L’écrit décrit les cris / Les maudits mots dits / Les non-dits et les noms dits / Les mots entendus: le mal, en tendu / Les malentendus et les maux en temps dus…
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Ma chère Zaza,

 

T’as été piquée par une mouche ou quoi? T’es une sacrée coquine! Tu as éjecté tous les coussins du canapé. Il y en avait partout dans le salon! Un vrai champ de bataille!

 

Maman était toute énervée. Je l’ai aidée à ranger, parce que c’est pas juste qu’elle doive toujours s’occuper de tout toute seule. Papa n’était pas là. De toute façon, il n’est jamais là. Et Benjamin, il est trop petit. Moi, je suis une grande fille et je peux l’aider.

 

On a remis tous les coussins à leur place, comme s’il ne s’était rien passé. On a aussi ramassé tout ce qui était tombé par terre. Le vase orange était cassé en mille morceaux! Maman n’a pas voulu que je l’aide à ramasser les bouts de verre. Elle a toujours peur que je me coupe. A la place, j’ai dû aller chercher le balai. Je déteste balayer, mais maman en a déjà assez eu pour aujourd’hui. Ce n’était pas le moment que je me blesse et qu’elle doive sortir la pharmacie pour s’occuper de moi. Elle n’a pas que ça à faire!

 

C’est dommage pour le vase. C’était mon préféré. Maman était triste, mais elle trouve que ce n’est pas grave. On en rachètera un autre encore plus beau et je pourrai même l’aider à le choisir si je suis gentille!

 

Tu sais que tu es mon chat préféré ma petite Zaza, mais fais plus attention la prochaine fois. Il ne faut pas courir dans la maison.

 

Je te fais de gros câlins,

 

Amandine

 

Ps: Aujourd’hui, la maîtresse a dit que la tomate est un fruit. Moi je trouve que c’est plutôt un légume. J’ai demandé à Sophie si elle avait compris pourquoi la maîtresse a dit ça. Elle m’a dit que la curiosité est un vilain défaut. Il faut arrêter de poser des questions. Je te promets que c’est aussi difficile que d’arrêter de courir dans la maison. On joue à celle qui tiendra le plus longtemps?

 

 

Ma chère Zaza,

 

Tu te prends pour Speedy Gonzales? Quand on est rentré de l’école avec Benjamin, on aurait dit qu’un ouragan était passé dans le couloir. C’est papa qui nous a tout raconté : tu courais tellement vite que le tapis s’est enroulé et ça a fait tomber le guéridon. Papa et maman ont retrouvé le couloir dans un sale état!

 

Ils étaient furax. Benjamin a commencé à pleurer. Ils nous ont envoyés ranger nos chambres. J’ai répondu que ma chambre était déjà rangée. Je voulais les aider à réparer les dégâts, mais maman m’a crié dessus. Alors je suis montée avec Benjamin.

 

C’est pas juste qu’on se fasse gronder parce que t’es une catastrophe ambulante. Arrête de courir à l’intérieur! Je sais que c’est pas facile. Pour moi aussi c’est difficile de ne pas être curieuse. J’avais plein de questions aujourd’hui à l’école et je n’en ai pas posé une seule! Fais comme moi, allez, un petit effort ma petite lionne.

 

Papa est sorti et il n’est pas rentré manger avec nous. C’est maman qui a tout rangé toute seule. C’est toujours elle qui fait tout. Elle n’en peut plus d’être la bonne dans cette maison. On doit être gentil avec elle.

 

Plein de câlins ma Zaza,

 

Amandine

 

Ps: S’il te plaît, viens dormir sur mon lit cette nuit. Je sais que ce n’est pas grave et qu’il ne faut pas pleurer pour rien, mais je suis quand même triste. J’ai pas envie de dormir toute seule.

 

—-

 

Zaza!

 

Tu exagères! Comment tu as fait pour péter la table? Tu te faufiles dans la baraque sans faire grincer le parquet, et tu sautes sur la table comme un éléphant? Le plateau en marbre a basculé, et maintenant, il est cassé. T’es encore plus maladroite que moi!

 

Toi tu t’en fous, tu ne te fais jamais gronder. Mais, moi, j’en ai marre!

 

Papa criait tellement fort qu’il était tout rouge! Maman nous a ordonné d’aller dans nos chambres. Avec Benjamin, on a peur qu’ils ne veuillent plus que tu restes avec nous si ça continue. Fais gaffe! On n’a pas envie qu’ils nous disent qu’on doit t’abandonner.

 

Je te fais de gros câlins,

 

Amandine

 

Ps: Va aussi un peu dormir avec Benjamin. Il dit qu’il s’en fout, mais il avait les yeux tout rouge ce soir. Je crois qu’il essaye de jouer au grand.

 

—-

 

Ma Zaza chérie,

 

Cet après-midi, maman nous a dit d’aller jouer chez mamie. Au bout d’un moment, mamie a dit qu’elle était fatiguée et qu’elle allait faire une sieste, alors on est rentré. On a crié “On est là” et on est monté dans la chambre de Benjamin pour jouer. Je crois qu’ils ne nous ont pas entendus. Ils parlaient un peu fort. On n’a pas osé les déranger.

 

Quand la maison a commencé à trembler, tu as bondi! On n’avait même pas vu que tu dormais sur l’armoire. Tu as couru te réfugier sous le duvet. Je crois que tu avais encore plus peur que nous! Les murs et la lampe du plafond sursautaient. Il y a eu un énorme bruit! J’ai cru que c’était la télé qui était tombée par terre. Papa et maman criaient très fort. Ils disaient plein de gros mots!

 

On n’a plus rien dit. On a fait comme si on entendait rien et on a continué à jouer sans faire de bruit pour ne pas qu’ils sachent qu’on était là et qu’on pouvait les entendre.

 

Au bout d’un moment, ça s’est calmé. On a encore attendu un peu avant de descendre. On a fait comme si on venait de rentrer de chez mamie. S’ils savent qu’on a tout entendu, ils vont nous engueuler parce qu’on a écouté aux portes. Ce n’est pas beau d’écouter aux portes! Mentir non plus, ce n’est pas beau. Mais, moi je trouve qu’on n’a pas menti vu qu’on n’a pas dit de mensonge.

 

De toute façon, on s’est quand même fait crier dessus. Ils étaient fâchés qu’on soit déjà rentrés. Ils nous ont dit que tu avais cassé la machine à écrire en sautant dessus depuis la mezzanine. En fait, c’est eux les menteurs! Et c’est pas beau d’accuser les autres à sa place.

Ils nous ont renvoyés dans nos chambres. Quand maman nous a appelé pour venir souper, on n’avait pas très faim. Papa n’était pas là. Maman a dit qu’il ne fallait pas être triste. Le matériel, ce n’est pas grave parce que ça se rachète. Elle dit que ce n’est rien et que c’est pas joli joli d’être matérialiste.

 

Benjamin, il dit qu’il s’en fout. J’essaye d’être forte comme lui, mais c’est dur. En vrai, elle était moche et vieille la machine à écrire, mais j’arrive pas à m’arrêter de pleurer. Je crois que c’est plus facile pour les garçons. Les filles, c’est capricieux. Il faut que j’arrête de pleurnicher.

 

En tout cas, je ne t’accuserai plus jamais. Je t’aime très très fort pour toujours et je te fais plein de gros câlins. J’espère que tu vas continuer à venir dormir avec moi, même si je suis une fille. De toute manière, toi aussi, t’es une fille.

 

Amandine

 

Ps: en fait, je suis vraiment très triste. Tu crois que je suis matérialiste?

 

 

 

Commentaires (3)

Thomas Poussard
16.09.2021

Merci pour ce texte innocent et touchant ! Ça apporte un peu d'air frais et différent par rapport aux autres textes du concours. Une bise à Amandine, et une caresse affectueuse à Zaza.

Ar

Aria
14.09.2021

Je ne sais pas si j’ai compris correctement, mais ce texte est si berçant, doux, candide, ça en devient lacérant. Bravo.

LK

La Klandestine
14.09.2021

Merci infiniment pour vos mots extrêmement bien choisis! Candide, doux, lacérant... c'est exactement cela. Votre commentaire me va droit au coeur.

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