Créé le: 05.06.2022
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Un poème pour le Soleil

Allégorie, Amour, Contes

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© 2022-2024 Melody Butterfly

J’ai dans la tête, dans le cœur et le corps des images et des sensations aussi fortes que fugaces. Je vois des paysages, ressens des ambiances, entends des mélodies. C’est cela que je veux partager avec ceux qui oseront le voyage à travers ces quelques lignes.
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L’après-midi chaud d’un été serein, les cris et les rires emplissaient l’air et remontaient vers le ciel limpide. C’était une fête foraine qui se tenait là, bigarrée et joyeuse. Les sucreries embaumaient et les manèges semblaient tous plus attrayants les uns que les autres. Chacun y allait de sa musique et de ses pirouettes étourdissantes, invitant tous les âges sur leurs sièges pailletés. J’ai toujours adoré ces fêtes qui sont aussi légères et sucrées qu’une barbe à papa dans le quotidien sérieux. C’est pourquoi j’ondulais avec le sourire au milieu de ses attractions, en essayant quelques unes, observant d’autres avec plus d’appréhension. Les gazouillis des plus petits enfants me réchauffaient autant le cœur que le soleil splendide qui régnait dans un azur parfait au-dessus de moi. Dans cette ambiance féerique et frénétique, l’amour semblait fleurir aussi vite qu’un tour de roue. Il fanerait peut-être à l’aurore du lendemain matin, mais jusqu’à cette nuit, les passions seraient bien vivantes.

Perdues dans mes pensées, je tentais de composer un sonnet, assise un peu à l’écart des musiques assourdissantes et de la foule. Chaque jour depuis que je sais ce que sont les mots, je n’ai eu de cesse que d’écrire des poèmes. La plupart d’entre eux sont dédiés à la nature et à l’astre solaire qui illumine ma vie. Lorsque le ciel s’obscurcit, mon moral aussi. C’est pourquoi je décidais de lui écrire une déclaration d’admiration, comme à un amant secret et inaccessible.

Il y a bien des choses effrayantes en ce monde. De mon point de vue, deux d’entre elles sont de véritables calamités. La première, ne pas pouvoir écrire, n’avoir aucune inspiration. Se déchirer l’âme pour trouver de quoi noircir des pages m’effraie presque autant que la deuxième contre laquelle je suis totalement impuissante. J’ai toujours eu la phobie des orages. Leur violence imprévisible, bien qu’ayant un côté fascinant, me donne  des idées d’apocalypse qui me glacent le sang. Je prie chaque fois le soleil de bien vouloir les faire fuir ; ce qu’il fait aussitôt ! C’est étrange, j’ai parfois l’impression qu’il comprend ce que je peux lui dire, comme si à force de lui prêter des émotions à travers mes poésies, il avait fini par en acquérir. Aussi ai-je redoublé de respect à son égard.

J’en avais terminé avec mon premier tercet et je ressentais déjà la satisfaction d’un travail que l’on va achever lorsque j’ai été interrompue. Le trouble-fête ressemblait à un prince charmant des contes de fées. Il avança au-dessus de mon carnet une sucette chatoyante qui me fit relever les yeux vers son propriétaire, et quel propriétaire ! Comment appeler un «  importun » cette silhouette masculine rehaussée d’un sourire et d’un costume blanc éblouissants. Je me sentis devenir un coquelicot pour ses cheveux blonds comme les blés et ses yeux si profonds. Il me semblait alors que j’étais bien plus étourdie que si j’avais tout juste posé pied à terre après le plus renversant des manèges qui se dessinaient derrière lui.

Comme je restais abasourdie et muette, son sourire se fit plus doux et il esquissa des excuses qui n’avaient pas lieu d’être. Mon poème inachevé était à cet instant aussi distant que le soleil dont il parlait. J’acceptais la sucrerie qu’il me tendait toujours avec le sentiment de toucher un rêve. N’écoutant que sa voix, je me levais et le suivais jusqu’au cœur de la fête. Tout ce qui avait pu me paraître étourdissant quelques instants auparavant m’apparaissait désormais délicieux. Même la chaleur de plus en plus lourde ne m’atteignait pas davantage. Nous fîmes ensemble tant d’attractions que je ne savais plus que notre rencontre était nouvelle. Il m’offrit sa main, que je saisis sans même réfléchir.

C’est alors qu’une goutte d’eau tomba du ciel sur ma joue, froide comme un glaçon dans une limonade. Mais si cette première goutte n’entama en rien mon enthousiasme, les suivantes me firent revenir en mémoire mon carnet oublié, à la Mercie de cette pluie. Je pris alors la poudre d’escampette pour aller le mettre à l’abri mais mon élan fut brisé. La main qui m’avait tenue délicatement me retenait à présent fermement. Incrédule, je scrutais le visage fin dont le front se trouvait à présent encombré de mèches humides. En un éclair, je fus tirée si près de ce visage que j’aurais pu en compter les taches de rousseur. Il se rapprocha encore et ses lèvres vinrent se poser sur les miennes en un battement de cils.

Nous étions trempés, immobiles fantômes au milieu des gens qui s’affairaient sous la pluie. Les yeux grands ouverts, je sentais mon corps refroidir et mon cœur ralentir quand un immense éclair fendit l’air au-dessus de nous. Si dans un premier mouvement, j’avais cru être la proie d’une passion incontrôlable, je me sentais à présent comme emprisonnée par ce contact forcé. Je tentais de me dégager de son étreinte, mais il la resserra comme un nœud coulant autour de moi.

Alors, après la surprise et l’incrédulité, c’était maintenant l’effroi qui grandissait en moi, comme un brouillard insaisissable et glacial. Mes efforts pour détacher mes lèvres des siennes étaient vains. Le tonnerre avait fini de vider les lieux, me laissant seule face à cet énergumène qui me terrifiait. Il n’avait plus rien de charmant, comme si son sourire, qui m’avait tellement plus, n’était que maquillage. Après avoir lutté de toutes mes forces en vain, je paniquais. Je sentais mon corps s’alourdir, aussi je fermais les yeux. Non pas pour m’abandonner, mais au contraire, je priais de toute mon âme que l’on me vienne en aide.

J’implorais ce ciel qui menaçait d’envoyer son feu frapper les installations métalliques des manèges désertés. Lui qui était si limpide quelques minutes auparavant, pouvait-il seulement m’entendre ? Je pensais à mon carnet dont la pluie devait avoir bu les mots en cet instant. L’encre avait dû pleurer sur les pages gondolées et je souhaitais alors qu’elle s’évapore pour remonter au ciel. De goutte en goutte, que les intempéries portent le message au soleil caché par ce noir manteau de mon désespéré combat.

Je sombrais dans une sorte de transe et me séparais ainsi du réel. Je perdis la notion du temps, ne sachant même plus si j’étais encore vivante ou simplement en train de rêver. Il me semblait avoir été trompée par quelque fausse clarté émanant de cet être qui m’emprisonnait. Il avait sans aucun doute usé de quelques sortilèges pour me duper si facilement. Il me paraissait à présent comme une ombre faite de chair, sans âme. Ce monstre aspirait la chaleur de mon corps, de la même manière que les spectres vous arrachent à la vie, aussi ne doutais-je point que mon heure soit venue.

Mes yeux clos ne s’ouvrirent qu’au son d’une voix inconnue et pourtant familière, comme celle de quelqu’un que l’on aurait oublié depuis longtemps. J’étais libérée des lèvres de cette espèce de sangsue et je pus voir qui s’avançait. Cette voix venait d’une silhouette flamboyante dont la pluie semblait s’écarter afin de ne pas l’effleurer. Un jeune homme vêtu lui aussi de blanc, mais également d’or et de lumière. Tout dans cet être respirait la noblesse et son regard noir semblait peuplé d’étoiles. Cette galaxie qui luisaient dans ses yeux se braqua sur mon geôlier. Celui-ci recula, pris d’effroi, me laissant choir sur le sol. Le nouvel arrivant dégaina et s’interposa entre l’imposteur et moi. Il teint en respect mon agresseur avec une épée digne d’Héphaïstos lui-même.

Il me sembla alors que l’autre homme devenait de plus en plus pâle, qu’il se liquéfiait. Il avait peut-être reconnu l’arme, ou bien son propriétaire. En tout cas, il avait perdu toute assurance et toute combativité. L’incandescent prince trancha l’air sans plus attendre. L’épée scinda l’orage comme s’il avait s’agit d’une vulgaire motte de beurre. Ainsi coupée en deux, la masse noire s’étiola. À mesure que les nuages s’éloignaient, mon agresseur devint transparent à la lumière du jour. Il était aussi misérable que ces méduses que l’on peut voir échouées sur le sable, alors qu’elles étaient les plus redoutables prédatrices sous l’eau. Même les contours de sa silhouette commençait à fondre.

Aussi craignais-je que mon sauveur fût également un mirage de mon esprit embrouillé ; je tournais alors vers lui des yeux inquiets. Le sourire qu’il m’adressa pour me rassurer fit naître une fleur dans mon cœur. Il m’offrit sa main pour me relever. Le contact de sa main était chaud et rassurant; il me rappela la douceur des couvertures après une froide journée d’hiver. Je frissonnais. La vie coulait de nouveau joyeusement dans mes veines, ravivant la couleur de mes joues.

Comme je me demandait quel dieu ou ange venait de me sauver, la réponse vint sans que je n’ai à verbaliser ma question. L’intéressé se fendit d’une révérence et je pus voir sur ses cheveux noirs la couronne éclatante d’un monarque céleste. Il se présenta comme étant le soleil lui-même et je ne pus m’empêcher de vérifier le ciel pour l’y chercher. Il ria de mon geste et se corrigea, il était le fils de l’astre qui brillait fièrement dans le ciel apaisé. Là où gisait le malotru juste avant, il ne restait plus qu’une misérable flaque d’eau boueuse. Tout le reste étincelait comme si la pluie avait paré le monde de diamants.

Le fils du Soleil m’entraina loin des restes du monstre pour m’en éviter la vision. Il m’apprit que j’avais eu affaire à un esprit malin qui prenait l’apparence de ceux dont il volait l’âme pour survivre. Un être de pluie, de tristesse et de faux-semblants. L’astre solaire avait entendu mon appel à l’aide et rassemblé les mots de mon carnet défait par l’humidité. Furieux qu’on maltraite son amie, il avait envoyé son fils en personne pour me délivrer. Comme je m’étonnais d’un tel honneur, le prince me répondit que l’étoile incandescente aimait mes poèmes. Qu’y a-t-il de plus beau compliment que d’être reconnue par le roi des cieux lui-même ?

Le prince ajouta que même si personne ne lui en avait donné l’ordre, il serait venu de lui-même. Avec son père, il avait écouté chacun des mots que j’avais couché sur le papier. Curieux, il avait commencé à observer la protégé de son père. Qui écrivait de si belles choses ? Ce qui n’était que de l’intérêt pour la littérature au départ, devint une passion amoureuse à mesure. Cependant, il ne voulait pas imposer ses sentiments à quelqu’un qui ignorait son existence. Aujourd’hui, il était descendu pour me sauver et l’occasion était trop belle pour ne pas se déclarer. Il m’avait choisie pour partager son ciel. Il mit un genoux à terre et me demanda sans détour de l’épouser.

Si vous n’avez jamais vécu une demande en mariage de quelque prince, je doute que vous compreniez mes sentiments à cet instant. Ils étaient tels que je me mis à rayonner de bonheur comme une luciole. J’abandonnais alors sans un regret ma vie terrestre et acceptait sa main. Il m’offrit son bras et nous prîmes un arc-en-ciel pour remonter aux côtés de son père, le Soleil. Ce dernier se trouva ravi de pouvoir célébrer une telle union. Il nous maria donc la nuit suivante, sous une pluie d’étoiles. Les astres dansèrent joyeusement autour de nous, jusqu’à s’en donner le tournis.

Parfois, mon mari et moi descendons dans un rayon de lumière entre les cumulus pour revoir le village qui m’a vue naître. Nous aimons entendre les rires de ceux qui s’amusent à la fête foraine, cela nous rappelle notre rencontre. Nous veillons ainsi sur celles et ceux qui comme moi pourraient se laisser charmer par quelque odieuse créature. Je continue d’écrire des poèmes et mon inspiration ne me quitte plus. L’amour et la vue du monde depuis les constellations me donnent une infinité d’idées. Plus jamais je n’ai eu l’angoisse de la page blanche. Elle m’apparaît désormais comme une amie bienveillante à laquelle je peux confier mon bonheur.

J’ai aussi appris à aimer les orages grâce à mon prince. Il m’a enseigné à parler à la foudre et à glisser sur les éclairs. Nous les saisissons pour descendre et remontons en sautant sur les gouttes de pluie, ou bien nous nous laissons porter par le vent. C’est un amusement plus grisant que n’importe quel manège que vous pourriez trouver dans une foire. Je vous déconseille pourtant ce jeu, il n’y a que la famille royale céleste qui en maîtrise l’art. Cela reste dangereux si on ne s’y prend pas bien. Mais si d’aventure vous êtes comme je l’étais, terrifiés lorsque le tonnerre gronde, ouvrez l’œil, il se peut que vous me voyiez passer…

 

Carte: Arcane de la Lune

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