Chapitre 1

1

Tuer le temps, c’est tentant. Si vous n’êtes pas capable de le faire sans accessoires, voici la machine qui vous permettra d’y parvenir à coup presque sûr…
Reprendre la lecture

J’étais dans ma cuisine, à boire tranquillement mon café matinal, quand ma fille débarqua en coup de vent, pour déposer Arthur dont la classe du collège venait d’être mise en quarantaine sans autre annonce préalable.

–       Papa, tu serais trop gentil de le garder pour la journée. Et si tu pouvais surveiller ses devoirs scolaires et lui donner une dictée supplémentaire, l’orthographe n’est pas son fort depuis quelque temps.
–       Mais comment donc, avec grand plaisir ! Allez, file à ton travail.

 

Mal réveillé, mon petit-fils tirait derrière lui un sac à dos qui semblait contenir toute la misère du monde. Je le connaissais plus enthousiaste à l’accoutumée ; il s’affala dans la corbeille de Tessa, toute heureuse de lui faire de la place en lui léchant le visage.

Un instant plus tard, le facteur sonnait à la porte et ma chienne se précipita en aboyant joyeusement, alors qu’Arthur la suivait en retrouvant d’un coup son entrain habituel. Il revint en portant un paquet qu’il posa sur la table et s’assis en me faisant face avec une impatience évidente.

–       Tu ne l’ouvres pas ?
–       Je sais ce qu’il contient répondis-je, c’est une machine que j’ai bricolée et faite améliorer par un de mes amis horlogers. Tu peux la déballer si cela t’amuse, mais avant il faudrait commencer par tes devoirs.

Cette dernière remarque était inutile,  Arthur ne m’écoutait plus,  ficelle et carton étaient déjà mis en pièces. Une jolie boîte apparut. Noire.

–       Tiens tiens,  qu’est-ce que nous avons là ? murmura-t-il en retournant la boîte dans  tous les sens, la secouant, collant son oreille contre une des faces et la faisant même renifler à Tessa qui émit un jappement interrogateur. Dis donc, grand papa, tu n’aurais pas mis la main sur la boîte noire de l’avion qui s’est scratché il y a quelque temps dans les alpes ? questionna-t-il plein espoir.
–       Et puis quoi encore, me crois-tu capable de jouer les chercheurs d’épaves en haute montagne avec mes vieilles jambes ? Je t’ai dit qu’il s’agissait d’une machine de mon invention. Une machine à tuer le temps, plus précisément.
–       Oh! Et comment ça marche ?

 

Sans répondre, je me levai pour prendre un bloc de papier et un crayon que je posai sur la table. Arthur me regarda avec stupeur.

–       Je n’aurais jamais imaginé que tu m’imposerais une dictée avant de m’expliquer le mystère de ta machine, au fond tu es pire que ma mère avec ses obsessions scolaires.
–       Calme toi, veux-tu ? Je te rappelle que ta mère est aussi ma fille et qu’elle a sans doute de qui tenir. En fait je te propose une collaboration. Je n’ai pas encore rédigé le mode d’emploi de la machine à tuer le temps. Alors moi, je t’explique comment la faire fonctionner, et toi, tu rédiges la notice, étape par étape. Nous vérifions ensemble que tout fonctionne. Et d’une pierre deux coups : le mode d’emploi sert aussi de dictée. Qu’en penses-tu ?
–       Oui, trop stylé…mais si je fais des fautes en écrivant ?
–       Eh bien je te les signalerai en relisant. toutefois sans les corriger obligatoirement. As-tu déjà lu un mode d’emploi d’un appareil quelconque  qui soit exempt de fautes d’orthographe ou de syntaxe, sans parler des contre-sens de traduction ? On ne va pas innover dans ce domaine, cela pourrait déstabiliser les utilisateurs !

 

Il était temps de se mettre au travail.

 

MODE D’EMPLOI DE LA MACHINE A TUER LE TEMPS

 

1-    Par mesure de sécurité, la machine a été désactivée avant son envoi. Il s’agit d’un temps mort, analogue à celui demandé par le coach d’une équipe de basketball en mauvaise posture durant un match. Pour la mettre en service, retirez la montre que vous portez au poignet et posez la sur la boîte noire : un détecteur de fréquence intégré dans la boîte mettra en résonnance les deux mouvements, soit avec l’échappement si la montre est mécanique, soit avec la vibration du cristal si la montre est à quartz. (Faites attention à utiliser une montre suisse pour assurer l’initialisation et la mise à l’heure de la machine. Le fabricant n’assumera aucune garantie dans le cas contraire, restons sérieux).

2-    Une fois la machine activée, récupérez votre montre et ouvrez la boîte en appuyant sur la pointe de la flèche lumineuse apparaissant sur le couvercle.  Attention : le temps est une notion vectorielle, cette machine se bloquera si on tente de retourner vers le passé. Il existe un dispositif spécial pour remonter le temps, non fourni avec cet équipement  standard et déconseillé par le fabricant : en cas de blocage, la machine ne sera ni reprise ni échangée.

3-    Avant de programmer une durée d’utilisation, il faut encore régler l’intensité requise pour le traitement, soit l’indice de relativité du temps en tournant le bouton rouge placé au fond de la boîte sur la position de ressenti du patient à traiter : déplaisir – lassitude – désoeuvrement – mélancolie – ennui –  déprime – dépression.

 

Je remarquai que mon petit-fils posait son crayon en soupirant, comme découragé.

–       Alors Arthur, on fait grève ?
–       Non, mais je ne comprends rien à ce bouton rouge.
–       Pourtant il ne faut pas être Einstein pour saisir cette notion de relativité. Tiens, par exemple, combien dure un cours en classe et combien la récréation ?
–       Cela n’a pas changé depuis ton époque je suppose, 45 minutes et 15 minutes.
–       Et ces minutes respectives ont-elles pour toi la même durée ?
–       Bien sûr que non, celles de la récré passent beaucoup plus vite !
–       Pourtant tu sais bien qu’une minute vaut toujours 60 secondes et que la seconde est une unité de référence immuable. C’est toi qui ressens le temps qui passe selon ton humeur et ton intérêt du moment.

Arthur émit un bref sifflement:

–       Stop, c’est la mi-temps,  j’ai un peu mal à la tête là…et aussi une petite faim.
–       Vas donc au jardin voir si j’y suis et jouer un moment avec Tessa qui donne aussi des signes d’impatience en grattant à la porte.  De mon côté, je prépare un casse-croûte en vous attendant.

Il sonnait midi quand les deux compères rentrèrent, souriants et essoufflés.

–       Enfin, vous avez en avez mis du temps, remarquai-je.
–       Au dehors, on ne le voit pas passer.  A table, on va le rattraper vite fait, regarde comment, rétorqua mon petit-fils en engloutissant un sandwich que je m’apprêtait à couper en deux.
–       N’exagérons rien et mange proprement, il nous reste du temps pour achever la notice.

 

SUITE ET FIN DU MODE D’EMPLOI DE LA MACHINE A TUER LE TEMPS

 

4– Si vous avez bien suivi les instructions précédentes, il est inutile de programmer un temps d’utilisation, la machine le trouvera d’elle-même sur la base  de la position choisie pour le bouton rouge : mine de rien elle est plus intelligente que l’utilisateur. Appuyez alors sur la touche verte START AUTO. Et c’est parti !

5–  Si vous pensez être le plus malin malgré tout ou que vous n’avez qu’une confiance limitée dans les technologies actuelles, choisissez la touche jaune et taper le temps qui vous convient, puis ré-appuyez sur la touche jaune. La machine démarrera si elle le veut bien, cela risque de prendre un temps supplémentaire !

6– Si vous n’avez aucune confiance dans le fonctionnement de la machine, refermez simplement le couvercle de la boîte et ne perdez plus votre temps. Par contre, vous aurez perdu l’argent correspondant à votre achat ; comme le temps c’est de l’argent, et réciproquement, vous ne tarderez pas à comprendre que pour tuer le temps il vaut mieux se prendre en charge et ne compter que sur soi-même. Essayez donc la lecture ou même l’écriture : il existe des sites pour cela !

Commentaires (2)

Frank Desco
04.02.2022

Merci, la super idée c'était surtout d'avoir proposé ce nouvel atelier et le thème de la machine à tuer le temps, d'où le petit clin d'oeil de remerciement au site...

Starben CASE
04.02.2022

Chouette d'avoir imaginé une complicité entre un grand-père et son petit-fils (et Tessa) pour rédiger le mode d'emploi. C'est même une super idée de faire rédiger ce texte à des enfants ou adolescents... pour passer le temp. Et le coup du temps relatif de la récré, parfait exemple! :-)

Laisser un commentaire

Vous devez vous connecter pour laisser un commentaire