Créé le: 13.12.2022
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Volatilité
Le pigeon de la discorde
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Quand un pigeon est retrouvé avec attaché à la patte un message codé datant de la seconde guerre mondiale, c'est le monde entier qui s'emballe
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« Dans une cheminée en Angleterre, découverte du cadavre d’un pigeon voyageur datant de la 2ème guerre mondiale portant un message codé. Le message n’a toujours pas été décrypté à ce jour ». (source : Sud-Ouest) Cet entrefilet, un parmi tant d’autres qui parurent dans les semaines qui suivirent de cette découverte, fut l’un des prémices d’une vague de frénésie qui allait faire vibrer toute la France puis très vite le monde, suscitant les plus folles théories et déclenchant des passions rageuses qui ne manquèrent pas de dégénérer.
A l’origine, un jeune couple banal, qui venait d’hériter d’une maison délabrée, dernier vestige d’une grande tante dont on ne savait rien et c’était mieux ainsi. Le pigeon fut découvert par l’homme alors qu’il commençait les travaux de rénovation du salon et qu’il avait entrepris de casser la cheminée. Etonnamment, la suie avait presque parfaitement conservé l’animal qui lui tomba dessus, lui causant au passage une belle frayeur. Frayeur, qui le poussa a mieux regarder l’oiseau momifié jusqu’à ce que son œil soit accroché par le petit bout de papier enroulé autour de la patte. Eut-il été plus courageux, il aurait simplement jeté cette charogne dans les sacs de gravats en rigolant sans lui prêter plus d’attention.
Mais, il l’avait vu et après s’être bien assuré du bout du pied que l’animal mort depuis décennies n’avait rien d’un phénix il se résolut avec force de grimaces de dégoût à retirer le morceau papier. Déroulant la petite feuille, il crut d’abord que le temps en avait effacé une partie du contenu, les signes présents ne correspondant à rien de lisible et semblant hachurés et tremblants. Plus par réflexe qu’autre chose, il le mit dans sa poche et se remit à son ouvrage. Le papier aurait pu achever sa course éparpillé dans la machine à laver, fin régulièrement connue par ses vieux mouchoirs au grand dam de sa compagne, sans l’arrivée dans le courant de l’après-midi de son beau-frère.
Le beau-frère en question était quelqu’un à qui on ne la faisait pas : grand esprit critique à même de percer à jour les complots dont notre monde foisonne, il était un lecteur avide de revues d’investigation de la presse encore libre. Il avait même pris un abonnement à l’Express qu’il renouvelait tous les ans pour être sûr de démasquer les francs-maçons et leur mainmise séculaire et mondiale.
Aussi, lorsque l’homme au détour de leur conversation lui narra sa rencontre surprise avec le volatile et lui montra le papier, il ne fut pas dupe : ils tenaient dans leur main la piste d’un grand mystère, d’un secret caché depuis des décennies, un code qui pouvait les mener à… qui pouvait leur donner … il était trop tôt pour le dire, mais il le sentait c’était quelque chose d’énorme !
Ne pouvant plus tenir, il fonça chez lui pour tenter de décrypter le message, plantant là l’homme qui, se retrouvant seul avec ses travaux, maudit le pigeon qui avait fait partir une précieuse aide.
Après de longs jours de recherches éreintantes pour comprendre le message caché le beau-frère dut se rendre à l’évidence : il n’était pas capable de le décoder. Aussi fit-il la mort dans l’âme appel à des connaissances qu’il s’était fait sur des forums réservés aux initiés des théories du complot. Initiés qui, s’ils étaient capables de dire qui étaient les vrais maîtres du monde et qui étaient les cent personnes qui avaient façonné l’Europe dans l’ombre, se révélèrent tout aussi impuissantes que lui à comprendre le message.
Et puis sans qu’on sache par qui, le texte crypté et l’histoire de sa découverte fuitèrent sur les réseaux sociaux où ils se répandirent de façon virale. L’histoire fut reprise par les médias, d’abord dans des entrefilets comme celui publié par Sud-Ouest. Puis une sommité de la cryptographie annonça publiquement qu’il allait essayer de le décoder. Alors les choses s’emballèrent : du simple buzz naquit un problème scientifique, un défi lancé aux plus grands esprits et à ceux désireux d’être reconnu comme tels. Après le cryptographe et ses collègues, vinrent les mathématiciens, puis les linguistes, les égyptologues et autres historiens, les anciens agents secrets chargés des transmissions, les férus d’ésotérisme, les kabbalistes, les alchimistes, les vaudous, les chercheurs de la chouette d’or et bien plus qu’il n’en fallait de charlatans.
Un milliardaire oisif offrit un million d’euro de récompense à qui dévoilerait le contenu. Un autre annonça qu’il avait attaché à la patte d’un pigeon un chèque d’un montant impressionnant et avant de le renvoyer dans la nature. Les enfants demandèrent à leurs parents qu’ils leur offrent un pigeon voyageur comme animal de compagnie. Un étudiant lança sur internet une collecte de fond pour créer une entreprise de pigeons voyageurs. Des visites furent programmées pour voir la vieille bicoque où ce quasi divin messager, Hermès emplumé, avait été découvert. Mais le sens du message restait inviolé.
Et naquirent les hypothèses alimentées chaque jour par un doute et un mystère plus grand. L’étude du pigeon avait montré qu’il s’agissait d’une race utilisée pendant la guerre par les Allemands seuls. De là partirent des tentatives d’explications qui devinrent suppositions, les suppositions explications, les explications certitudes.
D’aucuns, dont le beau frère, affirmèrent qu’Hitler n’avait jamais été tué mais voyant ses forces armées décliner, s’était tapi dans l’ombre en attendant des jours meilleurs pour refaire surface avec fracas. Le message disaient-ils, avait été envoyé à l’un de ses fidèles, et révélait le lieu où il se cachait pour qu’il vienne le rejoindre.
D’autres parlaient avec autant de véhémence de l’emplacement d’un laboratoire nazi non moins secret. En ce lieu maudit auraient été menées des expériences folles et destructrices, qui ne devaient jamais être révélées. Ceux là exigeaient avec force qu’on brulât le message et qu’on l’oubliât à tout jamais pour le bien de tous.
Certains, pour beaucoup des historiens, étaient persuadés que ce que le message renfermait n’était rien d’autre que la formule de la Bombe. Ils appuyaient leur dire sur les bombes V2 qui en étaient si proches, sur l’immense stock de Thorium, élément radioactif, que la société allemande Auer avait acheté en 1944. Ils glosaient sur le fait qu’un scientifique nazi l’avait découverte alors que les forces alliées approchaient de son laboratoire et qu’il l’avait envoyé au Führer par pigeon voyageur afin que celui-ci puisse gagner la guerre à tout prix. Ceux-là tâchèrent de relancer le débat sur le nucléaire et le désarmement, en demandant à tous ce qui serait arrivé au monde si Hitler avait reçu la formule. Cela devait être d’après eux une base de réflexion, car le monde est fait de tyrans sanguinaires potentiels qui aujourd’hui auraient les moyens techniques de déclencher une guerre nucléaire, bref l’extinction de toute l’humanité.
Passons sur les supputations les plus folles, d’une alliance entre les extraterrestres et les Allemands pour détruire les Etats Unis, au pacte secret entre Churchill et Hitler ou même à la déclaration d’amour du Führer à de Gaulle… Chacun y allait de sa petite idée, mais ce qui était au début un défouloir anodin et un déversement d’idées saugrenues exacerba bientôt les haines et les rancœurs et fit naître chez beaucoup un extrémisme à défendre sa théorie. Les discussions badines des repas de famille du dimanche midi devinrent débats houleux, puis joutes verbales enflammées avant de se changer en véritable guerre des tranchées.
Et, au milieu de ces déchirements qui chaque jour gagnaient en violence, un fait divers fit basculer les forces en présence. Comme pour le pigeon, l’un de ces simples entrefilets fut le battement d’ailes de ce nouveau bouleversement. On lut ainsi toujours dans Sud-Ouest « Lors d’une vente aux enchères parisienne, un tableau de maître a suscité l’émoi : alors que les enchères allaient bon train, un homme s’est levé pour faire face au commissaire priseur. Il a affirmé devant les potentiels acquéreurs que ce tableau appartenait à sa famille juive et qu’il lui avait été dérobé pendant la guerre par les nazis. Affirmant ne pas vouloir le vendre, il a essayé de s’en emparer, avant d’être évacué manu militari par les agents de sécurité de la salle. Une enquête est cependant en cours pour vérifier ses dires et la vente est pour le moment suspendue.»
Ces quelques mots jetés par un journaliste de seconde zone firent alors émerger ce qui devint la vérité : le message codé révélait l’emplacement du trésor nazi. Ce trésor fantastique dépassait tous ceux qui avaient jusqu’alors été trouvés : ce n’était pas seulement de l’argent et de l’or, c’étaient aussi tous les tableaux, tous les manuscrits anciens, tout ce qu’il y avait de précieux que les nazis avaient pillés chez les pays vaincus et chez chacune des familles juives qu’ils avaient exterminées ! Des centaines de milliards et un patrimoine culturel plus grand encore !
Alors, ce qui avait semblé être des rixes sur le contenu du message, devinrent gamineries aux vues des guerres qui s’embrasèrent. Qui donc possèderait ce trésor fabuleux ?
Bien sûr, les âmes de mercenaires ne manquèrent pas, et ceux qui s’entraidaient jusqu’alors pour découvrir le sens du message arrêtèrent brutalement de partager leurs idées afin d’être les premiers à trouver l’emplacement ces immenses richesses. Les universitaires furent les seconds à monter au créneau, parlant d’universalité de la culture, d’élévation générale de l’Humanité, de transcendance intellectuelle qui dépassait le concept égoïste de possession, bref des fadaises qui n’eurent aucun écho…
Puis très vite ce furent les descendants des Juifs massacrés qui revendiquèrent la propriété de tous ces biens : ils leur avaient été volés, arrachés dans la chair même de leurs ancêtres, de leurs proches, comment pouvaient-ils aller à d’autres ? L’Etat d’Israël prit tout le monde de vitesse en lançant la construction d’un musée pour accueillir les futures œuvres récupérées. Mais cela ne fut guère au goût des descendants ni à celui des Juifs américains qui tentèrent de faire pression sur le congrès pour une juste répartition entre les différentes parties, juives évidement.
Les Palestiniens soutenus par de nombreux états du Proche Orient, firent valoir que si ce qui avait été volé par les nazis revenait aux Juifs, alors la Palestine volée par les Juifs revenait aux Palestiniens !
La France, qui à travers Pétain et ses fonctionnaires zélés avait facilité le travail des nazis, tentait de calmer les choses en appelant à une propriété intellectuelle universelle qui ne satisfaisait personne.
De nombreux Américains fortunés demandaient à une mise aux enchères des œuvres d’art dont le profit serait aller à n’importe laquelle œuvre de charité, lessiveuse de conscience, pour pouvoir faire main basse sur ces splendeurs. D’autres, plus patriotes rappelaient l’importance du débarquement, puis du plan Marshall et demandaient un juste retour des choses afin d’avoir une bonne part dans la répartition future.
Les pays d’Afrique, mutilés par la colonisation, amputés de leur passé, de leur ancêtres à travers les symboles de leur art et de leur histoire qui avait été pillés exigeaient que, de même qu’on rendit aux Juifs leurs possession anciennes, on leur retourne tout ce qui leur avait été pris et qui trônait fièrement dans les musées de l’Occident les laissant orphelins de leur mémoires, en ajoutant à cela force de réparations pour les traumatismes.
Les Esquimaux restaient de glace face à la polémique.
Et la Corée du Nord, malheureuse d’être ignorée, menaçait en vain « de détruire l’impérialisme à coup grand de coup bombes nucléaires sur la gueule de ces sales Américains qui font rien qu’à asservir tout le monde » dans l’indifférence internationale la plus totale.
Bref, la guerre de toutes les causes attendait en souriant qu’on lui ouvre la porte…
Quand apparut ce vieillard déplumé. Il affirma devant les caméras du monde entier, avoir percé le mystère, ce qu’on avait tant de fois entendu, ce qu’il pouvait démontrer, chose sur laquelle personne ne s’était risqué. Il affirma être personnellement concerné par le message et que, soucieux de préserver la paix mondiale, il allait le lendemain expliquer le contenu preuves à l’appui.
On aurait pu croire que cette annonce allait déclencher de nouveaux bouleversements, un tollé incomparable. Il n’en rien fut. Bien au contraire un apaisement de plomb s’abattit sur tous. Ce fut comme si chacun retint son souffle jusqu’à la révélation.
Commentaires (1)
Starben Case
25.12.2022
Thibaut, merci pour cette nouvelle inspirée d'un vrai fait divers datant de novembre 2012. Ainsi, on apprend que 250 000 pigeons voyageurs ont été utilisés pendant la Deuxième Guerre mondiale. On attend la suite en retenant notre souffle! Remarque: parfois on dit Seconde Guerre mondiale, comme si c'était la dernière... A méditer.
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