Peinture
Où il est question d'un auteur contemporain célèbre autant qu'insupportable, et surtout de peinture...
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Un imbécile en Europe centrale a une fois écrit un livre. Il y est question d’un personnage qui passe ses journées dans un musée ; il s’assied, toujours dans la même salle, toujours sur le même banc, devant le même tableau. Tout le livre est un monologue au cours duquel ce personnage explique pourquoi il ne regarde jamais d’autre tableau, et pourquoi même celui qu’il a en face de lui, il ne le regarde pas. Le héros nous est présenté comme un vieux sage ; c’est à la vérité une figure de père révolté. Le lecteur, qui voit disparaître ses illusions, peut se réjouir du scandale autant que de la profondeur du propos. L’art du passé est n’est rien, et l’art du présent n’est finalement rien non plus. Il ne faudrait regarder qu’une seule œuvre, afin de la voir vraiment – et on verrait alors qu’en définitive, elle n’est rien. Ce monologue rapporté s’imite assez facilement : « Il marche, il marche avec des chaussons, avec des chaussons il marche dans le musée, il s’assied, il s’assied sur le banc, sur le banc recouvert de moleskine, il s’assied dans le musée, dans la salle du musée où il y a le banc recouvert de moleskine, il s’assied; et il dit qu’il n’y a rien, qu’il n’y a rien dans le musée, il n’y a rien qui vaille la peine d’être vu, que les œuvres exposées, les œuvres exposées dans le musée, dans les autres salles du musée, ces œuvres ne valent pas la peine d’être vues, voilà, voilà ce qu’il a dit, voilà ce qu’a dit Krumnagel (ou un autre nom de consonance analogue) ». Et cela continue sans repos pendant des centaines de pages, et cela a inspiré de nombreux jeunes auteurs.
Eh bien moi, dans chaque tableau je vois un monde : dans l’air bleuté et frémissant des impressionnistes, que d’aucuns méprisent aujourd’hui ; dans les bruns ténébreux et chauds de Rembrandt, où la lumière vacille comme une idée ; dans les visions liquides et vibrantes de Vermeer, les ciels de Constable et les vues glacées de Friedrich. Et les peintures résonnent entre elles. Il y a les femmes sinueuses et touchantes de Modigliani, les horreurs détaillées de Bosch… Il y a des ombres brunes et des ombres mauves ; il y a des prés et des sous-bois parsemés de reflets ; des champs de blé dans lesquels se trouve la mort, et des soleils qui tournent sur eux-mêmes ; il y a des cafés de nuit et des danseuses ; il y a des masques effrayants dans des rues jaunes… Ce n’est pas qu’il y ait là tout ce que l’on connaît : ce sont bien d’autres choses encore.
Et si d’aucuns ne veulent rien regarder, cela les regarde, pourrait-on dire ; mais cela ne présente à vrai dire aucun intérêt.
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