Créé le: 15.08.2024
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Oser le vide

FictionAu-delà 2024

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© 2024 Caroline Bench

Petites histoires réelles qui côtoient l'irréel.
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C’est une phrase de Maupassant, je l’ai retenue et même recopiée sur un petit carnet. Ne me demandez pas pourquoi.  La science, de jour en jour, recule les limites du merveilleux.  Peut-être qu’à ce moment-là je…

Non en fait je ne sais vraiment plus pourquoi j’ai tenu à la noter.

On a besoin de religion ou de mythes pour se rassurer de toutes les choses que l’on ne comprend pas du monde. De la science aussi parfois.

C’est ce que l’on dit en tout cas.

Moi, je ne suis ni complètement cartésienne, ni tout à fait pragmatique et à vrai dire, j’ignore si j’ai envie d’être rassurée à tout prix.

En effet, pourquoi s’accrocher aux certitudes? Pourquoi ne pas sortir du rationnel, se cogner à l’inconnu et s’offrir un voyage loin de toute logique?

Simplement accepter l’inexplicable comme faisant partie de notre vie. Et là, je ne sais pas si je dois vous l’avouer, j’ai moi-même été confrontée à certains phénomènes que je qualifierais d’étranges ou particuliers.

 

Vous vous rendez compte, j’hésite encore à vous confier ces petits secrets! Sans doute la peur de passer pour folle ou marginale! Elle est tenace cette peur-là!

Je vais être claire: je ne vous demande pas d’attacher absolument foi à ce que je vais vous raconter, juste considérer ces quelques confidences, ces petites histoires faites de ratures à voix haute, comme une fiction où votre imaginaire vous laissera le choix des images et de l’interprétation.

 

Encore une chose: sachez que j’affectionne l’idée de l’invisible, ce qui échappe à notre œil mais pas à notre cœur. L’intuition sensible, la voyelle qui marque la voix, les sons flottants, les reflets imperceptibles et La Chasse au Snark. 

Maintenant commençons.

 

J’avais 19 ans à l’époque, nous nous étions retrouvés avec mes cousins pour une occasion très particulière. Notre grand-père, celui qui chantait tout le temps sur la plage, qui nous faisait rire avec ses blagues et ses gags incongrus, venait de mourir et nos parents respectifs n’avaient pas souhaité que nous assistions à la crémation. À l’époque ce n’était pas si courant et peut-être avaient-ils jugé préférable de nous épargner cela.

Bref, tandis que les parents pleuraient, nous étions chez moi, dans le salon, j’en garde un très joli souvenir, en train de rire et d’évoquer les doux moments passés avec notre grand-père. Sa mort avait encore quelque chose d’irréel et d’une certaine manière il était pour nous toujours vivant. Notre attitude n’avait rien d’irrévérencieux, simplement nous ne réalisions pas encore la gravité du moment.

Nous étions légers et insouciants jusqu’à ce que…

A posteriori, je ne comprends pas comment cela est possible mais dans mes quelques réminiscences, je crois me rappeler que nous avons tous remarqué en même temps le phénomène qui a suivi.

Nous nous étions collés les uns aux autres sur un grand canapé en velours orangé, laissant inoccupé cette espèce de fauteuil à bascule de l’autre côté de la table basse. Nous ne l’apprécions pas vraiment car dès que quelqu’un posait son bras dessus, l’accoudoir tombait en faisant un bruit infernal. Je pourrais vous dire qu’il s’agissait du siège préféré de mon grand-père, celui où il s’asseyait d’habitude, puis ajouter des détails plaisants mais ce serait vous mentir et sans fondement.

Tandis que nous devisions, le siège en question vint à s’affaisser, comme si quelqu’un s’était posé sur l’assise. Tout le monde s’est alors tu car chacun avait pu observer ce phénomène. Un grand temps suspendu où nous nous sommes dévisagés, incrédules. Le coussin a continué de bouger  au point que nous avons pu voir très distinctement la forme d’un fessier invisible. Le plus petit d’entre nous s’est alors mis à hurler. Des hurlements communicatifs qui ont provoqué une espèce de délire hystérique tandis que sur nos visages se lisaient, désormais mêlés, la crainte et l’affolement. Nous nous sommes précipités et enfermés dans ma chambre jusqu’à ce que l’on entende l’accoudoir tomber.

Plus tard, lorsque nos parents et notre grand-mère adorée sont rentrés, nos mines défaites et de circonstance n’ont intrigué personne. Nous n’avons rien dit . Inutile de mêler le mystère à la tristesse.

 

Des années plus tard, une autre histoire curieuse m’est arrivée. J’habitais Paris à l’époque. Un très joli appartement dans le 18ème arrondissement et nous venions, avec mon compagnon, de passer un week-end long et festif à la campagne. Nous étions épuisés en cette fin de lundi de Pentecôte.

Je vous livre tous les détails, c’est absurde mais c’est comme si ils étaient inextricablement liés aux faits qui ont suivi, inscrits à jamais dans mon esprit.

Afin de nous détendre, nous avions décidé de regarder un film:  Le Père de la mariée avec Spencer Tracy. Nous étions assis par terre, concentrés sur le film, le dos posé sur le canapé vert acheté peu de temps auparavant chez Interior’s. Soudain un énorme choc sur la vitre du salon nous a fait lever la tête. Il n’y avait rien pourtant. Absolument rien. Par réflexe, j’ai regardé l’heure sur le lecteur de DVD. Il était 18h40. Je ne sais pas pourquoi ensuite, après ce choc je veux dire, sans raison aucune, devant cette comédie romantique de Vincente Minelli, des larmes ont commencé à couler sur mon visage sans que je puisse les faire cesser. Mon compagnon m’a demandé si j’allais bien, intrigué de me voir pleurer tandis que lui riait aux éclats.

Je n’ai pas répondu.

Après le film, comme par nécessité, plusieurs fois j’ai tenté de joindre mes parents, personne ne m’a  jamais répondu.

18h40, le même jour, c’est ce qui est indiqué sur l’acte de décès de ma maman, un virage mal négocié, un animal qui traverse, la surprend, une embardée, un malaise, un éternuement, on ne saura jamais. Et peu importe à vrai dire que sa route personnelle s’achève dans un ravin.

Elle est morte point, nous laissant seuls avec notre peine.

Derrière ces disparitions, il y a toujours des grandes histoires d’amour, des trous béants qui ressemblent à de grandes dépressions.

 

Mon troisième récit débute par du repassage. Cette journée avait mal commencé car je ne repasse jamais. J’ose même reconnaître que je déteste ça. Je fais toujours en sorte d’accrocher correctement mes affaires après la lessive afin de m’éviter cette corvée. Mais là, une jupe en lin récalcitrante m’a contrainte à sortir mon fer du placard.

Nous avions quitté Paris pour la Bretagne. Une très jolie bourgade à hortensias, non loin de Saint-Malo. Un grand espace blanchi par la chaux au dernier étage de notre petite maison, c’est là où je me trouvais. Il était 9h30, un mardi matin. Pas un bruit. Et ça tombait bien car je déteste le bruit. C’est assez fou mais là encore, il m’est impossible de faire fi de l’environnement, comme si pour me replacer au cœur du moment, je devais énumérer les moindres éléments de l’ensemble s’y rapportant.

Je me souviens m’être demandé: qui du bruit ou du silence forme la première couche?

La réponse n’a pas tardé avec un klaxon persistant, insupportable.

Et dès cet instant, c’est-à-dire dès que la sonorisation géante du monde m’a rattrapée, je me suis mise, je ne sais pas pourquoi, à penser à ma grand-mère.

Une association libre insensée et vertigineuse. Comme un frisson gigantesque.

Je l’avais eue la veille au téléphone, elle avançait vaillamment vers ses 100 ans et contre toute attente avait encore toute sa tête. Et ses cheveux également qu’elle entretenait elle-même en faisant un shampoing colorant roux vénitien une fois par mois!

J’ai toujours eu beaucoup d’affection pour ma grand-mère, une femme libre et indépendante qui ne se souciait guère du regard des autres et menait sa vie comme elle l’entendait. Depuis quelques années, en fait depuis le décès de ma maman, elle avait choisi de se rapprocher de son autre fille à Aix-en-Provence. Elle avait emménagé dans un petit appartement à son image, coquet, rose, désencombré de souvenirs pesants et situé non loin du tribunal.

Ce jour de repassage, une grande vague de tendresse m’a soudain submergée. Difficile à transcrire avec des mots à vrai dire tant cela fait appel au sensitif, à la perception, à l’indicible presque.

Et là, plutôt que de l’appeler, elle, j’ai composé machinalement le numéro de téléphone de ma tante ( je retiens tous les numéros de mes proches par cœur). Lorsqu’elle m’a répondu, j’étais au bord de l’affolement, comme paralysée par une montée d’angoisse fulgurante. Je bafouillais presque en la suppliant d’aller voir ma grand-mère, qu’il y avait quelque chose qui…

Elle a ri puis tenu à me rassurer: Je vais y aller mais je ne vois pas pourquoi tu devrais t’inquiéter!

En me rappelant un peu plus tard, elle pleure au téléphone.

Les mots sont devenus superflus.

 

Ma quatrième rencontre avec l’étrange ou l’au-delà, appelez cela comme vous voulez, le champ lexical est trop vaste pour définir l’indéfinissable en somme, a eu lieu il n’y a pas si longtemps lors d’une résidence d’écriture dans un lieu que je tiendrai secret. Sachez simplement qu’il est situé dans un ancien monastère. Ce détail a d’ailleurs son importance et vous allez comprendre pourquoi.

Je m’étais retrouvée là un peu par hasard, ou chance, et n’avais jusqu’à présent jamais connu le bonheur d’une déconnexion presque totale, déchargée de tous les problèmes d’intendance, libre de me consacrer uniquement à l’écriture.

Il faisait beau, nous étions une quinzaine et comme dans un hôtel, on se voyait attribuer, dès notre arrivée, une chambre cellule, sobre et dépourvue de toute fioriture.

J’avais la cellule N et pour y accéder, il fallait traverser plusieurs couloirs séparés par de lourdes portes en bois.

À l’entrée, il était impossible de ne pas remarquer le passe-plat coudé, vestige d’une époque lointaine et révolue où se couper du monde était à considérer au premier degré, et qui  servait désormais de relais pour le réseau internet.

Dans cette pièce dont les murs en pierres anciennes et apparentes avaient été refaits, sans doute récemment à en juger le coin cuisine très moderne, on trouvait également un bureau en verre, une table ronde pour les repas, 4 chaises paillées, un lit double sans couette mais avec une couverture de laine, une salle de bains au carrelage bleu turquoise, une énorme cheminée, le portrait d’une inconnue, sorte de reproduction bon marché, collé sur le mur près du bureau.

Une porte-fenêtre face au lit permettait d’accéder à un petit jardin fleuri.

Le parfait endroit pour travailler.

Petite précision, ma chambre était située au niveau de l’ancien petit cloître, au centre duquel se dressait une fontaine centenaire avec un bassin à profil large comme celui d’une corbeille à peine moulurée.

Chacun organisait sa journée à sa guise mais le soir, tous les résidents étaient conviés au réfectoire afin de partager un dîner commun servi dès 19h30.

Cette première soirée fut très agréable et me permit de faire connaissance avec mes voisins de chambre. Nous étions éparpillés dans cet ancien monastère, certains bénéficiaient de grandes cellules, d’autres de moins grandes. Ainsi va la répartition aléatoire.

Ce soir-là, je m’étais endormie assez rapidement, le voyage, le changement d’air m’avaient éreintée.

Au milieu de la nuit, je me suis réveillée en sursaut, gênée par une sorte d’éclair jaillit d’on ne sait où. Un flash presque. Je ne comprenais pas, d’autant que j’étais certaine d’avoir fermé les volets intérieurs et éteint correctement ma lampe de chevet. Je me souviens avoir regardé le réveil (maintenant que j’y pense, la lumière devait être suffisamment forte pour que je puisse voir l’heure sans allumer), il était minuit dix. J’avais l’impression qu’un faisceau sortait du mur latéral droit et traversait la pièce. Par réflexe sans doute, soudain une peur inouïe m’a saisie au point de me cacher sous les draps. La politique de l’autruche doit faire partie de moi, en espérant malgré tout  être en proie à un trouble hypnagogique.

De longues minutes plus tard, en ressortant ma tête, la lumière avait disparu mais j’ai senti comme une présence glaciale au bout de mon lit. Alors je me suis mise à prier, moi qui ne prie jamais et qui n’ai aucune culture religieuse.

Puis soudain tout a cessé et aussi incroyable que cela puisse paraître je me suis rendormie très vite, curieusement calme et détendue.

Le lendemain matin, j’étais rassérénée, sans une trace des grandes angoisses de la nuit, tournée vers le soleil et la vie.

Durant le reste du séjour, je n’ai ressenti que douceur et quiétude, ce qui n’était pas le cas de certains résidents avec qui j’ai eu l’occasion d’échanger. Pour eux en effet, ce lieu n’était qu’un clair -obscur d’où surgissaient des monstres.

Les amitiés naissantes et les confidences partagées m’ont ainsi appris que certains résidents étaient moins bien lotis côté fantômes.

Le mot fantôme revenait assez souvent dans nos conversations.

Le grand cloître, qui abritait plusieurs cellules, une ancienne prison et un vieux cimetière, était semble-t-il très habité. Des ombres furtives de moines, des respirations, des murmures, chacun y allait de sa petite histoire à vrai dire.

Les personnes de l’entretien ne se déplacent jamais seules là-bas paraît-il.

Je n’ai rien vu, je ne peux rien affirmer. En revanche, quelqu’un a enregistré les bruits qui troublaient ses nuits. Je les ai entendus et croyez-moi ils sont vertigineusement épouvantables. Cette autrice aurait pu demander un changement de cellule mais elle n’y tenait pas, elle écrivait la nuit et tous ces sons étaient  pour elle une grande source d’inspiration.

De mon côté, plusieurs semaines après avoir quitté cet endroit, lorsque dans ma vie ordinaire, celle de tous les jours, une petite angoisse, un petit souci vient me contrarier, je re-visualise ma cellule et revois cette lumière, je ressens alors immédiatement un sentiment de quiétude et de liberté.

 

Voilà, ainsi s’achèvent mes traversées vers l’étrange et il n’y a aucune conclusion définitive à en tirer.

À chaque expérience est-ce notre imaginaire qui nous trompe ou le réel qui nous offre l’incertitude du rêve ?

À chacun d’y trouver sa réponse.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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