Créé le: 14.09.2021
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Une absolution non méritée

Correspondance

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L’esprit et le cerveau sont deux entités liées, indissociables et essentielles à l’équilibre de tout être humain. Elles peuvent rendre altruiste, produire des œuvres extraordinaires ou encore nous faire tomber amoureux... Et si elles décidaient de se retourner contre vous, comment réagiriez-vous ?
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Madame B. EIRÉNÉ

30 avenue Mars

1913 KREAPELIN

Madame B. LITHIUM

17 Augustiis Purgatorium

1686 BONNET

Objet : Une absolution non méritée.

Chère invitée non désirée,

 

Je t’écris aujourd’hui car je pense qu’il est temps que l’on se parle. Voilà bien trop longtemps que tu me tourmentes sans que je riposte ou à tout le moins, que je  m’exprime. Il m’a fallu du temps et une longue réflexion pour trouver la force de t’écrire. Retourner dans le passé, remonter dans des souvenirs parfois enterrés, tu le sais comme moi, ce n’est pas chose aisée. Rédiger cette lettre m’a obligée à me poser certaines questions sur tant de choses que je ne pourrais toutes les citer. Et j’en suis venue à me dire qu’il est fini le temps où tu pouvais aller et venir comme bon te semblait pensant, à tort, que ces lieux sont les tiens. Car il s’agit bien de cela n’est-ce pas ?

 

Tu prends un plaisir malsain à t’immiscer dans nos vies, à nous faire miroiter un semblant de bonheur, de paix et d’harmonie, pour que nous sachions ce que cela représente réellement et, finalement, pour mieux nous le reprendre ensuite. Pour voir cette lueur dans nos yeux s’éteindre lorsque nous comprenons que c’est déjà la fin, et qu’au terme de cette accalmie, la seule leçon à retenir c’est que nous n’exerçons aucune influence ce sur qui se passe. Tu me fais souvent penser à une enfant qui s’ennuie un jour de pluie et qui n’a pas trouvé plus divertissant que de semer le chaos, de dévaster tout ce qu’il y a à portée car, bien évidemment, nous n’avons aucune importance à tes yeux. Ce bonheur, c’est toi qui le contrôles, toi qui le décides, toi qui le fais naître parfois et, oui, c’est bel et bien toi qui le ruines.

 

Ces tourments prennent bien des formes, toutes propres à la personne qui les subit. Leurs moyens d’y échapper sont tout aussi multiples que variés. Pour ma part, tu m’en laisses très peu…

Le premier, une colère violente, sourde et destructrice, se conclurait sans nul doute par une confrontation sanglante. Bien sûr, il y a peu de risques qu’un jour j’en vienne à cet extrême, et tu le sais bien…

Le deuxième, plus envisageable, mais moins distrayant à tes yeux, serait de tout enfouir en priant pour que ça ne déborde pas : ravaler sa colère, sa tristesse, sa honte et tout faire pour réduire le tout au silence. Sachant pertinemment que cela ne viendrait jamais à bout de tes attaques incessantes…

Enfin, le troisième, assurément le plus délectable pour toi, nécessiterait la solitude afin de pouvoir te regarder en face et laisser libre court à…

À quoi ? À tout dirons-nous : au sentiment d’inutilité, d’abandon, de rejet, d’inexistence, aux échecs exacerbés et aux victoires insipides. A ces pensées toujours plus contradictoires, à cette dépendance aux autres, à cette adoration de la solitude. Passant d’un esprit clair et éveillé à cette échappée de toute raison ou logique.

 

Et si cela ne suffisait pas, tu nous contrains à vivre ce calvaire sous couvert de honte et de dégoût de soi. Dans ces circonstances, comment trouver le courage ? Ne serait-ce que pour s’ouvrir à quelqu’un ? Quand bien même ce courage viendrait-il à se manifester, qui serait prêt à recevoir ces confidences ? Qui aurait à son tour assez de courage et de volonté pour y faire face, d’apprendre à te connaitre et enfin te reconnaitre ? L’ignorance reste la meilleure des solutions si nous autres, pauvres mortels, souhaitons profiter de quelques instants de cette vie sans qu’elle nous étouffe définitivement.

 

Je lève donc mon verre à tous ces gens ignorants, volontairement ou non, cherchant ce bonheur qu’ils espèrent tant. Et j’espère à mon tour qu’ils prendront garde, cette naïveté peut à tout moment leur coûter chère. Plus longtemps ils vivront dans ce monde d’ignorance où la souffrance n’existe que lorsque l’on y est confronté, plus rude sera la chute. C’est d’expérience, et avec toute la bienveillance dont je peux faire preuve, que je leur souhaite de ne jamais affronter cela, de ne pas à avoir à te rencontrer un jour.

 

Nous n’allons cependant pas revenir encore une fois sur toutes tes perfidies, tes manipulations, et tes perversités. J’aimerais à la place échanger avec toi sur un sujet qui me tient particulièrement à cœur et dans lequel tu tiens une place importante.

Nous avons tous un rêve d’enfant auquel nous nous raccrochons malgré les années passées, malgré les échecs et les obstacles auxquels nous avons été confrontés. Nous gardons ce rêve, ancré au plus profond de nous, avec l’espoir vain que peut-être nous pourrions le réaliser. Te souviens-tu du mien ? Cela a toujours été de devenir écrivain.  Ma mère m’a toujours encouragé à développer cette passion du français qui, couplée à ce désir de mettre des mots sur ce que je ressentais ou imaginais, stimule ma volonté d’écrire.

 

Mais voilà, tu es arrivée pour ne plus jamais me quitter. Je veux bien admettre que je n’ai pas lutter grandement contre ça et il faut bien dire que tu étais plus que tenace. Tu l’es encore d’ailleurs. Et durant ces années de cohabitation forcée tu m’as dérobé l’essentiel, l’envie, le goût, la confiance, la foi. Tout ce qu’il me fallait, ne serait-ce que  pour toucher ce rêve du bout des doigts, toi, tu l’as réduit en cendre.

 

Ce n’est pourtant pas faute d’avoir essayé, encore et encore. J’ai persisté, persévéré, mais rien n’y faisait, quelque chose s’était brisé m’empêchant alors d’accomplir ce à quoi j’aspirais le plus au monde. Et je t’en ai voulu de me l’avoir enlevé. Puis quelqu’un m’a expliqué, voilà bien des années maintenant, que je devais « faire avec ». Venant de cette personne en particulier, le conseil fut amer. Pourtant il avait raison, comme souvent. Mon refus d’accepter la réalité ne ferait que te donner plus de contrôle que tu n’en avais déjà à l’époque. Cette fuite – que je m’étais imposée pour éviter que tu ne m’absorbes entièrement – était justement la cause de mon ancrage.

 

Cette discussion m’a fait prendre conscience que tant que je ne t’aurais pas accepté, toi, cette partie de moi qui échappe à tout contrôle, à toute volonté, je ne pourrais jamais avancer, ni me réaliser. Alors, à défaut d’écrire ma première nouvelle, je t’écris à toi.

 

Cela aura peut-être été l’une des choses les plus difficiles qu’il m’aura été donné de faire, peut-être est-ce aussi l’acte le plus libérateur que j’ai jamais entrepris. J’ai désormais conscience de tout ce que tu m’as dérobé malgré moi et tout ce que tu m’as apporté, bien malgré toi. Certes tu m’as pris ma confiance, en à peu près tout, ma capacité à imaginer un futur, quel qu’il soit, et parfois ma capacité à raisonner ou ressentir correctement. Pourtant tu m’as apporté, grâce à cette sensibilité accrue et cette tendance à tout analyser, une capacité à raisonner autrement, à avoir une meilleure compréhension de l’être humain.

 

Je peux enfin t’accepter à présent car je suis sûre d’une chose, tous ceux qui me donnent aujourd’hui l’envie de me construire et d’aller jusqu’au bout, ne m’abandonneront pas. Et pour cette dévotion dont ils font preuve à mon égard, peut-être un jour leur écrirais-je également une lettre.

 

C’est grâce à tout ceci, cette prise de conscience, cette acceptation, cette expression et cette récrimination que je peux enfin te pardonner d’être celle que tu es car je ne pourrais malheureusement plus rien y changer. Je peux juste me battre au quotidien pour ne pas te laisser gagner.

Je t’écris donc ces quelques lignes tout en ayant conscience que jamais nous ne pourrons nous dissocier.

En espérant, chère moitié, ne pas te revoir de sitôt,

Ta colocataire qui reprend le contrôle de son esprit.

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