Créé le: 29.08.2022
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Abîmes émois
J’ai compté.
22 cartes tombées du jeu dans une boucle infinie.
La rota.
Le tarot, à payer pour voir.
Un soir sans lune, pour filer vers ta destinée.
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Abimes émois
A poil sous ma plume
J’ai compté.
22 cartes tombées du jeu dans une boucle infinie.
La rota.
Le tarot, à payer pour voir.
22 rencontres, au hasard nécessaire.
Celles qui illuminent et celles qui fracassent.
Les flamboyantes et les si sombres, qu’elles éclairent même ton ombre.
L’air de rien, elles te guident là où tu refuses d’aller.
A ta rencontre.
Et quoi de mieux que le désordre pour tout mettre en ordre.
Si je devais pitcher ma story, je dirais : je me suis réfléchie, comme la terre dans la lune, sur la face cachée de mon autre.
Et je m’y suis contemplée.
Mais à l’inverse de Dorian Gray, j’ai été effrayée.
22 invitations pour compter les pavés de mon enfer.
Jean-Jacques l’avait chanté: on n’échappe à rien, pas même à ses peurs.
Chacun son chemin pour arriver à soi.
La vie nous aide toujours, même dans les pires épreuves.
Et puis je ne suis jamais seule, il y a Karlito.
**************
XIIII Karlito
J’étais sur le sable.
Dans tous les domaines, sexe compris. Je dirai que pour ce sujet précis ça ressemblait au désert d’Atacama. Un endroit que j’étais incapable de situer sur la planète, comme ma libido, du reste.
C’est le constat que je faisais ce blafard dimanche d’octobre. Oubliée dans mon jogging en molleton gris, assise dans le très chic Tea room[1] de ce quartier paisible de Genève. Je dénotais un peu ; trop bohème et pas assez bobo pour le lieu, mais je m’en foutais royalement. Dans cet endroit feutré, la clientèle était typée : les couples étaient composés de personnes âgées, ou à l’inverse, de très jeunes parents. Les hommes seuls semblaient harassés par un divorce récent ou préoccupés par une quelconque panne de leur cylindrée, garée comme un appât devant la terrasse. Les femmes seules étaient déjà habillées pour le réveillon. Elles avaient certainement raison ; toujours prêtes, comme chez les scouts. On ne sait jamais.
A vrai dire, tout ça me concernait peu, j’étais en vrac. Tombée dans mon gouffre personnel peuplé de mes choix assumés et, évidemment, mes remords. Cela dit, aucun regret, puisque j’avais succombé à toutes les tentations.
Tout là-haut, tout au bord, veillait l’archange de cet abîme, posé telle la plume de Satan.
Depuis longtemps, il jalonnait ma vie d’expériences plus ou moins agréables.
Il était là pour ça. Certains lui donnent le nom d’intuition, moi je l’appelle Karlito. Une sorte de fils caché de Lagerfeld et de Duras. Enfin, c’est comme ça que je l’imaginais ; intelligence froide, précision diabolique, shampoing sec immodéré associé à un esprit sensuel, exigeant, éternellement amoureux, bavard et finalement burlesque. Aussi loin que je m’en souvienne, il tentait de me guider, voire de me freiner dans cet appétit féroce de vivre. Il me susurrait souvent, « je t’avais prévenue ». Souvent trop tard. Non, je n’étais pas schizophrène, mais dotée d’une sensibilité pour l’indicible qui s’était affinée avec les années et dont je ne pouvais expliquer la permanence.
Tous les matins, sous ma douche, je me conciliais avec lui. En ce moment, les prises de conscience se faisaient à la rapidité de la 5G. Karlito se chargeait de mon éveil spirituel. Sa méthode était semblable à celle employée pour l’éducation d’un chiot: elle consistait à me mettre régulièrement le nez dans mes errances pour bien me faire intégrer l’enseignement de l’expérience vécue.
C’était pas gagné d’avance pour lui, j’étais parfois obstinée.
Alors que le léchais avec une gourmandise un peu puérile la chantilly échappée de mon chou, je croisais le regard réprobateur d’une bimbo octogénaire, toute de rose vêtue, tirée à plus de 4 épingles. Avant le bistouri, ses sourcils auraient pu se lever d’indignation, mais plus maintenant.
J’avais encore tout mon naturel, ma liberté et sûrement même 50 ans à vivre. Une belle somme de points positifs mais une question me taraudait : que faire de tout ce que je venais de traverser ? Je n’étais pas la première femme qui plaquait tout pour recommencer à zéro, mais je sentais un trop plein intérieur, comme un incessant bouillonnement qui réclamait une action de ma part. Mais laquelle ?
Karlito ne me répondait pas clairement. Ou alors j’étais bouchée comme un périph à 18h.
« Madame, t’as pas un crayon ? »
Je baissais le regard vers la voix enfantine.
« Je veux faire des dessins sur le Temps et Papy il a pas de crayon. »
Non je n’avais pas de crayon à lui donner pour gribouiller sur le quotidien romand… mais finalement, Karlito était bien subtil ce matin.
Me mettre à poil sous ma plume, un voyeurisme salutaire pour clore un chapitre.
************
XVI Lopsa*
Je me revois assise au bar de l’Hôtel d’Angleterre**. Genève.
« Post tenebras lux»***, la bien nommée.
Perdue dans mes pensées, je me demandais s’il valait mieux être vénale plutôt qu’envieuse ou, plus précisément, assumer un coït tarifé ou coucher avec un minable pour un sac Gucci.
C’était ma grande question du moment et elle marquait mon profond désarroi. J’observais les anciens beaux et les toujours moches, convaincus que leur sex appeal ou leur Viagra allait combler leur solitude le temps d’une soirée. Il suffisait d’avoir les bons signes ostentatoires et une platinium, pour le croire.
Un bar d’hôtel, ce n’est pas le bon endroit pour une femme seule de mon style, aimait à me rappeler Markus. Le sien était tout à fait défini : gay.
D’ailleurs, quel était-il, mon style ?
Abattue à domicile: 0-1.
Mon amour était mort. Dans un point sans suspension.
Protagonistes usés par une intrigue banale où la médiocrité avait rivalisé avec la bêtise.
3 femmes. Un homme. Le compte n’était pas le bon.
L’une d’elles avait les yeux qui sentaient le cul. Pour apaiser son grand dégoût d’elle-même, elle se perdait dans une sexualité exacerbée, en recevant, sans les compter, des coups de reins dans des chambres Ibis où elle aimait se faire salir. Ça lui donnait raison.
Coups de boutoir d’un soir, sans espoir.
Elle aimait les ragots et dévoiler les confidences ; il suffisait de plusieurs verres de rouge, même sans étoile****, au coin d’un îlot de cuisine. Qu’est-ce que cela pouvait lui apporter ? Un fugitif sentiment d’exister dans l’immense gâchis de sa réalité, sans concevoir qu’elle était, là encore, utilisée.
La seconde était plus rétive. Les lignes de coke avaient laissé, malheureusement, intacte sa perversité. Se méfier des femmes au physique pas facile qui n’ont pas réglé leur œdipe et qui ont pour super pote ton mec. Surtout lorsque leur vie sexuelle est une friche, sèche et minée.
Karlito avait bien actionné les voyants rouges: « il te trompe! »
Mais je ne l’avais pas cru.
Grosse erreur.
Prends garde éternellement à la meilleure copine, surtout si elle n’a pas révisé le kamasutra avec lui. Elle fantasme l’inaccessible, et ça, ce n’est pas bon pour toi.
Bien sûr, j’avais vu clair dans le jeu de séduction qui se perpétuait depuis des décennies, entre attirance et répulsion. Lui, allumeur qui la faisait espérer. Elle, intrigante frigide, jurant à son entourage, qu’elle privilégierait la mort, plutôt que d’envisager la fornication avec lui.
Menteuse.
La peur de la déception prédominait, peut-être, mais cette ambiguïté restait un moyen pour chacun de se rassurer sur leurs vices, bien visibles.
Oui j’avais été choquée. Un vaudeville joué dans une ville provinciale française faite de velours et de porcelaine, qui révélait sa réalité crue et bien éloignée de mes rêves.
Les ballets bleus étaient abolis, mais les partouzes consanguines, encore en vogue.
Mais autant me l’avouer, j’avais de temps en temps une empathie bonasse pour les mal dotés de la vie. Une culpabilité. Certainement parce que je connaissais ma capacité à rebondir alors que d’autres resteraient éternellement sur place.
Depuis j’étais sûre d’une chose. Je préférais la compagnie des putes sur les bords du Léman plutôt que celle des salopes en kaolin.
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0 Echec et mat
Monsieur Presque m’a laissé un goût de fiel, mélange de colère et d’amertume, mais surtout un grand désarroi. Un dégout d’inachevé. C’était son habitude, de ne jamais aller jusqu’au bout des choses qu’il avait commencées, par peur sans doute de les achever.
Je l’ai aimé si fort, de mes limbes à mes aurores, lui si sombre enfant de l’amour. Il aimait souffrir, nourrissant avidement sa peine et sa rancœur, sans déplaisir. Les habitudes mêmes les plus compliquées deviennent des compagnes dont il est difficile de se séparer.
Je l’ai aimé.
Lui aussi. Peut-être. Avec ce qu’il avait.
C’est-à-dire, une certaine vision de l’amour. A péages. Alors, j’ai payé le prix fort pour la vivre. Toutes mes économies de confiance en moi se sont envolées.
On peut être solaire pour les autres et pleine de doutes.
Et dans sa toile, sans voûte pour m’éclairer, tendue pour me piéger à force de me guetter, je suis tombée.
Lui et moi, nous étions destinés, justement, à nous achever.
Je l’ai aimé au-delà de tous mes soupçons.
Il fixe souvent le ciel et les lignes blanches qui apparaissent et disparaissent derrière les avions. Il ne sait plus pourquoi il est venu dans la matière. Il rêve d’éther, de vols lointains et de liberté absolue. De s’envoler sans se retourner, sans attaches à son passé.
Mais le courage lui manque.
Il frôle souvent l’intelligence mais s’effondre toujours dans la paresse.
La séduction comme arme, laissant poindre un statut de perpétuelle victime, sympathique malgré tout et qu’on a envie d’aider. Pour ses beaux yeux.
Je l’ai souvent fait.
Trop.
Au-delà de moi, laissant mon estime sur place.
Il aimait minauder comme un courtisan qui cherche le bon mot pour une caresse. Seules les nouvelles comptaient, celles conquises n’avaient déjà plus la même saveur.
L’attraction ressentie pour lui était réelle et nombreuses y succombaient.
Attirées par sa sensibilité affleurante, son détachement feint et un sillage élégant. Mais l’ostentatoire tentation ne dure pas.
Il y a encore des serrures qui résistent à une clé d’or. L’enjeu n’en valait pas les bouts de chandelles qui éclairaient des sentiments équivoques.
Comment aimer, sans s’aimer d’abord…
Alors on baisait.
Mal.
Du plus loin de nos peaux, que nous pouvions.
Faire l’amour raconte une histoire d’harmonie.
Celle de deux corps qui se parlent dans des caresses et qui entament un dialogue au-delà de la chair.
Je l’ai oublié avec lui.
Depuis, la mémoire m’est revenue.
Le temps qui lui reste n’est plus si long pour faire les comptes. L’addition est salée. Tous ces bouts d’espoirs affamés créent une longue litanie de remords qui s’égrènent la nuit devant ses yeux grands ouverts.
J’ai presque du plaisir à l’imaginer mais je l’ai trop aimé pour lui vouloir du mal. La solitude d’un spectateur, d’un film sans scénario ni actrices de premier plan, est suffisante.
Alors je l’ai peut-être mal aimé et il me l’a bien rendu.
*******************
XIII Les mots bleus
Entre Monsieur Presque et moi, des signes comme des déflagrations que je ne voulais pas entendre. Et ses collisions en chaines qui nous éloignaient. Deux mondes sans plus d’attraction. L’obstination comme un vice de trop.
Il était aussi père d’une fratrie masculine, avec une solidarité bancale.
Lui pour lui, tous pour lui.
Chacun des enfants étaient prêts à se dévorer pour avoir la première place sous sa haine.
La sauvagerie des bleus infligés par les mots était un art de vivre qu’il imposait. Sniper au quotidien sous couvert d’humour. Le pire.
Je regardais ses rejetons attendre l’impact.
Les larmes aux yeux pour le cadet, qui au fil du temps se construisait une carapace d’arrogance qui donnait envie de l’ignorer.
J’étais souvent agacée, le plus souvent pétrifiée.
J’étais revenue au temps des cathédrales. Le « saigneur » régnait sur son clan, rendant l’injustice. Cela donnait de jeunes adultes exangs de repères, de valeurs, de confiance et d’amour.
Je devais me sauver. Loin de ce système familial toxique. Mais je restais là, à regarder le reflet peut-être pas si éloigné de quelque chose de vécu et j’espérais réparer ma propre peur, en les sauvant eux.
Mais ils ne demandaient rien.
Moi, oui.
Les yeux grands ouverts, souvent écarquillés de constater le désarroi, le vide et l’incertitude dans ces regards miroirs, de mon enfance en demi-teinte.
Les parents font toujours de leur mieux avec ce qu’ils ont et c’est déjà pas mal. Et quelques fois pas assez.
J’essayai de rationaliser. Karlito, me soufflait : « fuis ! »
Si l’amour qu’il donne est d’une telle violence pour sa descendance, quel peut-il être pour toi? Je n’avais pas de réponses, j’espérais. Mon plus grand défaut.
***************
VI Grelot
Monsieur Presque avait une préférence entre ses 3 descendants. Une tendresse pour le plus Faible. Le premier né, avec son esprit évaporé.
Je l’appelais le grelot. Il l’accompagnait partout.
C’est ce qui arrive peut-être, lorsque l’on se contente d’une génitrice aimait-il répéter à ceux qui voulaient l’entendre, je me suis reproduit avec des défauts.
Un cynisme sans frein qui lui donnait bon teint, conscient des limites de l’enfant chéri.
Il lui avait choisi, d’ailleurs un prénom avec peu de lettres, pressentant peut-être qu’il aurait des difficultés à en retenir un plus long.
Lui et l’élu de son père, nous nous détestions.
Je le regardais évoluer à distance.
De près aurait été de trop.
Ces rencontres de loin en loin me laissaient un sentiment de perplexité et de malaisance. Moi qui ai du mal avec la médiocrité, je m’y confrontais à chaque échange. De ce côté-là, les fées qui s’étaient penchées sur son berceau l’avaient plutôt bien pourvu.
Les 600 mots nécessaires pour s’exprimer lui étaient plus que suffisants, quand il les utilisait à bon escient. Ce qui était rare et rendait les conversations tour à tour délicieuses ou gênantes.
Le fils sans prodigue ne m’aimait pas. Il avait bien souvent croisé mon regard sans complaisance que je posais sur lui. Cette fatuité même pas incarnée consciemment m’agaçait.
Molière l’aurait adoré.
Fin de la première partie
Notes
* En verlan
**Ambiance feutrée tendance peau de bête, gin qui déchire, ne pas trop être apprêtée, cela pourrait prêter à confusion. Enfin je dis ça, je dis rien….
***Après les ténèbres la lumière.
**** le fameux quiravi vins à étoiles qui endort les consciences
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