Créé le: 26.09.2013
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Récidive et cyclothymie
” Les gens raisonnables n’ont pas la belle vie.
Ils regardent les gens pas raisonnables et bien souvent ils les envient.”[Mickey 3D]
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J’aurais dû faire marche arrière, peut-être. Peut-être qu’il aurait fallu prendre en considération le fait que rien n’avait changé. Que tes démons tapis dans l’obscurité, attendaient seulement le moment propice pour me sauter à la gueule et dévorer ce qu’il restait de mes illusions.
J’aurais du, sûrement. Mais le conditionnel suggère un si et ne devient opérant que lorsque les conditions sont réunies. Or, elles ne l’étaient pas. J’aurais fait marche arrière SI une issue salvatrice s’était présentée de l’autre côté. J’aurais fait marche arrière SI je n’avais pas eu le goût du risque, SI la peur m’avait empêchée de croire encore, SI je n’étais pas restée complètement accro. J’aurais fait marche arrière SI je ne t’avais pas dans la peau. Mais avec des si…
Avec des si, je nous aurais bâti un univers où l’hypothétique n’aurait pas lieu d’être. Vivre aurait été facile, à la portée de tous, mais surtout de la notre. L’histoire ne serait pas ce qu’elle est. Elle aurait pris une tournure plus enchantée et on aurait refermé le livre le sourire aux lèvres, le cœur léger. Digne des meilleurs contes de fée. Sauf qu’un détail fout tout en l’air… Les si et les contes de fées tirent leurs origines de l’imagination, source d’inspiration infaillible quant il est question de refaire le monde. Parce que celui-ci ne suffit plus, ne satisfait pas et que l’esprit humain a le besoin viscéral de concevoir un plan B à la réalité.
Nous vivons à une époque où il est préférable de fuir son quotidien si l’on souhaite mourir centenaire, tranquillement au chaud dans son lit. Et au 21ème siècle, quoi de plus simple que d’oublier ses déboire personnels en même temps que et ceux de l’humanité ? Artifices sensoriels, substituts relationnels, bétabloquants émotionnels… le marché du « fake » regorge de possibilités toutes plus séduisantes les unes que les autres. Véritable cours des miracles emblématique de sa génération, on y trouve autant de cataplasmes anesthésiques que de problèmes de conscience. C’est la loi de l’offre et de la demande : le monde concret tétanise, la vérité fait souffrir ; par conséquent, la solution rapide veut que l’on choisisse comme tout bon mauvais médecin, de traiter les symptômes plutôt que la source. Entrent donc en scène les premiers sédatifs existentiels et l’illusion de la guérison. Pendant ce temps, le mal initial s’accentue, se diversifie, se transmet. Par effet d’accoutumance et parce qu’il évolue, bientôt les traitements ne suffisent plus. Il faut investir dans des narcoleptiques aux qualités anthropophages plus concentrées qui agissent directement sur l’âme et réduisent à néant ce qu’il reste de lucidité. Il en résulte une bande d’imbéciles heureux, souffrant de somnambulisme aigu jour et nuit, persuadés de la véracité de leurs idées factices, convaincus de la beauté fictive du cosmos universel, satisfaits de leur condition misérable puisque c’est dans l’ordre des choses.
Tout ce cirque fantaisiste pour ne pas risquer de se prendre le pied dans les tumultes de la vie réelle. Certaines personnes voient l’existence comme un don du ciel, je la conçois comme un défi. Un challenge qui consiste à affronter la réalité dans ce qu’elle a de plus sordide, à l’appréhender de façon la plus fidèle possible, dans le but ultime de parvenir à s’en détacher.
Autant se rendre à l’évidence, le monde ne convient à personne. Ceux qui prônent le contraire font partie de la caste des menteurs pathologiques ou de celle des abrutis finis. Je n’aime ni le leurre, ni l’idéalisme. Je suis pour le vrai et l’effectif. J’aspire à l’authentique.
Et je ne me contente de rien… Je veux plus.
Je suis persuadée que l’envie constitue l’essence même de tout comportement humain. A partir de là n’importe quel fait est susceptible de fournir des éléments d’explication. Pas nécessairement compréhensible, simplement plus concrets. De l’ordre du trivial et du suffisant. L’agir devient réductible au désir de chacun. Le plus petit mouvement d’un individu, le moindre geste émanant de sa personne, dissimule une intention précise. Le but escompté requiert un mode d’action particulier et use de la convoitise et de l’idée de plaisir afin de mettre en œuvre les moyens nécessaires à sa satisfaction. Dès lors, plus rien ne compte. Il apparaît impossible de fonctionner selon une logique rationnelle. Le cœur comme moteur et les nerfs sous tensions s’unissent contre le cerveau, afin de garantir son silence. Sabotage des freins de la raison. La réflexion est bannie, le calcul inexistant, les conséquences sans importance. L’objet du désir s’empare de votre être, annihilant au passage la moindre pensée qui lui est étrangère. Parce qu’il fonctionne sur une base réfléchie, votre environnement perd peu à peu tout son sens pour laisser place à une nouvelle liberté de fonctionnement.
Toutes les idées sont bonnes à prendre… Saugrenues ou dangereuses, insensées et immorales… Peu importe du moment qu’elles participent à la concrétisation de votre projet d’ascension ! La montagne des aspirations peut bien s’élever à des milliers de mètres d’altitude, quand l’envie se matérialise sous la forme d’obstination, on ne peut y échapper… Jusqu’au jour où elle sera comblée.
La mienne avait revêtit ton apparence. J’avais beau savoir que je fonçais dans le mur, je n’ai même pas pris la peine de mettre la ceinture. À quoi bon ? Quitte à s’écraser à l’arrivée, autant le faire avec dignité ! Par ailleurs, c’est hallucinant ce qu’on peut être distrait lors des consignes de sécurité ! Prenez par exemple les exercices d’évacuation… Procédure basique que tout établissement public est dans l’obligation d’instaurer une fois par année, elle prétend servir à la récapitulation des règles de conduites en cas d’incendie. Vous croyez peut-être que vous vous en souviendrez le jour où le feu dévaste le bâtiment? Bien sûr que non ! Aussi sûr que vous ne saurez pas non plus comment fonctionne un extincteur ! Comme tous les autres vous céderez à la panique et tenterez tant bien que mal de gagner la sortie, écrasant au passage un bon nombre de vos collègues si cela peut vous permettre de rejoindre l’extérieur plus rapidement !
Et bien là c’est pareil. Je ne compte plus le nombre de théories que j’ai essuyé patiemment, priant de tout mon être que le dieu des enfers m’envoie un de ces disciples pyromanes pour me sortir de là ! On m’a mise en garde contre la seconde tentative, on m’a prévenue des risques de récidive, on m’a priée de réfléchir, on a essayé de me retenir… Ils avaient raison, j’en étais consciente.
Mais la prévention du cœur ne vaut pas mieux que celle contre l’alcool : efficacité 0. On tombe amoureux comme on commence à boire, innocemment. Ensuite on y prend goût, on consomme de tout notre saoul et une fois qu’on est bien empêtré dans leurs filets, il est trop tard pour se souvenir des conseils prodigués. Alors on devient alcoolique ou suicidaire. De temps en temps les deux vont de pair.
En résumé, je n’ai pas fait marche arrière. Bien au contraire.
Forcément, il a fallu que tu reviennes. Evidemment, je ne t’ai pas demandé de partir.
Le plus gros problème des ruptures se cache dans leurs répétitions. On ne part jamais définitivement du premier coup. En principe, il faut s’y reprendre à plusieurs reprises pour que ça fonctionne sur le long terme. Et encore… c’est pas gagné d’avance !
Le départ initial constitue le plus gros morceau. Après l’avoir avalé tout rond, la tendance générale veut qu’on s’étouffe avec. Rien de plus normal. Gavé au manque comme de la volaille au blé, on envisage difficilement une fin plus clémente que celle réservée aux poulets d’abattoir ! Le sentiment d’implosion gagne du terrain, les nausées se font sentir… Le pire, c’est qu’on n’a même pas le choix du plat ! Intubation forcée. La perf plantée dans vos veines vous alimente d’absence liquide que vous soyez consentant ou non. Hyperglycémie de vide, hypothermie de peau. On n’y peut pas grand chose et on ne contrôle pas la substance. De temps à autres on se surprend à vomir… La régurgitation est un phénomène naturel qui vise à la conservation de l’individu en lui imposant l’expulsion de son mal-être. Réaction physique. Réflexe morphologique.
Le goût de l’absence est si abject que l’idée de devoir s’en sustenter quotidiennement pendant des semaines a un côté insurmontable. Même coupée en tout petits quartiers, la déglutition n’en est pas plus aisée. Commence alors l’ère des stratégies inventives destinées à faciliter chaque bouchée. Pour ce faire rien de tel qu’une part sucrée de la présence de l’autre. Frais, léger et appétissant, le fruit devenu interdit vous met l’eau à la bouche. Vous le dévorez des yeux, engloutissant au passage une portion de manque qui, si elle a le malheur d’être trop sèche, vous précipitera directement dans le péché. Et voilà, tout est à recommencer. En bref, entre le premier adieu et, petit a) la fin heureuse et les retrouvailles enflammées de deux âmes sœurs égarées ; ou petit b) la fin tragique du plus jamais et les crimes passionnels, il existe une période intermédiaire.
Cette période de temps variable a tendance à trainer en longueur. Elle se caractérise par un va et vient continu d’aller-retours. Un peu à l’image des soap-opera increvables à la Top Models, le scénario est basé sur la répétition des intrigues, la fin est courue d’avance, les acteurs sont nuls à pleurer et le tout relève d’une science de la médiocrité absolue. Pas très glorieux je vous l’accorde. Disons que dans la vraie vie, c’est un poil moins catastrophique. En effet, la période intermédiaire jouit néanmoins de quelques vertus qui méritent que l’on s’y attarde.
Tout d’abord elle soulage le cœur et participe activement à la guérison de la dépression. Bon point. Là où le bât blesse, c’est qu’elle substitue à la déprime un autre trouble de l’humeur communément nommé trouble bipolaire. D’un point de vue subjectif, je trouve qu’il y a progression.
Au moins les phases maniaques vous permettent de sortir de la léthargie envahissante qui vous cloue sur le canapé ! Bon évidemment c’est pas la panacée… Les sauts d’humeur ça fatigue, vous et votre entourage, j’en conviens. Il n’empêche qu’une étincelle de vie vient tout de même animer momentanément le spectre fantomatique que vous trimballez sans but de droite à gauche. Cette étincelle s’exprime à travers la manie. La manie c’est l’illumination, le désir de vivre, de croire, la manifestation de ressources insoupçonnées, l’espoir d’un renouveau, l’envie d’essayer encore. La manie c’est cette phase de la maladie où on envoie valser ses états d’âmes mélancoliques, saleté de geôliers neurasthéniques qui vous maintiennent prisonnier dans une forteresse triste et froide, isolée du reste la terre.
Paradoxalement, la manie se manifeste principalement quand la personne responsable de votre état légumatique se pointe chez de vous. Tout aussi paradoxal, elle se décuple quand vous vous rendez compte que cet autre en face ne vaut pas mieux que la lavette que vous êtes. Tout d’un coup, c’est comme si vous aviez foutu les doigts dans la prise. Une décharge électrique vous parcourt de bout en bout et soudain, comme de rien, vous décidez d’aller sauver le monde. Non pas le monde. Juste l’autre. Parce que l’autre est votre monde, votre univers, votre tout. Et parce qu’en le sauvant lui, vous vous sauverez vous aussi. C’est d’ailleurs précisément la raison qui a poussé cet autre à débarquer comme une fleur devant votre porte, avec la gueule en tas, les yeux creusés et l’air de sortir du même asile de dingue que celui d’où vous venez de vous échapper.
Voilà la manie. Sur le coup, ça fait bien fou. Plus tard, quand l’autre a refoutu le camp et que l’épisode dépressif repointe le bout de son nez, vous êtes prêt. Vous avez eu le temps de souffler un peu, vous savez que la sortie existe, qu’elle n’est pas loin, juste là, au bout du chemin. Elle vous attend. Avancez à votre rythme, elle ne va pas bouger. Et puis, quelque part sur terre quelqu’un pense à vous.
Et puisque tu penses à moi, je veux bien continuer d’exister pour toi.
Deuxième avantage de la phase intermédiaire : elle permet le sevrage progressif… Accro à l’héro depuis un bon moment, on passe progressivement à la morphine qui a l’avantage d’être remboursée par les caisses maladies. Bien que la came perde en qualité, on ne résiste pas à un bon petit shoot tous frais payés ! Ça ne fait pas tout, mais ça aide. En moindre mesure. Parce qu’après avoir goûté à l’extase, on passe sa vie à en redemander. Pourtant l’effet ne sera plus jamais aussi jouissif que celui du premier fix. Ainsi au bout d’un moment, quand on est épuisé d’avoir trop cherché, au bord du gouffre, si près qu’il ne reste qu’à fermer les yeux pour se laisser submerger par le vide, on décide de sauver sa peau. Faut pas croire que c’est volontaire. Ce n’est pas un choix, c’est bien trop tard pour faire un choix dans ces circonstances… Il s’agit juste d’assumer ses responsabilités face à la dichotomie exclusive de la mort ou de la vie. Chacun son camp, question de tempérament. En règle générale, on préfère passer à la morphine qu’à la trappe. On se soigne pendant longtemps, remplaçant une addiction par une autre… D’abord de manière intensive, puis le traitement devient plus light, on réapprend à marcher, tout en sachant que l’on ne volera plus jamais.
En définitive, une drogue reste une drogue, il n’y en a pas de plus tendres que d’autres : elles enfantent toutes des toxs et vous soumettent à la dépendance. Sauf que l’une est légitimée par la médecine, tandis que l’autre, totalement illégal, vous offre du rêve a l’état brut. Beaucoup plus dangereuse certes, mais beaucoup plus tentatrice aussi.
Parfois, l’ironie de la vie veut que votre dealer revienne sonner chez vous des mois plus tard parce qu’il a oublié une veste lors de son dernier passage… C’est précisément à ce moment que se joue le reste de l’histoire… Je vous souhaite d’être meilleur que moi. Ou pas.
Jamais je n’aurais fait marche arrière. La marche arrière c’est quand vous vous êtes trompés de route. Ce n’était pas mon cas. Toutes mes voies menaient à toi. J’ai rempilé pour un tour, pour un rail, pour une overdose. Tu étais là. L’absence et le vide n’avaient fait qu’une bouchée de tes choix trop rationnels et réfléchis. Alors tu es repassée chercher ta dose. Sans consulter ta raison, sans demander mon opinion. Quelle opinion de toute façon ? Je n’ai pas fait marche arrière. Tu l’as faite à ma place. Je ne regrette pas une seconde. Toi non plus. Peu importe les ragots et les opinions. Ce n’est que pure stigmatisation. Qui peut se permettre le luxe de refuser un instant de bien-être ? Personne n’est jamais assez heureux, le bonheur ne se refuse pas. Encore moins lorsqu’il est total, parfait, inégalable. Le mien était avec toi. Pour combien de temps, ça n’avait pas d’importance. Nous ne vivions qu’au présent, en sachant pertinemment que l’avenir n’existerait jamais. Pas dans ces conditions. A nouveau… des si.
Forcément, tu es repartie. Evidemment, je ne t’en veux pas.
Partir quand l’amour s’épuise demande du courage et de la volonté. Partir quand l’amour terrorise, parce qu’il est trop grand à cacher, trop lourd à porter, relève du sadomasochisme. La douleur ne m’effraie pas, il en faut plus que ça. Je peux crever encore dix fois. Je suis maître de mes choix. Pour le moment, ils s’arrêtent à toi.
Ce n’est pas fini. Nous ne sommes qu’au début. Tu reviendras. Je ne lâcherai pas. Jusqu’au jour où on aura appris à vivre avec. Ou sans. La chute nous appartient.
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