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Sucré

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Notre histoire commence par un petite faim. Ma sœur avait envie de salé alors que moi, je rêvais d'un encas sucré. On a mélangé nos envies et le mixe de nos saveurs a donné un résultat explosif.
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Ma sœur a tué mon père. L’histoire de ce meurtre est banal.

Ma sœur a agi vite et d’un coup sec. Tout cela s’est passé lors d’un dîner d’été.

Lorsque leur tumulte commença, c’était durant le repas.

D’habitude, les repas commençaient bien, mais ce soir-là, ce n’était pas le cas.

La table était mise de manière appliquée.

Les plats, qui nous attendaient, étaient léchés, et pourtant…

Et pourtant, un coup de couteau a été de trop.

Avant que le pire ne soit commis, papa avait toujours tiré sur les ficelles. C’est à la naissance de ma sœur que petit à petit on a été embarqué dans sa tournée. Née dans les cris, elle était toujours sur la défensive. En grandissant, elle est devenue l’exutoire. C’était hors de mes capacités de m’interposer. Elle prenait sans relâche. Papa la torturait avec les coups et avec les mots. Je n’ai jamais trouvé la solution pour mettre fin à son calvaire. Je ne compte pas le nombre de fois où il m’est arrivé de me soulager dans mon pantalon alors que j’ai eu de la chance, moi. Je n’étais jamais dans son viseur. À l’école, j’étais le meilleur. Je travaillais pour me payer mes plaisirs. Je ne demandais jamais rien à personne. L’objectif était simple, me faire oublier même lors des dîners.

Tout a basculé, le jour où ma sœur l’a poignardé.

Ce jour-là, il faisait chaud. On cuisinait des crêpes, mon repas préféré. Comme tous les dimanches, on était au fourneau. C’est nous qui avions décidé d’instaurer le dimanche de crêpes. Même l’été, la règle était respectée. Ma sœur était plutôt « salées » alors que moi, je les aimais sucrées. Un litre de pâte avait été fait, de quoi faire un vrai festin. Plus tôt dans le week-end, maman avait acheté de quoi garnir notre menu. Tout y était. Chocolat, caramel, chantilly, fraises, etc. Je me souviens de tout ce qui était sucré et je suis sûr que ma sœur se souvient du salé..

Lorsqu’il a fallu se mettre à table, papa et maman avaient déjà entamé la premier acte. Pour nous, c’était de l’impro totale car nous n’avions pas été mis au courant de l’intrigue.

Tout le monde s’installe à table.

La table de notre repas se trouve à l’extérieur.

La table est carrée.

La table est dressée de manière à ce que chacun occupe un côté.

La nappe sur laquelle reposent nos assiettes est lila foncé.

Les assiettes sont blanches.

Les couverts sont en inox et usés à force d’être utilisés.

Les serviettes, de la même couleur que la nappe, sont encore pliées car le repas n’a pas encore démarré.

Le coin des serviettes pliées sur le bord des assiettes bougent légèrement sous la brise d’été.

Le silence revient lorsque chacun s’assied. Le bruit des oiseaux, du vent chaud et des couverts dans les assiettes se fait entendre. L’atmosphère est lourde et je le sens jusque dans mon ventre. Je n’ai plus vraiment faim. Même si je n’ai pas faim, je dois manger. Je dois manger pour faire oublier la scène passée. Au vu des visages qui m’entourent, personne n’a vraiment faim. Comme chaque dimanche de crêpes, j’attrape les ingrédients sucrés pour bourrer ma crêpe. Je n’ai même pas remarqué que j’étais observé. Mon jeu ne plaît pas. Les plaintes se font ressentir. Les plaintes montent en puissance. Les plaintes sont désormais des cris. Encore des cris. Il n’y a plus de place pour les petits bruits. Nous sommes au centre de la tempête. Mon père est clairement le metteur en scène de cet acte mais pas de la pièce. À la grande surprise de tous, c’est ma sœur qui a le rôle le plus capital car c’est elle qui a imaginé comment tout arrêter. Elle gère le décor et les accessoires.

Plus personne ne mange. Tout le monde bouge.

Il y a clairement une relation entre mouvement et parole alors que l’espace est utilisé au hasard.

Ma soeur prend le couteau.

Le couteau est celui posé sur la table.

Le couteau est celui du bord de son assiette blanche.

Le couteau est certes en inox usé mais assez aiguisé pour avoir pu le poignarder.

C’était de la légitime défense.

Ma sœur n’a pas pris beaucoup pour son meurtre. Au vu des témoignages contre mon père, il était évident qu’elle n’allait pas écopé longtemps. Elle avait l’air libéré. Ma mère aussi alors que moi, j’avais quelque chose qui avait été meurtri.

Salé

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Je viens d’une famille « nucléaire » avec ma mère, mon père, mon frère et moi. J’ai dix ans d’écart avec mon frère, Georges. Mon papa était un homme grand et imposant. Ma mère est douce et fragile. Ancien militaire, mon père avait appâté ma mère avec son uniforme à l’époque. Lors de leur rencontre, il n’avait pas encore été abîmé par sa routine et il avait soif de conquérir la vie, à ce que l’on racontait. S’il l’avait pu, il aurait pu tout offrir à ma mère. Il l’aimait. Passionnément. Ils venaient tous les deux de milieu aisé et mondain. Ils avaient donc tous les deux, sur le papier, les moyens d’obtenir le « ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants ». Mais la vie en a décidé autrement. Lorsque Georges est venu au monde, les affaires de mon père démarraient. Régulièrement au restaurant, l’apéritif faisait partie de l’emploi du temps. L’argent ne venant pas assez vite, les mauvaises décisions se succédèrent. Entourloupes, magouilles, et sabotages devenaient les outils pour monter au sommet. Au lieu de cela, il creusait lentement sa tombe. Victime de ses choix, il buvait pour oublier son désarroi. Il délaissait Georges. Il délaissait ma mère. Il s’enfermait jour après jour dans sa tour d’ivoire. Ma mère tentait de “recoller les morceaux” et c’est comme cela que la vie m’accueillait. J’ai grandi entourée d’une mère abusée par la vie et d’un père qui alimentait, seul, sa rage. Ma naissance n’avait pas arrangé les choses. Heureuse de ce nouveau tournant, ma mère me cajolait. Plus elle me cajolait, plus mon père enrageait. Il me détestait. Il me frappait. Tout devenait une bonne excuse pour que les coups tombent à chaque instant. J’étais l’erreur de la nature, la « finie au pipi ». Les week-ends, papa avait un rituel. Le rituel démarrait toujours par un dîner. Deux options s’offraient à nous : soit Georges et maman continuait de manger comme si de rien n’était, soit Georges et maman partaient. S’ils restaient, les discussions devaient continuer pour couvrir les cris qui hantent toujours leurs nuits. Lorsque l’on se plaignait, personne ne nous croyait. On était les fous. Même la police doutait. Elle était déjà intervenue à la maison. J’étais très petite et Georges aussi. Lorsque la police s’est renseignée en nous demandant si ça allait, par peur, mon frère et moi, on acquiesça. La police en avait conclu que ça ne devait pas être si grave, alors que la maison témoignait de la tempête. Les années passaient et rien ne changeaient. Georges grandissait et s’effaçait. Maman était absente et laissait le temps au temps. Moi, je me rebellais. Lorsqu’il s’agissait de moi, tout faisait enrager mon père, alors ma vie devenait un terrain de jeu. Je poussais les limites toujours plus loin. Je gardais toujours la tête haute. Il pouvait me tuer, ça n’avait pas d’importance, tant que Georges vivait. Georges devait apprendre et Georges devait partir pour nous sauver. Je pensais que comme il était le plus grand, cette tâche lui revenait. Il était donc évident que je devais le protéger. Grâce à moi, papa oublierait Georges qui nous sauverait. Baliverne ! J’avais mal fait mes calculs. C’est moi qui les ai sauvé.

 

Tout arrive un dimanche de crêpes. Ce jour-là, je cuisine avec mon frère Georges. C’est en plein été. Le souvenir est haché. C’est comme un flash où il m’est impossible de croire que cela m’appartient. Pourtant, ces flashes provoquent en moi un plaisir jouissif. À la seule pensée de cet événement, mon corps s’éveille et j’ai la sensation qu’il est enfin libéré. Dans ce souvenir, Maman est en haut avec papa. Papa a l’air d’être en colère contre maman. Pourquoi ? Comme toujours, personne ne le sait. De notre côté, nous sommes en charge du repas. Au vu de la température douce de l’été, nous avons décidé que c’est dehors que le dîner allait se dérouler.  La table est bien dressée. Il n’y manque rien. Nous avons installé des ingrédients salés et sucrés pour faire toutes les crêpes qu’il nous a été demandé. En attendant, la dispute prend un tournant différent. Cela nous le savons car des bouts de phrases sont perceptibles : “Arrête”, “Tais-toi”, “S’il te plait, arrête” etc..

Georges a peur. C’est évident d’avoir peur avec tous ces cris. Je tente de faire diversions pour qu’il oublie. Papa et maman descendent dans un tourbillon de bruit. Tout le monde reprend ses esprits, le temps d’un instant. La table est mise. Les crêpes sont prêtes mais personne n’a vraiment faim.

Tout le monde s’installe à table 

 

Une fois tous assis, le dîner peut démarrer. Les premières discussions sont difficiles à entamer. Stressés de devoir improviser, on se lance sur des sujets dont personne n’est vraiment très intéressé. La moindre péripétie est attendue. Chacun prépare sa crêpe de la manière souhaitée. Georges, les dimanches de crêpe, a toujours mangé son repas sucré. Ce dimanche-là, il ne fallait pas. C’est la péripétie tant attendue par mon père pour se lancer à nouveau dans une tirade effrénée. Quelques minutes interminables de paroles sans interruption jusqu’à ce que maman puisse enfin en placer une. Papa s’énerve : “Qui commence son dîner par du sucré ?”. Je décide donc d’accompagner Georges. J’attrape une crêpe et  je fourre une énorme cuillère de chocolat que je recouvre ensuite de chantilly.

Bref silence…

 

Papa réagit au quart de tour. Une première baffe est partie et se pose sur ma joue. Je vois la deuxième arrivée. Il est temps d’agir. Action, réaction ! Je me lève, j’esquive et j’enferme Georges dans les toilettes. Au moins, il n’entendra que les bruits d’ici. Je m’interpose. Il m’écarte. Maman pleure. La danse se répète plusieurs fois, je crois. Entre chaque pas et mouvement, un objet prend part à la chorégraphie. Une assiette vole, le bol de pâte à crêpes aussi. Tout comme au théâtre, nous avions notre décor et nos accessoires pour alimenter au mieux la scène. Georges se libère veut revenir sur le plateau. Normalement, ce n’est pas son moment. Il s’impose et démarre son monologue. Personne ne fait vraiment attention à lui. Nous sommes concentrés sur notre rythme. Il tente à nouveau. Papa le voit et déjà en action, il l’attrape. Georges est bloqué. Georges ne touche même plus le sol. Maman crie. Et moi, sans un bruit, je provoque mon coup de théâtre. Il est temps de laisser tomber le rideau, ça ne peut plus durer. J’attrape le couteau qui m’est offert sur la table et je tue mon père. Rapidement et simplement, la scène prend fin.

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