Créé le: 24.07.2025
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Un veau dans la ville
Dans un pavillon de la banlieue parisienne se joue le théâtre de la vie, parfois burlesque, parfois acide. Entre tromperies, vengeance, et escroquerie, comment se finira cette farce tragico-burlesque ?
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ACTE I
Une porte claque, des pas lourds entrent dans la maison. Une voix grave s’écrie depuis le rez-de-chaussée :
– Chérie ! Je suis rentré ! Viens voir son papaaa…
Au premier étage, Cécile, la tête ébouriffée se redresse dans son lit, les yeux ronds, la bouche tordue en un rictus de stupéfaction.
– Ciel! Mon mari! Vite cachez-vous!
Des draps émergent une tignasse bouclée oscillant entre le brun et le cuivré. Le dénommé Jean. Il sent le muscadin.
– Facile à dire! Je suis nu et nous venons de faire l’amour comme des bêtes.
– D’accord, nous en reparlerons… En attendant, habillez-vous et cachez-vous là, dit-elle en désignant l’armoire.
L’air outré:
– Comment ça: «Nous en reparlerons»?
– Ne faites pas tant de chichis, cachez-vous là.
– Je m’insurge, dit-il en se plantant au pied du lit, le torse bombé, la chose pendante telle une nouille molle à la vue de laquelle Cécile se retient de pouffer.
– Veuillez me dire ce que vous avez à redire de ma prestation.
– Mais rien. Allez hop! Dans l’armoire!
La voix du rez-de-chaussée reprend:
– Chérie, houhou! Tu es en haut?
Sans réponse de l’intimée, la voix annonce gaiement: «J’arriiive… », suivie d’un: «Héhéhé».
Le pas enjambe la première marche qui craque sous le poids, puis la deuxième et ainsi de suite.
– Viiiite, ordonne Cécile, alors que Jean, se rhabillant, s’écrie: «J’ai une idée! Ecoutez-moi… »
Ignace, époux fou amoureux de sa Cécile, de trente ans sa cadette, débouche sur le palier du premier, exténué par cette ascension. Il n’a plus vingt ans. Il en a soixante et traîne par-dessus sa ceinture tous ces repas d’affaires. Ceux-ci ont eus raison de sa volonté à lâcher ses kilos en trop. Aussi, pour se donner bonne conscience, il joue au golf.
Essoufflé, il arpente le couloir, ouvre la porte de sa chambre et hurle devant la scène qui se déroule sous ses yeux ébahis:
– Nom de Dieu Cécile! Qui… est cet olibrius?
Un type au corps d’Adonis, bronzé, fringué comme s’il revenait du tennis, à la chevelure brillante et soyeuse, chevauche sa douce moitié à demi nue et lui masse la nuque. Des oreillers s’échappent des soupirs de satisfaction. La tête de sa femme en émerge, considère l’époux d’un œil circonspect et retombe dans les plumes. La chambre empeste le camphre.
– C’est notre nouveau médecin de famille. Enfin, je te l’ai pourtant dit, Ignace, tu ne m’écoute pas. Il faut vraiment faire réviser ton sonotone.
– Oui c’est vrai tu m’en as parlé, dit Ignace, l’air absent comme tentant de se remémorer cette conversation qu’ils n’eurent jamais.
– Bonjour, dit l’homme en se levant et en tendant la main, je suis Jean de la Fourbrière…
– De la Fourbrière hein?
– Oui, c’est ça. Je suis le nouveau médecin du quartier. Et figurez-vous, j’étais au tennis, quand soudain, sur le court d’à côté, j’ai entendu un cri. Un appel de détresse me suis-je dit : quelqu’un a besoin de moi! Et me voici. Oh vous savez, ce n’est rien de grave une petite épicondylite torsadée que je m’emploie à dénouer.
– Une épicondylite dites-vous? Ce n’est pas au niveau du coude ça? Et aussi, vous étiez sur le court de tennis, et subitement, vous êtes ici?
– Mais vous avez raison! Bravo! Vous êtes vous-même médecin doublé d’un géographe?
– Que nenni.
– Ah donc oui… ou non plutôt. Oui, voilà, l’épicondylite, dit aussi le «tennis elbow», est la conséquence d’un mouvement répétitif, dit Jean en mimant un coup droit avec une raquette imaginaire, vous saisissez?
– Je vois bien oui… dites, vous n’essayeriez pas de culbuter ma femme vous?
– Quoi? Ô grand dieu JAMAIS! Que vous puissiez penser cela m’attriste profondément.
– M’enfin Ignace, ne raconte pas de sottises, s’insurge Cécile du fond de ses oreillers.
– Ah bon, je me disais aussi. Vous m’en voyez rassuré.
L’incident se clos sur cette note.
Avant de se rendre à son studio miteux de Seine-Saint-Denis, Jean dit Gianni; plutôt gigolo que médecin, prescrit du repos à Cécile, laisse le couple Grumaux dans son pavillon art nouveau de la banlieue parisienne et espère soutirer ses deniers à cette poufiasse mal engrossée, ou à son idiot de mari, entrepreneur de père en fils dans la colle à bois. Il aurait rencontré sa donzelle lors d’une soirée de speed dating, et l’amour ne se commandant pas, ils se marièrent deux mois plus tard. Quelle blague! Encore une qui sent la chasseuse.
Pourquoi ne la ferait-il pas chanter? Ou son mari? Ce serait une idée parfaite…
ACTE II
Quartier du Gros Caillou, 7ème arrondissement: une maison de maître de style Haussmannien. Dans le salon crépite un feu de cheminée. Les époux De Montmoullin, Eugénie et Auguste-Aurèle, sont plongés dans leurs lectures, assis sur leurs canapés respectifs. Eugénie, sans lever les yeux de son livre, dit:
– Figurez-vous que j’étais au club-house aujourd’hui et ne voilà-t-il pas que j’y croise Cécile Grumaux en train de roucouler avec le nouveau médecin, cette espèce de muscadin au rabais, fagoté et coiffé comme s’il sortait de chez Emmaüs. J’ai aussitôt pensé à Ignace, le mari de Cécile, assez idiot pour ne pas s’apercevoir du bal que mène sa catin.
– J’abonde très chère. D’ailleurs, je m’étonne encore que son affaire familiale soit si florissante. M’est avis, que cela ne durera pas.
– Comment cela?
Auguste-Aurèle lève les yeux de son journal financier.
– Je lui ai préparé une petite surprise au père Grumaux. Je ne voulais pas vous en parler avant que mon piège se referme, mais maintenant que nous y sommes.
Eugénie laisse retomber Bonjour tristesse de Françoise Sagan, ouvrage dans lequel elle retrouve la naïveté de son adolescence et la dévotion vouée à son père. Elle observe son époux qu’elle admire autant que feu son père. Elle l’aime pour son trait d’esprit, sa perfidie aussi… Et justement, il arbore son sourire diabolique, celui qui présage un plan machiavélique.
– Racontez vite très cher Je bouillonne.
– Eh bien, je sais à quel point la débâcle de feu votre père vous est resté en travers de la gorge. Tout ceci à cause du vieux Grumaux qui l’a poussé au dépôt de bilan et dans sa tombe par la même occasion. Alors, vous ne m’en voudrez pas ma mie, j’ai fomenté un petit stratagème pour pousser le fils Grumaux au fond du trou.
La bourgeoise laisse échapper un hoquet de satisfaction.
– Dites vite, je meurs d’impatience.
– J’ai soudoyé son comptable.
– Oh Un cheval de Troie… votre sournoiserie est délicieuse.
– Exact! C’était un petit trafiquant de drogue que j’ai sorti du trou dans lequel il croupissait. Et étrangement, cet ignare s’est découvert une passion pour les chiffres, s’est racheté une bonne conduite et a passé son diplôme… n’est-ce pas saugrenu qu’un type de basse extraction se prenne subitement pour Luca Pacioli.
– Qui?
– Le père de la comptabilité, un religieux franciscain du XVIème…
– Ah si l’on érigeait la comptabilité au rang de religion, le monde ne s’en porterait pas plus mal tiens.
– … c’est exact. Alors voilà, reprend Auguste-Aurèle sur un ton de conspirateur, je lui ai fait falsifier les comptes de Grumaux & Fils. M’est avis qu’il va la sentir passer Ignace quand on lui présentera son bilan de clôture. Si mon stratagème fonctionne, il n’aura plus d’autre option que de vendre ses actifs pour éviter le sursis concordataire. Et là, ma chère, nous porteront l’estocade! jubile l’avocat en se levant, mimant l’estocade à l’aide d’une épée factice.
Eugénie applaudit.
– Oh, vous êtes merveilleux très cher!
Dieu ce qu’elle l’aime!
ACTE III
Prudent Souleymane a un faible pour les hommes. Ni son employeur ni son entourage n’en sont informés, il préfère taire ce genre de considération personnelle qui ne regarde que lui et son compagnon.
Dieu ce qu’il l’aime! Pour lui, il décrocherait la lune. Se prostituerait, se ferait enfermer si cela pouvait taire tout l’amour qu’il lui porte.
Mais dans l’immédiat, il a plus urgent à penser: présenter les comptes falsifiés à son idiot de patron sur les conseils d’Auguste-Aurèle et demander sa main à celui qui partage sa vie. Il retrouve avant cela son «bienfaiteur» dans un café proche de l’étude d’avocats.
– Alors Prudent? Comment se porte notre petite affaire?
– Ça va patron… tout est sur les rails comme vous l’aviez prédit.
Prudent ne peut s’empêcher d’éprouver du dégoût pour l’avocat d’affaires. Il les imagine tous identiques à celui-ci : narcissiques, prêts à vendre leurs mères pour satisfaire leurs basses ambitions. Il le hait, autant qu’il hait sa propre faiblesse d’avoir dû recourir à lui pour se sortir du bourbier dans lequel il était empêtré jadis. Mais pour arriver à ses fins, il faut parfois faire fi de ses idéaux.
– Grâce à vous et à mon sens des affaires, jubile Auguste-Aurèle, bientôt nous posséderons toutes les parts de Grumaux & Fils. Nous pourrons jouir des bienfaits de ce bon vieux capitalisme sous le soleil des Bahamas.
«Compte là-dessus», songe Prudent.
Et tandis qu’ils trinquent, un verre de Champagne en mains, Prudent passe en revue son plan.
ACTE IV
Comme par hasard, Eugénie croise Cécile au club-house.
– Alors très chère comment se porte votre mari?
– Fort bien, pourquoi cette question? demande Cécile sur ses gardes.
– Je ne sais pas, il se murmure des choses… répond Eugénie sur un ton détaché.
– Quelles choses?
– C’est délicat à dire, mais il semblerait que votre époux se trouve en difficultés financières, j’espère que ce ne sont que des racontars.
– Que savez-vous?
– Oh, si peu mon petit, uniquement ce qu’on m’en a dit.
– Dois-je m’inquiéter selon vous?
– Vous devriez, comme toute femme qui se respecte, prendre les conseils d’un avocat dans tous les cas.
– Oh, merci! Merci ! M’aideriez-vous à en trouver un?
– Bien entendu mon petit, répond Eugénie, un sourire perfide au bord des lèvres.
ACTE V
– Nous sommes ruinés!
La jérémiade vient d’Ignace penché sur un résumé des comptes que lui a remis son comptable ce matin.
– Quoi? Mais comment est-ce possible? éructe Cécile, songeant à son Louis Vuitton commandé sur la boutique en ligne et aux mises en garde d’Eugénie de Montmoullin, cette vipère.
– Je n’y comprends rien… voilà! se lamente Ignace en tendant des pages et des pages remplis des chiffres de sa société qui révèlent un bénéfice négatif et des conclusions de son comptable qui l’encourage à se délester de ses actifs, biens immobiliers et autres parts dans des sociétés pour n’avoir plus aucun créancier frustré à satisfaire.
– Mais explique!
– Je ne sais pas. Tu sais que la comptabilité n’est pas mon for, moi ce que j’aime, c’est la colle à bois. Réfléchissant soudainement: «Il faut que je voie Prudent».
– Qui?
– Prudent Souleymane. Mon comptable.
– Et que va-t-il t’apprendre de plus
– A nous sortir de cette situation délicate ma chérie.
ACTE VI
Entracte.
ACTE VII
Ignace Grumaux rentre chez lui. Étrangement, en peu de temps, il a pu éponger ses dettes, vendre sa société et ses biens immobiliers à une société inscrite aux Bahamas et dont l’actionnaire principal ne s’est pas fait connaître. La transaction s’est conclue grâce à un banquier de Nassau via Zoom.
«L’essentiel, se dit Ignace, c’est que tous les créanciers aient été payés et que les employés conservent leurs emplois.» C’est ce qui lui a été promis durant la négociation en tous cas.
Ignace devra rebâtir ce que son père a bâti, ce ne sera pas facile, il en est conscient, mais l’amour de sa Cécile portera ses ambitions au-delà de toutes autres considérations.
Il claque la porte et entre dans sa maison qu’il loue à la société Bahamienne encore pour quelques semaines.
– Houhou! Je suis làààà! Tout a été vendu ma chérie, nous sommes saufs. J’ai évité le dépôt de bilan, vendu l’entreprise à une société cotée en bourse aux Bahamas, et mes immeubles ont été acquis dans le paquet. Qu’est-ce que… ? s’étonne Ignace, découvrant des valises dans le hall d’entrée et sur lesquelles il a failli trébucher. Sa Cécile apparaît, plus resplendissante que jamais. Dieu ce qu’il l’aime!
– J’ai décidé de m’en aller Ignace…
– Mais… comment? Cécile… il déglutit.
– Je pense que tu n’as pas les épaules suffisamment solides pour t’occuper de moi.
– Bien sûr que si, mais…
– Désolé Ignace, mon avocat ; Maître De Montmoullin, te contactera la semaine prochaine.
– Quoi? Cet escroc?
– C’est le meilleur dans son domaine. Vois cela comme une chance de reconstruire ta vie.
A cet instant, Ignace regarde sa femme passer le seuil et songe que rebâtir une vie sans elle n’en vaudra peut-être pas la peine.
ACTE VIII
– Le misérable Judas!
– Qu’y a-t-il très cher?
Auguste-Aurèle est rouge de colère.
– Cet infâme pourceau que j’ai sorti du caniveau a osé!
– Mais qui donc?
– SOULEYMANE PRUDENT ! aboie Auguste-Aurèle. Tu m’écoutes à la fin?
Soudain, Eugénie de Montmoullin se ratatine sur elle-même, découvrant le visage d’un autre. Jamais elle n’avait vu son époux s’emporter de la sorte, ni utiliser le tutoiement.
– Expliquez-vous voyons!
– VOYEZ ! dit-il en lui jetant Le Monde à la figure.
Eugénie reconstitue les pages où s’étale à la une:
«UN AVOCAT PARISIEN AU CŒUR D’UN SOMBRE AFFAIRE DE DÉTOURNEMENTS DE FONDS ET DE GESTION DÉLOYALE.»
Eugénie reporte son attention sur l’article:
«Notre rédaction a été contactée par un lanceur d’alerte anonyme qui apporte des preuves irréfutables que le cabinet parisien De Montmoullin & Bernex, s’est rendu coupable de détournements de fonds destinés à des écoles africaines pour financer des sociétés pétrolières et à soutenir l’effort de guerre au Niger et au Pakistan. Une large documentation de mails et de bons de paiement via des sociétés écrans ont été remis ce matin au parquet de la Cour Administrative de Paris. Il y apparaît également le nom de certains de nos élus gouvernementaux que nous souhaitons taire dans ces colonnes tant que la lumière ne sera pas faite sur cette affaire à suivre…»
– Mon Dieu! Qu’est-ce que cela signifie?
– IDIOTE! NOUS SOMMES FINIS ! Si cette débâcle aboutit, je peux m’asseoir sur ma réputation ! Cela veut dire des procès à n’en plus finir, notre vie jetée en pâture aux chacals! Il ne nous restera plus que l’option de fuir en Suisse!
– Vous n’y pensez pas! Et comment ont-ils pu obtenir toutes ces informations?
– Je ne sais pas… c’est à n’y rien comprendre.
ACTE IX
Dans le quartier très mal coté de Seine-Saint-Denis, un joint circule déjà entre les protagonistes plantés devant l’entrée d’un immeuble locatif décrépi. Autant les discussions de style «Ouèch-ouèch» que l’odeur montent jusqu’aux fenêtres d’un studio miteux où se réveillent dans les bras l’un de l’autre Gianni et Prudent.
– Bien dormi mon chéri?
– Aussi bien qu’un multimillionnaire! s’égosille Gianni en sautant à pieds joints sur le lit.
Prudent sourit de sa désinvolture. Dieu ce qu’il l’aime!
– Tu es conscient que nous devons quitter le pays?
– Arrête de faire ton rabat-joie. Sortons de ce cloaque, faisons le tour du monde et installons nous en Suisse !
Prudent rit, mais quelque chose le tarabuste.
– Dis, comment tu as fait pour trouver tous ces documents sur le cabinet?
Gianni esquisse un sourire malicieux.
– Quand j’étais livreur chez DHL, j’ai séduit la greluche de réceptionniste. Comme De Montmoullin & Bernex la harcelait, elle a été très coopérative pour me fournir tout ce que je lui demandais.
– Et baiser des femmes, ça ne te dérange pas?
– Ce n’est que du business mon chou, répond Gianni en embrassant goulûment Prudent.
Dieu ce qu’il l’aime!
– Viens allons nous balader, dit Prudent, j’ai quelque chose à te montrer.
EPILOGUE
BFM TV :
«Récemment, un veau s’est échappé de l’abattoir de la porte de Clignancourt. Surnommé Marguerite, il a parcouru la ville, et malgré le déploiement de cent gendarmes, il a trouvé sur son passage un couple de gay qui s’étaient récemment dit oui, d’après des sources proches du dossier. Pour des raisons obscures, Marguerite s’est acharné sur les deux hommes alors qu’ils déambulaient tranquillement sur le Pont de l’Alma se promettant amour et fidélité. Paris pleure aujourd’hui la disparition de Gianni Infantino et Prudent Souleymane. Et tandis que Marguerite court toujours, ici, à la rédaction de BFM TV, nous nous demandons: Mais que font nos autorités? Quelles sont les mesures que va prendre le gouvernement pour mettre un terme aux agissements de Marguerite?»
FIN
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