Chapitre 1

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tropisme 1. (Bio.) Réaction d’orientation ou de locomotion 2. (Psycho.) Inclination irrésistible, réflexe 3. (Fig.) Orientation des idées En littérature, une force obscure, inconsciente qui pousse à agir d'une certaine façon (Gide). Sentiment fugace, bref, intense mais inexpliqué (Sarraute).
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31/8/21

 

Je hais les verbiages et les orateurs. Et par là même, je te hais, toi. Ou plutôt je te haïssais ; mais je t’ai pardonné. J’ai pardonné à cette part de moi qui m’a houspillée, dénigrée, méprisée, qui m’a acculée dans la honte, à grand coups de discours ô combien éloquents mais fallacieux, fourbes, fielleux. Oui, et ce pardon est ma plus grande victoire : je sais désormais m’aimer, et tu n’as plus d’emprise sur moi. L’Amour. Je suis sobre, libre, et prête à redécouvrir le monde, de toute mon âme, de tout mon corps et de tout mon cœur, tous enfin ressoudés après des années de perdition. Demain je me marie avec moi-même. Tu as failli gagner cependant. De toutes tes méchancetés, ce sont celles qui m’assénaient que j’étais indigne d’être aimée qui furent les plus dures à surmonter. Trop prétentieuse ; trop paresseuse ; trop dilettante. Trop grosse ou trop maigre ; trop sophistiquée ou trop nature ; trop exigeante ou trop libidineuse. Trop tout, toujours et encore. Trop post-moderne ; trop new-age, avec toute ma « littérature » de développement personnel, sensée contrecarrer toutes ces prophéties auto-réalisatrices. Haha. Et pourtant j’y ai cru, un temps, à toutes ces petites formules péremptoires et assassines. Je vais être publiée. Qui l’aurait cru ? Pas toi. Toujours à me ressasser mes défauts et mes manies. Ma condescendance, ma vanité intellectuelle. Mon faible pour coucher sur le papier des mots d’une plume trempée dans l’éthylisme de mon encrier. Ou pour coucher tout court, salope.

 

Ah tu vois, tu recommences ; bien essayé ! Mais ça aussi c’est fini, il n’y en a plus qu’un avec qui j’ai envie de partager cette délicieuse volupté. Et il reviendra tu verras, cette absence n’est que temporaire ; notre complicité reste entière, il ne pourra pas se passer de moi encore bien longtemps. Non, il restait dans ton giron parce que tu lui laissais faire tout ce qu’il voulait avec ton corps. Et avec ceux de tes petites copines que tu as mêlées à cette histoire. T’as aucune dignité ma pauvre fille. Et quand t’as essayé de faire semblant de ne rien ressentir – pour qu’il se lasse ! – lors de ces petits jeux infects et sadiques (7ème cercle, 3ème giron), tu n’as fait qu’alimenter le processus. Tu voulais une histoire genre Solal et Adrienne, mais en plus gore? Bravo, c’est un échec très réussi. Lui, il a fait le tour de la question, puis il est allé rejoindre sa femme et ses gosses et tu ne le reverras plus, le professeur beau parleur, tu le sais aussi bien que moi.

 

Je te l’accorde. Je sais bien que je dois y renoncer aussi, et que de toute façon ça aurait été difficile, j’ai toujours senti qu’il ne me pardonnait pas ni ma basse extraction ni d’être faiblement diplômée ; mais qu’y puis-je ? Et d’ailleurs, même fille d’un ouvrier et d’une institutrice de campagne, j’ai quand même pu gravir quelques échelons. La première de la famille à l’université. J’ai obtenu la reconnaissance de mes pairs. Quelle blague ! Ton « extraction » ? Tu t’imagines tellement victime du syndrome de l’imposteur que tu dirais n’importe quoi pour réduire la dissonance cognitive. Franchement, va te faire psychanalyser, t’es juste capable d’enfiler cuistrerie sur cuistrerie au milieu de tes lieux communs… Et publiée, toi ? Tu te prends pour qui avec ton style pourri et tes échecs académiques à répétition ? Anaïs Nin ? Virginia Woolf ? Nathalie Sarraute ?? T’es tout juste bonne à retaper les PV lors des réunions de ta petite association d’alcooliques qui s’ignorent, avant de te prendre une faciale en fin de soirée de la part des deux ou trois légumes capables de rivaliser avec ta descente.

 

Je suis moi et ça me suffit ! Toutes ces pensées, elles parlent de toi et uniquement de toi. Bien sûr que non pauvre idiote, je suis une part indivisible de toi et je suis toujours bien là, prête à jaillir à chaque velléité de changement, à chaque tentative d’évolution, toutes plus pitoyables les unes que les autres. Par exemple, tu veux que je te parle de ta dernière trouvaille ? Rebaptiser les chats que t’avais adopté avec l’autre tarée – une perverse de plus à ton tableau de chasse d’ailleurs – suite à votre rupture fracassante le printemps dernier. Comme quoi cela signerait l’énième aube d’une période nouvelle, l’entame d’une nouvelle page dans le grand livre de ta vie terrestre. Et que ta période « Shakespearienne » arrivait à son terme. Fiente de baleine ! Tu sais quoi ? Phobos, Deimos, et Thanatos, c’est pas des noms pour des chats, et c’est certainement pas mieux que Iago, Othello et Titus. Même là t’es obligée de faire dans le kitsch.

 

Je le répète, cette fois c’est la bonne. Tout ça c’est arrivé, effectivement. C’est arrivé, mais sans que je ne me l’explique. Rien ne l’explique, et encore moins ne le justifie. Ni l’inceste et les maltraitances ; puis, ni le viol et les dépendances. Comment cela se pourrait-il ? C’est à peine si j’étais présente. Je n’étais qu’un pâle témoin, vaporeuse figure flottant en dessus de mon corps froid et presque immobile. Presque pas moi au fond, que l’apparence. Donc, c’est juste des choix que j’ai fait, et ces choix je peux les refaire pour mon futur ; et je choisis la vie. Et tu n’arriveras plus à me faire culpabiliser. Et je n’ai plus honte, je ne subirai plus jamais cette double peine, je m’y refuse. Et c’est assez pour ce soir. Je t’ai pardonné mais je n’oublie pas ; je conclurai demain pour te renvoyer à ta ridicule pseudo-existence. Car la mienne n’est pas consubstantielle à la déliquescence dont tu m’affubles, et ta participation est désormais inutile ; tu verras bien.

 

 

1/09/21

Tu avais tort hier soir ; aujourd’hui je lui ai envoyé un court message, prétextant un urgent besoin de récupérer un recueil que je ne retrouve plus et qu’il me semblait lui avoir prêté. Il m’a répondu rapidement et cordialement, et m’a demandé ce que je faisais ce soir. Nous allons nous voir pour prendre un verre. Je sais ce que je fais, c’est juste pour voir. Je ne me laisserai pas entraîner dans une nouvelle histoire passionnelle avec lui, ça me ferait trop mal de te donner raison. De toute façon tout ça ne te concerne plus, je te dis donc adieu.

 

 

 

 

 

 

 

15/9/21

…Et merde. Je t’écris tant que je peux encore pour te dire… Je te hais. Tu as gagné, et je te hais. J’ai avalé le contenu de deux tubes, avec la dose que j’en tiens, ça ne sera plus très long. Septième cercle, troisième giron. Je ferai un stop au deuxième, je serai peut-être un peu en retard. A tout à l’heure.

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