Créé le: 16.09.2014
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Tu ne mourras jamais
Trêve de discours superflus, inutiles, irréalistes et dégoutants. Assez de ces chansons, assez de ces éloges. Ce mot n’est que souffrances issues d’un volcan de colère. Un « magma » sans jet « g » alimenté de haine « n » : Maman.
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Tu ne mourras jamais
« Trêve de discours superflus, inutiles, irréalistes et dégoûtants. Assez de ces chansons, assez de ces éloges. Ce mot n’est que souffrances issues d’un volcan de colère. Un « magma » sans jet « g » alimenté de haine « n » : Maman.
Elle était souvent là, assise, à coudre, à bricoler, à écrire, mettant la radio à fond en écoutant des musiques assourdissantes. Le téléphone sonnait, sa voix aigüe sciait mes tympans en m’appelant. Jamais je n’avais autant détesté mon prénom. Je faisais semblant de ne pas l’avoir entendu. Je continuais ma lecture.
Aujourd’hui, je suis assise dans la salle d’embarquement. Je lis « Lettre à ma mère » de Simenon, un livre que j’avais gardé pour cette occasion si particulière. Je relève la tête, de temps en temps, pour renouer le contact avec cet environnement trop agité, pour découvrir un détail de plus dans cet endroit qui m’est si redoutable et familier. Un enfer pour une personne comme moi qui traîne un passé qui l’horrifie. Cet endroit est le lieu où subitement jaillissent mes souvenirs, replongeant le couteau dans les plaies.
Il y a quelques heures, j’appris sa mort.
L’humain en moi est triste pour le mari qui a perdu sa femme, la fille qui a perdu sa mère, la mère qui a perdu sa fille, les proches qui ont perdu leur sœur, cousine, tante, amie…
Mais moi, je ne suis aucunement triste pour moi, ni pour toutes les autres personnes. Peut-être même me sens-je soulagée, avec un énorme poids en moins. Dorénavant, je pourrais me délecter de la vie sans sa présence, je n’aurai plus à faire semblant de l’aimer ou de l’apprécier. Quand on me parlera de ma mère, je n’aurai plus qu’à dire qu’elle est morte, pour taire ces voix qui chantent la maternité. Et quand je me sentirai seule, elle aura l’excuse d’être six pieds sous terre et, seulement à cet instant peut-être, je cesserai de la détester chaque jour davantage. Mais avant, il me reste un dernier spectacle à présenter. Et celui-là, je le jouerai en solo, sans mon binôme avec qui depuis 19 ans, nous avons créé auprès de tous les gens qui nous entourent l’illusion d’un amour mère-fille unique et l’image d’une complicité sans pareille. A ce jeu-là, nous étions les plus fortes. Aujourd’hui et les jours qui viendront, je ferai en sorte de nous préserver cette réputation qu’on s’est forgées en gardant secret notre incroyable talent de comédiennes.
J’essaye de ne pas y penser, j’improviserai comme on l’a toujours fait. J’accueillerai les bras de mes tantes, enlacerai ma grand-mère, écouterai les gens pleurer hypocritement à chaudes larmes dénonçant cette mort qui s’est abattue injustement, oubliant que mourir est une partie de la vie. Ils se battront pour raconter à quel point ils étaient proches d’elle et ils sont atteints par son décès. Ils l’innocenteront de tous ses péchés, lui pardonneront ses erreurs, lui oublieront son caractère ingrat, quitte à en faire une super héroïne et une grosse perte pour l’humanité. Je les remercierai pour leurs présences, recevrai leurs sincères condoléances et leurs compassions à ma “profonde douleur” comme ils le diront!
Comment est-elle morte ? On ne m’a rien raconté. On m’a juste dit de prendre le premier billet et de rentrer. Je parie qu’elle s’est enfin décidée à se suicider portant ses remords sur la catastrophe qu’elle a mise au monde : moi. Moi, la pire chose qui lui soit arrivée, la cause de ses malheurs, la fille sans reconnaissance qui la déteste pour aucune raison… Aucune raison, dit-elle ?!
Après ses innombrables tentatives, il était bien temps. Même si je regrette encore ce jour où je n’ai pas enfoncé ce couteau que je tenais dans la main, si près d’elle. Ce même jour où elle ne m’avait pas cru quand je lui avais confié, effrayée, que son frère m’avait violée. J’avais 15 ans encore, ils étaient tous ivres, il était rentré dans ma chambre, il m’avait embrassé. A peine si j’arrivais à prononcer des « non ». Je lisais à travers ses yeux un désir que moi-même je n’avais encore jamais connu. Son plaisir se fondait dans ma douleur, son repos, ma fatigue, sa joie et ma tristesse. Puis vint la délivrance ressemblant à son aboutissement et à ma mort : mon sang traçait sur ses doigts et sur mes draps le souvenir de ma première fois. Ou une fois encore, j’étais plus jeune, elle s’était moquée de moi car j’avais demandé auprès d’elle un conseil, ma poitrine bourgeonnant, pour acheter des soutiens-gorges. Le soir, elle m’avait offert un 100D. J’avais écrasé une douzaine de comprimés que j’avais mélangé à un gâteau au chocolat. Aucun effet sur elle, grasse comme elle est, cela ne m’étonne plus quand j’y repense aujourd’hui.
Un de mes plus anciens souvenirs remonte au jour où elle m’avait obligé à m’asseoir et s’était amusé à me couper horriblement les cheveux. « A la lionne », disait-elle, ou plutôt était-ce elle la prédatrice? Mes premiers mots le lendemain étaient : maman est une connasse. Je n’avais que 5 ans encore.
Avec ma mère, on ne s’est jamais aimé. On se le disait même. Au moment où d’autres mères narraient passionnellement les prouesses de leurs enfants, elle me racontait comment elle s’amusait à faire semblant de ne pas m’entendre pleurer la nuit. Elle me confiait son refus de m’allaiter, son absence permanente de la maison. D’ailleurs, tous mes souvenirs d’enfance sont avec mon père. Les après-midis au parc avec la balade dans le petit train et la glace au retour. On avait nos chansons à nous, nos propres délires et programmes de soirées. Quand elle s’incrustait, nos séries télévisées n’étaient pas à son goût, les matchs de foot lui faisaient mal au crâne, nos jeux l’emmerdaient et l’ennuyaient. Et cela, jusqu’à ce que je sois devenue plus grande, jusqu’à aujourd’hui. Enfin non, aujourd’hui elle est entrain de croupir. Jusqu’à récemment, dirais-je, où elle continuait à trouver nos études de fonctions absurdes, et nos discussions inutiles.
Il suffisait de s’attarder un peu sur les yeux de mon père pour voir à quel point il était malheureux. Des fois, ils luisaient de fierté, pour moi, puis ils s’éteignaient.
Pour mon père, j’ai toujours chéri ma vie car, si je mourrais, j’aurais honte de ses larmes.
Jamais, je n’avais compris pourquoi ils s’étaient mariés. Petite, j’étais persuadée qu’elle lui avait jeté un sort, ou qu’au début de leur rencontre, elle s’était transformée en une jolie femme intègre le temps de le charmer. Puis, au fur et à mesure que je grandissais, je commençais à supposer un mariage arrangé ou « pour sauver l’honneur », comme on dit chez moi. Tout cela pour ne pas admettre la possibilité qu’un jour ils se sont aimés, qu’un jour ils ont pu former « un », qu’un jour mon père a pu être amoureux de cette calamité!
Malheureusement, il y a 5 ans, j’ai été contrainte à me rendre à ce scénario-ci. C’était un dimanche ennuyeux et pluvieux, j’avais descendu du haut du placard une boîte qui avait tout le temps attiré ma curiosité. Je l’ouvris. La boîte était pleine de lettres et de cartes postales. Au hasard, j’en lisais quelques unes. J’avais soif de curiosité, je voulais toutes les lire. J’avais, avant d’entamer ma lecture, classé les courriers par noms et dates. Des poèmes de papa, aux lettres de son ex-mari écrites en sang, passant par les petits mots envoyés par ses amants, je ne pouvais qu’imaginer les larmes de désir et de souffrance cachées derrière les mots joliment tracés par des cœurs d’amour épris et affligés. De ces lettres, on devinait leurs échanges ainsi que la cruauté et la nonchalance de cette grande coupable de tourments passionnels.
Jamais je n’avais ressenti autant de haine, de dégoût, de compassion et de désolation…
Elle est morte ! Elle est morte ! Ma mère est morte !
Ce mot qui signifie en ma langue natale l’amertume.
N’est-ce pas le goût qu’elle donnait à ma vie ? A nos vies papa et moi ?
Aujourd’hui elle n’est plus. Et demain, papa et moi pourrions enfin reprendre nos vieilles habitudes et reconstruire un futur juste comme il nous plairait. Nous marcherons main dans la main tels deux arcs-en ciel. Le soleil se relèvera pour lui chassant l’obscurité qui a longtemps habité ses yeux. Il renaîtra tel un ancien oublié du bagne de Tazmamart. Et tous les deux, on cassera une à une les chaînes qui l’ont, pendant 19 ans, étouffé au nom de l’amour, de l’attachement et d’une institution qui unit les gens autant pour le pire que pour le meilleur.
Je serai à lui ce que l’artiste est à une toile et je redonnerai couleurs à sa vie.
Je serai à lui ce que les arômes sont aux papilles et je lui redonnerai goût à la vie…
J’attends toujours d’embarquer. Autour de moi, il y a beaucoup de bruits: Tous ces gens et tous ces enfants qui sont excités de voyager dans cet avion qui en traversant la méditerranée me fait chavirer entre mes deux vies. Celle que j’ai lâchement abandonnée il y a deux ans et celle que j’ai construite pour être loin d’elle.
Que le temps s’arrête, que ces bruits muent !
Aujourd’hui est un jour nouveau, aujourd’hui est une renaissance, aujourd’hui sera un jour que j’inscrirai premier dans mon calendrier du bonheur.
Brusquement comme me sortant d’un rêve, quelque chose a trébuché contre mon pied. Je sursaute. J’entends un pleur d’enfant. Avec beaucoup de mal j’arrive à ouvrir mes yeux, mes paupières sont d’une telle lourdeur. Un poids pèse sur tout mon corps m’enfonçant dans le siège où je me suis assoupie pendant je ne sais combien de temps. Je devine mon visage pâle, mes lèvres collées, mes mains moites. Je baisse mes yeux, je regarde mon doigt qui marque une page d’un recueil de Nizar Kabbani, je l’ouvre …
« Mon père » est le nom du poème. Il commence par ces deux vers :
« Ton père, est-il mort ?
Non, mon père à moi ne meurt jamais »
La vue de ces quelques mots a suffi à me sortir de mon rêve et à me rappeler le cauchemar qu’est devenue ma réalité à cet instant et au-delà.
Depuis ton départ, je n’ai pas cherché à avoir ni de ses nouvelles ni de qui que ce soient d’autres. Je ne voulais voir personne. Je refusais de voir des larmes couler pour ta disparition, je me défendais de voir des yeux tristes, des âmes peinées, des sourires réprimés, des cœurs attristés et affligés par ta perte. Tous les deux avions toujours cru en la continuité de la vie, tous les deux critiquions ces attitudes que nous trouvions absurdes.
Quand il y a un an j’ai reçu un coup de fil m’annonçant que tu étais parti, et je n’avais eu de force que de fuir, et de partir aussi. « Déparentée », sans toi, je m’étais envolée vers un pays dont je venais de découvrir l’existence à peine quelques heures avant mon envol et où je suis installée jusqu’à ce jour.
Papa, le gros chagrin suivant ton décès m’a donné la force de créer un nouveau départ. Il m’a aussi donné le courage d’écrire ce premier chapitre d’un nouveau roman qu’est ma vie actuelle, et également, de faire la résolution de renaître et profiter pleinement d’une vie que je continuerai à vivre un peu pour toi, d’une vie que je n’avais jamais imaginée sans toi et d’un présent auquel je n’avais jamais songé.
Aujourd’hui et pour la première fois, j’arrive à parler de tout cela. Cela fait un moment que je voulais écrire mais je n’y arrivais pas. Aujourd’hui, avec quelques difficultés, j‘ai enfin pu me libérer de ce passé et me concilier avec. J’ai aussi pu placer des mots sur mes maux et reconnaître les différents sentiments et émotions.
Je t’écris de la salle d’attente de l’aéroport. J’attends l’arrivée d’un amour que j’avais dû abandonner comme toi et tant d’autres choses dans le pays de mon enfance. J’aurais aimé que tu voies à quel point, avec lui, je suis heureuse et amoureuse. J’aurai voulu que tu sois là aussi pour que je puisse enfin être comblée dans cette vie…
Papa, ton absence demeure éloquente et l’espoir de me retrouver un jour seulement avec toi perdu, mais sans doute es-tu là quelque part, juste à côté… Sans doute oui… Car mon père à moi ne meurt jamais… Car tu ne mourras jamais… Et pour toi, mon papa, je continuerai encore à chérir ma vie. Et un peu pour toi aussi je continuerai à la vivre.
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Webstory
14.05.2016
"Tu ne mourras jamais" a gagné le Prix du Public du concours Webstory 2014. Il fera partie des textes publiés dans le prochain livre Webstory II, parution en 2016.
Webstory
03.05.2015
Faites des liens sur Webstory: Histoires de pères, voir aussi: "Il est tombé" de webwriter Premium © Starben Case
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