Comment une mère peut-elle oublier l'anniversaire des vingt ans de son fils? Qu'est-ce qui la rendue si "froide"
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Souffrance commémorative.

Mon amour, fête ses vingt ans aujourd’hui.
Ce matin, il est parti de chez lui et personne n’a rien dit.
On n’exprime pas ce genre de sentiment dans sa famille.
J’avais un paquet cadeau et le lui ai donné. Il y a beaucoup d’émotions dans les remerciements de Luc.
Nous décidons d’aller manger une glace au bord du lac, là où nous nous sommes rencontrés. À quelques rues de notre but de balade, nous voyons une dame approcher. Luc pâlit. La dame d’un certain âge marche en face de nous s’arrête :
– Que fais-tu là Luc ?
Pas de bisou, pas de bon anniversaire ! sa voix est froide, dure, tranchante.
– On va manger une glace, tu viens avec nous ?
Se tournant vers moi :
– Je te présente ma mère. Maman voilà Line, mon amie.
Elle me jauge, son avis semble être fait quant à ma personne. Je deviens invisible.
– Juste une boule vanille tu sais que je n’aime pas tellement les glaces ! dit-elle à son fils.
Et pendant cinq bonnes minutes elle explique à ce dernier qu’elle va chez la tante Sophie et…blablabla !
Elle me tourne le dos. Donc je n’écoute plus. Jusqu’au moment où j’entends la voix de Luc qui s’élève :
– J’ai vingt ans aujourd’hui et ce soir je fais ce qu’il me plait ! Et non, je ne viens pas avec toi à la messe.
– Tu as vingt ans, et puis ? Je suis ta mère quand même, et si je te demande de m’accompagner tu peux le faire, non ?
– Non. D’ailleurs je suis invité chez Line. Pour souffler mes vingt bougies !
– Bien. Si tu le vois ainsi…alors tu peux aller t’installer chez ta copine. Bonne soirée.
Sans un mot de plus cette femme est partie, tournant aussi le dos à son fils.
– Elle est toujours aussi dure ta maman ? Tu ne lui as pas dit que nous étions ensemble ?
– Non, elle rêve que je sorte avec une fille de l’église. Mais c’est avec toi que je veux être Line.
Quelques jours plus tard, je me balade dans les magasins avec une amie. On essaie plein de trucs, des robes, des t-shirts, des chaussures, sans rien acheter bien sûr ! Juste qu’on se marre un peu !
Quand je vois soudain la mère de Luc se diriger en direction du rayon des jouets. Elle regarde à droite puis à gauche comme pour être certaine que personne ne la connait, ou comme si elle craignait quelque chose. Elle semble minuscule dans une robe noire. La mégère a disparu. Elle fait presque pitié. On dirait un petit oiseau qui se méfie d’un méchant corbeau. Pas une once d’arrogance.
Je retiens mon amie par sa manche et lui dit :
– C’est la mère de Luc. Qu’est-ce qu’elle fout ici ? Regarde comme cette harpie qui vient de mettre son fils à la porte semble désemparée. Que se passe-t-il ?
– Tu veux que je filme avec mon portable ?
– Ouais… ce serait peut-être… intéressant ! Super.
La future belle-doche s’approche à pas de moineaux de la vendeuse du rayon une belle femme brune aux yeux foncés, bien bronzée qui porte un petit foulard très coloré autour de son cou.
Avec humilité la mère de mon ami tend un petit paquet cadeau à la jeune femme. Je n’en reviens pas ! Qui est cette gitane de service ? L’employée découvre d’abord cette femme en noir, puis voit le paquet, l’arrache des mains tendues et avec force elle le jette loin de là ! Puis faisant demi-tour, elle soulève très rapidement sa jupe, dévoilant son postérieur un court instant, elle fait encore un signe : fout le camp ! dégage !
– Tu as filmé ? demandais-je à mon amie
– Oui ! tout, c’est quoi ce bazar ?
– Je n’en sais rien, mais envoie moi ça ? Je le montrerais à Luc dans un moment de calme ! Il n’est pas bien en ce moment.
– Elle a passé où la vieille ? Ah là-bas regarde, elle semble s’enfuir.
– On essaie de la choper ?
– Oui, allez court !
C’est en bas l’escalier roulant que nos routes se recroisent.
– Bonjour, Madame, contente de vous voir. Je peux vous offrir un café ?
– Vous devez vous tromper, Mademoiselle, on ne se connait pas !
Elle semble avoir retrouvé son arrogance et file sans que j’aie eu le temps de contredire son oubli de ma petite personne !
– J’ai tout filmé me dit Suzanne, avec un grand sourire, je t’envoie le tout. !
Je suis en pétard, en rogne, en colère contre cette nana qui se moque de Luc.
Je l’étranglerais. Quelle femme ignore les vingt ans de son fils ?
29 février 2020 contre 29 février 2000… pas facile à oublier si on a un brin de jugeote ! Et peut-on vraiment oublier l’anniversaire d’un aîné de plus ?
Luc est triste depuis ce jour. Quand ma mère me parle avec tendresse, je le vois se fermer. Il joue à l’orvet, qui s’enroule autour d’un bâton plutôt que de parler.
J’essaye pourtant :
– Luc, mon chéri, veux-tu que nous allions ensemble dire bonjour à ta mère ?
– Surtout pas ! Qu’elle reste dans sa mouise !
– Tu ne crois pas qu’on pourrait l’aider ?
– L’aider à quoi ? À être méchante ? pas besoin de l’aider, elle sait faire ça toute seule et je m’en fous !
– Menteur… si tu veux qu’on en parle ?
Oh ! que je hais cette femme, et pourtant je la revois toute humble dans le magasin.
J’ai regardé vingt fois les vidéos de Suzanne. C’est incroyable comme les traits d’une personne peuvent changer selon ce qu’elle fait. Le bien et le mal personnifié.
– Luc, dis-je prenant mon courage à deux mains. Je voudrais te montrer quelque chose… qui va peut-être te blesser, ou t’aider. Je ne sais pas.
– C’est quoi ce secret me demande-t-il visiblement un peu inquiet.
Je lui raconte cette rencontre inopinée avec sa mère et lui dis que Suzanne a fait des vidéos.
– Montre-moi ça !
Il y a de la hargne qui pointe dans son ton. Je lui passe mon téléphone portable après avoir mis en route la vidéo concernée. Il regarde… blêmit ! j’ai peur soudain.
Voir ces images doit être tellement violent pour lui !
Ses mains se crispent et il remet la vidéo. Une fois, deux fois, dix fois, il devient de plus en plus blanc. Son nez est soudain fin et coupant tellement il respire fort. Je pose un bras sur son épaule, il sursaute, me regarde hagard, secoue la tête.
– C’est quoi ce bordel ? Dis-moi Line ? C’est quoi ?
Je suis émue de le voir ainsi, je ne sais plus si j’ai bien fait ou non, je voudrais le prendre dans mes bras…c’est ce que je fais. Il pleure à gros sanglots. Se calme enfin. Me regarde.
– Qu’en penses-tu ?
– Je ne sais pas Luc, vraiment !
Un long silence s’installe. Je le laisse dans ses pensées, me contentant de le tenir contre moi.
– Viens me dit-il soudain. Prends ton portable ! On y va !
– Où ?
– Chez mes parents, leur demander… !
Nous partons en bus. Dans la rue Luc marche vite, d’un pas plein de colère. Il ne regarde à aucun moment si je le suis.
– Luc, arrête-toi un instant s’il te plait.
– Pourquoi ? C’est déjà huit heures. Je veux les trouver tous à la maison ! Plus tard, mon frère ou ma sœur seront peut-être sortis. Je pense qu’eux aussi ont le droit de comprendre cette mascarade. !
– Mais prends juste un instant pour respirer et te calmer, je t’en prie ! Fais-le pour moi ! Je vais faire figure de délatrice et ils vont tous m’en vouloir ! Ou alors je ne t’accompagne pas ! Est-ce que tu veux voir ta famille seul ?
– Pardon ma Puce, excuse-moi. Je n’ai vu que cette femme que je ne connais pas sur la vidéo et j’oublie le plus important, je t’aime.
Nous arrivons chez les parents de Luc bras dessus, bras dessous. Toute la famille est à table et sirote des bières. Ils sont surpris de nous voir. Au moment où elle réalise que je suis là, la maman se crispe. Elle me dit à peine bonjour.
– Peut-on se mettre au salon ? J’ai quelque chose d’important à vous demander ? dit Luc.
– Si c’est la main de ta copine, c’est chez elle qu’il faut poser la question, plaisante le papa.
– Non, désolé, ce n’est pas aussi agréable, je crois !
Nous nous retrouvons assis sur le canapé et les fauteuils du salon, une table basse au centre. Tous regardent Luc sauf sa mère qui baisse la tête. Mains jointes sur les genoux. Elle semble prier. Pas un bruit. Je ne vois que des regards pleins de bulles de bd qui montrent à quel point tous se questionnent. Regards qui se croisent. Luc allume la télé, sort mon téléphone de sa poche, le branche sur la télévision.
Les mains de sa mère se crispent.
Il chercher ma vidéo dans mon portable…regarde sa mère.
– Maman, peux-tu nous expliquer cela s’il te plait dit-il en mettant l’image en fonction.
Six paires d’yeux sont fixées sur l’écran. Yeux qui s’arrondissent dès les premières images.
Visages qui pâlissent. Les mains de la maman se tordent maintenant. Elle souffre le martyre visiblement. Son regard se tourne vers moi, accusateur. J’ai honte et peur à la fois. Qu’ai-je fait ?
Elle se lève, me fixe de son regard noir. Il n’y a plus d’iris ou de pupilles, rien que du noir. Comme la bouche d’un fusil. Bien dirigé. Prêt à tirer !
– Pourquoi dit-elle, pourquoi ne m’as-tu pas demandé tout ça à moi et à moi seule avant de jeter toute cette histoire en pâture à des personnes qui méritent mieux.
Puis elle tombe assise sur le fauteuil dont elle vient de s’extraire. Les mains sur le visage, elle cache ses yeux. Le père a vieilli de dix ans. Sa tête appuyée en arrière sur le haut du dossier, ses yeux dans le vague. Le frère et la sœur d’un seul pas se dirigent vers la télé.
– On peut revoir ? Maman c’est qui cette femme mendiante ? Ta jumelle ? disent-ils en se tournant vers leur mère. Une femme que tu connais qui te ressemble à ce point ?
La curiosité, l’impatience, l’incertitude les font parler l’un et l’autre, demandant beaucoup de choses auxquelles ils ne croient pas ! C’est un pétard chinois qui a éclaté entre leurs jambes. Tamara ne bouge toujours pas. Absente. Loin de nous. Elle est toujours en apnée dans son fauteuil. Hans reste les yeux dans le vide.
Les jeunes s’activent autour de l’écran et regardent en boucle, cherchant un détail disculpant leur mère …ils ne trouvent pas !
Le temps est suspendu. La terre ne tourne plus. Les aiguilles de l’horloge neuchâteloise avancent en silence, oubliant d’émettre son tic-tac rassurant.
Puis Hugo et Paule, le frère et la sœur de Luc viennent vers moi.
– Tu as trouvé ça où ? me demande Hugo. Sur quel site.
– Pas sur un site. Je l’ai vu de mes propres yeux. En direct. Avant-hier. Chez Manor, je faisais les magasins avec une copine !
– Tu connaissais notre mère ?
– Oui, on l’a croisée le jour des vingt ans de Luc !
– Tamara ? C’est Hans qui parle.
– Oui !… Petite voix chevrotante.
– C’est vrai ? Tu as retrouvé cette fille ?
– Oui.
– Et ?
– Elle ne veut pas de moi !
– Pourquoi ?
– Elle dit qu’elle est mieux sans moi !
– Elle est où ?
– Ici, à Vevey ! Un jour, sur la terrasse d’un café, alors que je t’attendais Hans, j’ai vu cette belle femme au port de tête superbe, un foulard coloré sur les épaules. Je ne pouvais détacher son regard. J’avais sous les yeux la réplique de ma mère jeune ! mon cœur s’est mis à battre plus fort encore lorsque j’ai vu que la jeune femme portait à son petit doigt un tout petit cristal de roche…Bijou sans valeur, pour tout un chacun, mais si important pour moi.
Nous autres, les quatre jeunes, avons suivi de dialogue comme un match de tennis. Wawrinka…Federer…Wawrinka…Federer ! Coups aussi brefs que percutants. Et on n’y comprend rien.
– C’est possible de savoir ce qui ce passe demande Luc.
– Bon, ça va être long, dit Hans. Préparez-vous à vous mettre à la place de maman, qui a vécu un enfer il y a bien longtemps.
Tout en nous disant cela, il est allé s’asseoir sur l’accoudoir du fauteuil de sa femme et l’a attirée contre lui. Elle pleure. N’osant pas fixer ses enfants. Son attitude semble crier : pardon, pardon !
Nous voilà tous assis, un verre à la main et le père prend alors la parole.
D’une voie ferme il raconte …

Elle avait seize ans. Belle comme le sont les gitanes typées.
Des seins hauts dont elle était fière. Un regard de braise, des hanches déjà bien formées, rondes comme les courbes d’une belle guitare. Des mains qui savaient virevolter en dansant, des pieds qui frappaient juste par terre en rythmant le sol. Son oncle l’encourageait à danser. Sa mère tentait de l’en dissuader. Mais elle, elle aimait ça et comme une ado normale, elle n’en faisait qu’à sa tête.
Lorsqu’elle voyait les yeux des hommes s’allumer en la regardant tournoyer, elle se sentait vivre !
Mais un soir, ivre plus que de raison, son oncle l’a coincée derrière leur roulotte.
Elle s’est débattue, elle a crié. Personne n’est venu. Tous avaient vu le chef partir dans cette direction et on ne contrarie en aucun cas le pacha !
Et lui, l’oncle respecté n’a pas voulu entendre le non qu’elle émettait !
Après l’avoir giflée si fort qu’elle se retrouva à terre, il a remonté ses jupes, arraché sa culotte, défait sa ceinture en la menaçant de frapper si elle bougeait. Il l’a prise là, sur le terrain de la communauté gitane. Il a dit tout en cognant :
– Tu es belle, tu es bonne !
Il frappait, frappait encore, du plat de la main et des poings fermés. Elle a essayé de se laisser aller pour moins souffrir alors il l’a pénétrée avec force, la pilonnant, la déchirant dans sa plus profonde intimité. Il l’a laissée là, quasiment inconsciente, saignant et pleurant de douleur et de rage !
Son oncle ! le frère de sa mère !
Sa maman ne l’avait pas crue ou a fait semblant de ne pas la croire.
L’humeur de l’ado avait changé.
Sa gaité s’était envolée. Trois mois plus tard, elle a réalisé qu’elle était enceinte. Alors, ils l’avaient chassée du clan. Tous. Son oncle baissait les yeux, mais ne disait rien ! Pas un seul n’a fait le moindre geste lorsqu’elle a dû partir avec sa petite valise, quittant ainsi le cercle des caravanes. Pas un petit doigt n’avait bougé. Tamara était partie sans se retourner, le cœur cassé !
Elle a fui jusqu’à la grande ville, là où il y avait du monde, mais où personne ne se parle.
Un tronc de séquoia dans un parc public lui servit d’appuis nuit après nuit.
Le jour, elle tendait la main, assise sur le trottoir, jusqu’à ce qu’elle ait assez d’argent pour s’acheter un petit quelque chose à manger. Pas grand-chose. Dès que possible, elle filait se cacher. Ne plus voir les regards moqueurs. Son ventre s’arrondissait, les gens la regardaient avec pitié. Sale, cernée, les cheveux gras, le corps décharné, c’est l’image qu’elle renvoyait aux autres et la pitié n’était pas supportable, alors elle fermait ses yeux de braise, les intériorisant pour laisser juste un peu de lumière entrer en elle. Il ne faudrait pas que ce petit être qui bouge là-dedans ait peur dans le noir ! Elle haïssait son ventre en pensant qu’il s’arrondissait à cause de cet oncle abhorré, qui lui répugnait maintenant. Mais depuis quelques jours elle sentait cette vie. Cela l’avait ému, la touchait. Elle se sentait responsable de quelque chose de vivant ! Parfois la nuit elle parlait à l’enfant. Elle lui disait à quel point c’était lourd pour elle de le porter. Elle lui expliquait qu’elle ne pourrait pas le garder, comment ferait-elle pour vivre avec un petit agrippé à son sein ? Elle se sentait différente de tous. Plus sensible, plus susceptible. Un regard appuyé la faisait fuir. Toute question devenait embarrassante et potentiellement dangereuse, lui semblait-il !
Comme un animal qui cherche une tanière, elle tournait en rond dans les rues adjacentes et revenait toujours vers cet arbre qui lui redonnait un peu de courage. Tremblante elle appuyait son ventre lourd, mais vide de nourriture, contre cet ami qui la soutenait avec force. Mais elle n’était pas vraiment seule puisqu’il y a de la vie en elle, elle devait se battre. Elle n’avait pas le droit de prendre un couteau et de se le planter dans le ventre pour mourir. Elle se devait d’essayer de donner un peu de chance à ce petit être. Mais comment ? Peut-être qu’elle se serait jetée du haut du pont si elle ne sentait pas les coups de pied taper contre son bas ventre. Et malheureusement, ces petits soubresauts lui donnaient envie de faire pipi. Ce qui était très désagréable lorsqu’on n’habite nulle part.
C’est d’ailleurs aux toilettes qu’elle a rencontré une dame âgée, toute gênée d’être là, dans ce lieu public pas trop ragoûtant, mais qu’un urgent besoin avait obligée d’être là.
– Vous ne devriez pas venir ici ma Belle, ce n’est pas très hygiénique. Votre petit ne semble pas loin de mettre un pied dans notre monde.
Les larmes ont jailli des yeux de la jeune future mère… Impossible de retenir l’émotion qui montait en elle. Peut-être à cause de son état, peut-être à cause des hormones qui circulaient dans tout son corps, peut-être parce que cette femme était gentille avec elle.
Elle était soudain inconsolable.
– Je ne sais pas où aller, dit-elle dans un long sanglot. Je suis seule et je n’ai pas d’argent.
– Tu es désespérée. Tu permets que je te tutoie ?
Je vis seule dans une grande maison, et tu peux venir vivre chez moi quelque temps. Tu m’aideras un peu !
Depuis ce jour, Tamara habitait chez Monique, la vieille dame. Elle l’aidait à ne pas oublier ses médicaments lorsque c’était l’heure. Enlevait quelques mauvaises herbes ici ou là dans le jardin, faisait les courses avec elle.
– Il faudra trouver comment appeler ce petit dit Monique !
– Un prénom ? Je ne peux pas l’imaginer.
– On va trouver ensemble… quel mois va-t-il naitre ?
– Je pense en février ! L’angoisse perla aux coins des yeux de Tamara.
– Que penserais-tu de Sylvain si c’est un garçon ? Toi qui aimes les arbres !
– Ouais… pas mal ! Mais je ne veux pas d’un garçon. Les hommes sont des bêtes !
– Maya pour une fille ? proposa Monique
– Maya l’abeille… !
– Non, Maya signifie printemps chez les Celtes. Et ton enfant va naitre au début du printemps.
De plus en plus elles s’inquiétaient de l’après ! Monique chercha à la persuader de laisser l’enfant aux services sociaux.
– Beaucoup de couples désirent un enfant et ne peuvent en avoir. Les enfants sont pris en charge avec bienveillance. Ainsi tu pourrais recommencer ta vie et ne pas trop sentir le poids de ce moment atroce. Peut-être même, l’oublier ?
Le problème tournait dans la tête de Tamara. Et germait petit à petit.
La nuit de l’accouchement, c’est Monique qui est allée déposer l’enfant devant la maternité.
L’enfant avait un petit mot dans son couffin. : Je m’appelle Maya. Et aussi une petite bague en cristal de roche qui servait de boucle, comme un lien de serviette, à ce tout petit message. Un foulard très coloré recouvrait le jeune corps du bébé.
Jamais, elle n’avait pu oublier. Jamais elle n’avait pu se pardonner. Jamais sa gaité n’était revenue.

– Elle m’a rencontré quelques années plus tard. Moi, un yéniche. Pas un gitan. Mais elle appartenait de nouveau à un clan. Tamara a supporté avec beaucoup de difficulté de laisser son corps être touché à nouveau, et cela ne s’est pas amélioré lorsqu’elle fut enceinte. Encore moins après son accouchement. Nous avons eu trois enfants pour mon plus grand bonheur. Jamais elle n’a oublié avoir « abandonner » Maya. Jamais elle ne se l’est pardonné. Souvent, elle pleure la nuit. Elle ne veut pas me blesser. J’ai toujours respecté son chagrin.
Il y eut un long silence pesant puis Hans continua :
– Ce n’est pas la méchanceté d’un homme qui allait m’empêcher de l’aimer. Comme vous venez de le comprendre vous avez une demi-sœur, née en mille neuf cent nonante-deux, malheureusement le destin a décidé que ce soit le 29 février, comme Luc. Alors, à cette date, il y a plein de mauvais souvenirs qui remontent. Ce hasard a quelque peu gâché la relation de Tamara avec Luc. Et chaque année, elle s’en veut, s’en veut encore et toujours. Depuis deux ans Tamara essaie de renouer une relation avec Maya. J’ai essayé de l’en dissuader, pensant qu’elle allait se faire plus de mal encore. C’est cela que tu as vu Line. Nous aurions aimé te connaitre dans de meilleures conditions, tu sais ! Pour ma part je te remercie d’avoir involontairement crevé l’abcès qui devenait chaque année plus purulent.
Chacun digérait ce qu’il venant d’apprendre. En silence.
Tamara gardait ses mains sur son visage, on pouvait voir les sanglots secouer ses épaules.
Luc a été vers elle. Prenant fermement ses deux poignets, il les a approchés de son visage, les a baisés puis il dit :

– Tu es ma mère, tu as souffert tellement. Je t’aime. Nous sommes une famille, un clan et tu en es la déesse !

Grenouille verte.

Commentaires (2)

Starben CASE
24.11.2020

Paysages, dialogues, suspens... Une vraie histoire! J'ai aimé la description des personnages ancrés dans la réalité et qui se trouve devant une catastrophe qui semble de nature fantastique. Le décor et l'ambiance surnaturelle sont posés comme pour mettre en scène les relations complexes entre les humains. Bien mené!

Mouche
16.09.2020

Merci Denise pour cette belle histoire ! J'ai été décontenancée par quelques erreurs de ponctuation, mais tes personnages sont tellement touchants que je n'ai finalement eu aucun mal à les suivre. Bravo et gros bisous ! Muriel (qui est le nom sous lequel tu me connais...)

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