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Chapitre 1

1

Entre récit et discours intérieur le fruit d'une réflexion...
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Ce mot est apparu durant un atelier créatif. Oui, pour moi, la douceur n’est qu’un mot. Depuis, il me suit comme un petit chien à sa mémère qui veut qu’on le porte, qu’on le câline. J’ai beau lui dire qu’il s’est gouré d’adresse, qu’ici on est plutôt Berger Allemand. Il s’entête.

Alors soit ! Qu’il reste comme una persona non gratta, un de ces enquiquineurs qui passent leur temps à parler en Moi, Je, tirant toute la couverture de la discussion de leur côté de la table.

Sauf qu’il faut bien admettre qu’il ne prend pas beaucoup de place. J’ai le sentiment parfois de l’effrayer.

 

Moi, qui suis physiquement pleine de douces courbes, j’abrite à l’intérieur de cette enveloppe soyeuse, une guerrière équipée et prête au combat.

Avouez que dit comme cela, c’est parfaitement risible.

Et bien, c’est un fait. Nous héritons des caractéristiques génétiques de nos parents pour le corps et son organisation interne. Cependant pour l’être intérieur, c’est une autre histoire. Chacun la sienne !

 

En ce qui me concerne, vous avez certainement deviné que la douceur n’était pas au menu tous les jours.

Mon père, ce héros, brandissait l’étendard de la famille, qui aurait pu avoir comme devise: « Face à l’adversité, charger et ne laisser aucune chance à ce fils de pute ! ».

Une fois que l’obstacle était éradiqué, surmonté, ou éliminé par toutes autres actions consistant à déblayer le chemin, le fameux oriflamme pendait mollement et mon héros s’écroulait discrètement, l’air de rien.

 

Imaginez Candy, la petite fille blonde du dessin animé, face à Archibald de l’Agence Tous Risques, feuilleton des années 80.

 

– Pourquoi tu pleures ? Pourquoi tu pleures ? Candy !
– Je suis triste parce que j’ai trouvé cet oiseau mort. Regarde !
– Tout le monde meurt. Mets-le à la poubelle tout de suite.

 

Candy ne dit rien. Elle baisse les yeux même si cela lui coûte. Elle est sensible mais pas soumise. C’est même le contraire. Elle a horreur de son autorité patriarcale. Elle est tout à fait capable de lui tenir tête et d’encaisser après.

 

Alors, en cachette comme de nombreuses choses qu’elle taira à son père, la blondinette va offrir à son ami l’oiseau de belles funérailles fleuries.

Mon héros avait de nombreuses qualités. Si j’omets la pédagogie, la patience et la psychologie. A sa décharge, il a grandi sans papa dans une époque d’après guerre qui ne laissait que peu de place aux sentiments. La dictature de la performance et du mérite ornait toutes les façades des bâtiments bourgeois. Fils aîné, il a endossé très tôt le rôle du daron. Comment lui jeter la pierre ?

 

Il était loyal et honnête. Sa franchise lui a, certainement, valu quelques claques. Pragmatique et prêt à relever tous les défis, il aimait sa famille et s’érigeait en protecteur.

 

Avec sa gueule de jeune premier version Alain Delon, il a épousé ma mère qui n’avait, elle non plus, rien à envier aux canons des seventies.

Ils s’aimaient comme de jeunes mariés, ne se doutant pas qu’elle les attendait au prochain virage. La vie et la mort, les deux faces du même talisman que nous recevons à notre naissance et qui nous accompagne jusqu’à notre dernier souffle.

Sans cruauté aucune, la Vieille, vêtue de noir, accueillit ma mère dans ses bras avec douceur et tendresse comme une mère berçant son enfant.

 

Archibald et Candy se retrouvaient en tête à tête.

Vous l’aurez compris, un homme comme lui ne pouvait pas jouer le rôle de maman. Alors, il en trouva une.

Là encore, la douceur n’était pas au rendez-vous.

Comme Candy était une enfant extrêmement vive et dynamique avec une tendance à l’entêtement héritée de son héros, difficile d’être à la hauteur de la tâche.

Comme on le dit souvent: « Les chats ne font pas des chiens. » Phrase impertinente s’il en ait que je n’ai pas résisté à lancer au visage de mon géniteur. Une des rares fois de ma vie où j’ai eu le dernier mot.

Bref, tout cela pour dire que la douceur était reléguée dans un coin sombre de la cave familiale.

 

Pourtant, comme tout un chacun, j’ai reçu à ma naissance le kit complet. Chaque être humain a en sa possession toutes les qualités, toutes les compétences. Notre blessure initiale entraîne une réponse pour notre propre survie. Les conséquences sont que nous choisissons inconsciemment de laisser mourir certains aspects de notre être.

Donc même une guerrière aguerrie comme moi ne pouvait se battre sur tous les fronts.

Mon énergie a été mise au service de la sauvegarde de ma sensibilité.

 

– Je vais t’expliquer quelque chose d’important, Candy.
Dans la vie, il y a deux catégories de gens: les forts et les faibles. Les forts survivent et les faibles disparaissent. Les gros mangent les petits. C’est la loi de la nature. Tu comprends ?

 

– La loi de Darwin, je la connais, papa. Et je ne vois pas le rapport avec être sensible et l’accepter.

– La sensibilité rend faible. C’est mon devoir de père de te protéger, ma fille.

 

– Mais papa,  te rends-tu compte que tu ne peux pas me protéger de tout? Bien sûr, tu peux m’enfermer dans une tour d’ivoire mais je ne vivrai rien. Il ne m’arrivera rien. Je veux vivre et ressentir. Peu importe que ce soit de la joie, de la peur ou de la tristesse.

 

– Mais moi, je ne veux pas que tu sois triste.

 

– C’est impossible papa, et tu le sais. Je préfère faire face aux tempêtes que la vie me réserve et m’en renforcer. En ressortir grandie, avoir acquis de l’expérience, en avoir appris plus sur moi que de laisser mon être mourir comme un arbre entouré de murailles si épaisses qu’elles ne laissent même pas passer la lumière du soleil.

 

Des tempêtes, j’en ai traversées beaucoup, certainement plus que ce que j’imaginais possible.

Pourtant, j’ai continué à revendiquer ma sensibilité, à ne pas me sentir honteuse de pleurer que ce soit de tristesse ou de joie. J’ai appris à y puiser de la force.

 

La douceur…. Ce mot me fait soupirer. Rien que d’y penser, j’en ai presque de l’urticaire.

Je me suis interrogée sur ce qu’était la douceur pour moi.

Une liste courte et exhaustive, malheureusement:

La laine, la lavande, le regard de la Vierge Marie sur les icônes de ma chambre chez ma grand-mère, la peau de mon mari quand je suis dans ses bras, mon chat.

 

La laine me rappelle les merveilleux pulls que me tricotaient mon arrière-grand-mère et plus tard ma grand-mère.

La lavande est l’odeur que les draps frais déposaient au moment de m’y glisser.

Dans cette chambre de princesse, au décor rococo, le visage bienveillant de Marie qui veillait sur mes nuits angoissées.

Les bras de mon homme, oui, je dis mon homme, car l’Univers a conspiré pour que nous soyons un jour réunis.

Et du boulot, il en a eu l’Univers.

Ses bras, cet espace dans lequel je niche ma tête, me donnent cette douce sensation d’être chez moi.

La douceur est présente dans ma vie, et pourtant une part de moi la combat et cherche à s’en débarrasser.

La question à me poser est donc tout naturellement: Pourquoi ?

A ce moment-là, cela devient très intéressant. La liste des raisons ressemblent à la liste des courses d’une famille avec 4 adolescents.

La douceur est synonyme de faiblesse, de soumission, de vulnérabilité, de fragilité, de sexe faible…

Comment une amazone rebelle pourrait-elle ouvrir la porte à cette boule de poils soyeux, à ce chaudoudou qui lui ferait perdre ses moyens, sa combativité ?

Comment déposer les armes lorsque la vie se résume finalement à une série d’épreuves ? A un combat de tous les jours ?

Comment accepter que l’intrusion de cette douceur ait l’effet d’un tremblement de terre intérieur ?

 

J’avais déjà remarqué que l’affection, la gentillesse, l’amour pouvaient parfois être douloureux.

Recevoir tant d’attentions me blessaient comme le toucher délicat sur un coup de soleil.

Il fallait du temps pour s’habituer et ne plus trouver cela douloureux. D’accepter que toutes ces blessures de guerre n’étaient évidemment pas guéries.

En matière de guérison, j’ai des doutes. Cependant, je suis convaincue qu’elles peuvent cicatriser et que l’on peut vivre avec elles.

 

Candy, vêtue de son plus beau pull, se promène en tenant la main de son héros. A ses côtés, trottine une boule de poils qui sent la lavande quand on la caresse. Un peu en retrait, sa maman et Marie échangent un regard complice qui les enveloppe de douceur.

Commentaires (1)

Starben CASE
15.03.2024

Dans le panier de chaque vie il faut quelques froidpiquants et beaucoup de chaudoudoux. Et en chemin, il vaut mieux transformer les froidpiquants en chaudoudoux. Ca rend heureux.

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