J’aurais dû faire marche arrière… pourrait être la conclusion de ce que vous allez lire. Ces lignes ne relatent ni une histoire d’amour, ni une affabulation. C’est une « non-histoire », le type de relation que l’on croit avoir imaginé mais que l’on ressent au plus profond de ses tripes…
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– La version du côté de chez Elle –

J’aurais dû faire marche arrière ce jour magnifique de début d’automne. Je suis partie certes heureuse et soulagée, pourtant je sentais sur moi ton regard affolé lorsque j’ai descendu l’escalier. J’aurais voulu arrêter le temps, déposer mon sac à terre et te prendre dans mes bras. Te rassurer et te donner un peu de mon énergie… Lorsque tu m’as embrassé pour me dire au revoir, j’ai ressenti ta peine qui se mêlait douloureusement à la mienne. Je me sentais comme coupée en deux, j’avais appelé cette séparation de tous mes vœux mais là… je n’avais qu’une seule envie…, celle de rester contre toi jusqu’à la fin des temps.

Je ressentais ce même déchirement qu’après la séparation définitive d’avec mon jumeau. La complétude semblait se briser à jamais, comme définitivement terminée. Je ne voulais pas te perdre, j’ai vu ton regard triste lorsque j’ai salué nos amis. Ton regard s’est alourdi un peu plus lorsque tu m’as regardée une dernière fois à travers la porte vitrée.

Mon cœur s’est rétréci, je me sentais tellement loin de toi et pourtant encore si proche. Pleine de sentiments confus, j’aurais voulu me retourner et te sauter à nouveau dans les bras et te dire dans un flot de paroles que je t’aimais plus que tout, au-delà de ce que tu pouvais imaginer, que nous étions des âmes sœurs et que j’étais la seule à pouvoir te rendre vivant à nouveau. Pourtant, malgré l’extrême force de mes sentiments, ta froideur et les conventions sociales m’ont arrêtées nettes.

Ce n’était pas… tenable. De quoi aurais-je eu l’air ? Aurais-je dû te dire que j’avais fait un rêve prémonitoire avec notre histoire en toile de fond ? Pour qui m’aurais-tu prise ? Aurais-tu compris mon acte et mes paroles ? Serais-tu devenu plus loquace et plus humain à mon égard ?

Notre relation m’a toujours fait souffrir et elle continuait encore à me torturer. Ce semblant de danse à pas de deux où les deux danseurs semblent à contretemps sur la musique, m’a fatiguée. Tu semblais ne jamais savoir ce que tu voulais, ni où tu voulais mener notre tandem.

A aucun moment je n’ai regretté notre duo, il était inespéré et surtout très improbable. J’ai eu ce coup au ventre terrible et puis le flashback qui m’arrive brusquement, tel un film de famille qu’on se repasse avec les meilleurs moments vécus aux anniversaires ou au cours des rencontres familiales festives. J’ai donc décidé de nous raconter dans un grand éclat de rire, car après tout c’est ainsi que je t’ai charmé… Dans un grand éclat de rire !

Au fond, tout cela n’était qu’une grande plaisanterie et risible à mourir, non ? La situation tout d’abord. Hal-lu-ci-nante !! Tellement hallucinante… !

Comment un rêve aurait pu m’obséder autant, ma souffrance était vive et particulièrement persécutante.

J’ai toujours cru que nous deviendrions proches, cela sous-entendait amants ou au pire… des amis ! Je croyais vraiment que l’on se comprenait, que l’on s’aimait et que l’on se respectait. Au lieu de ça… c’est l’ignorance qui demeure. Comme si nos chemins ne s’étaient jamais croisés.

La douleur est encore vive car on s’arrête pas d’aimer quelqu’un du jour au lendemain et encore moins à partir du moment où on a l’a décidé. Cela serait bien trop simple !

J’ai passé tant de nuits à pleurer et à espérer un mot de ta part que tout compte fait, tu n’as jamais quitté mon esprit durant ces trois années. Nuit et jour tu étais là, dans mes pensées. Cela m’a toujours fait un effet étrange d’être hantée par toi. Comment peut-on l’être alors que l’on ne se connaissait pas réellement ? Tout n’était que mystère autour de toi. Un flou immense t’entourait, tout avec toi n’était que conjectures de toute sorte. Ce qui fait que je suis tombée dans ta musette car j’avais besoin de te voir, de te connaître mais aussi d’échanger. Maintenant ma solitude est profonde et plus vile encore, car il n’y aura pas de retour en arrière, ou encore de possibilité de revivre à nouveau ces moments surréalistes.

J’ai longtemps cru que j’avais rêvés ces moments, qu’ils n’avaient été que le fruit de mon imagination. Que j’affabulais. J’ai essayé de m’en persuader très fortement. Pourtant cela a bien eu lieu et s’est bien produit, pas de doute.

Le goût amer de la séparation me l’a souvent rappelé. Tout cela va encore me manquer diablement, horriblement, durablement…

J’ai toujours su lire les connexions des gens entre eux. Etrange aveu, non ? Pourtant je ne suis pas extralucide mais je suis capable de m’asseoir à une terrasse de café et d’observer les gens assis autour d’une table. Je suis capable de voir leur connexion. De constater si elle existe ou non, vois-tu ? Cette connexion qui rapproche ceux qui s’aiment d’amour ou d’amitié, ceux qui s’apprécient, ceux qui se haïssent, ceux qui s’obligent à rester autour de la table pour les conventions et j’en passe… Je croyais profondément être connectée à toi, par un fil invisible. Ce fil invisible qui rapproche ceux qui se comprennent, qui s’apprécient sincèrement. Je voyais ce lien visible à mes yeux, cela transcendait ma vision mais j’étais juste la seule à le voir… apparemment.

Si je t’avais avoué mes sentiments, peut-être aurais-tu reculé et aurais-tu saisis le parti prix de l’étonnement ou du choc ? Aurais-tu été enchanté et m’aurais-tu dit que tu ressentais la même chose ? J’ai de la peine à le croire, ta froideur et ton contrôle étaient incompréhensibles pour moi. Sûrement sont-ils à l’origine de mon silence. Parler à un mur n’est jamais simple, surtout que de buter contre est particulièrement déplaisant.

J’avais l’impression d’être la seule à ressentir des choses fortes, d’être en proie à un envoûtement ou à un sort.

Je ne suis pas assez aveugle pour me dire que je vivais une « amourette » et je n’avais pas besoin de m’échapper de mon quotidien. J’aurais dû faire marche arrière, car il était question de retrouvailles. Je me sentais en terrain connu, comme si nos deux âmes se retrouvaient. C’est à ce moment-là que j’aurais dû fuir, car cela devenait irrationnel.

Je sentais que les difficultés allaient arriver en masse et plus je t’ouvrais la porte et plus je me sentais en danger. J’étais comme liée à toi. Qu’avais-je donc pu faire dans une autre vie pour mériter un tel sort ? Cette torture sans cesse renouvelée me devenait intolérable et particulièrement inhumaine. J’étais entière à ta merci, tu aurais pu me faire faire tes trente-six volontés sans que je m’y oppose un instant. Mon sens commun était littéralement perdu. Moi, si pragmatique et réfléchie, une cérébrale pure cartésienne qui en était arrivée à perdre ses dernières défenses. Si j’avais su… j’aurais certainement fait marche arrière.

Jamais je n’aurais dû collaborer avec toi, ni arriver dans cet endroit. Ce ne sont que des concours de circonstances. Oui, j’aurais dû faire marche arrière lorsque tu m’as approché la première fois. J’aurais dû faire marche arrière, car tu n’étais pas libre. J’aurais dû me méfier du hasard qui joue parfois des tours…

Comment faire marche arrière lorsqu’un regard profond arrive à nous sonder jusqu’au plus profond de soi ?

Mais surtout comment faire marche arrière lorsqu’on se sent bien avec quelqu’un, sans aucune explication ? Alors c’est là que tout s’est révélé, j’avais envie de savoir où cela menait.

Cela a toujours été intense de passer du temps à tes côtés, par procuration. J’aurais dû faire marche arrière lorsque cela est devenu trop fort, pourtant j’avais envie de vivre chaque seconde intensément.

Oui, j’aurais dû faire marche arrière mais cette relation me rendait humaine. Elle me rendait plus femme, plus belle, vraisemblablement bien plus moi-même aussi. Vivre dans la peur de ne jamais vivre une relation pleinement, c’est cette alerte qui aurait dû me faire faire demi-tour et tout arrêter !!!

Et, comble de l’aveuglement, je n’ai pas eu la force de reculer lorsque j’ai pris conscience de mon erreur. Mon entêtement a été très fort, sûrement à la mesure de mes sentiments. Pour tous les tourments vécus, pour tous les moments ratés, pour toutes les interrogations posées et pour tous les sentiments non-exprimés ; j’aurais certainement dû faire marche arrière.

Je ne regrette rien, comme le dit si bien notre Edith, mais une chose est sûre c’est qu’il y a un goût amer qui ressort de cette histoire. Quelque chose d’inachevé, une fin qui n’en est pas une, car… il n’y a jamais eu de début !

Histoire sans fin qui tourne en rond à un tel point que l’on peut se demander si on ne rêve pas les yeux ouverts. Que s’est-il passé ? Je ne suis toujours pas capable de le dire, ai-je fantasmé de bout en bout pendant plus de trois années de ma vie ? Ou bien y a t-il une forme de réalité dans cet épisode à rebondissements ?

Telle la femme coupée en deux, se côtoient deux personnalités distinctes qui jamais ne se rejoignent. Deux « moi » antagonistes essayant de cohabiter dans un même corps ! Il y a un vide sidéral entre celle que j’étais et celle que je suis, sorte de schizophrénie non assumée et impossible à soulager. Il se dit que les êtres mystérieux n’ont en fin de compte rien de secret à camoufler, c’était sûrement ton cas…

Malgré cela, j’aurais aimé vivre un épilogue plus éclairant et plus définitif, mais face à un mur d’incompréhension, il est bien difficile de s’exprimer. Seule la fuite était possible, c’était moins radical que la mort…

– La version du côté de chez Lui –

J’aurais dû faire marche arrière mais j’ai accepté de faire équipe avec toi. Je t’ai trouvé particulièrement étrange, voire singulière à notre premier contact. Il était clair que nous n’étions pas du même monde.

Tu venais d’une grande métropole et moi d’une province plutôt « campagnarde ». Pourtant, nous avions le même langage du cœur et cela malgré nos différences d’éducation et d’expériences, nous étions similaires.

Ni l’un ni l’autre n’étions libres, cela aurait été trop simple. J’aimais nos collaborations épanouissantes et pleines de complicité. C’était facile d’être à tes côtés, de faire évoluer les sujets. Venir chaque matin te rejoindre me permettait d’assurer mon rôle avec facilité et de vivre cette relation pleinement. Cela me rendait heureux ! T’entendre rire, raconter tes « aventures » d’expatriée et parsemer ta bonne humeur autour de toi, tout cela m’était précieux. Un vrai bol d’air frais. Tu mettais de la gaieté et de la joie dans un endroit qui n’était pas réputé pour être axé sur la douceur de vivre.

Rien n’avait été simple dans cet endroit, toujours de la pression et des impératifs. Beaucoup de testostérone et peu d’esprit, mais tu avais su changer cela. Malgré mes réticences de départ, cela me semblait maintenant très important de ressentir cette bonne humeur ambiante. Il y avait une légèreté qui flottait dans l’air, cela me rassurait de te trouver là, de te côtoyer et de te voir prodiguer ce baume bienfaisant.

Tu étais une tornade subtilement parfumée et tu te mouvais de manière tellement sensuelle que le spectacle était permanent.

Mon attirance pour ta fraîcheur a été presque instantanée, enfin disons quelques mois, car, passée la première impression de curiosité, j’ai pu apprécier ta personnalité. Cette attirance, je l’ai souvent ravalée comme si elle était incongrue et illégitime, pourtant elle m’était essentielle. C’était un bien-être coupable, oui un bien-être très coupable.

Nous ne nous sommes jamais rien avoués l’un à l’autre, bien que nous l’appelions de tous nos vœux, mais l’implicite a fait son chemin et la situation est restée en suspens. Des gestes tendres à ton égard, j’aurais voulu en avoir bien plus, je me le suis juste interdit et cela par peur de l’illégitimité.

Longtemps j’ai ruminé cette situation, que fallait-il faire ? Tout s’avouer et faire du mal à mon entourage ? Je venais de me marier, je payais encore les traites du mariage fastueux et je ne pouvais m’avouer que je m’étais trompé de partenaire. Pourtant, cette erreur allait me distiller une douleur lancinante jusqu’à la fin de ma vie.

Bien sûr, j’aurais pu braver mes peurs inconsidérées, bien sûr, j’aurais pu faire en sorte de calmer le jeu. Bien sûr… mais faire marche arrière aurait été comme se couper d’une réalité très tentante. J’aimais être à tes côtés et laisser les choses en suspens, cela me rendait moins coupable.

Ne pas avoir l’air de céder, mais ne pas avoir l’air d’être indifférent non plus…

Dire les choses n’est pas dans mon éducation. Parler de ses tendres sentiments à une femme, qui de surcroît n’était pas la mienne et cela dans un lieu qui n’en a pas la vocation ; ne pouvait être une option que je pouvais prendre. L’opinion des autres m’est essentielle et paraître vertueux m’apparaissait comme la seule chose à laquelle je devais m’attacher, à tort ou à raison. Je savais que tu ne concevais pas les choses ainsi, car de là d’où tu viens, les choses sont très différentes, mais pour moi, cela était essentiel. Je savais que tout finissait par se savoir dans cette maudite ville. C’est la peur qui nous tient l’estomac ! L’entourage proche finit par se rendre compte de la chose et se repaît des détails croustillants, en n’oubliant surtout pas d’ajouter des détails aussi faux que véridiques… Je craignais que mon officielle moitié l’apprenne et je ne pouvais affronter cela. Je n’avais pas ta force et encore moins ton courage.

Cela m’a toujours fait penser que tu étais bien plus courageuse qu’une brigade masculine. D’ailleurs de nous tous, c’est toi qui avait le courage de trois hommes, la plus « couillue » en somme. Ce qui me donnait à croire que ce trait de caractère te procurait une force supplémentaire pour affronter les épreuves.

Lorsque tu es partie, la mort dans l’âme, je t’ai vu prendre tes affaires et sortir sans te retourner, le sourire aux lèvres et heureuse. Je t’ai dit que cela te serait bénéfique de voler sous d’autres cieux.

Je le pensais, mais ton sourire radieux m’a blessé. J’étais sous le choc et je faisais bonne figure. Lorsque tu as passé le sas d’entrée, pour moi, il était clair que l’on ne se reverrait plus. Les mots n’avaient pas été dits, ni de ta bouche ni de la mienne. Je n’étais pas arrivé à desserrer les lèvres. Il était maintenant trop tard et ce n’était plus le moment pour le dire.

L’intensité des sentiments était forte, tellement forte… mais je n’ai pas trouvé le courage de le dire.

Lorsque tu as passé la porte, je t’ai vu saluer des amis et j’ai décidé de tourner les talons afin de ne pas regretter des paroles éventuelles qui auraient pu dépasser mes pensées. Pas de larmes, il n’en était pas question. Un homme comme moi n’a pas de larmes ou de sentiments à sortir en public !

Ton départ m’a hanté, terriblement hanté. Il sonnait le glas de cette entente, de cette osmose et de cette relation inattendue. Ma peine fut grande et surtout les mots me manquaient pour te dire ce que tu représentais à mes yeux. Il aurait été trop compromettant de tout t’avouer malgré ma peur viscérale collée à ma crainte de te perdre à jamais. Bien choisir mes mots a été mon souci premier, c’était essentiel.

Je me devais d’être concis.

Les seuls mots qui ont pu franchir mes lèvres furent :

– « Une nouvelle vie commence pour toi, je te souhaite bonne chance ! ».

Cette version était mon option numéro neuf et cela m’a semblé un peu trop léger. J’ai cru apercevoir dans ton regard, une forme de désespoir. Du reste, je ne pensais pas que mes paroles sonneraient de manière aussi creuse. Mes oreilles ont trouvé cela sans consistance, une pauvre mélasse balancée qui s’écrasait mollement contre ton désarroi.

Malgré tout cela, je pensais et j’espérais que le « hasard » nous ferait nous rencontrer de temps à autre, mais il en a été autrement. D’ailleurs, j’ai longtemps cru que tu avais quitté la ville.

J’ai toujours espéré revoir ton sourire ou entendre ton rire tonitruant et joyeux. Le temps a passé et la peine s’est transformée en compagne fidèle. Bien trop fidèle à mon goût ! Elle est sans cesse présente, afin de me rappeler mon manque de courage et ma faculté à ne pas vouloir vivre en accord avec moi-même.

J’ai toujours été persuadé que tout ne pouvait être expliqué et qu’en fin de compte, il fallait aussi laisser parler son cœur. Je sais maintenant que parfois on se sent en sécurité face à un être sorti de nulle part et avec qui on a une complicité incompréhensible. Tout n’est pas toujours explicable et rationnel. Cette recherche incessante d’explications pour tout est usante et dessert une relation. Je ne me suis pas assez fixé sur ce besoin de lâcher les amarres et de vivre le temps présent.

Je suis allé chercher des explications là où il ne fallait pas en chercher, c’est de là que vient mon plus grand échec. J’avais une grande crainte face au fait de me laisser aller…

Ces actes manqués et ces paroles non dites ont fini par me tuer à petit feu. J’ai fini par avoir « mon » cancer, apparemment cela est banal, car chacun aura le sien aux dires de mon oncologue ! Je me fais donc grignoter de l’intérieur par un mal aussi lancinant que ma peine, mes angoisses me sont également chevillées au corps. Sûrement que les unes et les autres s’entendent pour me faire souffrir chaque fois un peu plus.

J’espère pourtant encore revoir ton sourire éclairer ma chambre d’hôpital et transpercer ma tristesse. Je sais que ces murs blancs sont ma dernière demeure, je suis plus que jamais seul face à moi-même.

Je ne parlerai pas là de mes regrets, car il est trop tard pour cela. Nous sommes donc morts l’un pour l’autre. Face à cela je ne peux faire marche arrière, nous savons tous que rien n’empêche le destin et son triste dessein de faire son œuvre…

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