Créé le: 01.09.2020
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Retrouvailles

Fiction

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© 2020-2024 Caroline Bench

Tous les deux se retrouvent par hasard dans un cimetière. Drôle de lieu pour une rencontre...
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RETROUVAILLES

C’est au carrefour du Rond-Point, entre la division 2 et 1 que nous nous sommes croisés. En deuil tous les deux, je venais d’enterrer mon voisin du quatrième (étage), et lui, son cousin du quinzième (arrondissement).

Ces deux enterrements – le même jour au même endroit – qui devaient sceller nos retrouvailles étaient le corollaire de deux décès étrangement similaires. En effet, dans les deux cas, il s’agissait de morts stupides (même si, cas exceptionnel, la mort est rarement intelligente).

***

Le voisin du quatrième était tranquillement en train de fumer une cigarette (une Parisienne achetée en Suisse),  accoudé à la balustrade de son balcon lorsqu’une pluie de chrysanthèmes (en pots)  s’abattit sur sa tête. Ce choc, allez comprendre, eut pour effet de le faire basculer dans le vide. Dans sa chute, le pauvre homme entraîna l’enseigne lumineuse de la pharmacie Aplat & Fils, sise quatre étages plus bas : une grosse croix verte triple fonction : horloge, thermomètre, calendrier. Ce petit détail eut d’ailleurs son importance puisqu’il permit à la police de connaître l’heure précise du décès : 22 heures 33 minutes 12 secondes. Il faisait 25° ce 26 mai ; une température bien au-dessus des normales de saison.

Le corps du pauvre homme, la croix verte triple fonction entre les jambes, fut retrouvé sur le trottoir par un curé de passage. Cette position vaguement christique fut pour l’ecclésiastique et quelques autres hommes compétents, l’objet d’une analyse sémiotique sérieuse dont nous vous livrons ici la conclusion : cet homme mort (qui de sa vie n’avait jamais eu ni Dieu, ni maître) méritait vraiment des funérailles religieuses. Et ce qui fut dit, fut fait. Quant à l’enquête scientifique menée ultérieurement afin de comprendre la chute inopinée des plantes, elle précisa ce dont on se doutait déjà. Il s’agissait bien des jardinières (en grès cérame, achetées au Perthus l’été précédent) du couple du septième qui, une fois encore, avaient fait les frais (et au passage le malheur de mon voisin) de leurs crises ménagères. Le mari ne supportant plus sa femme qui lui rappelait par moment sa mère ; l’épouse ne supportant plus son conjoint qui lui reprochait sans cesse de ne plus être ce qu’elle avait été. L’homme fut donc inculpé d’homicide involontaire et condamné à de la prison ferme, ce qui permit à l’épouse malheureuse (à toute chose malheur est bon), de souffler un peu.

***

Le cousin du XVème arrondissement connut quant à lui un sort tout aussi flamboyant. Couvreur de son état, il aurait pu, du temps de sa splendeur, mourir mille fois ; en perdant pied par exemple sur un toit en réfection, avant de s’offrir une dernière glissade récréative et finir en morceaux sur un massif de roses Paul Mac Cartney tout juste écloses.

Cette petite maladresse aurait été alors cataloguée de regrettable accident du travail, laissant  seule et veuve l’épouse dudit cousin avec un chagrin assorti de substantielles indemnités compensatrices, ce qui n’est pas négligeable.

Cependant, le cousin n’eut point l’élégance de mourir sur scène.

En effet, notre couvreur qui n’en était pas à une consonne près, devint surtout coureur, ce qui ne plut guère à Madame mais satisfit bien des femmes.

Et chaque semaine, inlassablement, ce v mis à l’index devenait celui de la victoire. Adepte du parachutisme, il appartenait au PCJJ (Parachute Club de Jouy-en-Josas) et pouvait s’enorgueillir de quelques figures époustouflantes. À l’entendre, cette perfection n’était pas le fruit du hasard mais plutôt l’aboutissement d’un entraînement physique intense, dont les préliminaires consistaient à s’envoyer en l’air dans un hangar désaffecté de l’aéro-club de Buc dans les Yvelines.

Son succès, il le devait aux hormones, il en était persuadé. La réponse de l’épouse, se sachant trahie, fut également hormonale.

Sur un point, au moins, ils étaient d’accord !

Et c’est à l’atelier couture de la MJC Mouffetard qu’elle mit en branle son noir dessein. Son idée lui semblait lumineuse, se disant qu’ainsi – et pour la première fois de sa vie -, elle aurait tout loisir de joindre l’utile à l’agréable.

Il suffisait juste d’attendre le bon moment.

Un jour que son mari couvrait, elle découpa de ses doigts de fée, un morceau de son parachute (60X40 cm) ; ayant lu dans un magazine de mode que cette toile était à la fois solide et tendance, elle se confectionna, toute guillerette, un petit sac/cabas absolument ravissant, accessoirisé certes mais de facture très légère. Bien davantage d’ailleurs que la chute de son époux le samedi suivant, qui pour une fois fut libre et définitive. Il n’y eut point d’enquête, le parachute ayant été broyé par un avion à hélices, de passage. Le cousin – dont on ne retrouva que des restes – serait donc mort quoiqu’il en soit. Un double effet malchance en quelque sorte, ce qui n’est pas donné à tout le monde, reconnaissons-le ! En conséquence, l’épouse ne fut jamais inquiétée et en dépit d’aveux tardifs et libérateurs, chacun mit cela sur le compte du choc ; culpabilité cependant vite oubliée grâce à une bonne cure d’anti dépresseurs.

***

Voilà donc comment, dans ces moments difficiles de la vie, mon ami et moi nous sommes (re)trouvés. D’abord, cela va de soi, nous échangeâmes – avec la tête de circonstance – nos condoléances sans oublier nos coordonnées, cependant, comme cela ne nous suffisait pas et n’ayant nullement l’intention de nous éterniser parmi tous ces morts – fussent-ils illustres -, nous décidâmes d’aller boire un café  Au Bel endormi , le troquet du coin. J’eus beaucoup de plaisir à retrouver Alyosos  de Lipertexte, – c’est ainsi qu’il signait ses articles et avec un pseudo pareil, mieux vaut montrer que l’on est quelqu’un ! -, de son vrai nom Serge Boulard, ce qui est moins glorieux vous en conviendrez. Et c’est tout à fait naturellement que nous en sommes venus à évoquer nos souvenirs communs avant de nous étendre sur notre vie actuelle.

Serge/Alyosos, à force de courage et d’opiniâtreté avait réussi à se faire un nom dans la presse nationale et gratuite. Certes, ce n’était pas la panacée mais en tant que responsable de la rubrique faits-divers, il s’estimait ravi de son sort. À plus ou moins court terme d’ailleurs, il espérait accéder au grade suprême de rédac’chef, poste ô combien convoité qui, affirmait-il, lui revenait de droit de par ses compétences et son ancienneté. Aussitôt, je l’en félicitais.

Cependant, et permettons-nous d’ouvrir là une petite parenthèse (neuf mois plus tard, si Alyosos/Serge obtint bien le poste tant convoité il dut, hélas, en payer un lourd tribut. En effet, un collègue jaloux de se voir ravir la place, dans un coup de folie inexpliqué à ce jour, lui asséna trois coups de couteau. Les deux premiers, superficiels, entre les 7ème et 8ème côtes, auraient pu lui laisser, selon les médecins,  quelque chance de survie mais le dernier, en plein cœur le mit sur le carreau. C’est donc par ce curieux concours de circonstance qu’Alyosos termina sa carrière là où il l’avait commencée : aux faits-divers. Je pleurais quelque temps mon ami retrouvé si vite perdu puis continuais d’avancer). Mais fermons là cette parenthèse et revenons au temps présent de son vivant.

Tout en buvant notre café, ce jour de retrouvailles, nous parlâmes de tout et de rien, des femmes en général, des ex nôtres en particulier, de la calvitie naissante, de la libido qui s’émousse. Bref, du temps qui passe. Ainsi, même si nous étions de nouveaux célibataires – après un divorce accidentel pour moi et une séparation mouvementée pour lui -, nous eûmes beau jouer le jeu du moi j’m’en fous , à nos propos acides, on comprenait qu’il n’en était rien.

Tous deux avions tant à nous dire que nous nous sommes revus chaque week end. Cela faisait vraiment du bien de se retrouver ainsi, entre amis qui se ressemblent.

Et c’est d’ailleurs au cours d’une de nos soirées ripailles, que nous avons eu la surprise de revoir l’un de nos camarades de classe, un certain Arthur Rimbaut (avec un t), qui durant toute sa scolarité, souffrit d’être pris pour ce qu’il n’était pas.

***

Moins  illuminé  que son illustre homonyme, Arthur travaillait désormais Au pied de cochon. Après des années d’errance, il était enfin devenu quelqu’un et cela lui suffisait. Lorsque (en accueillant ses clients) il nous reconnut, il tint à tout prix à nous offrir un apéritif maison en nous faisant promettre de rester jusqu’au digestif pour parler de ce bon vieux temps. D’emblée nous acceptâmes cette proposition au moins aussi alléchante que le hors-d’œuvre la tentation Saint Antoine, vivement recommandé par notre hôte.

Tandis que nous nous laissions prendre aux plaisirs de la tentation, nous ne manquions pas, entre deux bouchées savoureuses, de jeter un œil discret à cet Arthur retrouvé.

En parfait maître d’hôtel, le port altier et le sourire bloqué, il louvoyait entre les tables, fier de son navire ; meneur d’hommes, il n’hésitait pas, d’un claquement de doigts péremptoire, à remettre les serveurs sur le droit chemin. D’une politesse obséquieuse, il indifférait sans doute le raffiné mais ravissait le béotien, peu habitué à ce genre de courbettes ! Entre deux arabesques parfaitement orchestrées, quelques tours piqués sans jamais perdre le nord, il exécutait des glissades tournoyantes, prêt à répondre aux desiderata de clients éminemment satisfaits. Il s’arrêtait à leur table un instant, suggérant d’une prose brillante (agrémentée parfois de quelques vers libres) ce qu’il y avait de meilleur ; et repartait, tourbillonnant, sous l’œil  pâmoison des consommateurs ravis de cette première mise en bouche. Bref, non seulement Arthur était d’une insupportable perfection et ne ressemblait plus au Rimbaut que nous avions connu mais de surcroît, ultime pied de nez, il était devenu poète.

Après son service et l’uniforme tombé, contrairement à toute espérance, celui-ci ne perdit rien de sa superbe. Il demeurait séduisant, bien loin du jeune garçon que nous avions connu, pusillanime et maladroit en butte aux quolibets plus sots les uns que les autres.

Sans pour autant l’admettre, ce soir-là, nous fûmes agacés de cette transformation qui touchait aux souvenirs d’enfance. D’ailleurs, nous eûmes beau chercher, nous ne comprenions pas comment quelqu’un d’aussi insipide ait pu changer autant. Certes, dans les détails, Arthur n’avait rien d’exceptionnel mais il possédait l’apanage d’une globalité digne d’intérêt à laquelle venaient se greffer verve et vivacité. Cette prodigalité, soyons honnêtes, nous excédait au point de nous rassurer à notre manière, estimant qu’il ne pouvait s’agir que d’une façade derrière laquelle se dissimulait une réalité moins glorieuse. Or, sur ce point, notre jugement prompt et définitif fut très vite mis à mal.

Maintenant Arthur réclamait le silence. Il leva le bras au ciel, verre en main rempli d’un cognac hors d’âge. Hiératique, le geste assuré, il tentait de capter la lumière du plafonnier afin de saisir, au travers du prisme du cristal, la couleur délicate de ce précieux breuvage. Le cognac, d’une transparence ambrée, brillait de mille feux. Ensuite, rabaissant son bras, il porta le verre à ses lèvres, sans omettre au passage d’humer les notes florales qui laissaient à cet instant apparaître un parfum délicat.

Enfin, il déclara : permettez, mes amis, de sceller ici nos retrouvailles.

Nous en restâmes coi.

Notre ami rayonnait. D’une certaine manière, ce truisme nous rendait verts de jalousie et nous abattait plus encore. S’ensuivit un silence – de dépit – pour nous, – de recueillement – pour Arthur. Ce cognac se mérite. Puis il but. Subséquemment, solennel, il ajouta Au mariage ! 

Ce mot fatal et allergène prononcé aussi naturellement me mit mal à l’aise. Quant à Alyosos, qui s’était juré de ne jamais franchir le pas, il s’étonna, le sourcil de travers, que l’on pût trinquer à une sottise aussi décadente que décalée.

D’une certaine manière, cette annonce tombait à pic car j’étais intimement persuadé que, contrairement à toute idée reçue, l’union maritale ne faisait pas la force et  qu’à plus ou moins brève échéance, Arthur ne serait plus que l’ombre de lui-même. Voilà pourquoi, à mon tour, je levais donc le bras et, le sourire en coin, osant un mensonge de complaisance Que du bonheur, tu verras ! , qui, dois-je l’avouer, me remplit d’aise. D’un sourire Arthur nous répondit alors C’est mieux pour les triplés. Cette fois, cela en était trop mais je ne sus que féliciter béatement mon ami (bien qu’aucun son ne sortît de ma bouche). Pendant ce temps, Alyosos, pour soulager son irrépressible envie de rire, avala d’un trait son cognac hors d’âge, laissant présager de doux moments d’ivresse. Arthur ne faisait pas les choses à moitié, bientôt père et mari : on nageait en pleine tragédie !

Après tant de chocs successifs, je me devais d’abréger ces dangereuses retrouvailles, las de cette magnificence ainsi étalée ou par crainte, qui sait, de phagocytose. Je me levais, prêt à en finir et à partir ; puis me rassis presque aussitôt car notre ami venait d’entamer l’épineux chapitre de sa métamorphose.

Sur le ton de la confidence, Arthur nous avoua que, déficient social depuis des années, il avait compris sur le tard la nécessité de mettre un terme à toutes les pensées toxiques qui lui empoisonnaient l’existence. Pour commencer, il s’était documenté et jeté à corps perdu dans la lecture d’ouvrages métaphysiques, philosophiques, psychologiques, réservés aux exégètes avant de prendre conscience que cela ne lui suffisait plus. Il chercha quelque temps encore lorsqu’un jour, essayant d’obtenir une réponse plus approfondie sur le mal dont il pensait être atteint, frappa Pourquoimoi.com sur les touches de son ordinateur.

Et la lumière fut !

Ces simples mots Pourquoimoi.com lui permirent de découvrir un nouveau langage. Ainsi libéré des affres de l’humiliation, il put pleinement exprimer son continuum et trouver sa voi(x)e. Après quelques séminaires (payants) de remise à niveau, axés sur une thérapie cognitive comportementale, il parvint à atteindre le point Omega de sa spirale personnelle – point essentiel dans le développement de l’ego -. Puis acheva son travail par deux ou trois séances d’harmonisation réparatrice qui finirent de le libérer en lui permettant de saisir l’infini pouvoir des possibles et dépasser les limites de l’illimité. C’est d’ailleurs au cours d’une de ces séances qu’il combla son vide affectif en faisant connaissance de Perle, sa dulcinée.

Il était guéri.

La suite, nous la connaissons.

Nous écoutâmes très poliment Arthur débiter ses salades. D’évidence, il y avait surchauffe aussi nous préférâmes le laisser seul accélérer son évolution spirituelle et sortîmes fumer un joint, finalement moins nocif que n’importe quel gourou virtuel !

FIN

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