Créé le: 27.10.2015
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Nouvelle

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© 2015-2025 a Jean Cérien

Deux vies se croisent, comme le reflet d’un arbre dans un miroir,  avec ou sans l’arbre. Exhibition de la solitude sur la toile ou  rencontre à travers elle, avec ou sans l’autre. Le jeu d’un  ’je’ perdu dans un univers parallèle.
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Superpositions: son image, ma mémoire

Elle était timide, évanescente et belle comme une fée, si belle que je n’osais l’approcher.

Lorsqu’elle apparaissait, toujours de nulle part, elle me pétrifiait et je me sentais aussi lourd qu’un rocher d’un bloc de granit ; mes yeux m’échappaient, suivaient ses virevoltes puis se vidaient, remplis d’une image sans repères. Une fois partie, je regardais à droite, à gauche, et marchais en face de moi. Sur cette photo exposée devant mes yeux d’adulte ayant tourné le milieu de sa vie, la couleur de sa peau, contrastée entre les jeux d’ombres et de lumières, éclaire encore cette minute de ma journée qui passe par là, bien que mes émotions, calmes et coulantes, ne soient plus chamboulées: la vie ayant pris une route qu’il serait présomptueux de ne pas considérer. À l’opposé de cette époque, où j’avais l’impression de ne jamais être au bon endroit, au bon moment! Je me promenais souvent au bord de la rivière, où j’enviais les arbres qui ne pouvaient manquer ce simple rendez-vous avec eux-mêmes. Même et surtout en photo, j’étais certain d’être à l’envers du décor ! Non, je ne m’aimais pas. La force qui se dégage encore aujourd’hui de son visage pourtant figé, la posture calme et sereine qu’elle tient forcent le respect et me renvoient à mes années d’étudiant, hors du temps et des contraintes quotidiennes, sur fond sépia; cette sépia qui encadre ses cheveux ornés des teintes châtains empruntées à tous les possibles du camaïeu. Cette sépia qui colore la pièce qui m’entoure. C’est bien aux années d’études que renvoient une telle richesse des possibles : avant les choix d’une vie, qu’ils aient été faits ou contraints; mais comment ne pas être contraint lorsque l’on ne s’aime pas? Ma vie se déroulait comme un arbre dans un miroir, mais sans l’arbre qui aurait dû s’y refléter.

 

Superpositions: son âme, mon regard

Comment pourrait-elle bouger dans cette photo statique et me révéler une fois encore cette âme dans laquelle j’oubliais la mienne ? Par sa posture, par le truchement du poids de la tête qui se repose sur un pouce tendu, du poids d’une main dont un doigt semble toucher le bas du cou, par cette différence entre une main exprimant sa conscience, les doigts légèrement repliés sur sa bouche, et l’autre portée par le poignet à bout de course, exprimant son abandon, par cette seule différence, la lecture de son énergie, de ce moment de mouvent figé, de sa manière de se concevoir dans son espace de possibles, par cette subtile différence, elle m’offre son identité d’artiste, comme un renard cherche la bonne piste, ou plutôt, au vu de sa finesse d’esprit, comme un fennec ferait disparaître son pelage dans les sables. Si j’avais eu des yeux qui m’eussent permis de me voir tel que les autres me voyaient, et que je me fusse regardé ainsi plusieurs heures par jour, dans une habitude évidente de mon image, aurais-je eu l’impression d’être un autre dans le miroir? Aurais-je eu ce surplus d’estime de moi qui eut collé mon image à mon âme? C’est bien ce qui me faisait dire qu’il y avait un intérieur et un extérieur, moi et le monde: ce que je voyais de moi qu’elle ne voyait pas, ce que je voyais d’elle qu’elle ne voyait pas. C’est bien ce qui me perdait: cette frontière d’avec moi-même. Ne m’aimant pas, je ne pouvais l’aimer; n’étant jamais avec moi-même, je ne pouvais être avec elle. Je me séparais, me déchirais entre son âme et mon image, comme un arbre collé au milieu d’un miroir, sans racine, sans réalité.

 

Superpositions: son destin, ma vie

Nous nous croisions et de ces croisements une histoire aurait pu être racontée; nous nous sommes croisés et de ce croisement, mon histoire c’est déroulée, la sienne aussi, par ailleurs. Mais ces pensées qui animaient son corps au moment de la photo, ces pensées qui étaient l’âme de son corps, son moteur, son surplus qui la distinguait de la pensée du vide, ces pensées sont-elles dans un monde si éloigné du mien qu’ils font deux ? Ne racontent-elles pas l’histoire d’une auteure qui cherche à changer le monde par la seule force de ces mots, de ses histoires? Comme un historien change le monde passé par la seule force de l’histoire qu’il écrit. Cette ondulation dans ses cheveux est-elle la marque d’un temps qui a marqué le début d’une histoire et duré jusqu’à sa fin? Ce serait là une coïncidence étonnante, mais ne faut-il pas une marque pour que je regarde les mouvements irréversibles de l’espace comme le début d’un moment ou la fin d’un autre? Quelle rupture entre elle et moi sépare notre aujourd’hui, autre que des murs, des routes, des forêts et des champs, de l’espace occupé qui me fait croire que nous sommes deux distincts, bougeant séparément, alors que nous bougeons sur la même terre, emportés par sa vitesse, et que nos différences de mouvements ou de positions spatiales ne sont rien relativement à la position de la terre face au soleil ou même à sa lune, face à l’irréversibilité des changements spatiaux? Ce n’est que dans mon regard intérieur de sa photo que je nous vois deux, ayant deux vies éloignées, comme un arbre se reflétant dans un miroir abandonné aux commentaires d’une auteure de sa vie.

 

Superpositions: sa virtualité, mon émotion

Extraite d’un site social, publiée pour donner un visage à son nom, cette photo est l’essence de ce qu’elle veut montrer d’elle: belle déesse de son espace intérieur conférant à son environnement l’harmonie divine de la perfection humaine, et c’est bien telle, que je la voyais. Elle arriva dans ma vie un jour d’hiver triste, d’un hiver sans neige et dont le futur n’était autre que le passé et le passé aussi insaisissable que le présent. Elle n’arriva pas, en fait, elle était là où j’étais et j’ouvris les yeux dans ses yeux intenses comme de la lumière. Ils brûlaient de l’histoire d’une économie de moyens mettant les miens à feu et à sang. C’est toute ma philosophie qu’elle mettait à plat, comme les pages d’un livre déchiré, étalées les unes à côté des autres, formant un chemin n’ayant aucun lien avec le livre. Les réseaux sociaux ont cette particularité qu’ils permettent de tisser la toile de son présent avec les fils du passé, d’un présent virtuel qui a pour futur une somme d’erreurs laissées à compte d’auteurs laissés pour compte. Le compte des amis, des réponses et des fils d’actualités où les émotions des proches osnt effacées par l’industrialisation de l’émotionnel.

Chacun pour soi, chacun à soi, dans une proximité virtuelle ayant dépassé la limite de l’intime, proche de l’impudeur, voire en son sein. Vecteurs de l’oralité, les services actuels de communications supportent amicalement les erreurs de l’instant, communiquées immédiatement, mais figées dans la mémoire de l’écrit, à tous jamais.Il n’a jamais été aussi facile de faire une faute qui soit marquée au fer rouge d’une relative éternité. L’erreur est devenue la limite des possibles.

 

Superpositions: son irréalité, mon erreur

L’erreur de ne pas lui parler, de ne pas transformer mon être de granit en un chevalier servile des romans romantiques, est-elle moins réelle que la vérité de cette photo affichée sur l’écran d’une tablette? Ma vie aurait peut-être pu être autre sans cette erreur, mais aurait-elle pu simplement être sans ses erreurs ? La trace de mon passage n’est-elle pas mieux définie par mes erreurs, comme le reflet d’un arbre dans un miroir, sans l’arbre, plutôt que par ses vérités, comme un arbre sans miroir pour le refléter, au milieu de la forêt. Comment pourrais-je me définir si je n’étais que vérité, que réalité sans écart ? Défini par mes erreurs, je me retrouve partout où mon chemin s’est séparé de la réalité des faits, partout où il a créé une vision personnelle, une interprétation subjective. Sujet d’émotions, d’amours et de désamours de moi et des autres, je trace ma vie dans l’immensité de l’univers en pointant mes erreurs, mes choix et mes laissés faire au milieu de vérités évidentes, d’assertions vides de contenu puisque ne décrivant que ce qui est et qui n’est déjà plus, le temps du verbe. D’erreurs en erreurs, la vie d’étude rebondit d’émotion en émotion, traçant notre identité dans l’attachement, l’amour et la perte ou à l’opposé, le rejet et la haine. Il n’y a pas de place dans la science pour l’émotion et l’attachement ; il n’y a pas de place dans un cœur pour les distinctions formelles et la froideur analytique. Et pourtant l’un ne va pas sans l’autre.

 

Superpositions: nos erreurs, nos fées

Telle a été la leçon de vie apprise de cette envoûtante fennec retournée vers son Petit Prince. Apparut alors une image sur un écran , comme une fenêtre sur une irréalité : l’habitude que l’on prend de ne plus vivre par soi-même nos propres erreurs timides, évanescentes et belles comme des fées.

Commentaires (1)

We

Webstory
09.12.2018

'Quelle jolie surprise! Jean Cérien publie à nouveau une de ses nouvelles qu'il garde précieusement pour les faire éclore quand elles sont mûres. Nous allons la promouvoir. Bravo Jean!'

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