Créé le: 28.05.2017
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Une poussette vide

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© 2017-2024 Lilyane

Un bébé Un vortex Une mission Une résurrection
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Une poussette vide

En cette belle matinée d’hiver mes parents ont décidé d’aller se promener et, bien entendu, ils me prennent avec eux. Maman m’a placé bien à l’horizontale dans ma poussette car je ne peux pas encore me tenir assis. J’essaie de gazouiller et gesticuler pour attirer son attention mais elle est si affairée à préparer tout ce dont elle a besoin en cas de nécessité absolue, qu’elle ne me prête pas attention. Je la vois passer d’une pièce à l’autre se demandant bien où sont passées les couches culottes qu’elle a achetées hier puis, une fois avoir mis les mains dessus, elle ne trouve plus mon biberon qu’elle avait pourtant dans les mains il y a quelques secondes puis c’est au tour de mon doudou de disparaître, une sorte de tissu bleuté qui est censé me rassurer lorsque je suis seul. J’avoue que ce n’est pas encore tout à fait le cas. Papa a coutume de dire que depuis que je suis né, elle perd la boussole et tout ce qui va avec. Elle qui était si ordonnée et minutieuse est devenue une girouette qui tourne au gré du vent. Je vois papa s’impatienter et l’aider à trouver mon fameux doudou. Moi je rigole car c’est la même chose à chaque fois et à chaque fois j’entends maman dire que ce serait bien d’avoir une liste des choses à prendre car la moitié du temps elle oublie quelque chose. La semaine dernière elle a oublié le biberon. J’ai tellement hurlé de faim que cela a dû lui servir de leçon. Je me demande bien ce qu’elle va oublier aujourd’hui.

 

En attendant que mes deux parents reprennent leurs esprits et retrouvent mon doudou qui est coincé sous mes fesses (mais ceci je n’arrive pas à le leur dire), je me présente : Je m’appelle Philippe et j’ai trois mois. Mes parents ont choisi ce prénom, non pas par pur hasard, mais en le choisissant parmi ceux du calendrier catholique. Ils auraient pu choisir Mathurin, Odéon, Patrocle ou Saturnin mais ils ont finalement opté pour Philippe, Saint apôtre fêté le 3 mai, jour de mon anniversaire et ce n’est pas plus mal ainsi. Mon deuxième prénom est celui de mon grand-père maternel Michael, issu de l’hébreu Mi Ka El qui signifie “Qui est comme Dieu” et mon troisième prénom est Anastase, prénom de mon grand-père paternel, qui signifie quant à lui “Renaissance” ou “Résurrection”. Tout un programme !

Voilà ! Ils sont fin prêts, maman a trouvé un autre doudou qu’elle sort de je ne sais d’où et me le flanque quelque peu brusquement à côté de moi, stressée d’avoir perdu ce fameux temps qui ne tardera pas à me rattraper d’ici quelques années. Quant à moi, je ressemble à une momie égyptienne tant elle m’a emmitouflé dans des habits bien trop serré et qui deviennent bien trop chaud lorsque, dans ma poussette dernière génération trois roues, je suis recouvert d’une couverture en laine (tricotée à la main par ma grand-mère s’il vous plaît !) elle-même recouverte d’une protection en plastique transparente pour que la pluie ne m’atteigne pas…comme si j’étais fait en sucre et que j’allais fondre sous la pluie.

Nous voilà enfin partit pour mon aventure journalière et je me demande où ils vont me promener aujourd’hui. Couché et complètement momifié à l’horizontal, je ne peux voir que les toits des maisons tantôt plats, tantôt pointus. J’avoue que le bercement de la poussette a tendance à me faire dormir et je pars dans les bras de Morphée.

                                                                                                                    *

Aujourd’hui les parents de Philippe ont décidé d’aller au marché aux puces car sa maman doit trouver des bibelots datant des années cinquante pour en faire cadeau à sa tante, passionnée par cette époque. Le marché aux puces de la Plaine de Plainpalais est une institution à lui tout seul. Présent depuis les années 70 c’est un véritable paradis pour les chineurs car il propose toutes sortes de produits : meubles, brocantes, livres, vêtements, bijoux, objets de collection ou décoratifs. Les découvertes les plus inattendues font le bonheur des curieux et des amateurs de vintage.

Soudain, la maman de Philippe voit une de ses amies à qui elle doit parler de toute urgence. Elle demande à son mari de rester là quelques instants.

— Assieds-toi sur ce banc, lui dit-elle d’un ton quelque peu autoritaire, ne bouge pas de là, je reviens tout de suite. Je te promets que dans deux minutes, je suis de retour, et elle part aussi vite qu’un lapin pourchassé par un chasseur.

Le père de Philippe connaît bien les minutes extensibles de sa femme car ses minutes à elle ont cette incroyable capacité de s’étendre à l’infini selon l’humeur de sa propriétaire mais qui ont, pour elle, une tendance à se rétracter « J’ai fait si long que ça ? » a-t-elle coutume de dire.

En attendant son retour, le père de Philippe s’assied sur le banc et place la poussette à côté de lui sur sa droite. Il jette un dernier coup d’œil à Philippe, le voit dormir paisiblement et profite de ces quelques minutes de tranquillité pour regarder les passants aller et venir, chiner, fouiller dans les nombreux stands que propose ce marché aux puces.

Il regarde bien tristement les contours de cette plaine de Plainpalais. Elle qui était entourée de magnifiques arbres séculaires ceux-ci ont été, en 2016, arrachés de la terre nourricière par des personnes menteuses et cupides. Elles avaient fait croire à la population votante que ces arbres étaient malades malgré les contre-expertises qui prouvèrent le contraire. Ce bel espace qui regorgeait de vie et de verdure, ressemble à l’heure actuelle à un désert désertique et caillouteux.

Ce marché aux puces il le connaît depuis son enfance car son grand-père était pucier à ses heures perdues. Eminent chercheur au CERN, il décida, à sa retraite, de vendre les centaines de meuble et bibelots amoureusement entassés dans sa grande demeure. Il décida d’en faire profiter ceux qui n’avaient rien et distribuait généreusement l’argent récolté aux différentes associations et fondations qui œuvraient pour l’Homme, la nature et l’animal. Le père de Philippe se souvient que son grand-père avait fait une très généreuse donation à un institut qui protégeait les éléphants des massacres des chasseurs d’ivoire. Déjà à l’époque les éléphants étaient menacés d’extinction. D’ici vingt ans, pense-t-il avec tristesse, tous les éléphants d’Afrique auront été massacrés par le sadisme et la cupidité de certains. Il secoue la tête pour revenir à des pensées un peu plus gaies et continue à regarder autour de lui cette agitation continuelle des chineurs et fouineurs du dimanche.

A ce moment précis, sans même qu’il ne se rende compte, la terre commence à trembler mais juste imperceptiblement, comme si un camion venait de passer derrière lui. Il n’y prête donc pas attention et continue à regarder en toute confiance la vie du marché, le bras gauche étendu sur le haut du banc et l’autre recouvrant la poussette comme par protection. C’est à ce moment précis qu’un puissant vortex invisible jailli de la terre emportant avec lui le corps endormi de son enfant.

Philippe, aspiré par cette source gigantesque d’énergie, se réveille. Il est ballotté, virevolte dans airs comme une feuille morte aux prises du vent qui souffle et plus il monte vers le haut et plus il vieillit. Tout en tourbillonnant dans les airs il commence à se regarder les mains, puis les pieds, puis son corps entier. Il regarde vers le haut se demandant quand tout ceci va s’arrêter.

Au moment où il atteint ses vingt ans, il se voit arriver au milieu d’autres jeunes femmes et jeunes hommes qui, tout comme lui, sont étonnés de se trouver dans ce lieu inconnu. C’est un endroit vide et plein à la fois mais lumineux, très lumineux même, car ils doivent tous se mettre la main devant les yeux pour ne pas être éblouis par une lumière qui les aveugle. Une fois habitué à cette lueur ils se regardent toutes et tous dans le silence, ne pouvant prononcer un mot (qui serait le premier pour la plupart d’entre eux) car tous ont été aspirés de leur poussette au même moment par des vortex gigantesques qui sont partis du centre de la Terre.

Ces vortex magnétiques et énergétiques sont aussi puissants que le feu qui anime et réchauffe la Terre de son intérieur. Ils y puisent leur énergie afin de pouvoir soulever de la Terre, chaque jour, mille enfants et, ainsi, les faire traverser l’espace tridimensionnel.

Philippe a soudain l’impression de faire partie du Tout, de ne faire qu’un avec l’univers, d’avoir la connaissance absolue et totale de tout ce qui gouverne, de tout ce qui est. Sensation étrange et sublime à la foi, d’une évidence et d’une logique divine. Tout est Un.

Soudain, il se trouve face à une sorte d’entité blanche qui a forme humaine, pleine et vaporeuse à la fois. C’est un homme, une identité masculine qu’il ne connaît pas mais dont la présence lui semble connue. Etrange sensation que Philippe ressent.

— Qui es-tu ? lui demande-t-il.

— Je suis celui qui coule dans tes veines. Je suis celui qui donna la vie au père qui est le tien.

— Mon grand-père ?

— Oui ! C’est moi.

— Qu’est-ce que je fais ici ? lui demande Philippe surprit de cette étrange expérience qu’il est en train de vivre.

— Je vais te le dire, lui répond son grand-père.

                                                                                                                                    *

A ce même moment sur Terre, le père de Philippe regarde machinalement l’intérieur de la poussette pour voir si Philippe se serait réveillé et se lève d’un bon. Son fils a disparu. Il est paniqué, il regarde autour de la poussette pour voir si, par une possibilité improbable, il en serait tombé.

— Mais comment est-ce possible ? J’ai mis mon bras par-dessus la poussette, j’aurais vu s’il était tombé ou si quelqu’un aurait tenté de le prendre ! se dit-il nerveusement. Il prend sa tête dans ses mains en signe de désespoir lorsqu’il voit sa femme arriver. Elle voit son air effaré, regarde dans la poussette et demande, d’un air angoissé, où est Philippe. Devant les explications totalement dénuées de sens de son mari, entre balbutiement et bafouillage, elle crie telle une louve à qui l’on vient d’enlever son louveteau.

Un passant voit une poussette vide, un homme les mains ouvertes, paumes tournées vers le ciel dans un geste d’impuissance, dire à sa femme : « Puisque je te dis qu’il était là, il y a deux minutes ».

Soudain, un attroupement se forme autour d’eux. Tous commencent à regarder aux alentours, cherchent, partout : sous les stands, dans la poussette comme si une trappe avait pu s’y trouver, dans les vans des puciers, sous les voitures (comme s’il s’était s’agit d’un chat !) et l’un d’entre eux à la présence d’esprit d’appeler la police municipale et deux agents arrivent de suite. Ces derniers demandent au père de Philippe plus de précisions sur ce qui s’est passé. Face aux dires du père, ils se regardent et suspicieux, le fixent sévèrement du regard sous les yeux effarés de son épouse debout à côté de lui. Celui-ci jure par tous les Dieux, qu’il n’y ait pour rien, qu’il doit s’agir d’un enlèvement.

Impossible autrement.

A ce même moment, Philippe se trouve face à son grand-père qu’il n’a jamais connu auparavant mais dont la mémoire de ses gènes coule dans ses veines. Il ressent une sorte de familiarité qu’il n’arrive pas à expliquer. Il l’écoute attentivement  raconter son combat qu’il fit tout le long de sa vie, pour sauver ce qui restait à sauver sur Terre.

— Enfant de mon enfant, tu as été choisi aujourd’hui parmi mille autres enfants, pour sauver ce qui reste de cette pauvre Terre qui a été sacrifiée, martyrisée, humiliée par certains hommes de mauvaises foi. Ce qui a pris des milliards d’années, l’Homme a réussi en quelques années à tout détruire. Le temps presse, grandit, inspire-toi de la nature, respire-la, aime-la et tu la comprendras, ainsi tu la respecteras. Ta mission à toi, parmi toutes les autres âmes ici présentes, sera de sauver les arbres des massacres dont ils sont, et seront, victimes. Les arbres parlent, communiquent, certes avec leur langage, mais ils nous parlent. Si tu les écoutes, ils te diront comment les sauver. Fais-leur confiance ! Fais-moi confiance ! Pars maintenant ! Rejoins mon fils que j’aime, ta maman que j’aime et rappelle-toi d’écouter les arbres car ils possèdent la Vérité.

Le vortex qui amena Philippe auprès de son grand-père s’active à nouveau et, telle une poupée de chiffon, il se laisse entraîner dans cette spirale de vie et redeviens nourrisson dans sa poussette.

 

Et il crie de joie d’avoir retrouvé les siens.

 

Et tous se tournent vers la poussette et tous ont les yeux écarquillés devant ce nourrisson qui rigole. Sa maman se précipite vers lui pour le prendre dans ses bras et le serrer très fort contre elle sous les acclamations et applaudissement de tous.

Philippe, Michael, Anastase, enfant divin, ressuscité parmi les Hommes.

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