Créé le: 16.06.2022
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Ronce

Amour, Fiction, NouvelleDestinée 2022

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© 2022-2024 Horia Maes

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L'amour déçu de la dernière fille de la maison Boulainvilliers au XVIIIème siècle
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Ronce

« Dans la demeure des Boulainvilliers vivaient quatre jeunes filles, aussi belles que les premières roses du printemps. Ces quatre sœurs avaient vécu entourées depuis l’enfance de luxe et d’opulence, privilège réservé aux nobles. Dans cette France du XVIIIème siècle, ces quatre enfants étaient destinées à épouser un homme de leur condition, et ainsi passer le reste de leur vie à veiller sur leur foyer, à jouer et être sujette aux commérages, comme toutes les dames nobles qui se respectaient. Pour une femme de leur rang, rien ne valait une bonne rumeur grivoise sur l’une d’entre elle afin de se divertir. Que faire, lorsqu’on ne peut s’occuper ?

Elles auraient pu, j’en suis persuadé, vendre leur âme au diable dans l’espoir de résister au terrible fléau qui touchait toutes les femmes de la haute noblesse : l’ennui. Rien ne retient ces femmes.

Les quatre sœurs s’étaient résignées à un avenir sans éclat. Ou plutôt, trois sœurs : Charlotte, Rosalie et Françoise. Geneviève, la benjamine, avait eu la chance d’être choyée par son père. Au lieu du tuteur imposé à ses aînées, c’est monsieur le marquis lui-même qui lui enseigna tout ce qu’il savait. Il lui apprit bien entendu tout ce qu’une jeune fille devait savoir, qu’il s’agisse de littérature, d’art ou de langues. Mais également le maniement de l’épée, et l’équitation. Le marquis n’avait eu que des filles et il était trop tard pour lui d’espérer continuer sa lignée, son épouse étant trop âgée. Alors avec son dernier enfant, il cherchait à réaliser ce qu’il rêvait de faire avec un fils. Malgré tout, le vieux père n’oubliait pas qu’il s’agissait de sa fille et qu’un jour, à son tour, elle quitterait le domaine familial pour ne jamais revenir. Cette pensée lui brisait le cœur et il s’imaginait qu’il ne pourrait se résoudre à la laisser partir. Son enfant bien aimée, celle qui n’a cessé d’être à ses côtés depuis son retour de la guerre, sa préférée : Geneviève-Louise-Jeanne de Boulainvilliers.

L’enfant resplendissait tel un rayon de soleil dans cette demeure de campagne située à quelques kilomètres de Versailles. De toutes les sœurs, c’était elle la plus jolie, ses cheveux roux vénitien tombant en fines boucles sur ses frêles épaules. Son nez droit rappelait les statues des temples grecs tandis que ses lèvres roses auraient pu faire pâlir n’importe quelle fleur du jardin du château. Ses joues étaient si blanches et douces que quiconque se serait avisé à les effleurer les aurait égratignées. Ses mains étaient petites et ses doigts longs et fins rendaient magnifique et gracieux tout ce qu’elle touchait. Elle n’aimait guère s’empêtrer dans des robes à froufrous comme ses sœurs, le plus souvent elle se contentait d’une jupe et d’une chemise en velours portées sous un corset et un tablier en soie, ceux ci recouverts d’un manteau de robe. Elle pouvait ainsi être libre de ses mouvements et s’entraîner au sabre sans devoir porter la culotte. Elle aimait la liberté, galoper dans la forêt du domaine familiale sans escorte. Courir et se salir sans avoir à rendre de compte à personne, ni même à ses parents. Elle aimait sa vie, son bonheur, et pour rien au monde elle ne l’aurait échangé. Elle savait ce que lui réservait son futur, alors son désir ne se résumait qu’à une chose, profiter de la jeunesse libre et dorée offerte par son père.

Geneviève venait de fêter ses quatorze ans lorsqu’elle dû se rendre pour la première fois au château de Versailles. On y célébrait l’anniversaire du Dauphin. La jeune fille devait représenter la famille à la place de sa mère, malade, et de ses sœurs qui ne faisaient plus partie de la famille Boulainvilliers car elles étaient mariées. En tant que seule héritière du marquis et de la marquise, sa présence s’avérait requise au Palais. « Je refuse d’y mettre les pieds » s’entêtait-elle tous les jours, « je suis très bien là où je suis, père. Pourquoi me forcer à rencontrer ces courtisans qui ne pensent qu’à leur fortune et à leur rang ? Ne me laissez pas parmi ces loups avides et fourbes. Préservez mon innocence ! Je vous en prie ». Et le marquis de répondre à chaque fois la même sentence « Vous irez ma fille, ainsi l’a décidé votre père ! ». Jusqu’à la date fixée du séjour à Versailles, Geneviève espéra le convaincre,  en vain.  Alors, les yeux baissés, elle finit par s’incliner « Comme il vous plaira, j’obéirai ».

La missive envoyée par les émissaires du roi pour l’anniversaire indiquait qu’il s’agissait d’un bal masqué, et que tous les invités devaient s’apprêter de leurs plus beaux atours. Geneviève fut surprise, mais elle y vit une opportunité de se faire très mal remarquer et ainsi d’éviter de remettre les pieds à la cour. Alors qu’elle était plongée dans ses réflexions, quelqu’un frappa à la porte du château. La curiosité l’envahissant, comme à son habitude, elle sortit de sa chambre et descendit les escaliers aussi rapidement que lui permettaient ses jambes et se rendit au salon , là où les visiteurs étaient accueillis. Un peu essoufflée de cet effort, elle se jeta sur le canapé le plus proche et se mit à chercher l’inconnu des yeux. Un jeune homme d’environ 18 ans se tenait là, face à elle, le sourire aux lèvres. « Mes hommages, mademoiselle » dit il en s’adressant à  elle.

« Quel bonheur de contempler une si belle image en cette après midi ensoleillée. Permettez que je me présente ».
« Mais faites donc » répondit Geneviève, fasciné par ce garçon à l’allure princière et beau comme un Apollon. Il arborait des cheveux bruns et longs attachés à la mode de Versailles.
Je suis le Vicomte Nicolas de Vérac, ma famille s’est installée près de Paris il y a de cela deux ans. Je suis certes vicomte mais je peux prouver des titres de noblesse depuis six générations. Mon sang bleu est avéré, et je n’ai rien de méprisable. Je viens me montrer à vous en tant qu’ami. Je vous en prie mademoiselle, permettez moi de rester parmi votre entourage. Je vous le demande humblement. Après vous avoir aperçu aujourd’hui, je ne saurai plus détourner mon regard de votre personne. Je n’étais venu ici que pour une simple visite de courtoisie, mais il serait honteux de ma part de ne pas reconnaître une telle beauté lorsque j’en vois une. Pardonnez mon empressement, vous semblez gênée, loin de moi l’idée de vous offenser. Monsieur votre père est il là, puis je le rencontrer ?
Geneviève resta muette, elle ignorait tout. Elle ne savait que faire face à cette situation inédite et quelque peu incommodante. Elle était confuse devant cet homme élégant, et paraissait incapable de détourner son regard de lui. Son cœur battait à se rompre et ses mains tremblaient tant qu’elle les agrippa à sa robe pour ne rien laisser transparaître. « Père », hurla la jeune fille avant de se lever et quitter la pièce sans un mot. Elle retourna dans sa chambre aussi vite qu’elle en était sortit, ferma la porte et s’écroula sur le sol, toute égarée.

Geneviève se rendit au bal, où elle parut en homme, ayant revêtu toutes les parures du colonel d’un régiment de dragons, avec son masque pour cacher sa véritable identité. Le parfait inconnu qu’elle était retenait l’attention des invités, ainsi que des hôtes. En effet le roi, intrigué par cette apparition soudaine, se leva de son siège et tous cessèrent leurs activités, quelles qu’elles furent. Et pendant qu’il avançait, il fit s’écarter les courtisans de son passage pour atteindre le beau jeune homme qui se trouvait au milieu de la pièce. Cette dernière à la fois surprise et flattée, s’inclina devant sa majesté qui l’observait des pieds à la tête. Elle portait un habit rouge à revers bleus et un buffle blanc en-dessous, et en guise de bas une culotte de couleur chamois surmontée de guêtres de cuir noir. Elle était venue à une soirée mondaine habillée d’une manière non appropriée au vu des circonstances et cela signifiait une insulte envers le souverain. Pourtant, malgré cette provocation, le roi après l’avoir regardée n’en fut point offusqué. Au contraire, il se mit à rire si fort qu’il força les autres convives à s’esclaffer avec lui, et toute la salle commença à se tordre de rire. Les fous semblaient être de sortie, des mannequins se tenaient là, s’égosillant et se moquant d’elle à gorge déployée, montrant leurs dents déplacées, noires et pourries. Elle se camouflait derrière son masque à la vénitienne, de couleur dorée, décoré de minuscules pierres argentées autour des yeux et qui  laissait simplement voir ses lèvres, plus voluptueuses que toutes celles des femmes réunies dans la pièce. Geneviève se sentait rassurée dans son orgueil, car même habillée en homme, elle paraissait toujours aussi belle. Elle fit la révérence avec beaucoup de grâce. Elle s’apprêtait à passer son chemin lorsque le roi l’interpella, elle fit volte-face :

Vous êtes bien jolie mademoiselle, ce soir ! dit le souverain.
Je vous remercie votre majesté, répondit-elle spontanément avant de se rendre compte de son erreur.
Nous sommes bien aise de rencontrer une jeune personne si bien déguisée, qui trompe nos regards et attire notre attention. Votre nom ?
La jeune femme se sentit prise au piège, elle ne pouvait se dévoiler, mais mentir n’était pas une option.

Mon nom est Geneviève, votre majesté, de la maison de Boulainvilliers.
Et pourquoi cet accoutrement ?
J’ai cru comprendre qu’il s’agissait d’un bal masqué, majesté.
C’est exact, un bal masqué, ni plus ni moins.
Le roi fut soudain coupé par une voix à la fois douce et forte, venant de derrière. La reine prononça ces quelques mots qui mirent fin au malentendu.

Laissez donc cette jeune fille se joindre à nous dans ce costume de dragon, son acte nous rappellera à tous ce que nous avons perdu : le courage.
Le roi sembla surpris par les dires de son épouse, mais il dû se résoudre à abandonner la joute. La reine continua.

« Cette enfant montre à toutes les personnes ici présentes, en fourvoyant nos yeux, la ressemblance entre les deux sexes, et si un déguisement peut ébranler les mœurs, alors que chacun se travestisse. Voilà c’est dit. Et si quiconque dans cette assemblée cherche à l’importuner, il en répondra devant moi. »
Un froid venait d’être jeté dans la salle, tous restaient muets, même la principale intéressée ne savait quoi penser de l’intervention de la reine. Elle était d’abord venue pour jouer la comédie et les tromper, mais l’effet qu’elle avait produit à cause de cette plaisanterie la dépassait. La musique reprit et les courtisans retournèrent à leurs occupations comme si rien de tout cela ne s’était déroulé. Elle les regardait, ces gens avec un comportement de bête, cachés derrière un masque de civilisation, toujours prêts à étaler leur culture aux yeux des autres, essayant de prouver qu’ils valaient mieux que ceux à qui ils parlaient. Ces prétentieux disposés à se vendre en échange d’une faveur royale. Plus elle prenait conscience de cette superficialité, plus elle en vint à regretter de s’être finalement déplacée. Elle ferma les yeux, espérant se réveiller autre part que dans cette cage dorée où tous se trouvaient. Puis elle les rouvrit, lança un coup d’œil furtif à la reine qui la fixa à son tour, et s’en alla, écœurée.

Au petit matin, remise de la veille, elle revit le jeune vicomte, ainsi que les jours qui suivirent. Il venait avec des fleurs à la main en guise de présent, qu’il lui offrait sans mot dire avant de repartir aussi silencieux. Ce rituel dura presque deux semaines, et tous les jours il venait, lui donnait ses fleurs et lui déposait un baiser sur la main, puis rentrait chez lui. « C’est assez », souffla un beau jour Geneviève, « accompagnez moi donc, je vous ferais visiter les jardins de notre demeure. »

Le prétendant refusa poliment l’invitation et s’en retourna comme à son habitude.

Il revint le jour suivant, cette fois les mains vides, mais Geneviève l’attendait dans sa tenue d’équitation, deux chevaux à ses côtés. « Montez » ordonna t-elle. Le jeune homme s’exécuta et il s’en allèrent tous deux dans la forêt durant des heures. Je ne saurais dire de quoi ils pouvaient bien discuter, mais leurs ballades solitaires s’avérèrent fructueuses, puisqu’une année plus tard, le garçon se présenta devant monsieur le marquis afin de demander sa fille en mariage. À la fois réjouie et attristé de devoir laisser son enfant à un autre homme, à une autre famille, il hésita un instant. Mais il était déjà vieux et il voulait voir son dernier enfant se marier. Il décida de faire fi du rang inférieur du prétendant, seul lui importait le bonheur de sa fille. « Je  vous confie la prunelle de mes yeux, monsieur de Vérac, que vous soyez damné s’il lui arrive malheur ».

Le mariage se fit.

Le mariage fut triste. Le jeune homme élégant et raffiné qu’elle avait connu n’existait plus. Maintenant qu’elle était son épouse et qu’il était marquis, la pauvre fille ne possédait plus aucun atout. L’hymen consommé et son nom associé à celui des de Vérac, elle se retrouvait seule et perdue dans le vaste monde, parmi des gens inconnus, des gens qu’elle avait toute sa vie cherché à fuir, cloîtrée dans le domaine familiale. Mais le rêve se terminait. La demeure de son enfance avait été vendue afin de payer les dettes de son mari, qui d’ailleurs la délaissait. Sa mère qui se mourait lentement, Charlotte de l’autre côté du pays, Rosalie en Espagne et Françoise en Allemagne, qui la consolerait à part son père. Ce père qu’elle chérissait plus que tout et dont elle ne pouvait se passer sans pleurer chaque jour un peu plus. Ce père qui mourut cinq jours après la cérémonie, foudroyé par je ne sais quelle maladie. Finalement il ne lui restait que sa fortune, et moi, son domestique dévoué, Andras, qui jamais ne l’a quittée. Telle une ombre, j’ai toujours eu pour devoir de la protéger et de l’aider dans tout ce qu’elle entreprenait. Je ne critiquais pas, je ne faisais que conseiller sans oublier ma place et mon statut de roturier. Telle une ombre derrière la lumière.

Je voyais ma maîtresse souffrir  mais je n’avais pas le droit d’agir , elle seule disposait de ce  pouvoir afin de s’assurer un avenir radieux. Andras n’était qu’habilité à la soutenir ; Son privilège.

En se mariant elle avait tout abandonné, ses parents, son château, ses plaisirs, sa liberté. Pour ne voir chaque jour qui passait dans « le conseiller des glaces, que ses perles d’Iris se dessinant sur ses trônes de la pudeur» comme elle se plaisait à le dire. Son langage était peut être son dernier délice. Comment appelait-elle son mari déjà ? « Ce grippeminaud doublé d’un écornifleur ». Ce qu’elle me faisait rire. Malgré cette impression de résignation, elle préparait depuis longtemps sa revanche et sa seule échappatoire.

Alors, quatre ans plus tard, j’observai la scène sans mot dire quand Geneviève se réveilla de ce sombre cauchemar en mettant fin à sa peine.

Le 14 février 1789 dans la matinée.

Elle se leva et se rendit dans la cuisine se procurer un couteau, le plus aiguisé possible, avant de retourner dans la chambre conjugale. J’entendis Nicolas hurler de douleur puis plus rien. Je la vis redescendre les escaliers, les habits en sang mais le sourire aux lèvres. L’horreur laissa place à la beauté lorsque je devinai dans son regard la flamme de l’allégresse et de la délivrance (si ma maîtresse est heureuse alors je le suis aussi). Elle chancela et atterri dans mes bras. Mes habits furent tachés à leur tour, pourtant peu m’importait.

Je nettoyais le sol de la pièce où s’était déroulé le drame lorsque vous êtes arrivé afin de faire vos hommages hebdomadaires à madame.

« Pensez ce que vous voulez, monsieur le commissaire. Condamnez moi si vous le désirez, mais je la suivrai jusqu’à l’échafaud s’il le faut. Telle une ombre derrière la lumière. »

 

 

J’ai tiré la carte « L’Amoureux » qui m’a inspiré pour conter une histoire d’amour malheureuse.

Commentaires (2)

Webstory
24.06.2022

Merci Fabiolette pour l'appel... J'étais en vacances :-)

Fabiolette
16.06.2022

CHAPEAU BAS, Madame. Ça rejoint sans contredit le meilleur de Pascal Quignard («Tous les matins du monde»), et «L'enfant des lumières» de Françoise Chandernagor. Le grand lauréat du concours en lice semble tout trouvé. Mais il faudrait encore que ce texte puisse concourir dans la bonne catégorie. Avis à la Maîtresse des lieux, qui veille à tout.

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