fier de mon oeuvre, fier de ce sang qui a coulé, fier de moi, de la force que j’ai puisé en elle et contre elle. Fier d’être en vie, fier de l’avoir abattue. C’est elle qui est devenue mon ombre…

 

Ne me jugez pas…

6

Je sais bien ce que vous vous dites… Il est fou ce mec ! C’est un tordu ! Il n’a pas pu tuer une femme et le dire si froidement ? Sans aucune émotion ni remord ? Et ça ne peut être une autobiographie ou alors il l’écrit depuis la prison !

Je vous rassure, je suis libre comme l’air… Et je vous affirme que personne ne pourra jamais me poursuivre pour ce crime-là.

Mais au fond, qu’avez-vous lu jusqu’ici ? Que vous apprend mon histoire ? Que j’ai bel et bien tué quelqu’un ? Oui. Que j’en suis content ? Aussi. Que je le crie haut et fort sans me faire coincer par qui que ce soit ? C’est un fait.

 

Les apparences sont trompeuses…

 

Suis-je un malade ? Un psychopathe ? Un danger pour la société ? Absolument pas. Je suis aussi sain d’esprit que n’importe lequel d’entre vous. J’aime rire, danser, cuisiner, tomber amoureux. J’aime regarder un bon film au cinéma, lire un bon roman étendu sur l’herbe, écouter Chopin et pleurer, jouer avec mon chat, faire rêver la femme que j’aime.

J’aime aussi gueuler contre les injustices, contre ceux qui n’acceptent pas les différences, contre ceux qui critiquent sans savoir, sans connaître.

Je suis Monsieur tout le monde. Je suis Monsieur personne. Je suis moi, je suis vous ! Car mon histoire peut arriver à n’importe qui… Ne me jugez pas.

Je l’ai tuée. Oui mais…

7

Ne cherchez pas à comprendre. La vérité est si complexe. C’est vrai, je l’ai tuée.

Aussi vrai que je suis venu au monde en tant que Sandy, de sexe féminin. Aussi vrai que depuis mon enfance et aussi loin que mes souvenirs remontent, je me suis toujours considéré dans ma tête, mon âme et mon coeur comme un garçon, Aydan.

Je souffre, à mon grand bonheur, du syndrome de Benjamin. J’étais une personne trans-identitaire.

Le jour de mes 27 ans, je me décide enfin à devenir celui que j’ai toujours été. Le jour de mes 27 ans, j’entame un protocole médical de 2 ans qui m’a permis de devenir Aydan, un homme.

Prise d’hormones, opération reconstructive d’un torse masculin et stérilisation forcée, tout ceci afin d’obtenir enfin mon statut légal d’homme aux yeux de la loi, aux yeux de tout le monde.

 

Alors oui j’ai tué Sandy mais pour faire naître celui qui existait depuis toujours, Aydan.

Je ne regrette rien. Si je devais recommencer, je le ferai. Je suis en paix avec moi-même maintenant. Je peux enfin me regarder dans un glace sans détourner le regard, avec fierté.

Qu’il est bon d’être torse nu à la piscine ! Qu’il est bon que les gens ne voient en vous rien d’autre qu’un Monsieur ! Qu’il est bon de dire à une femme qu’on la trouve charmante ! Ne vous ai-je pas dit que les apparences étaient trompeuses ?

Bref, qu’il fait bon de vivre…

Vous

8

Ne me jugez pas, ne jugez pas ceux qui traversent ce genre d’histoires. Je suis fils de quelqu’un, autant dire que cela peut arriver à n’importe qui, à tout le monde d’ailleurs.A celles et ceux qui connaissent et passent par le même chemin que moi. Oui c’est dur mais ce n’est rien à côté de la récompense et de la satisfaction de pouvoir enfin vivre qui l’on est pleinement. Battez-vous, croyez en vous et en aucun cas vous ne devez baisser les bras.

 

Parents, ne jugez pas votre enfant s’il vient à vous en vous expliquant son mal-être. Ne souhaitez-vous pas le bonheur pour eux ? Acceptez ce qu’il y a au plus profond de leurs cœurs et soutenez-les du mieux que vous le pouvez ! Si vous les aimez, là est le bon choix. Même si c’est dur pour vous, même si vous vous rendez responsables. Là n’est pas la vérité. Je viens moi-même de vous le prouver dans mon récit.

 

Monsieur et Madame tout le monde, êtes-vous différents en quoique ce soit ? Couleur de peau ? Religion ? Kilos de trop ? Taille ? Handicap ? En avez-vous souffert ? Avez-vous connu les moqueries ? Les injustices ? Les mauvais jugements ?Souvenez-vous bien du mal que cela vous a fait. Sûrement qu’un jour vous avez été les victimes. Évitez donc, à l’avenir, de devenir les bourreaux de demain.

 

Bien à vous, Aydan. Meurtrier occasionnel…

 

© 2012 Aydan

Commentaires (3)

Aydan
08.04.2020

Merci ! C'était un peu "bricoli-bricolette" au début mais avec un superbe rendu au final !!! ;o)

Webstory
08.04.2020

Formidable! Félicitations à Aydan qui a réparti "Requiem pour Sandy" avec la nouvelle fonctionnalité 2020: Séparer en chapitres consécutifs. Cela apporte un nouveau rythme à son histoire. TOP!

We

Webstory
14.05.2016

"Requiem pour Sandy" a gagné le premier prix du concours d'écriture 2012. Cette nouvelle a été publiée dans le livre Webstory I, disponible auprès de info@webstory.ch "Tout finit par se payer" a gagné le troisième prix du concours d'écriture 2013. Cette nouvelle a été publiée dans le livre Webstory I, disponible auprès de info@webstory.ch

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