Créé le: 09.05.2020
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Notre-Dame de Paris

Histoire, Nouvelle, Patrimoine

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© 2020-2024 Caroline Renard

De très nombreuses personnes de par le monde ont éprouvé une émotion - de la tristesse, souvent - en voyant la toiture de Notre-Dame en feu ce 15 avril 2019. Qui n'a pas poussé un petit cri de frayeur en voyant sa flèche s’écrouler? Comment expliquer le rayonnement de la cathédrale au-delà de la France?
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Elle est là, sur le parvis, la touriste japonaise, ce 13 avril 2019, petite et bien enveloppée. Son chapeau gris à larges bords est retenu par un foulard rose pâle qui enrobe sa tête comme un œuf de Pâques. Les bras levés au ciel, elle photographie la façade et les deux tours de la cathédrale Notre-Dame. À sa gauche, sa collègue de travail vivant à Kyoto presse de l’index son smartphone ; à sa droite, un homme grisonnant à lunettes cerclées de métal et bien mis dans sa chemise fraiche et sa veste claire retire de son épaule le sac qu’il porte en bandoulière ; il en ouvre la fermeture éclair. Devant, derrière, ils sont tous là, le groupe autour de leur guide de même nationalité. L’attente pour entrer à l’intérieur du monument sera longue – plus d’une heure – mais la visite est gratuite.

 

Plus loin, un policier à vélo repousse une mendiante vers les quartiers des échoppes touristiques et au même moment, en contre-bas, un pickpocket tire habilement le portefeuille placé dans la poche arrière du pantalon d’un touriste. Aucune des quatre caméras de surveillance ne saisira ce tour d’adresse digne d’un professionnel.

 

En début de soirée, quand les 30.000 touristes du jour seront rentrés à l’hôtel, le parvis accueillera à son tour le Roi et la Reine venus du Grand Nord et descendus de voiture à quelques pas de l’entrée principale. La messe ne sera pas dite, mais le livre d’or placé au pied de la sculpture de la Vierge sera signé. La réception des souverains se veut culturelle, diplomatique et politique. Monseigneur, Directeur, Recteur du lieu depuis peu, répète une dernière fois les divers moments de la réception royale réglée par le protocole. Monseigneur a de la peine à s’habituer à l’agitation, au mouvement continu auxquels il est confronté dans ce lieu qu’il voudrait avant tout recueilli.

 

Aujourd’hui, comme chaque jour, la ruche intérieure bourdonne ; sur le toit de la sacristie les 200.000 abeilles installées dans leur rucher depuis quelques années vrombissent. Elles échapperont à l’incendie du 15 avril 2019 comme la couronne d’épine portée par le Christ lors de la crucifixion et achetée au 13ème siècle au prix de la moitié du budget de la nation par le roi Saint Louis. La couronne est aujourd’hui intacte : c’est un miracle de Notre Dame.

 

 

 

Nous voilà revenus au même endroit, sur le parvis, plus avant dans le temps, au Moyen Âge, vers 1232, au début du style gothique rayonnant. La cathédrale, achevée en 1355, aura demandé 182 ans d’efforts aux compagnons bâtisseurs.

 

Jehan, le maître bâtisseur, l’architecte du lieu, se dirige de son pas rapide vers l’auberge « le Chaudron ». Il appuie de sa main fine la lourde poignée en fer forgé à la forme d’une queue de chat enroulée et dès que la porte s’ouvre sur la salle à manger et à boire, l’homme mince, élancé se retrouve nez à nez avec le maître verrier, Jacquemet, qui est déjà attablé et qui s’écrie :

– Camarade, prends place, j’ai justement à te parler.

La servante dépose l’assiette bien remplie de semoule de blé dur accompagnée de quelques morceaux choisis de viande de porc nageant dans une sauce au lait d’amande relevée au miel. Accoudé à la table, Jehan dont l’œil gauche plissé de naissance fixe son voisin, fourre à la main la nourriture dans sa bouche :

– Je t’écoute, parle !

– Théodémar, l’artisan verrier, n’a plus de bleu de smalt. Il nous reste le manteau de  la Vierge à peindre pour terminer notre vitrail. Les mineurs ne veulent plus extraire ce minerai, ils disent qu’il enferme un esprit maléfique.

– C’est quoi cette marotte ?

– Le cobalt pur qui sert de base à notre couleur bleue est gris et ressemble au minerai d’argent. L’un offre le métal précieux, l’autre pas. D’où cette croyance que l’un des deux métaux est malfaisant !

– ha, ha, ha (rires) …

– Ha, ha, ha (rires) …

– Ces mineurs, ces esprits chagrins sont le fruit de l’ignorance. Comment les persuader de livrer à nouveau les sels de cobalt ? Attends, j’ai une idée : le maître-maçon a une magnétite ; cette pierre détecte le métal. Dans sa carrière, il trouvera bien une météorite qui contient notre fer …

 

Jehan, énergique, se lève de son banc, jette un regard méprisant aux compagnons jouant aux dés et retourne à son travail. Un gant blanc dépasse de sa tunique bleu sombre.

 

 

 

Nous voilà projetés encore plus avant dans le temps, avant la naissance du Christ, lors de la civilisation celte.

 

La Seine. Doucement, elle sort de terre en Côte d’Or, s’écoule si lentement qu’elle serpente et se cherche un chemin dans cette région sans profil, sans fuite au loin. Mais elle s’élargit peu à peu au gré des kilomètres et se sépare même en deux bras, l’un à gauche, l’autre à droite à l’endroit qui se nomme aujourd’hui l’Île de la Cité. La Seine. Elle a déposé sa graine sur terre ferme, et mère nourricière elle l’enveloppe, mais elle poursuit sa route, sans retour, pour se jeter dans l’immensité liquide, la mer. Elle a bouclé la boucle.

 

Elle, Aifé, revient de la forêt. Le panier qu’elle porte de la main droite contient les herbes fraiches dont elle avait besoin pour réaliser sa potion bienfaisante ; elle a même récolté un peu de gui qu’elle fera sécher près du feu. Mais elle n’avait pas remarqué le piège posé par l’un ou l’autre habitant du hameau. Elle s’est retrouvée les pieds liés, tirée vers le sol. Son épaule a violemment frappé la grosse pierre qui servait de paravent. Elle souffre.

 

La belle Aifé, la blonde druidesse ne parvient plus à tresser ses longs cheveux. Son regard bleu devient inquiet. Les soins qu’elle prodigue à son épaule, jour après jour, ne parviennent pas à guérir sa blessure. Ses compagnons les druides eux aussi restent impuissants. Rien n’y fait, ni les cataplasmes, ni les incantations. Elle doit partir en pèlerinage, traverser la mer et marcher jusqu’à la source sacrée. Elle tire la capuche de sa tunique claire sur la tête ; ce soir de pleine lune, l’air est humide, des gouttelettes tombent en virevoltant du ciel. Le village de Rosslyn, près d’Édimbourg est déjà derrière elle.

 

« Do, ré, mi, fa, sol … ». Aifé chantonne en s’approchant des huttes de bois qu’elle voit au loin. Elle espère qu’une âme charitable lui proposera le gîte et le couvert pour la nuit. Elle est fourbue, elle a besoin de repos. Quand elle dort dehors, la jeune femme veille, est aux aguets comme une chatte prête à fuir en cas de danger. L’ours, le sanglier et les autres bêtes sauvages ne reculent pas devant une proie humaine. Ni la nuit noire, ni le sifflement du vent, ni l’ululement du hibou, ni le croassement du corbeau – « zzz, hou, hou, croa, croa » – ne les effraient. Aifé se méfie aussi de l’homme qui se confond avec la nuit : le voleur, le brigand, le vagabond ; elle tient à la main, sous la cape, sa petite serpe au manche doré. L’outil est à double tranchant comme une chose et son contraire.

 

« Do, ré, mi, fa, sol … » : la vieille femme entend cette sonorité universelle, s’arrête devant l’entrée de la masure, laisse tomber l’écuelle – heureusement vide – sur le sol. Elle relève le pan de sa chemise, s’agenouille avec la lenteur et la raideur de l’âge, se courbe vers l’avant et lentement, très lentement relève le menton et dresse ses bras ouverts vers le ciel. Les mots qu’elle prononce sont d’abord inaudibles sous le coup de l’émotion et peu à peu ils deviennent distincts :

-Il va être sauvé !

En entrant dans la hutte, tout au fond, couché sur de la paille, Aifé le voit. Il gémit. La druidesse s’approche du vieux et malgré sa douleur à l’épaule, elle le soulève doucement, l’entoure de ses bras et lui demande d’une voix chaude, aimante :

– Où as-tu mal mon petit père ? Ne t’inquiète pas, je te guérirai.

 

Et la druidesse court les bois pour cueillir l’herbe nécessaire à la potion miraculeuse et à l’emplâtre. À son retour, toujours sans tenir compte de sa blessure, elle tire le malheureux vers l’extérieur pour que son visage respire l’air du dehors. Gentiment ses lèvres bleutées redeviennent rosées et ses yeux d’un brun sombre et profond s’allument d’une petite lumière. L’espoir est revenu ; ce soir il s’allongera encore sur sa paillasse, mais demain déjà, il s’appuiera sur les béquilles qu’Aifé lui a confectionnées avec les branches solides d’un chêne ; il retrouvera la verticalité, sa dignité humaine.

 

Au matin, Aifé s’en va. Elle se retourne, elle fait un dernier signe à la vieille qui la regarde – émue, la larme à l’œil – avant de tourner à gauche sur le chemin et d’entrer dans la forêt.

 

À travers les arbres, elle aperçoit le jour gris du ciel et de la terre. Bientôt, elle arrivera au bord de la mer et devra trouver une embarcation qui lui fera traverser les eaux et l’ancrera au sol sur la rive opposée. De pas en pas, sa vision s’élargit. Elle passe près de quelques arbres hauts de tronc qui se sont échappés de la forêt. La terre devient sablonneuse ; des prés à la végétation composée de graminées et d’arbustes déformés par le vent, aux teintes vert, bleu et rose pâle offrent un habitat aux échassiers. Trois ibis – oiseaux majestueux – de couleur brun chocolat et miel, au long bec et à la tête en point d’interrogation semblent prêts à déployer leurs queues et à lancer leurs corps ovales et dodus dans les airs. Au loin, Aifé distingue quelques habitations. « Do, ré, mi, fa, sol … ».

 

L’attente devient longue car la mer est agitée et il est trop dangereux de mettre l’embarcation en bois à l’eau. Enfin le jour du départ arrive. Aifé, retire de sa chausse une pièce d’or qu’elle tend au passeur. Deux hommes, pieds nus, couverts d’une tunique brune à capuche ouverte sur le devant sont aussi du voyage et transportent des morceaux de moutons, brebis et chèvres, soit frais, soit bouillis dans de l’eau ou encore séchés et enrobés de sel. Ils apporteront à leur retour du vin, du miel, des pommes et des prunelles.

 

Au large, la couleur de l’eau est sombre, presque verte ; Aifé mélange de ses doigts fins ces nappes d’organismes végétaux contenant de la chlorophylle qui se déplacent en suspension et en grand nombre à la surface de l’eau. Elle attrape quelques algues et les colle sur la face extérieure et bombée de son panier.

– Cela peut toujours servir, pense-t-elle.

Plus l’on approche du rivage, plus la couleur du ciel et de l’eau vire au bleu. Le soleil brille généreusement et réchauffe les voyageurs. Les rayons de l’astre se jettent dans la mer : jaunes d’abord, puis rouges, puis bleus. L’eau devient transparente, turquoise par endroits ; la barque glisse sur les pierres, le passeur saute à l’eau et tire son bateau sur le sable fin. Les compères s’attarderont dans la petite crique, grilleront encore quelques poissons et partageront une ou deux galettes de pain avant de se séparer et de reprendre la route.

Aifé se rend au cœur de la civilisation celte, à la source de la grande Rivière où elle entrera en communion avec la déesse qui habite le lieu. Les pouvoirs de cette dernière sont la guérison d’un organe, le rétablissement d’un membre du corps et l’art de la divination.

 

Aifé vêtue d’une légère étoffe blanche tient dans ses mains la statuette de bois sculptée en cours de route qu’elle apporte en offrande à sa sainte patronne. Assise sur le bord de la piscine sacrée, elle laisse ses pieds barboter librement dans l’eau. Sa concentration augmente fortement, elle se connecte à l’énergie qu’elle peut sentir en elle à tout moment si elle le souhaite. Elle se sent prête à invoquer la déesse :

– Ma Mère, ma Reine, ma Déesse, mon éternel Féminin, moi Aifé druidesse d’Ecosse, je suis venue pour demander guérison et entendre la parole. Ma sainte Mère, je suis à ton écoute.

 

La jeune femme, les yeux fermés, visualise des traits de lumière bleue, puis une couleur dorée. L’image se fait plus sensible, elle est semblable à une clé de voûte qui déverse des arcs de lumière vers le sol comme un feu d’artifice dans le ciel. S’ajoutent à cette image, la vision d’une femme assise et voilée et celle peu nette représentant un fœtus baignant dans son eau ou une graine, grosse, dodue, prête à éclore et à germer. Un bruit de vent, d’arbres en mouvements pénètre à l’intérieur d’Aifé ; ces sons deviennent de plus en plus distincts quand soudain très clairement, elle entend :

– Ma douce, ma belle, mon enfant, va ce soir cueillir trois « lys katrin » plus loin dans la forêt. Tu seras guidée par l’odeur douce et enivrante de cette fleur nocturne. Tu la reconnaitras avec certitude lorsque tu entendras le grésillement des insectes à longue trompe qui volent sur place autour d’elle. Tu en choisiras de vieilles qui sont au terme de leur cycle. Prépare une infusion, bois la tisane bienfaisante et le nerf de ton épaule se calmera et ta douleur s’apaisera.

Elle demande à Aifé d’écouter encore la prédiction qui vient de très loin, de tous les temps, éternellement, de la Mère des Mères, de la Mère qui crée et qui détruit :

– Mets-toi en marche à mes côtés, le long de l’eau et arrête-toi où mon cours se sépare très distinctement en deux bras qui se rejoignent à nouveau plus loin. Là réside mon cœur qui bat au rythme du tambour. Enfouis trois pièces d’or dans la terre et prononce trois fois « Senaqua ». Le souffle de mon nom s’imprégnera à jamais dans ce lieu. D’autres, construiront des bâtiments à cet endroit, toujours plus beaux, toujours plus hauts qu’ils dédieront à leurs dieux, mais toi, druidesse, tu es la mémoire de l’humain, de tous les humains et ta vérité est celle de la Nature. Un jour, les habitants de cette terre comprendront que l’esprit est rigide comme l’écrit et qu’il doit s’accompagner du ressenti qui respire comme une parole qui vient et qui s’en va. Adieu Aifé, je suis Senaqua, puissance spirituelle, ambassadrice de la paix.

 

« Do, ré, mi, fa, sol … », Aifé approche de l’emplacement où le petit ruisseau est devenu une si grande rivière qu’elle se partage, le temps de se chercher et de se retrouver. « Do, ré, mi, fa, sol … », voilà les premiers toits de chaume qui montrent leur pointe à l’horizon. Aifé distingue des taches ocre et de petits points blancs. Ce sont les druides qui sortent de chez eux, de leurs maisonnettes. Aifé est alors éblouie : des éclairs lumineux s’entremêlent au blanc et à l’ocre ; on dirait le mouvement de guerriers sur un champ de bataille et en effet, des chevaliers et leurs armures se rendent sur l’île pour une réunion. Ce jour-là, un nouveau chef des druides doit être élu. Maintenant Aifé marche vite. Elle comprend que quelque chose se passe et elle veut rejoindre le groupe. Parvenue au milieu des druides, son voisin à l’habit blanc et à la longue barbe blanche va la présenter au chef nouvellement élu et lui dit :

– Chef, voilà la druidesse Aifé de Rosslyn qui est en pèlerinage sur nos terres. Accepterais-tu, puisque son regard est neutre, qu’elle décide demain si l’offrande doit avoir lieu ou non ?

– C’est une chance pour nous d’accueillir Aifé ; elle seule décidera si le chevalier-vengeance pourra mener à terme le sacrifice qu’il prépare. Il reste quelques heures à notre consœur pour mener son enquête. Qu’elle se rende sur les terres du chevalier-vengeance et sur celles, proches, du chevalier-voleur. Et là, qu’elle écoute les propos des paysans. Elle se fera son idée. Explique à notre invitée les raisons du conflit entre les deux chevaliers. Qu’elle décide lequel des deux hommes n’a pas respecté le décret.

 

Le vieux druide à la barbe blanche et au regard malicieux s’approche d’Aifé par derrière et la prend par le bras :

– Viens, éloignons-nous du groupe et je t’expliquerai la situation.

 

Aifé et le vieux druide sont assis maintenant sous le grand chêne qui sépare les terres des deux chevaliers et échangent les propos suivants :

– Nous, les druides d’ici, interdisons aux chevaliers propriétaires terriens et aux paysans de récolter les céréales couchées à même la terre par tout ce qui peut venir d’en haut et tomber sur nos têtes ou sur le sol comme le ciel, la foudre, la pluie, la grêle. Et de petites boules blanches glacées ont justement plié et cassé les céréales cultivées par nos deux maîtres. Chevalier-vengeur prétend que chevalier-voleur a envoyé ses hommes sur son champ pour s’emparer des grains d’orge.

– Il nous faut réunir les cultivateurs !

 

Aifé est assise maintenant les jambes croisées sous le grand chêne. Les paysans qui travaillent pour survivre, jeunes, vieux, de maintien droit ou courbé se tiennent les uns derrière les autres, à la queue-leu-leu, et tous répondent la même chose à savoir qu’ils n’ont pas pris d’orge dans le champ de maître-voisin. Aifé a regardé ces hommes dans les yeux et son jugement est fait : chevalier-vengeance a tort, il accuse un innocent. Il n’aura pas droit au sacrifice qu’il prépare déjà.

 

Le lendemain, la journée est douce, de grands oiseaux gris planent au-dessus de l’île. Chevalier-vengeance a préparé le feu et six de ses hommes portent sur leurs épaules l’énorme mannequin d’osier tressé. Il est couché, comme mort, les pieds devant, la tête derrière et dans son ventre sont ballotées les trois victimes qui devraient d’ici peu être sacrifiées. Il s’agit d’un voleur de pommes et de deux paysans innocents – chevalier-vengeance n’ayant pas trouvé assez d’hommes coupables. C’est alors que la druidesse Aifé s’avance au-devant du cortège et lève le bras signifiant l’arrêt du convoi. Elle s’adresse ainsi au chevalier :

– Scélérat, impie, tu es interdit de sacrifice et tu ne peux pas demander justice. À travers mes mots, ton sort est scellé.

Les spectateurs alors s’écartent, le condamné s’éloigne, seul, la tête baissée. Et la vie reprend son cours.

 

Aifé, son travail terminé, salue la foule et s’en va à la recherche de l’endroit, sur cette île, où elle enterra ses trois pièces d’or et prononcera trois fois le nom de « Sénaqua », la déesse, la Mère, l’énergie universelle. L’épaule guérie, la mission accomplie, la belle druidesse Aifé reprend le chemin du retour. « Do, ré, mi, fa, sol … ».

 

 

 

Une grande bâche blanche recouvre aujourd’hui la toiture de la nef et du cœur de la cathédrale Notre-Dame comme un pansement protège une blessure corporelle des infections. L’état de santé de la vieille Dame est stabilisé. Divers diagnostics seront posés et des remèdes proposés. Tout d’abord, l’homme au crayon imaginera une toiture en verre et une flèche construite avec le même matériau et consolidée par de l’acier. La toiture sera éclairée la nuit ; elle répondra à l’illumination de sa voisine la Tour Eiffel. Un deuxième bâtisseur aura une vision très proche : une verrière permettra au visiteur d’avoir une vue plongeante sur l’intérieur, le ventre de la cathédrale. Un troisième constructeur soignera notre brûlée à l’aide de produits naturels. C’est un jardin tout en verdure qu’elle portera sur le dos. La flèche, quant à elle deviendra un rucher. En tous les cas, le projet choisi sera beau, moderne, dans l’air du temps.

 

Les archéologues profiteront du chantier, de cette opération d’une telle ampleur pour effectuer quelques fouilles. Ils souhaitent affiner leurs connaissances et compléter leurs collections : objets, piliers et constructions gallo-romains, vestiges sur ce site des précédentes églises paléochrétiennes, mérovingiennes, carolingiennes et romanes. Les fouilles auront lieu pour commencer derrière l’abside. Le chef de chantier espère plus particulièrement retrouver des éléments de construction datant du douzième siècle. Il aimerait savoir si le chevet construit à l’époque de la première étape d’édification de l’actuelle cathédrale était soutenu par des arcs-boutants. Une réponse positive confirmerait l’hypothèse que le chevet de Reims aurait exercé une influence architecturale sur le chevet de la cathédrale d’Amiens ; ce dernier, parvenu à la perfection, aurait été étudié, copié et aurait servi à son tour de modèle à toutes les grandes constructions gothiques de la même époque. Le chevet de Notre-Dame aurait été une copie du chevet de la cathédrale d’Amiens.

 

Des pelles mécaniques de petite dimension seront les premières à ouvrir le bal. La pelle et la main de l’homme retireront ensuite les couches de terre. C’est alors que la fouille fine pourra commencer : les jeunes étudiants archéologues établiront et délimiteront des carrés d’un mètre environ. Ils gratteront la terre à la spatule et c’est à ce moment-là que l’un d’entre eux trouvera une pièce d’or représentant un homme tenant dans sa main gauche la tête coupée d’un personnage retenu par ses longs cheveux. Le chef celte représenté sur la pièce de monnaie et tout son peuple sont considérés de nos jours comme des barbares. Et pourtant ce n’était rien de cruel pour eux que d’immoler des humains. Leur conception du monde était simple : la vie s’en va certes, mais elle ne disparait pas. Elle revient, réapparaît, mais sous une autre forme. La mort est l’occasion d’une transformation. Elle ne représente pas une finalité.

Le jeune archéologue ayant trouvé la pièce d’or s’est remis avec entrain et acharnement à sa fouille et c’est en soulevant une nouvelle couche de terre qu’il s’écrie :

– J’ai trouvé une deuxième pièce d’or. Venez voir !

Ses collègues, excités par la découverte, le rejoignent. Une jeune fille, mince, en jean, t-shirt rose et lunettes rondes observe les alentours du carré de travail. Elle aperçoit alors une lumière jaune et par moments bleutée qui s’évapore de la terre et qui se dissout dans les airs. Le souffle de « Senaqua ». Le soleil brille ce jour-là et une troisième pièce en or, d’origine celte et identique aux deux autres est extraite du sol. Cette dernière et ses deux voisines occuperont une place de choix dans la vitrine du musée historique de Notre-Dame de Paris.

 

 

Notre vieille Dame est sortie vivante des flammes en ce 15 avril 2019 et sa brûlure s’ajoute à ses autres maux : sa pierre s’effrite, sa souffrance est morale en voyant le nombre de souvenirs touristiques qui doivent être vendus dans sa boutique pour subvenir aux dépenses dues à l’âge ; elle est bien chauffée et tous les contrôles médicaux et les petits soins doivent être réglés. Quand elle se plonge dans ses souvenirs passés, c’est avec effroi qu’elle revoit ces révolutionnaires détruire à coups de haches les sculptures qui font d’elle une croyante. Elle repense à ces écrivains qui l’ont aimée ou au contraire blâmée. Elle tremble encore de froid comme tous les invités qui ont dû attendre deux heures durant l’arrivée de Joséphine et Bonaparte lors du sacre. Elle sait que ce n’est plus pour son esprit saint que les personnalités franchissent de nos jours sa porte, mais elle est contente d’incarner une union, la réconciliation d’un peuple. Elle laisse chacun trouver en elle une signification. Elle sait qu’elle est, comme une haute montagne, un chef-d’œuvre.

 

 

 

L’Évangile contient ses miracles et les druides sont les gardiens de la mémoire collective … C’est Jules César qui le dit. Aifé a déposé une vérité naturelle sur l’île de la Cité … Le souffle de Sénaqua a été libéré … Homme, femme, enfant, blanc, noir, jaune, riche, pauvre, chrétien, musulman, bouddhiste, athée, européen, asiatique, africain, américain … chacun ce soir d’avril a retrouvé ses racines humaines, collectives, universelles et éprouvé les émotions qui accompagnent ce moment.

 

Et comme au Moyen-Âge, les cloches de Notre-Dame carillonneront à nouveau. Mais le clochard, payé pour sonner les cloches, a perdu son métier. Son travail, semble-t-il, s’échangeait contre de l’alcool.

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